Intervention de Michel Didier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2019 à 9h35
Transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune isf en impôt sur la fortune immobilière ifi et la création du prélèvement forfaitaire unique pfu — Audition commune de Mm. Boris Cournède chef-adjoint de la division des finances publiques de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde michel didier président du comité de direction de rexecode jonathan goupille-lebret chercheur en économie à l'école normale supérieure de lyon et luc jaillais co-président de la commission fiscalité du patrimoine de l'institut des avocats conseils fiscaux iacf

Michel Didier, président du comité de direction de Rexecode :

Rexecode a beaucoup travaillé sur le sujet de la transformation de l'ISF en IFI et sur le PFU ainsi que sur la compétitivité. Nos conclusions, publiques, ont été éditées par Economica en 2016 sous le titre L'Impôt sur le capital au XXIe siècle, une coûteuse singularité française. Nous avons également publié un document de travail sur les conséquences de l'expatriation fiscale.

La réforme menée n'a pas retenu la totalité de nos propositions, mais les points essentiels. C'est une bonne réforme, favorable à l'activité et à l'emploi. Elle est l'un des rares leviers, avec la politique de compétitivité, permettant de renforcer la croissance potentielle française et, par conséquent, le pouvoir d'achat des Français.

Je souhaiterais lever au préalable deux malentendus. Les effets de la réforme seront positifs mais ne seront perceptibles que très progressivement, car les décisions patrimoniales sont des décisions de contribuables prudents. Par ailleurs, s'il est juste d'imposer plus à ceux ayant plus, cela ne dit rien sur les modalités de mise en oeuvre de l'imposition. Or selon celles-ci, les conséquences économiques sont très différentes.

L'économie n'est pas un jeu à somme nulle. La surimposition du capital est nocive pour la croissance et l'emploi. L'escalade fiscale française a conduit à des taux marginaux d'imposition aberrants. Compte tenu de la situation actuelle, quel serait le gain supplémentaire et la charge fiscale d'une épargne supplémentaire ?

Prenons l'exemple, avant la réforme, d'un contribuable soumis à l'ISF qui souscrit 2 000 ou 10 000 euros en emprunts d'État. Il est imposé sur ses revenus au taux intermédiaire de 30 %, avec en plus la CSG, et paie un ISF au taux intermédiaire de 1 %. Si le rendement des obligations est de 4 %, son impôt représente 25 % du revenu supplémentaire attendu. Si le rendement du capital est de 1 %, le prélèvement fiscal revient à plus de 100 % du revenu supplémentaire attendu. Or le rendement des obligations d'État était en 2018 de 0,73 %, il est de 0,26 % actuellement. Le taux marginal d'imposition serait donc de 200 à 400 % du revenu supplémentaire.

L'imposition du capital en France avait des défauts congénitaux avant la réforme de 2018. Premièrement, le Parlement vote le barème de l'impôt sur le revenu et celui de l'ISF, mais le taux effectif du prélèvement fiscal sur le revenu supplémentaire de l'épargne varie aussi au gré du rendement du capital, qui dépend des décisions de la Banque centrale européenne (BCE) ou de la Fed (Federal Reserve Bank, banque centrale américaine), des marchés financiers... Deuxièmement, les taux d'imposition ont contraint les gouvernements à multiplier les niches, les dérogations et les effets de seuil, ce qui favorise l'optimisation légale.

La fiscalité du capital ignorait complètement la politique fiscale de nos voisins. La France fait semblant d'ignorer que la fiscalité du capital sur les ménages - qui comprend l'acquisition, la détention, le revenu et la cession et donation du capital - en France est la plus élevée d'Europe, et dépassait l'équivalent allemand de 40 milliards d'euros.

La France ignorait également les différences de règles. Les autres pays européens n'ont pas d'ISF ou d'IFI, mais une imposition du capital proportionnelle aux revenus, avec un taux unique de 25 à 30 %. Le taux français reste le plus élevé d'Europe depuis la réforme, mais il s'est désormais rapproché de la moyenne européenne. C'était une nécessité économique dans l'espace économique européen, dans lequel la règle est celle de la libre circulation des biens et des capitaux.

La France ne voulait pas voir les conséquences en matière d'expatriation, sujet tabou sur lequel nous avons peu de données. Je salue les efforts du Parlement pour obtenir des informations de la part de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Les départs de contribuables redevables de l'ISF ont augmenté de 60 % entre 2010 et 2014. Certaines années, il y a eu jusqu'à 900 départs. On peine à évaluer les conséquences économiques de ces départs. Quelques études descriptives additionnent les patrimoines des personnes parties, soit au total 150 à 200 milliards d'euros. Cependant, ce sont les personnes qui partent, et non le capital...

Aucune étude n'a porté sur les effets des départs sur le potentiel de croissance et par conséquent sur la progression future du pouvoir d'achat des Français. Or l'expatriation d'entrepreneurs, moteurs de la croissance, entraîne une perte de croissance. Nous avons établi une hypothèse basse. Un entrepreneur moyen qui réussit crée en moyenne 2 à 3 millions d'euros au bout d'une dizaine d'années. Si l'on prend le total des départs des 900 entrepreneurs et 200 « intrapreneurs » - les cadres supérieurs des grandes entreprises qui partent souvent à l'étranger -, en un an, 1,5 milliard d'euros de PIB sont perdus, soit 0,06 point de PIB annuel. Certaines estimations l'évaluent à 0,1 point de PIB. C'est peu, mais après 35 ans d'ISF, cela revient à 45 milliards d'euros de PIB perdu ; ce n'est plus négligeable. En 2017, le bilan de l'ISF c'est 5 milliards de recettes fiscales par l'État mais 45 milliards d'euros de pouvoir d'achat en moins pour le pays. Le coefficient de perte est de 1 à 9.

Outre l'aspect lié à l'expatriation, l'ISF provoque aussi des effets sur les comportements internes. En 2013-2014, l'ISF a été augmenté par rapport au quinquennat précédent, et on a appliqué le barème progressif aux revenus de capitaux mobiliers et aux plus-values... Les contribuables ont réagi, et les rentrées fiscales ont été décevantes, illustrant de fait la courbe de Laffer. Ainsi, le nombre de foyers fiscaux ayant un revenu fiscal de référence annuel supérieur à 500 000 euros est passé de 17 000 en 2012 à 13 000 en 2014. La masse des revenus correspondants a baissé de 24 %, passant de 11 milliards d'euros à 8,7 milliards d'euros. Les dispositions fiscales font évoluer les comportements.

Je n'élude pas la question de la justice fiscale et sociale, importante, mais qui ne peut être balayée rapidement de façon péremptoire. Je suis prêt à y revenir plus longuement dans les échanges. Premièrement, la fiscalité du capital ne peut jouer qu'un rôle second dans l'objectif de redistribution. L'ISF ne réduisait pas les inégalités car les dispositions fiscales permettaient aux très gros patrimoines de ne pas le payer. Deuxièmement, la réforme a permis de supprimer certaines inéquités fiscales. Nous avons perdu 45 milliards d'euros de PIB, mais cela correspond de surcroît à la perte de 400 000 emplois. Avec 45 milliards d'euros de PIB, on fait plus qu'avec 5 milliards d'euros de recettes fiscales. Certes, il faut de la justice fiscale et de la cohésion sociale, mais encore faut-il utiliser les bons instruments.

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