Intervention de Jean-Claude Luche

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 3 avril 2019 à 10h00
Projet de loi portant création de l'office français de la biodiversité modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement — Projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude LucheJean-Claude Luche, rapporteur :

Je salue, à mon tour, la présidente Sophie Primas, et tiens à transmettre à Anne Chain-Larché ma plus vive reconnaissance pour le travail que nous avons effectué ensemble.

La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a permis la création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) à partir du regroupement de quatre organismes publics : l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), Parcs nationaux de France, l'Agence des aires marines protégées et l'Atelier technique des espaces naturels (Aten).

L'objectif poursuivi était de rassembler les opérateurs de l'État actifs en matière de biodiversité dans une seule et même entité à des fins de simplification et d'amélioration de la cohérence des actions menées par l'État dans ce domaine.

Lors de l'examen du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Gouvernement et le Parlement avaient toutefois jugé prématuré d'y intégrer l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), compte tenu des vives inquiétudes exprimées à l'époque par le monde cynégétique. À terme, il était toutefois évident que le mouvement d'unification des interventions de l'État en faveur de la biodiversité, en particulier en matière de police de l'environnement, nécessiterait une fusion de ces deux organismes.

La concertation qui a été menée depuis lors avec le monde de la chasse a finalement abouti à un accord sur la création d'un établissement public unique, et le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise précisément à le mettre en oeuvre.

Par conséquent, il s'agit avant tout d'un texte technique, définissant les modalités de la fusion de deux établissements publics de l'État. À la différence de la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016, dont notre excellent collègue Jérôme Bignon avait été rapporteur, l'ambition du présent texte n'est pas de proposer une grande réforme relative à la protection de la nature, mais bien de parachever l'évolution institutionnelle engagée en 2016.

D'aucuns pourraient considérer que ce regroupement en deux étapes séparées de plusieurs années constitue une perte de temps. À mon sens, il n'en est rien. La création de l'AFB en 2016 constituait déjà un véritable défi, exigeant du temps et un accompagnement important pour assurer la mise en place de l'agence dans de bonnes conditions, notamment par le développement d'une culture commune entre les personnels provenant des différents opérateurs fusionnés.

Par ailleurs, ce délai supplémentaire a permis de poursuivre les échanges avec les acteurs du monde de la chasse, pour permettre un rapprochement apaisé avec l'ONCFS. Il y a bien urgence à agir en matière de protection de la biodiversité, comme cela a été rappelé lors de l'audition du WWF organisée par notre commission le 13 mars dernier, mais rien ne sert d'agir dans la précipitation. Une fusion à marche forcée n'aurait fait que susciter de nouveaux conflits entre parties prenantes et des difficultés durables au sein du nouvel organisme. Le contexte actuel nous donne l'opportunité d'examiner plus sereinement le regroupement entre l'AFB et l'ONCFS.

Le projet de loi comprend trois volets distincts, mais tous liés à la création du nouvel établissement.

Le premier volet regroupe des dispositions relatives à la gouvernance et aux missions du nouvel établissement issu de la fusion entre l'AFB et l'ONCFS, ainsi qu'une série de dispositions plus techniques permettant d'assurer la continuité entre les deux établissements et la nouvelle entité, notamment en matière de patrimoine et de personnels. Je rappelle à ce titre qu'en termes d'effectifs, les deux établissements sont de taille comparable, car l'AFB et l'ONCFS comptent respectivement environ 1 300 et 1 500 agents. En termes de budget, l'AFB dispose de 224 millions d'euros et l'ONCFS de 110 millions d'euros.

Le second volet porte sur la police de l'environnement et vise à renforcer les pouvoirs de police judiciaire donnés aux inspecteurs de l'environnement. Prenant acte de l'intérêt d'une police spécialisée en matière environnementale, le projet de loi prévoit que soient substantiellement enrichies leurs prérogatives en matière d'investigation.

Le troisième volet porte sur les activités de chasse, et vise à mettre en oeuvre plusieurs mesures de l'accord conclu par le Gouvernement avec le monde cynégétique et du plan Biodiversité de juillet 2018. Il inscrit notamment dans la loi l'engagement des fédérations de chasseurs d'amplifier leurs actions en faveur de la biodiversité, ainsi que la mise en place d'un dispositif de gestion adaptative, qui permettra d'adapter à l'état de conservation de certaines espèces le nombre de spécimens pouvant être prélevés.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit également un transfert aux fédérations des chasseurs de la gestion des associations communales de chasse agréées et de la mise en oeuvre des plans de chasse, ainsi qu'une suppression du timbre national grand gibier, qui devrait être remplacé par une participation territoriale à l'hectare, pour financer la prévention et l'indemnisation des dégâts de grand gibier.

Il s'agit d'une modification importante, qui aura pour conséquence de décentraliser le financement au niveau des fédérations départementales, avec une moindre péréquation au niveau national. La Fédération nationale des chasseurs y est très favorable, mais je ne suis pas certain que l'ensemble des fédérations départementales aient pleinement pris connaissance de l'impact de cette évolution.

Depuis la transmission du texte par l'Assemblée nationale, j'ai souhaité entendre les principaux acteurs concernés par cette réforme : la direction et les représentants du personnel de chacun des deux établissements publics concernés par la fusion, le préfigurateur du futur établissement, les services du ministère de la transition écologique et solidaire, les représentants des chasseurs ainsi que des associations de protection de l'environnement.

Un grand nombre de ces auditions ont été menées en commun avec ma collègue Anne Chain-Larché, avec laquelle nous avons travaillé en bonne intelligence. Plusieurs membres de notre commission ont également assisté à ces auditions.

Il ressort de ces consultations et de nos travaux préparatoires que ce projet de réforme est globalement bien accepté par les parties prenantes. Néanmoins, certains ajustements sont nécessaires pour assurer une mise en place du nouvel établissement dans de bonnes conditions.

Longuement débattue par nos collègues députés, la question de la gouvernance du conseil d'administration du futur établissement n'a pas manqué d'illustrer certaines interrogations que le rapprochement de l'AFB et de l'ONCFS continue de susciter. Dans le souci d'assurer aux actions du futur OFB la légitimité que requiert l'exercice de missions élargies, je vous proposerai d'orienter le texte vers un conseil d'administration intégrateur de l'ensemble des parties intéressées et où l'État devra, pour construire une majorité, tenir compte de toutes les sensibilités exprimées.

Par ailleurs, le volet relatif aux missions de police des inspecteurs de l'environnement m'a paru devoir être enrichi de certaines dispositions relatives à leurs pouvoirs de coercition. Si le texte qui nous a été transmis se montrait satisfaisant quant à leurs prérogatives d'enquête, il subsistait une lacune, dont plusieurs collèges se sont fait l'écho, à propos de ces pouvoirs particuliers. Sans aller jusqu'à les doter de tous les attributs d'officiers de police judiciaire, dont ils n'ont pas la formation, je proposerai quelques ajustements allant dans le sens d'une police plus efficace.

Enfin, certaines évolutions apportées aux activités de chasse appellent des compléments. Nous examinerons en particulier des propositions visant à inscrire dans la loi l'engagement qu'a pris l'État de contribuer au financement des actions de protection de la biodiversité menées par les fédérations de chasseurs. Des précisions pourraient également être apportées à la mise en oeuvre des plans de chasse, afin de mieux lutter contre les dégâts de grand gibier, qui sont à l'origine de nombreuses difficultés dans nos territoires, en particulier pour les agriculteurs et les forestiers.

Permettez-moi de conclure par deux observations plus générales sur le contexte dans lequel nous examinons ce projet de loi.

Ma première observation est une inquiétude, concernant les moyens dont disposera le futur établissement public. Compte tenu des mesures financières prises en loi de finances pour 2019 et d'autres mesures annoncées par le Gouvernement dont les modalités restent à définir, le budget de l'ONCFS, et donc du futur OFB, se retrouve grevé d'un besoin de financement supplémentaire de 40 millions d'euros.

J'ai fait part, au cours de l'audition par notre commission hier de la secrétaire d'État, de mon inquiétude quant à la réponse que l'État entend donner à cette situation ainsi que de notre souhait de ne pas voir ce déficit comblé par une augmentation de la contribution des agences de l'eau.

En renvoyant ce sujet à la prochaine loi de finances, et en indiquant qu'elle demandera qu'une partie seulement de ce besoin de financement soit couverte par des crédits budgétaires, les réponses données par la secrétaire d'État ne sont pas pleinement satisfaisantes.

Ma seconde observation est une expression d'optimisme, concernant l'état d'esprit des parties prenantes quant à cette réforme. Je me réjouis en effet que ce projet de fusion se présente dans une atmosphère plus constructive et apaisée que celle qui avait présidé au débat sur le projet de loi biodiversité entre 2014 et 2016.

Chacun a compris qu'il était indispensable de sortir d'une opposition stérile et caricaturale entre défenseurs et opposants de la biodiversité.

À cet égard, je rappellerai que les chasseurs ont un rôle important à jouer pour la régulation de certaines espèces qui font des ravages dans les campagnes et posent à leur tour des problèmes d'équilibre pour les autres espèces et les habitats naturels. Ils disposent par ailleurs d'une connaissance très précise de l'état des territoires, qui en fait des acteurs incontournables en matière de suivi et de gestion de la biodiversité.

De même, les agriculteurs se sont approprié ces questions de longue date et il est indispensable de les accompagner vers un modèle agricole plus durable, comme l'avait bien souligné notre collègue Pierre Médevielle à l'occasion de l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit « Égalim », en juin 2018.

Nul n'est indifférent au recul de la biodiversité et chacun doit assumer sa part de responsabilité en la matière, en tenant compte des besoins, des contraintes et des préoccupations des autres parties prenantes. C'est en privilégiant des solutions partagées, concrètes et pragmatiques, élaborées au plus près du terrain, que nous assurerons une coexistence durable des différentes activités et une meilleure protection de la biodiversité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion