Intervention de Jonathan Goupille-Lebret

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2019 à 9h35
Transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune isf en impôt sur la fortune immobilière ifi et la création du prélèvement forfaitaire unique pfu — Audition commune de Mm. Boris Cournède chef-adjoint de la division des finances publiques de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde michel didier président du comité de direction de rexecode jonathan goupille-lebret chercheur en économie à l'école normale supérieure de lyon et luc jaillais co-président de la commission fiscalité du patrimoine de l'institut des avocats conseils fiscaux iacf

Jonathan Goupille-Lebret, chercheur en économie à l'École normale supérieure de Lyon :

En économie publique, le concept clé est celui d'arbitrage équité-efficacité. Pour plus de justice sociale, le Gouvernement peut mettre en place une imposition progressive du capital. Les plus hauts revenus paient donc une part plus importante d'impôts que le reste de la population. À travers l'augmentation des prélèvements obligatoires et la baisse de l'épargne potentielle, ces dispositifs ont aussi un impact sur les inégalités de revenus et de patrimoine. Alternativement, cela génère des coûts d'efficience en modifiant le comportement économique des agents : premièrement, la modification de l'offre de travail, du comportement d'investissement et de création d'entreprises, d'épargne et de transmission d'héritage, de mobilité à travers l'exil fiscal. L'État est donc contraint de réduire les taux d'imposition. Ensuite, des comportements d'optimisation et d'évasion fiscale se font jour. Les individus cherchent à réduire l'impôt à partir de stratégies d'évasion fiscale ou de délocalisation dans les paradis fiscaux. Mieux vaut améliorer le « design » de l'impôt pour réduire l'optimisation fiscale.

La réforme de la fiscalité du capital est porteuse d'inéquités. Les 50 % de Français les moins fortunés détiennent 5 % du patrimoine total, les 40 % au-dessus - la classe moyenne - détient 40 % du patrimoine total, les 10 % les plus riches détiennent 55 % du patrimoine. Les 1 % les plus fortunés possédaient en 2014 entre 20 et 25 % du patrimoine.

J'ai mené des études avec Antoine Bozio, Bertrand Garbinti et Thomas Piketty. À long terme, de 1914 à 1980, on observe une déconcentration du patrimoine. Depuis les années 1980, la tendance s'est renversée, avec une croissance, modérée mais constante, du patrimoine, composé en grande partie d'actifs financiers. Le point de retournement apparaît en 1984, avec le développement des marchés financiers, qui a bénéficié davantage aux plus fortunés.

La composition du patrimoine varie selon le niveau de richesse. Les plus pauvres possèdent un livret d'épargne, les plus fortunés du patrimoine immobilier, et les plus riches des actifs financiers - ces derniers composent 90 % du patrimoine des 0,1 % les plus fortunés. La transformation de l'ISF en IFI a un effet sur la dynamique des inégalités de patrimoine sur le long terme.

Le type d'impôts varie également selon le niveau de richesse. En 2016, les plus pauvres payaient un montant important d'impôts - 30 % du revenu, en raison du poids des impôts indirects. Mais pour les plus fortunés, ces impôts indirects étaient limités et l'impôt portait surtout sur le capital et sur leur revenu. L'impôt sur le capital était de 50 % pour les 1 % les plus riches. Après la réforme, en 2018, pour les 99 % les plus pauvres, le taux d'imposition global est peu impacté mais les 1 % les plus fortunés ont bénéficié de la suppression de l'ISF et de la création du PFU. La progressivité de l'impôt a disparu en 2018 par rapport à 2016.

Une baisse de la fiscalité peut avoir un effet réel sur long terme avec la baisse des impôts des plus fortunés : le revenu disponible augmente, et donc l'épargne potentielle augmente. Elle peut aussi avoir un second effet, comportemental : les individus modifient alors leur comportement d'épargne, ce qui peut avoir un effet plus important que le premier. Sur le long terme, cette réforme peut fortement augmenter les inégalités de patrimoine.

L'appréciation de la réforme dépend de la réponse comportementale des ménages, et de savoir dans quelle mesure la transformation de l'ISF en IFI engendrera une augmentation de la croissance ou si l'investissement ne sera pas affecté par la réforme. Je n'aurai pas le temps de vous présenter des travaux menés dans d'autres pays européens mais je pourrai les évoquer lors des questions. À noter que la transformation de l'ISF en IFI nous fera perdre un outil statistique important : les chercheurs et le Parlement ne pourront plus apprécier les dynamiques des inégalités de patrimoine à l'avenir, puisque les statistiques des plus grandes fortunes vont disparaître de notre champ de vision.

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