Intervention de Jean-Noël Cardoux

Réunion du 10 avril 2019 à 14h30
Création de l'office français de la biodiversité — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Jean-Noël CardouxJean-Noël Cardoux :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce nouvel organisme, l’Office français de la biodiversité, sera-t-il une chance ou une menace pour la chasse ? C’est la grande interrogation à laquelle je vais essayer de répondre au travers d’une succession de questions. Je résumerai les principales interrogations.

La première interrogation a trait à la dénomination ; le mot « chasse » ne semble pas bienvenu dans la dénomination de l’office. J’y vois, plutôt qu’une tentative de marginalisation, la reconnaissance explicite que la chasse est un élément incontournable de la biodiversité, ce que nous avions déjà affirmé lors de la discussion de la loi de 2016.

Deuxième interrogation, le nouveau conseil d’administration, après la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’ONCFS, sera pléthorique et organisé en collèges ; l’État, principal financeur, y sera majoritaire, mais la place des chasseurs et des pêcheurs de loisir sera réduite à la portion congrue, alors que le monde de la chasse apportera à lui seul 45 millions d’euros au budget général de l’organisme.

Troisième interrogation, la technicité et l’excellence de l’ONCFS, en matière d’études et de contribution à la biodiversité, seront-elles sauvegardées ?

Quatrième interrogation, la création d’une police de l’environnement à direction unique avec ses inspecteurs spécialisés – nous avions beaucoup combattu pour cette direction unique lors de la discussion de la loi sur la biodiversité – permettra-t-elle de réprimer le grand braconnage et l’exploitation mercantile des espèces animales et végétales ?

La cinquième interrogation porte sur la gestion adaptative des espèces. Cette méthode révolutionnaire, mais encore inaboutie en France, provoquera-t-elle enfin un débat apaisé entre chasseurs et protecteurs ? M. Dantec le souhaite, moi aussi, mais ce n’est pas gagné, et cela me semble même mal parti, après la procédure engagée devant le Conseil d’État par trois associations de protection de l’environnement pour s’opposer au prélèvement, pourtant validé par la Commission européenne, de 4 000 oies en février dernier.

Le comité des experts, qui est en place depuis quelque temps et qui va devoir statuer sur le contenu des espèces soumises à la gestion adaptative, sera-t-il suffisamment impartial et, surtout, utilisera-t-il le relais des associations spécialisées de chasse – les chasseurs de gibier d’eau, de bécasses, de bécassines, ceux qui se consacrent journellement aux études, aux comptages, aux prélèvements d’ailes – afin de déterminer des sexe-ratios et des âge-ratios crédibles ? C’est la technique de pointe de gestion adaptative appliquée aux États-Unis et au Canada, et nous y souscrivons totalement, mais nous en sommes encore bien loin et il faudra beaucoup d’efforts et de discussions pour y parvenir dans un climat apaisé.

Sixième interrogation, le permis national à 200 euros permettra-t-il d’attirer de nouveaux chasseurs – c’est son objectif –, qui pourront ainsi découvrir de nouveaux modes de chasse sur l’ensemble du territoire ? Cela constituerait une réponse à la réduction du nombre de chasseurs observée depuis quelques années, et cela favoriserait une sorte de nomadisme cynégétique. Ce permis suscite beaucoup de problèmes, nous en avons encore eu la preuve précédemment, et il faudra trouver un équilibre financier pour répondre aux inquiétudes de certaines fédérations – j’y reviendrai dans quelques minutes.

Au sujet des dégâts de grand gibier – c’est ma septième interrogation –, un dialogue apaisé pourra-t-il s’établir entre les acteurs du monde rural que sont les agriculteurs, les chasseurs et les forestiers, avec comme toile de fond la menace de la peste porcine africaine ?

Vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, mon collègue député Alain Perea et moi-même avons établi, en quatre mois, un rapport préconisant des méthodes ou faisant des propositions – certaines sont un peu décapantes – pour répondre à ce problème. Notre constat est que, depuis quelques années, chacun des blocs en présence a ses certitudes, ses récriminations ; ils ne se parlent pas, ne se rencontrent pas, ne dialoguent pas, ce qui serait nécessaire pour sortir de cette spirale infernale. Un dialogue implique des concessions mutuelles, ce que nous préconisons. Si l’on n’y arrive pas, je crains que le coup de sifflet final ne soit donné par la peste porcine africaine, qui pourrait envahir l’ensemble du territoire français, avec les catastrophes économiques que cela pourrait engendrer.

Huitième interrogation, la taxe à l’hectare, qui est au cœur du problème, y compris sur les territoires non chassés, sera-t-elle suffisante pour faire face à cette charge ? Sera-t-elle supportable pour les petites fédérations ? J’ai introduit dans mon amendement à ce sujet un élément amortisseur pour établir un rapport entre la surface des territoires chassables et le nombre de chasseurs. Nous sommes là au cœur du débat, je suis encore en contact avec la Fédération nationale des chasseurs pour tenter d’apporter des solutions susceptibles d’apaiser les petites fédérations, qui craignent le déséquilibre financier.

Enfin, neuvième interrogation, cette réforme permettra-t-elle d’enrayer l’idéologie végane et antispéciste, ultra-minoritaire et irréaliste, ayant l’oreille complaisante des médias ? Le groupe Les Républicains a publié un opuscule, qui se veut humoristique, sous le titre Adieu, veau, vache, cochon, couvée, mais le problème est là. Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement, que la commission a, me semble-t-il, accepté, visant à réprimer le délit d’entrave à une action de chasse.

Évidemment, tout le monde pense à la vénerie, problème principal dans les forêts franciliennes, mais il n’y a pas que cela, j’y reviendrai lors de la discussion de l’amendement. Il faut le savoir, dans certaines régions, en particulier dans les régions de tradition de chasse de grand gibier, comme l’est de la France, les installations fixes – miradors ou échelles de chasse – qu’utilisent les chasseurs sont régulièrement sabotées ou détériorées, au risque de provoquer des accidents quand on grimpe sans savoir que le matériel est saboté, par pure opposition à une activité pourtant légale. Autre exemple : les installations des chasseurs de gibier d’eau, qui pratiquent la chasse à la hutte sur le domaine maritime, sont régulièrement brûlées ou vandalisées. Ces actes ne sont pas acceptables. Nous sommes dans un État de droit, on ne doit pas pouvoir empêcher ce qui est autorisé.

Voilà les quelques interrogations, parmi beaucoup d’autres, que ce texte peut poser. Avec Jean-Claude Luche, rapporteur de la commission du développement durable et Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, nous avons travaillé pour essayer d’apporter des solutions. Le groupe Les Républicains votera, dans sa grande majorité – il peut y avoir des oppositions –, pour le texte modifié par la commission.

Je veux conclure en insistant de nouveau sur l’enjeu de ce texte. Pour le Sénat, défenseur de la ruralité, de la vie à la campagne, l’enjeu est, ici encore, la survie du monde rural face à la métropolisation. Je ne reviendrai pas sur les sujets dont le Sénat a déjà beaucoup débattu – fermeture des commerces, mobilité, désertification médicale, absence de supports de communication –, vous les connaissez tous aussi bien que moi. Néanmoins, nombre de nos compatriotes acceptent de subir ces inconvénients pour vivre leur passion à la campagne, à savoir, la plupart du temps, la chasse et la pêche – et, pour beaucoup, la chasse traditionnelle, monsieur Dantec. Laissons donc ces gens, qui ont choisi de faire des sacrifices dans leur mode de vie pour assouvir leur passion, vivre librement, sans leur imposer des contraintes inacceptables. La survie de la ruralité que nous aimons en dépend.

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