Vous étendez la mesure de composition pénale à la disposition du procureur aux mineurs dès l'âge de treize ans, comme si ces derniers étaient en mesure, même accompagnés de leurs parents, souvent issus de milieux modestes, de faire front à ce que le procureur va pouvoir leur dire ou leur proposer ! Il y a donc là une inégalité dans les comportements.
Vous prévoyez, en outre, la présentation immédiate au tribunal pour enfants aux fins de jugement - façon détournée de parler de comparution immédiate - des mineurs de seize à dix-huit ans, ce qui ne permettra pas, faute d'une instruction juste, une prise en compte sérieuse de la personnalité, du parcours et de l'environnement social du jeune ; en d'autres termes, cela reviendra tout simplement à une justice hâtive.
Enfin, les moins de seize ans pourront désormais être placés sous contrôle judiciaire dès la première infraction. S'ils ne respectent pas ce contrôle judiciaire, ils seront dirigés vers un centre d'éducation fermée qui, contrairement à la formule, n'est pas vraiment fermé, et, s'ils se dérobent à cette décision, ils connaîtront alors la prison sous forme de détention provisoire.
Dans ce climat répressif, on constate purement et simplement que vous souhaitez accroître les pouvoirs des procureurs de la République au détriment des juges qui seraient trop indépendants. Vous pensez, en effet, que le procureur - ce qui, d'ailleurs n'est pas toujours le cas - sera davantage « dans la main » du procureur général et du Gouvernement.
Pourquoi remettre en cause le rôle des juges des enfants qui font un excellent travail ? Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale de 2002 sur la délinquance des mineurs ne dressait-il pas le constat que la justice des mineurs n'était pas laxiste ?
Le taux de réponses pénales dans les affaires les impliquant a été de 85 % en 2005. Par conséquent, s'il y a un problème, il se situe en amont et tient au faible taux d'élucidation des affaires par les services de police. Ce taux est d'un tiers, sachant qu'un cas sur cinq seulement est connu d'elle, ce qui s'explique en grande partie par le retrait de la police de nombreux quartiers où il se commet deux fois plus d'agressions que dans le reste du pays.
Le travail des juges des enfants est, à cet égard, tout à fait bénéfique puisque 90 % des jeunes dont ils ont traité l'affaire n'ont pas récidivé ; il s'avère que 5 % seulement d'entre eux s'ancreraient dans la délinquance, ce qui implique non pas que l'on baisse les bras, mais que, là aussi, on mette en oeuvre de nouveaux moyens adaptés.
Dès lors, pourquoi accroître les prérogatives des procureurs qui auraient compétence pour décider s'il convient de prévoir pour tel ou tel mineur un stage de formation civique, un suivi de scolarité ou une formation professionnelle, voire la surveillance d'une décision de placement dans un établissement public ou privé, la consultation d'un psychiatre ou d'un psychologue, ou encore l'exécution d'une mesure d'activité de jour ?
Pourquoi confier au procureur ou au président du tribunal de grande instance l'audiencement, alors que les délais, souvent longs, il est vrai, s'expliquent uniquement par l'insuffisance du nombre de greffiers et par l'encombrement des juridictions ? Pourquoi, au lieu de créer des moyens adaptés, vous défausser en voulant dessaisir le juge des enfants ? Je répète ma question : pourquoi un tel dessaisissement ?
En fait, ce projet de loi, dans la logique de la loi pour la sécurité intérieure de mars 2003 qui visait à réprimer les concentrations dans les halls d'immeubles, la mendicité, la prostitution, les gens du voyage, le nomadisme et réservait un régime spécial et un régime de contrainte à certaines catégories de population, vise à la mise en place d'un contrôle social, voire politique de populations considérées comme dangereuses ou suspectes.
Comment ne pas relever que ces nouvelles dispositions sont en contradiction avec la Charte des droits de l'enfant de l'ONU, dont la France est, bien entendu, signataire ?
Avant de vous inviter, mes chers collègues, à voter la motion tendant à opposer la question préalable, je tiens à affirmer une nouvelle fois que le combat pour la sécurité n'est pas dissociable de la volonté de construire une société plus juste. Il n'y a pas, d'un côté, des gens comme il faut qu'il conviendrait de protéger et, de l'autre, des gens qui seraient enclins à de mauvais comportements, donc voués à la sanction, à l'enfermement, au refoulement et, en fin de compte, à l'exclusion sociale.
Il existe dans notre pays des enfants, des jeunes qui souffrent parce que leur famille présente des carences graves. Cela peut être la faute des parents, mais, généralement, cette situation résulte du fait que ces derniers sont eux-mêmes malheureux, en proie à la misère et à la pauvreté. Il y a aujourd'hui dans nos villes des enfants dont les parents n'ont pas assez d'argent pour acquitter le prix de la cantine scolaire. Souvent, l'école n'a pas les moyens de leur offrir le contrepoids nécessaire par manque d'enseignants spécialisés, d'éducateurs, de médecins scolaires, de surveillants, ni de leur assurer, en plus de l'enseignement de base, l'apprentissage de la vie commune, l'ouverture aux autres, et ce malgré le mérite des maîtres qui accomplissent leur tâche au milieu de grandes difficultés.
À ce propos, j'invite le Gouvernement à lire le livre émouvant, publié récemment, de cette enseignante d'arts plastiques qui a été poignardée à Étampes.
Ces mêmes enfants ne connaissent pas non plus le monde des loisirs, enfermés qu'ils sont dans leurs quartiers et, de ce fait, livrés à la rue et à ses tentations.
Ce n'est pas par une répression accrue que l'on réglera les problèmes de tranquillité publique et d'harmonie sociale. Il faut s'attaquer aux racines du mal et en même temps donner la priorité à une vraie prévention.
Là aussi, il convient de mettre en place les moyens humains et financiers nécessaires, de former des hommes et des femmes aux métiers de la prévention, de permettre à tous les acteurs de travailler en réseau non seulement pour comprendre et écouter, mais aussi pour trouver des réponses à l'attente des jeunes, ce qui suppose, bien entendu, une transformation en profondeur de la société.
Or, faute d'ouvrir des perspectives aux jeunes, vous multipliez les effets d'affichage et, plus la situation s'aggrave, plus vous tentez d'accréditer l'idée que la répression est nécessaire. Plus cela va mal, plus vous tentez de faire croire que vous êtes indispensable !
C'est cette logique perverse que nous voulons briser pour retrouver les voies de la République et de la démocratie.