Bonjour à toutes et à tous, je suis particulièrement ravie d'être présente ici au Sénat. C'est un réel plaisir de venir pour la première fois dans votre institution. Je me réjouis que vous puissiez mener des travaux sur le football féminin. En effet, nous organisons cette année la Coupe du monde féminine de football. Les joueuses et les membres de la Fédération sont donc extrêmement sollicités pour parler du sport et du Mondial féminin, mais aussi de la place de la femme dans la gouvernance et dans le sport. J'espère que cela n'est pas juste une mode. Je tiens à vous remercier en tout cas de réaliser ces travaux autour du football féminin. J'espère qu'ils mèneront à une avancée ou à une médiatisation supplémentaire de notre pratique.
Vous m'avez demandé de parler de mon parcours. J'ai eu la chance d'être joueuse professionnelle pendant vingt-et-un ans et de faire partie de la sélection en équipe de France pendant dix-sept ans. J'ai donné plus de la moitié de ma vie au football.
Comment suis-je venue au football ? J'ai débuté à l'âge de douze ans. On m'a repérée dans la cour du collège et on m'a proposé de venir m'entraîner au PSG. J'ai grandi dans le parc du château de Versailles et le club le plus proche qui avait une section sportive féminine à l'époque était le PSG. J'y ai donc débuté ma carrière en 1996.
J'ai eu la chance d'intégrer rapidement le centre de formation de Clairefontaine, où se trouve l'Institut national du football. Cet Institut a pris le pari de créer une élite féminine en 1998 sous l'impulsion d'Aimé Jacquet. J'y ai passé cinq ans afin de pouvoir jouer dans les meilleures conditions tout en étudiant. En effet, lorsque je jouais au football au PSG, nous nous entraînions à 19 heures parce que mes coéquipières travaillaient. Le seul moment durant lequel elles pouvaient s'adonner au football était le soir après leur activité professionnelle. Étant en centre de formation, j'ai pu étudier et bénéficier d'horaires corrects pour m'entraîner l'après-midi.
À l'issue de ces cinq ans, j'ai été recrutée par le Boston College, une université américaine qui était venue en spring break en France et qui avait joué contre le PSG. À la fin du match, les responsables du club américain m'ont demandé si je parlais anglais et si j'étais intéressée pour jouer aux États-Unis. Je leur ai répondu que j'étais évidemment motivée. J'avais toujours été intéressée par l'anglais. Pour moi, le football a été un passeport pour financer mes études. J'ai passé le Test of English as a Foreign Language (TOEFL) et fait traduire l'ensemble de mes cours de management. En effet, j'avais intégré à 19 ans le pôle de management de la Défense, créé sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing. Cela me permettait d'étudier dans une autre filière que les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). J'ai donc été initiée au marketing et au management.
Je suis partie aux États-Unis et je suis devenue une étudiante américaine. J'ai passé trois ans dans cette université et j'ai obtenu un diplôme de bachelor en communication tout en pratiquant le football. J'ai également eu la chance de rencontrer un psychologue connu et reconnu dans le milieu sportif, George Mumford, qui a notamment travaillé avec Michael Jordan. Durant ces années aux États-Unis, je n'ai pas joué dans une meilleure équipe qu'en France. Le niveau footballistique universitaire américain n'est pas meilleur qu'en France, mais je suis partie pour bénéficier d'une meilleure formation et pour vivre une expérience unique. J'ai grandi humainement et j'ai amélioré mon estime de moi.
En rentrant en France, j'ai découvert le haut niveau à l'Olympique lyonnais, qui souhaitait gagner la Ligue des Champions. Ils connaissaient mon tempérament en équipe de France puisque j'étais internationale senior lorsque je vivais aux États-Unis. J'avais débuté avec l'équipe de France senior à l'âge de 17 ans. À mon retour en France, j'avais l'ambition de devenir professionnelle et de gagner la Ligue des Champions. Jean-Michel Aulas a fait le pari de professionnaliser le football féminin et d'y attribuer les moyens nécessaires, car il ne suffit pas de créer une équipe féminine. L'OL a proposé un salaire à ses joueuses. Il nous a offert les meilleures conditions pour jouer, comme des terrains de qualité et un suivi médical. Grâce à ce salaire, nous pouvions nous consacrer pleinement à notre passion. J'avais terminé mes études et obtenu un master 2 en Marketing, communication et stratégie commerciale. Je me suis lancée entièrement dans l'activité de joueuse professionnelle. Je bénéficiais d'un contrat fédéral, même si nous n'étions pas considérées comme des joueuses professionnelles d'un point de vue juridique.
Après quelques échecs, j'ai gagné la Ligue des Champions. Ensuite, l'entraîneur a décidé de me faire quitter le club en raison de la concurrence internationale. L'OL a recruté une joueuse japonaise à mon poste. J'ai quitté Lyon après six saisons, deux victoires en Ligue des Champions, six titres de championne de France et trois titres de Coupe de France.
Je suis alors rentrée « à la maison », en quelque sorte, et j'ai retrouvé le PSG. Il était compliqué de concurrencer l'OL et je n'ai gagné aucun titre avec le PSG. J'ai toutefois joué lors de deux finales de Ligue des Champions. Puis l'entraîneur de l'OL est arrivé au PSG. Au bout de deux ans, il a décidé de me faire jouer en équipe réserve. J'ai donc quitté le PSG en décembre 2017 pour le Bayern de Munich. J'y suis restée six mois avant de prendre la décision d'arrêter ma carrière.
Entre-temps, j'étais devenue secrétaire générale de la FFF en mars 2017, alors même que je jouais pour le PSG. L'un de mes dossiers concerne le développement de l'arbitrage féminin. Mais en tant que joueuse, j'étais confrontée à des arbitres du championnat français sur le terrain. Cette double fonction posait des problèmes d'éthique. Il était compliqué d'être à la fois secrétaire générale et joueuse. Cela ne s'était d'ailleurs jamais vu. J'avais accepté d'être secrétaire générale, car il me semblait trop facile de critiquer les instances sans m'impliquer personnellement. Lorsque vous avez l'opportunité de faire partie d'un comité exécutif, il est temps de prendre vos responsabilités pour faire avancer les mentalités. Après une discussion avec mon président, j'ai décidé d'arrêter ma carrière de joueuse pour me consacrer pleinement à ma fonction de secrétaire générale.
Comment cette nomination s'est-elle passée ? Comment une joueuse est-elle amenée à intégrer un comité exécutif et à devenir secrétaire générale ? Pendant ma carrière au PSG, le président de la Fédération, Noël Le Graët, m'a contactée. Il m'a convoquée afin d'échanger. Lorsqu'il m'a demandé si je savais pourquoi il souhaitait me voir, j'ai répondu que je l'ignorais. Je pensais qu'il voulait me confier des dossiers concernant les outre-mer.
Lors de notre rencontre, le président m'a expliqué qu'il était en pleine période d'élection et qu'il était en train de former son comité exécutif. Quand il m'a proposé d'intégrer le comité, je lui ai immédiatement demandé s'il me proposait ce poste parce que j'étais une femme et une personne de couleur. Il était important pour moi de lui poser la question et d'être transparente sur mes interrogations. Il m'a répondu qu'il savait que j'étais investie dans ma discipline et que le fait que je sois une personne de couleur n'était pas un critère. Un président a besoin d'être représenté par des personnes qui sont intelligentes et qui savent s'exprimer. Il avait confiance en moi. Il savait que j'aimais parler des sujets qui me tiennent à coeur.
Suite à cette proposition, j'ai réfléchi et j'ai mesuré les avantages et les inconvénients. J'étais encore joueuse et il y avait la perspective de jouer la Coupe du monde. Je me demandais si mes performances sportives ne seraient pas entravées par la fonction de secrétaire générale de la FFF. In fine, j'ai décidé d'accepter la proposition de Noël Le Graët. En effet, ce genre d'opportunité ne se présente pas souvent. Elle me permettait de porter un regard et une parole pour les femmes et pour ma discipline. J'ai décidé un an plus tard d'arrêter ma carrière pour me consacrer totalement à ma fonction au sein de la Fédération.
Le rôle de secrétaire générale d'une fédération consiste généralement à donner les orientations stratégiques. A la FFF, nous avons une directrice générale, comme dans une entreprise, qui assume les responsabilités de la vision stratégique. En ce qui me concerne, je représente notre président sur le territoire et à l'international. Je suis régulièrement invitée par les ligues et les districts pour intervenir sur quelque sujet que ce soit. Je suis bien identifiée sur la question du football féminin, mais il m'arrive d'intervenir également pour remettre des récompenses à nos licenciés ou à nos bénévoles, pour évoquer l'arbitrage féminin ou pour encourager les femmes à s'investir dans le football. J'ai aussi pour mission de développer et de promouvoir l'arbitrage féminin. De plus, en cette année de Coupe du monde, je suis ambassadrice auprès du comité d'organisation de la Coupe du monde féminine.
S'agissant de ma mission de développement de l'arbitrage féminin, il est vrai que je n'ai jamais été arbitre. En tant que joueuse, j'ai toujours respecté les arbitres, même si j'étais une défenseure rugueuse. J'ai eu la chance d'être traductrice lors de matchs de la Ligue des Champions. À ce titre, j'étais proche des arbitres hommes internationaux, qui sont des professionnels reconnus. Je me suis toujours intéressée à cette fonction. Cette mission de développement et de promotion de l'arbitrage m'a été assignée, car elle représente un réel défi pour la Fédération. Actuellement, nous avons plus de 160 000 joueuses sur le territoire. Pour la saison 2017-2018, nous comptions 867 arbitres, soit un chiffre inférieur à l'objectif de l'année 2016, qui était fixé à 1 000 arbitres. J'ai donc pris la responsabilité d'augmenter le nombre de licenciées et de donner une autre vision à l'arbitrage féminin afin d'atteindre cet objectif.
Je me suis posé la question suivante : comment amener les filles à l'arbitrage ? Aujourd'hui, il est simple d'être une joueuse, il suffit de prendre une licence. Les arbitres, pour leur part, doivent suivre une formation de deux ou trois jours et passer un examen. Ensuite, il faut être capable d'aller sur le terrain et de faire face à des équipes masculines ou féminines qui peuvent manifester des signes d'hostilité. À 13, 14 ou 15 ans, certaines filles se rendent compte que l'arbitrage n'est pas fait pour elles et elles abandonnent. Ce dossier constitue donc un réel défi, car il faut changer l'image de l'arbitrage auprès des jeunes filles, mais aussi des jeunes garçons. L'image de l'arbitrage n'est pas bonne à l'heure actuelle, même si la fonction est respectée.
Chaque année, lors des Journées nationales de l'arbitrage, La Poste, qui est notre sponsor principal et national pour l'arbitrage, réalise un sondage. Les questions qui sont posées portent sur l'image des arbitres. Les réponses montrent que l'arbitre est considéré comme un leader qu'il faut respecter. J'ai suggéré à La Poste d'ajouter une question visant à savoir qui voudrait être arbitre de football, car cette question n'est pas posée. Il serait intéressant de savoir combien de personnes assumeraient la responsabilité de prendre le sifflet. Il semble probable que peu de gens en auraient envie et nous devons nous demander pourquoi. Les gens ont peur d'être insultés ou remis en question. Ils ont peur également de prendre des responsabilités. Certes, il est compliqué de manager des hommes et des femmes durant un match. Cela requiert du courage. Souvent, il peut être difficile d'arbitrer des hommes ou de suivre des formations avec des jeunes garçons pour une jeune fille qui commence à pratiquer le football.
J'ai donc proposé un plan de développement à notre comité exécutif. Ce plan sera présenté à nos cadres techniques régionaux lors de notre séminaire en avril. Nous devons changer l'image de l'arbitrage et le mettre au coeur de nos écoles. Il est indispensable aujourd'hui que les jeunes soient formés à l'arbitrage, car cela exige de prendre des responsabilités et de faire face à des décisions et à des situations de crise. Les jeunes s'amusent quand ils pratiquent un sport, mais nous ne leur demandons jamais de prendre des responsabilités ni de faire face à des personnes qui ne sont pas d'accord avec eux.
Je suis intervenue dernièrement dans une école proche de la Fédération, lors des Journées olympiques en vue de Paris 2024. J'ai parlé de ce dossier aux jeunes que j'ai rencontrés. Pour eux, l'arbitre est celui qui met des cartons jaunes ou des cartons rouges. Il est celui qui a le sifflet. Ils ne considèrent pas l'arbitre comme un leader. Cela est normal, car ils sont jeunes. J'ai fait venir une petite fille au milieu de la classe et j'ai demandé à deux groupes de contester une décision qu'elle avait prise et de se plaindre. La petite fille reculait, se rétrécissait. Elle ne pouvait pas parler. Je lui ai dit qu'il fallait qu'elle prenne une décision, mais elle ne savait pas comment faire. Pourtant, les conflits surviennent quotidiennement, notamment dans la vie professionnelle. Nous devons argumenter, expliquer, convaincre. Par conséquent, le fait de donner de telles responsabilités à nos jeunes pourra les préparer pour leur avenir. Cela les aidera à respecter l'autorité et les personnes qui prennent les décisions. Voilà pourquoi il est important de mettre l'arbitrage dans nos écoles.
Sur le territoire, la Fédération accompagnera les ligues et les districts pour maintenir la présence des arbitres. Il est important pour cela de prévoir un accompagnement après les matchs difficiles. Nous lancerons donc une campagne de recrutement de référents et de volontaires qui accompagneront nos arbitres et seront disponibles pour eux après les matchs. Il s'agit là de solidarité, mais nous ferons également évoluer nos statuts. Parfois, il est nécessaire d'imposer certaines avancées. Nous avons par exemple imposé le fait de nommer trois femmes dans les comités exécutifs. À travers les statuts de l'arbitrage, nous inciterons les ligues et les districts à se doter d'arbitres féminines. S'ils investissent dans l'arbitrage féminin, nous les aiderons par le biais de dotations et de nouvelles recrues. Nous ferons en sorte qu'ils aient envie de s'investir et de recruter des arbitres. Nous souhaitons également que nos territoires puissent travailler sur la communication autour de l'arbitrage en déconstruisant les stéréotypes sur cette fonction. Les arbitres eux-mêmes doivent s'approprier cette campagne de communication. La Fédération leur demandera quelle est leur vision de l'arbitrage et les accompagnera dans cette démarche.
Ces mesures concernent le sport amateur, mais nous avons également développé un projet pour l'élite. À nouveau, il faut donner envie à nos jeunes de faire de l'arbitrage et de s'y investir. Cela nécessite de leur donner des perspectives de carrière. Par conséquent, dès septembre 2019, les arbitres seront semi-professionnalisées. La France sera la première nation à proposer des contrats aux arbitres féminines. Je ne peux pas vous indiquer le montant du salaire qui leur sera proposé. Il s'agira d'une indemnité fixe et de primes de matchs. Cette semi-professionnalisation donnera donc des perspectives à nos arbitres. Nous pourrions proposer des salaires plus importants, mais il faut se souvenir que nous parlons d'un championnat amateur féminin. À l'inverse, les équipes masculines font partie d'un championnat professionnel et les arbitres sont rémunérés par la Ligue de football professionnel (LFP). La Fédération affiche donc une volonté politique de rémunérer en partie les arbitres féminines.
Ces dernières auront désormais six camps d'entraînement annuels, alors qu'elles n'en avaient que deux auparavant. Elles bénéficieront d'un suivi médical. Dès le mois d'avril, elles passeront leurs tests physiques durant une journée pour préparer leur saison suivante. Un préparateur physique et un manager supplémentaire les accompagneront. Nous pourrions faire mieux, mais cela est un commencement. Elles seront également équipées de kit oreillettes pour pouvoir communiquer durant tout le match, ce qui évitera des incompréhensions. Dans le championnat actuel, les arbitres ne peuvent pas communiquer entre elles. Nous faisons donc en sorte de les doter matériellement, de les accompagner médicalement et de les aider financièrement pour qu'elles puissent s'adonner à leur discipline.
Dans notre championnat féminin amateur, certains clubs comme le PSG, l'OL ou le Montpellier Hérault ont professionnalisé leurs équipes. Les joueuses sont rémunérées et jouent des coupes du monde. Les arbitres, de leur côté, sont des mamans. Elles travaillent toutes et pratiquent l'arbitrage en parallèle. Le nouveau statut leur permettra de bénéficier de nouvelles conditions et de se sentir plus respectées dans le championnat.