Intervention de Emmanuelle Wargon

Réunion du 10 avril 2019 à 14h30
Création de l'office français de la biodiversité — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Emmanuelle Wargon :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai le grand plaisir de vous présenter cet après-midi le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, l’OFB, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.

La création de ce grand établissement par rapprochement des expertises complémentaires de l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, est attendue depuis longtemps – près de dix ans – par beaucoup, et elle faisait partie des priorités fixées par le Gouvernement dans le cadre de la stratégie pour la biodiversité qui a été lancée en juillet 2018.

En effet, la France est riche de sa biodiversité, puisqu’elle recèle 10 % des espèces connues au niveau mondial, essentiellement grâce à nos outre-mer et à notre espace maritime. Mais cette biodiversité est en danger. Près de 30 % des espèces sont menacées ou quasi menacées sur notre territoire du fait d’activités humaines – pollutions, artificialisation des sols, fragmentation des habitats, surexploitation des espèces – et du développement d’espèces exotiques envahissantes.

Pourtant, nous le savons, la biodiversité nous rend des services inestimables : les milieux humides nous fournissent l’eau potable, les insectes pollinisent nos cultures, les dunes et les mangroves nous protègent des tempêtes, les océans régulent le climat… Le Gouvernement a donc lancé une action déterminée dans le domaine de la biodiversité.

Cette reconquête passe par la création d’un opérateur de premier plan permettant d’appréhender tous les aspects de la biodiversité sur tous les types de milieux – terrestres, aquatiques, marins, y compris ultramarins – et sur tous les territoires. Tel est l’objet du présent texte, en tout cas dans sa première partie.

Ce texte a déjà été largement enrichi lors de son examen à l’Assemblée nationale. Je voudrais saluer les travaux qui ont d’ores et déjà été menés par la commission au Sénat.

Je voudrais néanmoins revenir sur quelques points.

Je commencerai par le nom de l’établissement. Le Gouvernement avait proposé – son amendement en ce sens avait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale – de l’appeler « Office français de la biodiversité ». La commission a souhaité y ajouter le mot « chasse ». Néanmoins, il ne me semble pas judicieux d’opposer la biodiversité et la chasse.

La biodiversité inclut la chasse, comme le prévoient les missions de l’opérateur. Par ailleurs, lorsque nous avons choisi ce nom, nous avons sollicité l’avis des agents des deux établissements fusionnés, lesquels avaient choisi le nom « Office français de la biodiversité ».

Pour ce qui concerne la taille du conseil d’administration, nous souhaitons tous, le Gouvernement et les assemblées, que le format retenu permette un fonctionnement efficace de cet établissement. Lors des discussions à l’Assemblée nationale, j’ai été amenée à donner un ordre de grandeur sur la taille de ce conseil, qui comprendra entre 30 et 40 membres.

Les travaux préalables ont permis de préciser la représentation des parties prenantes, avec un conseil d’administration équilibré. Un comité d’orientation adossé à ce conseil d’administration aura vocation à être plus largement ouvert.

Enfin, au vu de l’expérience de l’actuelle AFB, il semble important que ce conseil d’administration puisse, dans certains cas, donner des délégations à ces commissions. Nous défendrons donc le rétablissement de cette disposition.

S’agissant d’un établissement public de l’État auquel sont confiées des missions régaliennes de police, le Gouvernement est attaché à conserver la majorité au conseil d’administration dans le premier collège, celui qui regroupe les représentants de l’État et les personnalités qualifiées.

Afin de concilier une taille raisonnable du conseil d’administration, la diversité des parties prenantes et la nécessaire majorité accordée à l’État, le Gouvernement portera un amendement, que nous espérons de compromis, en vue de confier plusieurs voix aux administrateurs représentant l’État, donc de maîtriser la taille de cet organe.

La présence des outre-mer dans les instances de gouvernance de cet établissement représente un enjeu fort. La commission a d’ailleurs précisé, et je l’en remercie, que les parlementaires ultramarins seraient représentés à l’intérieur du collège des parlementaires, ce qui est un signal très important.

De nombreuses questions ont d’ores et déjà été posées pour ce qui concerne les moyens de l’office.

Cet établissement porte une ambition forte au service de la biodiversité dans toutes ses composantes, qui se traduit par l’établissement d’une police de l’environnement et de la ruralité, et par l’accompagnement et la transformation de la chasse et de la chasse durable, sera financé.

La question du financement de l’établissement, posée dans la réforme, sera traitée lors de l’examen du projet de loi de finances, dans l’équilibre global des comptes publics, à la fois, pour la partie fonctionnement stricto sensu de l’établissement – nous devons trouver 30 millions d’euros pour sécuriser le budget de fonctionnement de l’établissement fusionné – et pour la contribution annoncée qui abondera la contribution des chasseurs aux actions concourant directement à la biodiversité. En effet, chaque chasseur financera à hauteur de 5 euros par permis de chasse une contribution qui sera abondée par la puissance publique à hauteur de 10 euros, laquelle, je le répète, sera également financée.

Le calendrier de mise en œuvre de ce nouvel établissement est ambitieux, mais réaliste. L’établissement lui-même sera juridiquement créé au 1er janvier 2020.

En marge des travaux menés pour préparer le projet de loi, la préfiguration du nouvel établissement et bien engagée. Je dirige personnellement son comité de pilotage, qui associe le « préfigurateur », les deux directeurs généraux de l’AFB et de l’ONCFS, les deux ministères qui concourent à la tutelle, les services déconcentrés du ministère de l’écologie et les agences de l’eau.

Le dialogue social est également engagé avec les organisations syndicales, qui portent une demande légitime de requalification des inspecteurs de l’environnement de la catégorie C en catégorie B, et de reconnaissance plus grande des chefs de services départementaux. Après analyse approfondie, il apparaît que ces mesures ne relèvent pas du niveau législatif, mais qu’elles sont pertinentes. Nous y travaillons.

Le deuxième volet de ce texte traduit l’ambition d’une chasse plus durable.

Le Gouvernement considère, comme la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, la sécurité à la chasse comme une priorité. On ne peut que se réjouir du bilan provisoire pour 2018 et 2019, qui montre un niveau historiquement bas d’accidents mortels, mais une hausse des accidents avec blessés – 130, contre 113 lors de la saison précédente – et des incidents avec des dégâts matériels.

Le projet de loi prévoit que l’accompagnateur d’un jeune chasseur devra suivre une formation spécifique. Nous souhaitons, en liaison avec le monde de la chasse, aller un peu plus loin. Le Gouvernement proposera donc deux amendements, qui tendent à prévoir, l’un des obligations minimales de sécurité pour homogénéiser les règles de sécurité à la chasse, l’autre, un dispositif de rétention-suspension du permis en cas d’accident ou d’incident matériel, sur le modèle du permis de conduire.

Une autre question importante, dont nous aurons largement l’occasion de débattre, concerne les dégâts de gibier.

L’enjeu est de mieux réguler le grand gibier, dont les populations s’accroissent fortement, afin d’enrayer l’augmentation des dégâts sur les cultures et les boisements. La perspective est avant tout de prévenir et de développer une approche globale, ce à quoi invite le rapport de la mission parlementaire du député Alain Perea et de votre collègue Jean-Noël Cardoux, deux grands spécialistes du sujet. Je les remercie de ce travail, qui s’est d’ores et déjà traduit par l’adoption de plusieurs amendements par la commission. Je pense, par exemple, à la limitation de l’agrainage ou aux lâchers de sangliers.

En outre, afin de renforcer la lutte contre ces dégâts, sont prévues la responsabilisation financière des fédérations départementales dans l’indemnisation des dégâts, qui est souhaitée par la FNC et qui fait partie de l’équilibre de la réforme, la suppression de la péréquation financière directe au niveau national et la généralisation d’un mécanisme d’incitation financière de chaque chasseur. La Fédération nationale s’est d’ores et déjà engagée à continuer à soutenir, via une contribution particulière, les fédérations départementales qui en auraient besoin.

Enfin, le projet de loi prévoit le transfert aux fédérations départementales de la gestion des associations communales de chasse agréées, les ACCA, et des plans de chasse, en leur donnant davantage de leviers pour agir. L’État interviendra en cas de défaillance grave des fédérations, et restera compétent pour fixer les objectifs de prélèvements d’espèces au niveau départemental.

Ces transferts de mission seront compensés financièrement dans le cadre du financement global de la réforme.

Cette réforme prévoit également la mise en place de la gestion adaptative des espèces.

Une chasse plus durable permet de mieux adapter le niveau de prélèvement d’une espèce à son état de conservation. Un comité d’experts scientifiques a été créé au début du mois de mars pour faire des propositions en la matière.

Le projet de loi précise la définition de cette gestion adaptative et renvoie à un décret le soin de préciser la liste des espèces concernées. Il met en place une obligation de déclaration des prélèvements et la fixation de quotas de prélèvement pour les espèces concernées.

Enfin, le projet de loi prévoit une contribution de 5 euros par permis de chasse et par an pour financer des actions concrètes en faveur de la biodiversité. Le Gouvernement s’est engagé à soutenir ces actions à hauteur de 10 euros par an et par chasseur.

La déclinaison des modalités de mobilisation de cette contrepartie fait l’objet d’un travail conjoint de l’AFB, l’ONCFS et la FNC, qui avance bien et qui devrait être formalisé sous la forme d’une convention-cadre nationale, à laquelle seront associées, en tant que de besoin, les agences de l’eau, afin que ces actions concourent directement à la biodiversité et financent des projets dans les territoires.

Le Gouvernement présentera enfin un amendement visant à préciser l’organisation du Fichier national du permis de chasser, qui sera composé d’une base des permis délivrés alimentée par l’ONCFS, et bientôt par l’OFB, et d’une base des validations de permis gérée par la FNC et alimentée par les fédérations départementales. Ces deux bases sont, depuis très récemment, opérationnelles et interconnectées grâce à un travail conjoint, que je salue, mené par les fédérations de chasseurs, l’ONCFS et l’AFB.

Le troisième volet de ce texte renforce la police de l’environnement, sous ses deux aspects de police judiciaire et de police administrative.

Pour la police judiciaire, le projet de loi procède à une extension significative des prérogatives des inspecteurs de l’environnement pour leur permettre de mener des enquêtes ordinaires en totalité, de la constatation de l’infraction jusqu’à l’orientation de poursuites une fois l’enquête achevée, sans qu’il y ait lieu de se dessaisir au profit d’un officier de police judiciaire, un OPJ.

Par ailleurs, de nouvelles procédures entrent en vigueur dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, notamment la cosaisine par le procureur des inspecteurs de l’environnement et de la gendarmerie lorsqu’une enquête nécessite les compétences et les moyens de ces deux corps.

Une mission sur la justice environnementale a par ailleurs été engagée conjointement par la chancellerie et par le ministère de la transition écologique et solidaire. Elle a identifié quelques évolutions utiles, qui conduisent le Gouvernement à proposer des amendements.

Cette mission ne recommande pas à ce stade d’affecter aux inspecteurs de l’environnement des pouvoirs de coercition, du type garde à vue, seule prérogative qui distinguera encore les inspecteurs de l’environnement des OPJ au regard des nouveaux pouvoirs qui leur seront conférés.

Au titre de la police administrative, le Gouvernement a souhaité également renforcer l’efficacité des mesures existantes. Il proposera des amendements de nature à compléter le dispositif actuel, tendant notamment à garantir l’exécution des décisions de suspension prises à titre conservatoire par l’autorité administrative compétente, dès lors qu’il y a un caractère d’urgence avéré.

Vous le voyez, ce texte est riche et équilibré. Je souhaite que les travaux se poursuivent au Sénat avec le même esprit constructif que celui qui avait présidé aux travaux de l’Assemblée nationale, ainsi qu’à ceux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques de votre assemblée.

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