Monsieur le Président, mes chers collègues, le 15 novembre dernier, sur le rapport de Jacques Bigot et moi-même, notre commission, alertée notamment par Catherine Troendlé, avait adopté un avis politique sur la compatibilité du statut des sapeurs-pompiers volontaires avec les règles européennes.
J'évoquerai, dans un premier temps, les conséquences potentielles de l'arrêt Matzak sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires. Cet arrêt, rendu par la Cour de justice de l'Union européenne, le 21 février 2018, porte sur le cas d'un sapeur-pompier volontaire belge qui était contraint d'être physiquement présent sur le lieu déterminé par son employeur et de répondre aux appels de ce dernier dans un délai de huit minutes. La Cour a considéré que les services de garde à domicile de M. Matzak devaient dès lors être qualifiés de temps de travail au sens de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.
Cet arrêt a suscité un vif émoi, non seulement quant à ses effets juridiques sur le statut des 195 000 sapeurs-pompiers volontaires, qui pourraient alors être soumis au droit du travail, avec des problèmes sur l'organisation des gardes et astreintes, mais aussi quant à ses conséquences financières potentielles. Plus largement, le dispositif français de sécurité civile, qui repose en grande partie sur le volontariat et le bénévolat, pourrait être ébranlé. Pour autant, j'avais aussi expliqué pourquoi la portée de l'arrêt Matzak dans notre pays ne devait pas être exagérée, cette décision visant un cas très particulier qui ne concerne pas, et de loin, l'ensemble des sapeurs-pompiers volontaires.
Néanmoins, nous avions estimé opportune une action au niveau européen de manière à lever les incertitudes sur l'application de la directive de 2003 et à garantir la pérennité du volontariat et du bénévolat des interventions des sapeurs-pompiers. Tel était le sens de notre avis politique.
La Commission européenne a répondu à cet avis politique le 15 février dernier. Des lettres ont par ailleurs été échangées entre les Présidents Larcher et Juncker à la fin 2018.
La réponse de la Commission tient en trois points. En premier lieu, l'arrêt Matzak lie naturellement les institutions européennes et nationales, mais sa portée doit être précisée, en particulier en France, car il concerne un cas spécifique - ce que nous avions déjà indiqué en novembre dernier. Ensuite, l'application de la directive de 2003 « offre une certaine flexibilité » dans la mesure où ce texte comporte des dispositions dérogatoires qu'il convient d'exploiter - ce que nous avions aussi rappelé. Enfin, l'élément nouveau est la fin de non-recevoir opposée par la Commission à notre demande d'une initiative législative pour apporter une solution à ce problème. En effet, elle pointe « les contraintes et les incertitudes pesant sur l'usage de la voie législative au niveau européen ». Elle estime « qu'il n'est ni aisé ni opportun d'envisager une révision de la directive sur le temps de travail ou toute autre initiative législative complémentaire, y compris une proposition telle que suggérée par l'avis politique du Sénat, qui viserait spécifiquement le volontariat dans l'exercice des missions de sécurité civile ». Elle rappelle que « les partenaires sociaux et le co-législateur européen, malgré l'impulsion de la Commission ou de certains États membres, ne sont pas parvenus à trouver un accord sur une révision de cette directive au cours des dix dernières années ». Pour autant, la Commission indique aussi avoir engagé un dialogue avec les autorités françaises sur ce sujet.
La semaine dernière, avec le Président Bizet, nous avons tenu une réunion avec le cabinet du ministre de l'intérieur pour évoquer la façon dont notre pays pourrait tirer les conséquences de l'arrêt Matzak qui, bien sûr, s'impose à tous.
Les autorités françaises nous ont paru bien décidées à agir, l'attentisme constituant sans aucun doute la pire des solutions, d'autant plus que les organisations syndicales sont prêtes à engager une action contentieuse. Or, il n'est pas à exclure qu'un recours pourrait prospérer car, même si les pratiques contestables en termes de respect du temps de travail sont très circonscrites, elles existent néanmoins dans certains services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) urbains, où la frontière entre sapeurs-pompiers professionnels et volontaires peut apparaître pour le moins floue.
Les autorités françaises, partageant le point de vue de la Commission, ont écarté la voie législative pour trois raisons principales : la négociation d'une directive prendrait au moins deux ans, le ralliement d'autres États membres aux positions françaises semble difficile et la sécurité civile est organisée selon des modalités très différentes en Europe.
C'est pourquoi le ministère de l'intérieur, en relation étroite avec celui du travail et le SGAE, réfléchit à une solution prenant la forme d'une transposition souple qui privilégierait l'exploitation des dérogations prévues par les articles 17 et 22 de la directive de 2003. Les autorités françaises chercheraient à obtenir de la Commission une lettre de confort permettant d'éteindre le risque contentieux. Cette piste paraît d'autant plus réaliste que le Président Juncker l'évoque explicitement dans sa lettre au Président du Sénat. La Commission pourrait établir une telle lettre de confort à l'issue d'une réunion au cours de laquelle les autorités françaises lui démontreraient qu'elles recherchent une solution équilibrée et lui présenteraient une note exposant les engagements de transposition.
Sur cette base, et après une concertation avec les SDIS, les organisations professionnelles et les élus locaux, un décret pourrait être publié, sans doute après les élections européennes.
On le voit, une solution est envisageable à court terme. L'attentisme serait la pire des solutions. Les contacts, déjà avancés avec Bruxelles, laissent augurer une solution qui satisfasse l'ensemble des acteurs. Avec le président Bizet, nous avons été surpris par le degré d'avancement des travaux du ministère de l'intérieur sur cette question. Une solution serait ainsi trouvée.