Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 3 avril 2019 à 14h30
Enjeux d'une politique industrielle européenne — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Agnès Pannier-Runacher :

Cette mise au point étant faite, j’approuve beaucoup des idées que vous avez exprimées, au sujet de la politique industrielle : nous défendons d’ailleurs à peu près les mêmes ambitions que vous, auprès de la Commission européenne comme du Conseil européen.

Nous devons parler de l’Europe. Comme vous l’avez très bien dit, tout ce que nous faisons au niveau national ne peut avoir de sens que dans le cadre d’une politique industrielle européenne, pour une simple et bonne raison : face à la concurrence américaine ou chinoise, les bonnes réponses doivent être apportées au niveau continental.

Cela n’aura échappé à personne : depuis quelques années, le paysage économique mondial a changé. Le multilatéralisme est menacé par les aides d’État et, plus largement, par le protectionnisme que mettent en œuvre certains de nos partenaires commerciaux. L’industrie européenne doit par ailleurs faire face à une concurrence technologique féroce de la part de l’Asie – et pas seulement de la Chine – ou encore des États-Unis.

Face à ces menaces, l’Europe n’est pas restée les bras ballants. Nous avons su répondre de façon efficace, car unie, à la crise de l’acier, déclenchée par les importations massives d’acier en Europe. Nous avons modernisé nos instruments de défense commerciale pour mieux protéger nos entreprises face à une concurrence déloyale. Nous avons désormais un mécanisme européen de screening, ou de revue, pour contrôler les investissements étrangers en Europe dans les domaines stratégiques. Ce sont là autant d’avancées utiles ; mais il faut aller bien plus loin.

L’Europe manque toujours d’une vision de long terme pour son industrie, à l’image des grands plans adoptés par les puissances émergentes, comme Made in China 2025 ou Make in India. Les stratégies de ces pays sont assumées, globales, et bénéficient d’un soutien public ambitieux. À mon sens, l’Europe doit, elle aussi, être en mesure de proposer une stratégie ambitieuse, visible, centrée sur ses industries stratégiques.

C’est le message qu’ont signé les représentants de vingt-trois pays, dont onze ministres, à l’issue de la sixième conférence des Amis de l’industrie organisée avec Bruno Le Maire le 18 décembre 2018 à Bercy. Depuis, le Conseil européen des 21 et 22 mars a appelé la future Commission européenne à mettre en place une stratégie industrielle dès la fin de l’année 2019.

L’Allemagne et la France sont les moteurs de cette nouvelle politique. En Allemagne, Peter Altmaier a présenté une stratégie de politique industrielle qui marque une rupture forte par rapport à l’ordo-libéralisme traditionnel allemand.

En outre, le 19 février dernier, nos deux pays ont signé un manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle. Ce texte traduit une ambition commune pour faire de l’Europe un continent doté d’une industrie forte, à la pointe de l’innovation, capable de favoriser l’émergence d’acteurs d’envergure internationale.

Avec les élections européennes et la constitution de la future Commission, la période qui s’ouvre est décisive.

Produire en Europe, avec de l’innovation européenne, des usines en Europe et des travailleurs européens, c’est possible ; c’est même encore plus possible avec la transformation technologique, qui nous permet de relocaliser de manière compétitive certaines productions en Europe. Mais, pour cela, il nous faut une impulsion politique nouvelle, autour de trois axes.

Le premier axe consiste à armer nos entreprises face à la concurrence mondiale.

Face à un protectionnisme américain assumé, face aux stratégies commerciales agressives de la Chine, l’Europe ne doit pas seulement être le bon élève du commerce international. Il nous faut renforcer drastiquement l’arsenal de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, pour le contrôle des subventions industrielles et le respect des règles de protection de la propriété intellectuelle.

En outre, nous devons nous donner les moyens d’agir, en adoptant un instrument européen de réciprocité dans les marchés publics internationaux et en instaurant une préférence européenne dans nos industries stratégiques, comme l’espace ou le numérique – vous l’avez d’ailleurs dit vous-même.

Enfin, pour armer nos entreprises face à la concurrence mondiale, il est parfois nécessaire de constituer de grands groupes industriels. Pour que le refus de la fusion Alstom-Siemens ne se reproduise pas, les règles européennes de concurrence doivent évoluer. Sur certains marchés, peu nombreux et bien identifiés, il n’y a probablement pas de place pour plusieurs acteurs européens capables de concurrencer les acteurs américains, chinois ou indiens présents à l’échelle mondiale, qui sont souvent largement subventionnés ou qui bénéficient de marchés protégés.

Le deuxième axe consiste à soutenir massivement l’innovation et son déploiement industriel sur le sol européen.

Il faut tout d’abord coordonner nos efforts sur les chaînes de valeur stratégiques pour l’Union européenne – déterminées par la Commission européenne, ces dernières sont au nombre de six, parmi lesquelles la cybersécurité et la santé intelligente – en permettant le financement par les États membres des projets transnationaux de recherche et développement jusqu’au premier déploiement industriel.

Un premier projet de type PIIEC – projet important d’intérêt européen commun – a vu le jour à la fin de 2018 sur la nanoélectronique. La France va y investir 1 milliard d’euros.

Nous travaillons maintenant à un projet industriel avec l’Allemagne et d’autres partenaires pour produire en Europe des cellules de batteries électriques, composant indispensable à l’autonomie européenne sur les véhicules électriques. Demain, les batteries constitueront, de manière durable, 30 % à 40 % de la valeur de nos automobiles ; il est vital pour nos emplois et pour notre souveraineté technologique, et donc politique, qu’elles soient européennes et non asiatiques.

Enfin, l’Union européenne doit davantage financer l’innovation de rupture, pour que l’Europe soit la première sur les sauts technologiques. Il est également primordial de créer une véritable union des marchés de capitaux, pour rattraper notre retard sur le capital-risque.

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