Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 avril 2019 à 9h00
Proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, notre commission est appelée à examiner ce matin la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe socialiste et républicain, portant reconnaissance du crime d'écocide. Elle sera débattue dans l'hémicycle le 2 mai prochain, dans le cadre d'un espace réservé. Par le dépôt de cette proposition de loi, nos collègues visent à compléter nos règles de droit pénal relatives à la protection de l'environnement en créant une nouvelle incrimination, qui s'inspire du crime de génocide.

Avant de vous présenter le contenu de ce texte, je voudrais vous dire en préambule à quel point je suis convaincue de l'impérieuse nécessité de mieux protéger notre environnement, qui se dégrade, vous le savez, à un rythme préoccupant. Régulièrement, les rapports du GIEC, le groupe d'experts sur le climat, nous alertent sur le problème des émissions de gaz à effet de serre et sur les dangers du changement climatique. Des scientifiques dressent le tableau, inquiétant, de l'effondrement de la biodiversité qui a des causes multiples : déforestation, usage intensif des pesticides, surpêche qui épuise nos ressources halieutiques... À long terme, c'est la survie des populations humaines qui est menacée : comment nourrir, dans quelques décennies, dix milliards d'habitants si le réchauffement climatique rend certaines régions impropres à l'agriculture et que la disparition des insectes pollinisateurs entraîne un effondrement des rendements ?

Les atteintes à l'environnement peuvent aussi se dérouler à une échelle plus locale : côtes souillées par une marée noire - on se souvient du naufrage de l'Erika en 1999 - déversement de boues rouges en Méditerranée, décharges sauvages... Parfois, c'est la réalisation d'un projet d'infrastructure qui menace un écosystème : on se souvient par exemple des débats autour du projet de barrage de Sivens, finalement abandonné.

Face à ces défis, la France n'est pas restée inactive : dès 2005, nous avons inscrit la Charte de l'environnement dans notre Constitution ; nous avons également introduit dans notre législation le principe « éviter-réduire-compenser » (ERC), qui implique d'éviter, dans toute la mesure du possible, les atteintes à la biodiversité, à défaut d'en réduire la portée, et, enfin, de compenser les atteintes qui n'ont pu être empêchées ; en 2016, nous avons aussi inscrit dans le code de l'environnement la notion de préjudice écologique qui conduit à indemniser les atteintes à l'environnement. Enfin, nous nous souvenons du rôle clef qu'a joué la France dans la conclusion des accords de Paris en 2015.

Nos collègues du groupe socialiste proposent aujourd'hui d'aller plus loin en inscrivant dans notre code pénal ce nouveau crime d'écocide, dont je vais maintenant vous présenter les éléments constitutifs.

Plusieurs éléments devraient être réunis pour que le crime d'écocide soit constitué : d'abord, l'existence d'une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d'un écosystème ; ensuite, cette action concertée devrait avoir pour effet de porter atteinte de façon grave et durable à l'environnement et aux conditions d'existence d'une population.

Le crime d'écocide pourrait être reconnu en temps de paix comme en temps de guerre. Il serait puni d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle et d'une amende de 7,5 millions d'euros, éventuellement assortie de peines complémentaires. Le montant de l'amende serait porté à 37,5 millions d'euros lorsqu'une personne morale est poursuivie.

Le texte prévoit de punir des mêmes peines la provocation à l'écocide lorsqu'elle est suivie d'effet. L'idée est de sanctionner avec la même sévérité les instigateurs d'un écocide et ceux qui le mettent à exécution. Si la provocation n'est pas suivie d'effet, le quantum de peine serait plus faible, mais resterait dissuasif : sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. Par ailleurs, le texte propose de punir de vingt ans de réclusion criminelle et de 7,5 millions d'euros d'amende le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un écocide ou d'une provocation à l'écocide. L'objectif est de sanctionner les préparatifs d'un écocide qui n'aurait pas abouti avec la même sévérité que l'écocide lui-même.

Enfin, par analogie avec le génocide, le crime d'écocide serait déclaré imprescriptible.

Je comprends naturellement les intentions de nos collègues auteurs de la proposition de loi et je partage leur volonté de sanctionner fermement les atteintes à l'environnement. S'agissant d'un texte de droit pénal, nous devons néanmoins être attentifs au respect de certaines conditions tenant à la précision et à la clarté de la loi pénale, qui sont des exigences de nature constitutionnelle. Or les auditions auxquelles j'ai procédé ont confirmé mes doutes initiaux : la rédaction de ce texte souffre de trop d'imprécisions pour que l'on puisse déterminer en toute rigueur à quelles situations il trouverait à s'appliquer.

D'une manière générale, j'observe que le texte n'opère pas de distinction entre activités légales et illégales : il donne l'impression qu'une entreprise dont l'activité dégraderait l'environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur. En effet, tel qu'il est rédigé, le texte n'indique pas clairement si la dégradation de l'environnement doit être le but poursuivi par les auteurs de l'infraction ou s'il peut s'agir d'une conséquence de leur activité, ce qui couvrirait alors un champ beaucoup plus large.

La proposition de loi fait en outre référence à des notions qui paraissent bien floues : comment apprécier d'abord les limites d'un écosystème ? La dégradation partielle d'une toute petite zone humide suffirait-elle à condamner quelqu'un pour écocide ? Ou cherche-t-on à réprimer des atteintes d'une plus grande ampleur ? Deuxième interrogation : qu'entend-on par atteinte grave et durable à l'environnement ? L'atteinte à l'environnement doit-elle être évaluée en mois, ou en années, pour que des poursuites soient engagées ? Enfin, la référence aux conditions d'existence d'une population est également assez vague : vise-t-on les conditions de survie d'une population ou simplement une modification dans ses conditions d'existence, par exemple l'impossibilité de poursuivre une certaine activité économique ? Et à quelle échelle apprécier cette notion de population ?

Outre cette critique interne, je me suis interrogée sur l'apport de ce texte au regard des dispositions de droit pénal de 1'environnement déjà en vigueur. Il ressort des auditions auxquelles j'ai procédé qu'il n'existe pas aujourd'hui de lacunes dans notre droit positif qui rendraient indispensable une intervention du législateur. Nos services de contrôle et nos juridictions pénales disposent de tous les outils juridiques pour sanctionner les atteintes à l'environnement commises sur notre territoire. Le code de l'environnement comporte déjà de nombreuses incriminations pénales qui permettent de sanctionner, par exemple, les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces, la pollution des eaux, le rejet dans l'atmosphère de substances polluantes ou la mauvaise gestion des déchets. Par ailleurs, des incriminations pénales plus générales peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l'environnement lorsque des individus en sont victimes, par exemple l'atteinte involontaire ayant entraîné la mort, visée à l'article 2216 du code pénal, ou encore la mise en danger de la vie d'autrui prévue à l'article 223-1.

Les représentants du ministère de la transition écologique et solidaire que j'ai entendus ont également insisté sur l'arsenal de sanctions administratives dont ils disposent pour mettre un terme à des infractions environnementales : l'autorité administrative peut mettre en demeure un exploitant de se conformer à ses obligations, sous peine de sanctions financières, sans qu'il soit nécessaire de saisir le juge pénal.

Dans ce contexte, je suis arrivée à la conclusion que l'introduction dans notre droit d'une nouvelle incrimination de portée générale, et aux contours assez flous, ne s'imposait nullement. Il me semble qu'il serait plus pertinent de mobiliser d'autres outils pour renforcer la protection de l'environnement.

À l'échelle internationale, la France pourrait par exemple soutenir la conclusion d'un traité définissant un socle de sanctions, qui seraient ensuite déclinées dans le droit national de chaque État partie, afin d'encourager ceux dont la législation environnementale est la moins développée à se rapprocher des meilleurs standards. J'observe, à cet égard, que la réflexion développée par certains juristes au sujet de l'écocide, je pense notamment au professeur Laurent Neyret et à la juriste Valérie Cabanes, s'est développée précisément dans une perspective internationale. Dans le cadre national, nous pouvons certainement améliorer nos moyens de contrôle afin que nos règles environnementales soient mieux respectées. Sur ce point, le projet de loi portant création de l'Office français de la biodiversité, qui sera débattu en séance cet après-midi, contient des mesures qui me paraissent intéressantes, avec notamment le rapprochement de l'Agence de la biodiversité et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ainsi que le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l'environnement.

Je signale également qu'une mission conjointe du ministère de la justice et du ministère de la transition écologique a été lancée en 2018 pour améliorer l'application du droit de l'environnement, notamment en renforçant la formation des magistrats et en mettant à l'étude une meilleure spécialisation des juridictions dans la protection de l'environnement et de la biodiversité. C'est aussi grâce à des mesures pragmatiques de ce type que l'on peut faire avancer les choses.

Enfin, il nous appartient notamment de mobiliser une palette d'outils - la fixation de normes plus exigeantes en matière de protection de l'environnement, le levier fiscal pour orienter les comportements, le financement de programmes de recherche pour développer des technologies vertes, etc. - pour progresser sur le chemin de cette transition écologique que nous appelons de nos voeux.

En conclusion, monsieur le président, mes chers collègues, je vous proposerai, vous l'avez compris, de ne pas adopter cette proposition de loi. Si vous suivez cette proposition, c'est le texte déposé par nos collègues qui sera débattu en séance publique le mois prochain. La discussion en séance nous donnera l'occasion d'approfondir encore notre réflexion sur ce sujet majeur et d'interroger le Gouvernement sur ses intentions en matière environnementale, au moment où une deuxième phase du quinquennat semble sur le point d'être engagée.

La France doit se positionner en leader pour la protection de l'environnement et non en gendarme du monde.

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