Cet article, mes chers collègues, nous conduit à nous poser la question du rôle du maire.
En effet, l'extension de ses pouvoirs va entraîner une série de conséquences extrêmement dommageables pour notre démocratie, pour la situation des mineurs et de leur famille, ainsi que pour les maires eux-mêmes et les travailleurs sociaux.
Ces nouveaux pouvoirs sont dommageables pour notre démocratie, car ils remettent en cause, d'une part, l'autorité de la justice et, d'autre part, le principe de séparation des pouvoirs. En outre, votre réforme, monsieur le ministre délégué, contribue à la confusion totale des pouvoirs et des compétences.
On a envie de demander à M. le ministre de l'intérieur, qui paraît fasciné par le modèle américain, s'il n'est pas tenté de l'appliquer à tous les niveaux de notre société. Il a ainsi décidé de faire de nos maires des petits shérifs, des contrôleurs sociaux et des instructeurs locaux.
Il s'agit ainsi de procéder à la municipalisation non seulement des pouvoirs de police, qui sont aujourd'hui confiés à l'État, mais aussi de la prévention et de l'action sociale, qui sont du ressort du conseil général.
Monsieur le ministre délégué, après avoir commencé à déléguer certains pouvoirs aux maires dans la loi pour l'égalité des chances, vous poursuivez votre lent mais constant travail de sape de nos institutions judiciaires en voulant déjudiciariser la prévention. Comme l'a d'ailleurs dit le président de la Ligue des droits de l'homme lors d'une audition, avec ce projet de loi, vous nous faites basculer dans une ère d'incertitudes et de dangers inacceptables.
Avec la possibilité, pour les maires, de procéder officiellement à des rappels à l'ordre, de convoquer les familles à ce nouvel ovni juridique que sera le conseil des droits et des devoirs des familles, vous battez en brèche le principe de séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le judiciaire, sans aucune garantie ni même aucun droit à la défense.
En introduisant aussi formellement le maire dans la chaîne pénale, non seulement vous créez une rupture de confiance entre les habitants et lui, confiance née d'une pratique informelle d'intermédiation, de conciliation et de prévention, mais, surtout, vous oeuvrez à la mise en place d'une sorte de para-juridiction aux contours les plus flous et aux conséquences les plus dommageables pour tous.
La délégation de nouvelles compétences au maire ainsi que la structure de la prévention que vous dessinez, vont causer d'autres dommages à notre société.
Tout d'abord, bien entendu, ces délégations supplémentaires de compétences ne s'accompagnent pas de délégation de moyens financiers.
Encore une fois, ce sera donc aux villes les plus pauvres, les plus vulnérables, les plus démunies, d'assumer le délestage financier auquel vous procédez aujourd'hui. Quand, dans ces villes, des drames interviendront pour cause d'absence de moyens, le maire se verra davantage reprocher ces faits, en plus de sa responsabilité d'élu. Ainsi, vous l'affaiblissez davantage encore, en jetant sur lui un discrédit probable, au lieu de le renforcer et le protéger.
Dans le même sens, avec les obligations nouvelles que fait également peser votre projet de loi sur les travailleurs sociaux ou l'inspecteur d'académie, c'est la responsabilité civile, voire pénale, de ces personnes que vous alourdissez.
Alors que, dans l'actuel du droit, les maires voient très souvent leur responsabilité pénale engagée pour diverses raisons - du panier de basket qui s'effondre sur un enfant dans une école à la voiture du cortège de la fête de village qui dérape et fauche des habitants -, le niveau de mise en cause de leurs responsabilités civile et pénale est tel - l'Association des maires de France nous l'a souvent dit - qu'il est de plus en plus difficile de susciter des vocations. Avec cet article, vous décidez d'alourdir encore cette responsabilité !
De plus, à cette délégation de responsabilité juridique supplémentaire qui pèsera sur les maires et tous les acteurs de la chaîne de prévention, vous ajoutez une délégation de responsabilités politique et morale.
En surfant sur la vague des peurs et des craintes que vous aurez vous-même attisées, vous pourrez, demain, admonester publiquement les maires des villes où se produiront des événements graves, émeutes de banlieues, par exemple. Vous pourrez ainsi mieux reprocher aux maires les violences urbaines - notre pays n'est malheureusement pas à l'abri de ces phénomènes ! -, en disant que vous leur avez pourtant donné tous les pouvoirs et les moyens d'agir !
Enfin, ce projet de loi entraînera une profonde dénaturation de la fonction des acteurs locaux majeurs que sont les maires et les travailleurs sociaux. Le maire n'est pas un agent de répression, ni un agent de contrôle social, même sous le prétexte de prévenir la délinquance. Nos élus n'ont pas vocation à se substituer aux juges, et encore moins aux travailleurs sociaux. Les maires de France doivent résister à la tentation de tout savoir et tout contrôler.
Il en va de même du rôle et du sens de l'action sociale : elle va ainsi perdre sa spécificité, qui consiste en un maillage étroit entre le conseil général, les associations de prévention, les travailleurs sociaux et la justice pour une action de proximité.