La deuxième cause, c’est la conviction terrible, pour des millions de Français, que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, que les inégalités s’accroissent, se figent et se transmettent, que la réussite de leurs enfants dépend plus du milieu de naissance ou du lieu de résidence que des mérites propres de chacun et que, à l’égalité des chances, notre société aurait peu à peu substitué l’inégalité des destins.
Enfin, la dernière cause de cette colère, c’est un éloignement, même si ce terme n’exprime pas toute la réalité du phénomène. Il s’agit d’un éloignement géographique, bien sûr, parce que, ici ou là, des lignes de train ont fermé ; ici ou là, des routes estimées nécessaires n’ont pas été construites ; ici ou là, des médecins n’ont pas été remplacés ; ici ou là, des services publics ont été fermés ou ont déménagé. Enfin, nos modes de vie, nos règles d’urbanisme, nos choix publics, mesdames, messieurs les sénateurs, y compris les choix locaux, ont contribué à l’étalement urbain, à la dé-densification des centres-villes et à leur désertification commerciale. Bien évidemment, il est plus facile d’apprécier l’opportunité de certains choix publics trente ans ou quarante ans plus tard. Néanmoins, nous pouvons le reconnaître, l’urbanisme commercial qui a prévalu en France a contribué à créer les problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
Outre l’éloignement physique, nos concitoyens ont souvent le sentiment que ceux qui décident pour eux sont loin d’eux, à la fois différents et indifférents.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces causes ne sont pas, selon moi, propres à la France. En revanche, la forme prise par la colère lui est propre, notre pays étant, comme le disait M. Claude Malhuret en décembre à cette tribune, « le plus révolutionnaire des pays conservateurs ». §On retrouve en effet ces mêmes causes à l’œuvre au Royaume-Uni, en Italie et peut-être même aux États-Unis. Parce que ces causes n’ont pas disparu et parce que nous avons engagé un certain nombre de réformes, parfois en suscitant des malentendus ou des oppositions, les Français ont exprimé leur colère.
Cette colère, c’est celle de citoyens qui, par pudeur, parce qu’ils estimaient que certains vivaient des situations encore plus difficiles, avaient pris l’habitude de taire leur ressentiment, d’encaisser.
Ces citoyens demandent non pas la charité, mais la justice, celle qui permet de vivre et d’élever ses enfants grâce à son travail. Nous avons entendu leur indignation. Nous avons commencé à y répondre en annulant la hausse de la taxe carbone et en corrigeant la hausse de la CSG pour les retraités modestes.