Madame la secrétaire d’État, vous avez pu mesurer l’intérêt, parfois l’inquiétude, suscités par ce sujet de la stratégie industrielle sur toutes les travées de notre hémicycle et je voudrais, en conclusion de ce débat, remercier tous nos collègues qui sont intervenus.
L’industrie est un pilier fondamental de l’économie européenne, un moteur indispensable à sa productivité, sa croissance et son innovation. Elle fournit un emploi à 35 millions de personnes et représente 20 % du PIB de notre continent.
Depuis trente ans, son poids dans l’économie européenne n’a pourtant cessé de chuter.
La concurrence des pays émergents, qui a fait tant de mal à nos industries traditionnelles, s’exerce maintenant de manière aussi pressante sur des secteurs à très haute valeur ajoutée, que l’on croyait pour longtemps à l’abri.
Dans le même temps, des bouleversements technologiques majeurs rebattent avec une incroyable vitesse les cartes de la puissance industrielle, transformant des secteurs entiers aussi rapidement qu’ils créent de nouveaux marchés.
L’organisation collective du commerce international est, quant à elle, en train de changer radicalement de nature.
Ses règles multilatérales s’étiolent peu à peu dans la foulée du néoprotectionnisme américain et, surtout, de l’inexorable montée en puissance de la Chine, qui, rappelons-le, continue de profiter d’un traitement préférentiel lié à son statut d’économie en développement – ce qu’elle n’est plus – tout en réclamant les avantages liés au statut d’économie de marché – ce qu’elle n’est pas. La conquête du monde dans laquelle ce pays s’est lancé n’est donc pas alimentée uniquement par ses mérites propres, qui sont certes réels.
Dans ce contexte, la nécessité de bâtir une politique industrielle à l’échelon européen apparaît, non plus comme une option, mais comme une obligation.
La réalité économique ne laisse en effet plus guère le choix.
Le premier axe est humain. L’industrie est et sera confrontée à un immense besoin de compétences, lié à l’évolution de ses métiers. Il est donc nécessaire que l’Union européenne soutienne les efforts d’investissements des États membres dans l’éducation, l’apprentissage et la formation professionnelle.
Ensuite, un cadre stratégique de soutien au développement industriel doit être élaboré autour de l’identification des secteurs pouvant être qualifiés d’intérêt stratégique pour l’économie européenne. Dans ces domaines, la recherche et l’innovation devront être massivement soutenues, à la fois par des fonds publics en hausse et par une mobilisation accrue des financements privés, et les coopérations industrielles devront être facilitées et encouragées, notamment via le lancement de grands projets structurants.
Mais, pour que des leaders industriels européens, puis mondiaux, soient en capacité d’apparaître dans les secteurs prioritaires, la politique de concurrence devra opérer une importante évolution. Si l’on souhaite véritablement soutenir la réindustrialisation du continent, le droit de la concurrence devra également prendre en compte d’autres éléments que le seul intérêt du consommateur, notamment des impératifs tels que la préservation de l’indépendance technologique, de l’emploi ou des savoir-faire industriels.
Enfin, si l’Europe s’est fondée sur les principes d’ouverture des marchés et de concurrence libre et non faussée, force est de constater que ces préceptes ne sont pas nécessairement ceux qui guident la politique économique du reste du monde. La définition d’une politique industrielle européenne n’ira donc pas sans une politique commerciale révisée sur le fondement d’une exigence de réciprocité des échanges.
Instruments de défense antidumping et antisubventions, réciprocité des conditions d’accès aux marchés ou aux programmes de financements publics, contrôle renforcé des investissements étrangers dans les actifs stratégiques, meilleure vérification de la conformité des produits importés avec les règles européennes, tous ces thèmes sont aujourd’hui au cœur des discussions. Ils doivent trouver une concrétisation ambitieuse, et surtout efficace, pour que l’Europe s’affirme davantage dans la mondialisation.
Sans stratégie volontariste, l’Europe industrielle risque de passer à côté des nombreux nouveaux marchés qui ne cessent d’éclore. Mais, ce faisant, elle risque surtout d’être balayée par des concurrents internationaux particulièrement déterminés et conquérants. Il est donc urgent de la réindustrialiser.
Dans un rapport d’information intitulé La politique industrielle et commerciale de l ’ Union européenne face à la mondialisation de l ’ économie, présenté au Sénat le 28 mai 1998, le sénateur Jacques Oudin affirmait déjà : « L’Europe n’aura sa place dans le monde qu’en s’appuyant sur un socle industriel performant et compétitif. » Nous ne disons rien d’autre ! Il ajoutait : « Elle y trouvera également le moyen de créer de véritables emplois, les emplois industriels étant un élément déterminant pour la création d’emplois de service nombreux. »
Selon notre ancien collègue, le contexte était alors favorable à ce que soit, enfin, forgée une politique industrielle et commerciale porteuse d’espoirs pour l’avenir. Nous étions en 1998 !
En ce domaine, on le voit, les rapports, communications, résolutions se sont succédé avec les mêmes constats, mais aucun n’a véritablement été suivi. Pourquoi en irait-il aujourd’hui différemment ?
L’expression « politique industrielle » n’est plus un tabou. Une certaine prise de conscience semble enfin voir le jour, tant au niveau des institutions communautaires que des États membres, traditionnellement rétifs à une stratégie industrielle commune. Le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle, publié le 19 février dernier, est un premier pas vers une vision stratégique de l’industrie européenne.
C’est donc maintenant qu’il faut agir, pour permettre à l’industrie européenne de faire valoir pleinement ses nombreux atouts dans la compétition internationale.