Intervention de Luc Jaillais

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 avril 2019 à 9h35
Transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune isf en impôt sur la fortune immobilière ifi et la création du prélèvement forfaitaire unique pfu — Audition commune de Mm. Boris Cournède chef-adjoint de la division des finances publiques de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde michel didier président du comité de direction de rexecode jonathan goupille-lebret chercheur en économie à l'école normale supérieure de lyon et luc jaillais co-président de la commission fiscalité du patrimoine de l'institut des avocats conseils fiscaux iacf

Luc Jaillais, co-président de la commission fiscalité du patrimoine de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) :

L'IACF rassemble 1 500 adhérents, avocats fiscalistes représentatifs de la profession. Nous apportons régulièrement des contributions aux débats, forts de notre regard de praticiens. Le « design » de l'impôt est un élément important du consentement à l'impôt. L'IFI est un impôt plus complexe à comprendre que l'ISF, malgré une assiette moins large - ou peut-être à cause d'elle : il faut identifier les actifs taxables, opération technique et complexe. L'IFI frappe l'immobilier pour le détenteur en propre mais aussi l'immobilier détenu au travers de sociétés - sociétés civiles immobilières (SCI) ou sociétés commerciales. Il existe aussi un dispositif compliqué sur la déduction des passifs des sociétés pour apprécier la valeur des sociétés.

Le législateur a ponctué le dispositif de l'IFI de différentes mesures anti-abus qui font appel à des notions complexes et mal définies, comme l'« objectif non principalement fiscal » ou les « conditions normales d'un prêt ». Qu'est-ce qu'un objectif non principalement fiscal ? La définition est un peu soumise à l'arbitraire...

Deuxième élément de complexité, le législateur prévoit, sur ce dispositif de déduction des passifs, des règles particulières en cas de financement suspect, comme les prêts in fine et les prêts sans terme. Il a créé un abattement théorique pour alléger sur long terme le poids de ces dettes sur la valeur des sociétés, et donc sur l'assiette de l'impôt. Mais comment appliquer cela à des cas banals, comme les prêts familiaux ou les comptes courants d'associés ? Comment prouver que le compte courant d'associé a été préféré à de l'endettement extérieur pour un objectif non principalement fiscal ? La personne risque un redressement avec des pénalités. Et lorsque le contribuable est reconnu fautif, il peut être dénoncé comme fraudeur auprès des autorités judiciaires.

Que sont les conditions normales d'un prêt familial ? Selon le Code civil, un prêt est par essence gratuit, mais il peut être rémunéré. Est-ce normal qu'un prêt familial soit gratuit ? Je n'ai pas de réponse...

On doit appliquer aux avances d'associés le régime des prêts sans terme, car ces avances ne comportent pas de terme. Comment amortir une avance d'associé qui évolue par nature constamment ? Nous n'avons pas de réponse à ces questions et l'administration n'a pas encore répondu. Or, ce sont potentiellement des foyers de contentieux...

Prenons un cas banal, celui de la déductibilité des emprunts immobiliers faisant l'objet d'un refinancement - pratique de plus en plus courante avec la baisse des taux d'intérêt. Cette dette refinancée est-elle déductible de l'assiette de l'IFI ? La dette issue de l'acquisition elle-même l'est, au titre de l'article L. 974 du code général des impôts. Il serait logique que la dette refinancée le soit également. Or ce n'est pas le cas, si l'on applique littéralement les textes ; au point que l'administration fiscale a dû apporter, en juin 2018, la précision suivante : « est déductible la dette résultant d'un rachat de prêt par un établissement bancaire ». Or en réalité, le refinancement ne se fait jamais ainsi : soit l'emprunteur renégocie la partie restante de son prêt avec une autre banque, soit il le fait avec l'établissement dont il est client, qui annule alors le premier emprunt et ouvre un second contrat. Si la réglementation est strictement appliquée, l'emprunt substitutif n'est pas déductible. Cela peut paraître aberrant, mais c'est ainsi. En tant que conseillers, nous souhaitons assurer la sécurité juridique de nos clients. Faut-il appliquer strictement la loi ou suivre la doctrine de l'administration ? Nous sommes confrontés à un vide juridique.

L'élément le plus complexe en matière d'impôt sur la fortune était le régime des biens professionnels. Dans le cadre de l'IFI, l'immobilier consacré par son propriétaire à une activité industrielle ou commerciale est exonéré de taxation. De plus, la valeur des actions est désormais hors du champ de l'impôt. On aurait donc pu penser que ce pan du régime de l'ISF n'avait plus de portée en matière d'IFI. Or le régime d'imposition des biens professionnels a été maintenu, pour le seul cas des chefs d'entreprise détenant de l'immobilier non dans le cadre de la société d'exploitation mais collatéralement. C'est un élément certes marginal, mais qui contribue à une certaine complexité du dispositif fiscal.

Une autre observation porte sur les effets délétères du plafonnement. L'IFI, comme l'ISF, est plafonné : c'est un corollaire, imposé par le Conseil constitutionnel, aux barèmes d'imposition à taux élevé pour éviter qu'ils ne deviennent confiscatoires.

La conséquence du plafonnement est que moins le redevable a de revenus, moins il paie d'impôts. Les contributeurs qui ont les moyens de régler leurs revenus sous forme de dividendes ou de plus-values - pris en compte dans le calcul du plafonnement - auront donc tendance à restreindre leurs revenus en évidant de céder leurs titres ou leurs biens immobiliers. J'ai ainsi constaté cette curieuse pratique chez certains de mes clients, qui consistait à décorréler leur train de vie de leur fortune. Or le passage de l'ISF à l'IFI, en réduisant les conséquences du plafonnement, devrait les inciter à augmenter la distribution de dividendes. C'est ainsi que la mise en place du PFU a pu se traduire par une augmentation des dividendes.

Quant aux conséquences de l'IFI sur l'investissement productif, les avocats fiscalistes ne peuvent se prononcer ; en revanche nous avons constaté l'impossibilité de s'acquitter de l'IFI en soutenant l'économie de manière directe comme cela était le cas avec l'ISF. Le rôle des intermédiaires a été critiqué, mais ils ont permis aux contribuables n'ayant pas de réseaux d'entrepreneurs d'investir dans l'économie réelle. Les pertes en ligne liées à ces investissements ont été nombreuses, certaines PME ayant disparu, ce qui témoigne d'une prise de risque réelle. Or les contribuables regrettent de ne plus avoir cette possibilité, soit en investissant au sein de leur famille, soit via des opérateurs.

Je n'ai pas constaté de retours d'exil fiscal liés à la création de l'IFI. Ils sont d'autant moins probables si, comme il en est question, l'on revient sur cette réforme. En revanche, je connais plusieurs contribuables qui ont renoncé à s'exiler. Des clients ont ainsi revendu leur entreprise familiale en 2016, convertissant ainsi leur patrimoine en un patrimoine financier taxable à près de 40 % au titre de l'impôt sur la plus-value, et assujetti à un impôt sur la fortune très élevé en 2017. Ils ont commencé à comparer les mérites respectifs des cantons suisses, avant d'y renoncer avec la mise en place de l'IFI.

Plusieurs de mes clients sont aussi surpris de l'intention affichée de maintenir l'assujettissement à la taxe d'habitation des résidences secondaires. Pour les contribuables concernés déjà assujettis à l'IFI, cela ressemble à une double imposition. Pourquoi ne pas créer un impôt spécifique pour les résidences secondaires ? Les choses seraient plus claires. Seconde remarque, il serait regrettable que l'on maintienne dans le code général des impôts la taxe d'habitation, déjà fortement critiquée pour ses malfaçons, qui ne ciblera qu'une catégorie particulière d'immobilier.

L'allégement d'imposition sur les plus-values et dividendes et la simplification induits par le PFU ont eu des effets positifs. Cependant, le législateur a prévu que les titulaires d'actions acquises avant le 1er janvier 2018 pourraient continuer à bénéficier de l'ancien système d'abattement très complexe. Le PFU va donc coexister encore très longtemps avec ce régime en vigueur entre 2013 et 2017. Le Conseil constitutionnel a en effet statué que les plus-values réalisées au titre d'échanges de titres, qui donnent lieu à des reports d'imposition, verraient leur taux figé à l'imposition applicable si la plus-value avait été taxable immédiatement. Le but était d'assurer une neutralité fiscale à ceux qui avaient dû procéder à ces échanges dans le cadre de fusions et de restructurations. Conséquence : des contribuables pourront être taxés dans vingt ou trente ans, au moment où ils vendront ces actions, au taux qui était applicable entre 2013 et 2017... Curieusement, le législateur n'a pas laissé aux contribuables concernés la possibilité d'opter pour le régime du PFU si celui-ci était plus favorable.

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