Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 10 avril 2019 à 14h30
Grand débat national — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la première année du quinquennat d’Emmanuel Macron, marquée, au-delà du « tout pour la finance », par le choix d’un libéralisme sans frein, de la casse du droit du travail à la sélection renforcée pour entrer à l’université en passant par la déstructuration de la SNCF, semblait, coup après coup, consolider un grand fatalisme, une sensation que, dans un paysage politique explosé, la résistance ne pouvait pas s’organiser. La voie semblait libre pour les apprentis sorciers du CAC40, ces partisans d’un nouveau monde sans droits, sauf pour les plus forts.

Mais l’attitude jupitérienne du Président de la République, son arrogance et son jusqu’au-boutisme libéral, symbolisé par la suppression de l’ISF, ont provoqué l’explosion de la colère populaire qui s’exprime depuis maintenant cinq mois.

Les discours sans fin, les « en même temps » permanents et les petites phrases méprisantes à l’égard du peuple ont accompagné cette politique de démolition méthodique des derniers vestiges du modèle social français issu du programme du Conseil national de la Résistance.

Depuis des décennies, la solidarité recule en France. Les droits les plus fondamentaux, pourtant reconnus par la Constitution, comme le droit au travail, le droit au logement, le droit à la santé, à l’éducation ou à une retraite digne, sont aujourd’hui bafoués.

Des décennies de renoncement ont amené à la profonde crise économique et sociale, mais aussi démocratique, que connaît notre pays, comme l’ensemble du monde occidental.

La clé du renoncement, l’alpha et l’oméga du libéralisme, c’est la primauté de l’argent sur l’être humain.

Élu Président de la République, Emmanuel Macron a prôné un « nouveau monde », qui, bien vite, est apparu pour ce qu’il est : un régime libéral à l’autoritarisme croissant, usant et abusant de « coups de com’ » pour masquer les grands bonds en arrière sur le plan social et économique.

La colère est venue. Elle a éclaté. Depuis vingt et une semaines, la France vit au rythme du mouvement social et citoyen le plus long de son histoire. La longueur de cette secousse souligne la profondeur de la souffrance.

Vous avez peiné, monsieur le Premier ministre, à juguler la violence qui, inévitablement, accompagne ces colères. Aux actes illégaux de quelques-uns, que nous avons condamnés avec force, vous avez répondu par une répression systématique et démesurée du mouvement.

Jamais vous n’évoquez ces centaines de blessés, ces dizaines de mutilés et d’éborgnés. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » écrivait le poète. Est-ce ainsi que ceux qui relèvent la tête, ceux qui osent dire « non » doivent être considérés ? Cette violence, vous ne l’avez pas évoquée, même d’un souffle, ni au Grand Palais ni ici, à mille lieues des ronds-points.

Ce grand débat, monsieur le Premier ministre, n’est pas celui de nos concitoyens.

Tous les chiffres le montrent. Sur 45 millions d’électeurs inscrits, auxquels s’ajoutent des millions de jeunes en mesure de comprendre et d’agir, comme ils le font sur le climat, seuls 500 000 personnes, soit 1 % à peine du corps électoral, ont élaboré des contributions, ce chiffre étant lui-même fortement contesté. Et 1, 5 million de personnes auraient participé à des débats, ce chiffre n’étant pas contrôlable. Quant aux conférences régionales, huit à neuf Français sur dix tirés au sort ont refusé d’y participer.

Pourtant, ce grand débat aurait pu rassembler et être autre chose qu’une tentative de contournement de la colère populaire. Mais Emmanuel Macron a dès le départ écarté les thèmes de justice sociale et de justice fiscale qui fondaient la mobilisation : pas question de rétablir l’ISF ; pas question d’augmenter le SMIC ; pas question d’imaginer une nouvelle démocratie symbolisée par le référendum d’initiative citoyenne, le RIC. D’ailleurs, monsieur le Premier ministre, votre réaction au RIC ou au référendum d’initiative partagée apparaît surtout comme symptomatique d’une crainte de l’expression populaire.

Je ne suis pas née de la dernière pluie, mais quand même… §L’opération à laquelle nous assistons – faire passer ce grand débat pour l’expression du peuple – est sidérante. « Plus c’est gros, plus ça passe » pourrait être votre adage et celui de M. Macron.

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