Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 9 avril 2019 à 14h30
Croissance et transformation des entreprises — Question préalable

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Il reste aussi beaucoup à faire en direction de l’opinion et de nos concitoyens.

Sur les mesures les plus importantes de ce texte, et malgré ce que l’on nous a présenté comme une concertation exemplaire de plus d’un an, c’est finalement le débat au Sénat en première lecture qui a été le révélateur. Qui parlait de la privatisation d’Aéroports de Paris et de la Française des jeux avant que le Sénat ne pose à la fois la question de son contenu, de son bien-fondé et surtout celle de la régulation ?

Sur ce sujet, comme sur d’autres, le débat n’est sûrement pas clos. Nous sommes d’ailleurs nombreux à considérer que les articles concernant les privatisations ont été introduits sous un prétexte fallacieux, celui du financement des aides à l’innovation. La vraie raison, c’est la volonté du Gouvernement de contenir la progression de la dette publique et d’obtenir, si possible, sa diminution d’ici la fin du quinquennat.

C’est peu de dire qu’il existe une profonde frustration de l’opinion et des sénateurs face à ce débat tronqué. C’est particulièrement dommage dans le contexte actuel de grand débat, sur fond de revendications pour une démocratie plus active.

À cet égard, je veux souligner l’erreur du Gouvernement de ne pas avoir intégré ce temps de contestation et d’expression des colères de l’opinion publique, alors qu’il était prévu que le Sénat examine le texte en ce début d’année.

Au-delà de nos opinions différentes, mais parfois aussi convergentes, il y a aussi une question de méthode et un problème lié au comportement du Gouvernement à l’égard du Parlement et de la revalorisation du rôle de ce dernier. En effet, nous avons dû batailler au Sénat pour obtenir certaines informations, et il reste encore bien trop de zones d’ombre aujourd’hui.

Nos collègues ont évoqué les lacunes du brouillon de cahier des charges d’ADP. Je prendrai deux autres exemples.

Celui des ordonnances, tout d’abord. Il y a dans ce texte, comme dans d’autres, beaucoup trop de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance. Grâce au travail de Michel Canevet, le Sénat a réussi à inscrire dans la loi, sur le sujet des tarifs réglementés du gaz, les dispositions relatives à l’information et à la protection des consommateurs, mesures que vous vouliez renvoyer à une ordonnance. Mais, pour le reste, j’ai dénombré pas moins de onze habilitations et vingt-sept ratifications dans le texte !

Or, je le rappelle, les ordonnances sont l’instrument par lequel l’exécutif préempte les sujets qui ne seront pas évoqués au Parlement. Les déclarations sur la coconstruction des ordonnances avec les parlementaires sont parfaitement illusoires, madame la secrétaire d’État. Elles ne remplacent aucunement le débat parlementaire, surtout quand la ratification se fait par voie d’amendement. Et elles ne permettent pas non plus d’échanger avec l’Assemblée nationale.

Je prendrai ensuite l’exemple de la Française des jeux. Pour cette opération de privatisation, nous avions dès l’examen en commission refusé de donner un chèque en blanc au Gouvernement.

Or, à ce jour, tant le périmètre des droits exclusifs confiés à l’opérateur que les contours de la régulation du secteur demeurent incertains. Je continue de penser que rien ne nous assure aujourd’hui que le Gouvernement ne favorisera pas la valorisation de l’entreprise, au détriment des impératifs de santé publique et d’addiction au jeu.

Mes chers collègues, compte tenu de l’ensemble de ces observations, votre commission spéciale vous invite à voter la motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi. Pour autant, il nous semble que le Sénat aura une nouvelle fois démontré sa capacité à être un législateur minutieux, précis et vigilant au service de la qualité de la loi.

Je veux ici réaffirmer avec force l’utilité et l’intérêt du bicamérisme pour une démocratie vivante et forte, dont la France peut et doit s’enorgueillir !

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