… notamment en matière agricole, a renoncé à toute ambition industrielle pour notre pays, mais s’est découvert une ambition pour l’industrie européenne. Espérons qu’elle ne connaisse pas le même sort que ses autres priorités européennes, lesquelles ont toutes, jusqu’à présent, été mises en échec : l’Union européenne ne peut pas se permettre de poursuivre sur la voie de l’indifférence industrielle. Face aux grandes mutations de l’économie mondiale, cette évolution ne peut mener qu’au déclassement industriel et, à terme, au déclin économique de la France.
En effet, les pays émergents exercent une concurrence de plus en plus vive, y compris dans des secteurs où l’Europe pensait qu’elle aurait toujours une technologie d’avance.
Par ailleurs, la révolution numérique et la marche vers la transition écologique se sont accélérées. Dans la course de vitesse qui s’est engagée pour dominer les nouvelles technologies et les nouveaux marchés qui en découlent, les entreprises américaines et chinoises ont clairement pris une, voire plusieurs longueurs d’avance.
Enfin, l’ordre économique international est devenu dysfonctionnel. Les guerres commerciales amorcées par les États-Unis contribuent à le déstabiliser ; pis, les règles multilatérales sont de moins en moins respectées, à part peut-être par les Européens.
La Commission et les États membres doivent prendre la mesure du bouleversement en cours et dépasser leurs réticences respectives pour élaborer enfin une stratégie industrielle européenne digne de ce nom.
Les financements publics en faveur de la recherche devront non seulement être massifs, mais porter bien davantage sur les stades ultérieurs de l’innovation, jusqu’au déploiement industriel. Ils devront également s’accompagner d’une mobilisation plus importante qu’aujourd’hui des capitaux privés, notamment le capital-risque.
Surtout, les actions de la Commission et des États devront être mieux coordonnées, soit par de grands programmes mobilisateurs favorisant les coopérations industrielles, soit par l’animation de pôles d’excellence technologique et industrielle.
Une fois ce cadre établi, les autres politiques de l’Union européenne devront être mises en cohérence avec la priorité industrielle. L’affaire Alstom-Siemens l’a une nouvelle fois prouvé : le droit de la concurrence est concerné au premier chef, et il est indispensable de faire évoluer son application pour qu’elle soit plus en phase avec les réalités de l’économie contemporaine.
Les autorités de la concurrence doivent notamment prendre conscience du fait que, pour les entreprises industrielles, le marché pertinent est désormais, presque toujours, le marché mondial. Elles doivent également comprendre que la consolidation et le rattrapage technologique des entreprises étrangères sont aujourd’hui beaucoup plus rapides qu’hier ; dès lors, elles peuvent conquérir des marchés sur lesquels les industries européennes détenaient peu de temps avant un avantage concurrentiel certain.
La logique des régimes d’exemption par catégorie et des projets industriels d’intérêt européen commun pourrait également être élargie pour favoriser la formation d’une politique industrielle. Les secteurs définis comme stratégiques devraient ainsi bénéficier de règles dérogatoires assouplies, tant dans le domaine des aides d’État que dans celui des concentrations.
Ces évolutions sont fondamentales pour que l’Europe ne devienne pas une simple terre de consommation et de services ; pour qu’elle reste aussi une terre de production et d’industrie.