Intervention de Geneviève Darrieussecq

Réunion du 4 avril 2019 à 15h00
Drapeaux des associations d'anciens combattants — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Geneviève Darrieussecq :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bleu, blanc, rouge : ces trois couleurs nous parlent de notre histoire ; elles nous disent une part de notre héritage.

Ces trois couleurs, nous y sommes tous, j’en suis persuadée, profondément attachés. Au fronton de nos mairies, de nos bâtiments officiels, au balcon de certains particuliers, dans la liesse populaire comme dans les heures de drame, ce drapeau est notre symbole de ralliement.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, « le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie » : c’est ce que disait en 1848 Alphonse de Lamartine, le grand poète national et républicain. Cela est toujours valable aujourd’hui.

Sous ce drapeau, des femmes et des hommes ont porté l’uniforme, ont affronté le feu et sont morts pour la France. Ils l’ont fait en 1914, en 1940, en Indochine, en Algérie, dans nos opérations extérieures. Nos soldats le font encore avec dévouement et courage au Levant, au Sahel et dans d’autres endroits du monde.

En cette occasion, je veux saluer la mémoire du médecin-capitaine Marc Laycuras, mort pour la France ce mardi au cours de l’opération Barkhane.

Les drapeaux d’associations combattantes et patriotiques sont des symboles importants. Nous y sommes tous attachés ; nous sommes tous des défenseurs actifs de la mémoire de toutes les générations du feu.

C’est cet attachement qui nous réunit aujourd’hui. C’est l’estime et l’admiration que nous portons au monde combattant, aux femmes et aux hommes qui ont servi et qui servent notre pays, qui nous rassemblent.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie du fond du cœur de votre intérêt pour les questions liées au monde combattant et à ses associations. Je loue votre souci de préservation de la mémoire et de mise en valeur des drapeaux associatifs.

Ces femmes et ces hommes, nous les rencontrons dans nos territoires, nous participons à leurs réunions, nous partageons avec eux des moments d’unité lors des commémorations et des journées nationales. Les porte-drapeaux y occupent une place singulière. Au sens propre, ils portent la Nation. Je les en remercie chaque fois que je les rencontre.

Ils sont de toutes les générations. En novembre dernier, dans les Ardennes, lors des commémorations du centenaire de l’armistice de 1918, j’ai rencontré un jeune écolier qui tenait son rang parmi les porte-drapeaux. J’ai eu le plaisir de lui remettre symboliquement, au nom du ministère des armées, son drapeau tricolore et, tout simplement, de le remercier. C’est un exemple que je voulais mettre en valeur, car je crois qu’il faut être optimiste et convaincu que la transmission et la perpétuation de la mémoire combattante sont déjà sur de bons rails.

Oui, le monde combattant évolue et se transforme. Oui, le nombre de ressortissants de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC-VG, diminue. Cette baisse démographique est naturelle. Ainsi, la disparition des deuxième et troisième générations du feu d’ici à quelques années aura pour conséquence la disparition d’associations d’anciens combattants. Nous nous y préparons.

Cette proposition de loi pose de bonnes questions, et c’est pour cette raison que j’ai étudié attentivement son dispositif avec mes services.

Pour autant, disons-le de façon simple et franche, certaines réponses proposées me paraissent superfétatoires, de nombreuses problématiques abordées étant d’ores et déjà traitées par des textes et des règlements en vigueur. Souvent, le droit comme la pratique actuelle permettent de répondre à ces situations.

À titre d’exemple, le cas envisagé au premier alinéa de la rédaction proposée pour l’article L. 351-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui vise les biens des associations, et pas seulement leurs drapeaux, ne devrait pas se produire. En effet, en l’absence de précision sur la dévolution des biens dans les statuts de l’association, l’assemblée générale décidant la dissolution doit statuer sur ce point. Si tel n’est pas le cas, le décret du 16 août 1901 pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 prévoit la nomination d’un curateur chargé de convoquer ladite assemblée générale. Si cela s’avère impossible, parce que l’association ne compte plus aucun membre, la loi dispose que les biens sont remis à la commune de résidence de l’association.

Aujourd’hui, si un drapeau, propriété d’une association, est trouvé entre les mains d’une autre personne, la loi dispose que l’association peut légitimement revendiquer le drapeau dans un délai de trois ans. Je note que le paragraphe III de la rédaction proposée pour l’article L. 351-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre prévoit plusieurs dérogations inédites au code civil. En outre, certaines dispositions entraîneraient, pour les possesseurs d’un tel drapeau l’ayant acquis légalement et de bonne foi, un préjudice qui ne semble justifié par aucun motif d’intérêt général. La frontière est mince avec la privation pure et simple du droit de propriété sans indemnité, contraire à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, ce paragraphe III apparaît, dans son ensemble, contraire à la Constitution.

Les associations que j’ai réunies au sein d’un groupe de travail se penchent actuellement sur la question du patrimoine des associations. Nous les avons consultées cet après-midi encore ; peut-être ne rencontrons-nous pas les mêmes personnes que vous, mais les représentants nationaux des grandes associations patriotiques nous ont confirmé qu’ils ne souhaitaient pas ce dispositif, le jugeant inutile et contraignant.

En effet, certaines associations ont déjà mis en place des dispositifs internes, qu’elles estiment efficaces et suffisants. Ainsi, le retour des drapeaux des sections à l’association nationale est une pratique courante. Par ailleurs, je remarque que nombre de communes et d’associations confient déjà des drapeaux associatifs à des établissements scolaires. Je citerai tout particulièrement, à cet égard, le Souvenir français, qui fait un travail formidable auprès des écoles.

Enfin, je signale que ces drapeaux associatifs ne sont pas des biens publics, contrairement aux drapeaux des unités combattantes. Il s’agit seulement de biens associatifs, ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’ils n’ont pas de valeur, mais il n’est pas du rôle de l’ONAC-VG d’en tenir un inventaire.

Je le répète, de nombreuses communes conservent déjà ces drapeaux. Elles le font volontairement, avec engagement et patriotisme. Je crois que nous pouvons ici les saluer. Toutefois, nous le savons, de petites communes n’auront parfois ni la capacité ni la volonté d’entretenir les drapeaux qui pourraient leur être confiés. Nous devons y être attentifs, afin de pouvoir mener des actions préventives auprès des associations pour qu’elles remettent leurs drapeaux soit à des fédérations nationales, soit à d’autres associations bien vivantes, comme le Souvenir français.

Parce que la question de l’avenir et de la pérennité du monde combattant est majeure, le groupe de travail que j’évoquais à l’instant est complètement mobilisé sur cette question. Nous y travaillons en parfaite concertation avec les associations, à leur demande d’ailleurs, car elles sont bien conscientes que leur avenir pourrait être difficile. Le champ du questionnement excède largement le seul problème du drapeau : il inclut aussi les archives, les biens immobiliers, les participations financières. Les conclusions du groupe de travail me seront rendues avant l’été. Je les partagerai bien sûr avec vous, souhaitant travailler en collaboration avec les assemblées, qui manifestent toujours un grand intérêt pour le monde combattant.

En conclusion, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est tout à fait louable. Je la comprends parfaitement. Madame Férat, je vous remercie d’avoir élaboré ce texte, après avoir été alertée par certaines personnalités du monde combattant, mais, je le répète, il est déjà satisfait par le droit en vigueur.

Pour cette raison, je ne puis donner un avis favorable à cette proposition de loi au nom du Gouvernement, mais je m’en remets à la sagesse du Sénat. Je vous remercie très sincèrement, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de votre attachement au monde combattant et à la préservation active de la mémoire de notre pays. Cette mémoire doit rester bien vivante, et je sais votre souci de sa transmission aux jeunes générations.

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