Intervention de Brune Poirson

Réunion du 30 avril 2019 à 14h30
Quelle politique de lutte contre la pollution et de recyclage du plastique et plus généralement quelle utilisation du plastique en france — Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Brune Poirson :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en guise de préambule, je vous propose un voyage dans le temps, aux origines du plastique.

Voilà 1 600 ans, en Amérique du Sud, on a manipulé le premier plastique : du latex, produit à partir de la sève transformée du castilla elastica, l’arbre à caoutchouc… Servant à réaliser des balles ou des figurines, ce plastique était issu de matières premières non fossiles, que les Amérindiens avaient appris à mêler à une fleur, l’ipomée blanche, pour produire la matière dont ils avaient besoin. Ces objets ont traversé les siècles sans devenir des déchets polluants : issus de matières naturelles, ils pouvaient, nés de la terre, mourir en elle.

Chaque époque innove en fonction des avancées scientifiques, mais surtout de ses besoins. Ainsi, les Amérindiens ont appris à produire du plastique pour répondre à une nécessité du moment. L’évolution des sociétés et des besoins, ainsi que l’augmentation de la population mondiale, ont accompagné la montée en puissance de la production du plastique fossile. À l’origine, c’était pour le meilleur : songeons aux plastiques utilisés en médecine, par exemple pour l’intubation, cette rupture technologique majeure.

Malheureusement, du fait des outrances de la société de consommation, le niveau de la production de plastique dépasse l’entendement. En 2016, dans notre pays, on en a produit 120 kilos par habitant… Il faut dire les choses clairement, comme l’a fait Mme la sénatrice Préville : cela relève de la surconsommation et du gaspillage !

Si nous savons aujourd’hui à merveille extraire les hydrocarbures et si nous continuons à investir massivement à l’échelle mondiale pour en extraire toujours plus, nous consacrons nettement moins de temps et d’énergie à organiser la fin de vie des produits issus de leur transformation. Ainsi, à l’échelle mondiale, nous déversons chaque minute dans la mer l’équivalent d’un camion poubelle rempli de plastiques… Le niveau de prolifération des plastiques est devenu insoutenable !

Dans ces conditions, quel rôle doit jouer l’État ? Quel rôle peut jouer la France, compte tenu de sa petite taille ? Selon moi, il s’agit d’abord d’être aussi exemplaires que possible au niveau national, puis de continuer à mobiliser, toujours plus activement, aux niveaux européen et international.

Dès le début de son mandat, le Président de la République nous a fixé deux objectifs très clairs : réduire de moitié la quantité de déchets mis en décharge et tendre vers 100 % de plastique recyclé d’ici à 2025.

Ministres et parlementaires, il est grand temps que nous œuvrions ensemble pour agir plus vite et plus fortement contre la prolifération du plastique, comme nos concitoyens ne cessent de nous le commander.

Ces derniers mois, votre mobilisation, notamment lors de l’examen du projet de loi Pacte, nous a permis de mettre en conformité le droit national avec le droit européen ; c’était crucial pour amplifier la première victoire que représente l’adoption cette année de la directive sur la fin des produits à usage unique, qui sera appliquée d’ici à janvier 2021. Je souligne que la France a été en première ligne pour rehausser l’ambition de ce texte tout au long des négociations européennes.

Cette mise en conformité du droit national avec le droit européen constitue le premier pilier d’une stratégie qui en comporte trois.

D’abord, nous entendons lutter contre les plastiques superflus, ce qui passe par l’interdiction de certains produits plastiques, en premier lieu ceux à usage unique.

En parallèle, nous devons mener une réflexion collective profonde sur nos usages. À cet égard, une question me semble centrale : quels sont les meilleurs leviers à activer pour réduire rapidement et drastiquement notre consommation de plastiques ? Je pense qu’il faut transformer en profondeur notre système de production et de consommation, ce qui soulève, plus largement, la question de l’organisation de notre système économique.

Le débat d’aujourd’hui est l’occasion d’aller plus loin. Nos concitoyens ne supportent plus certaines incohérences, comme celle consistant à commercialiser des brocolis bio sous emballage plastique. Je suis convaincue que nous devrions encourager, par exemple, la vente en vrac, pour mettre un terme à de telles pratiques polluantes, dévastatrices pour la planète et contraires aux modes de vie et de consommation que nous voulons promouvoir. Nous y travaillons activement et nous présenterons d’ici à l’été une loi anti-gaspillage et pour le développement de l’économie circulaire qui nous permettra d’aller encore plus loin.

Deuxième pilier de notre stratégie, nous devons atteindre dans les plus brefs délais l’objectif d’un recyclage à 100 % du plastique dit utile. Cet objectif est réaliste, parce que nous sommes déjà sur le chemin d’une réduction de notre consommation inutile de plastique. Pour accélérer la cadence, il faut nous assurer que toutes les résines mises sur le marché sont recyclables, que les filières industrielles sont matures, que la collecte est optimale et que la demande en plastique régénéré croît. C’est donc toute une boucle qu’il faut mettre en place : je m’y emploie depuis mon arrivée au Gouvernement, dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route pour une économie circulaire.

Le troisième pilier de notre stratégie vise à susciter un boom de l’innovation, de la recherche et du développement dans ce secteur. Nous devons exploiter le potentiel des solutions mécaniques, biotechnologiques et chimiques, car elles sont la clé de notre capacité à toujours mieux recycler. De même, nous devons porter une attention toute particulière aux compétences innées de la nature pour biodégrader. Pour préparer de la meilleure manière l’ère post-plastique d’origine fossile, je suis convaincue que la nature elle-même est notre meilleure alliée !

Une stratégie victorieuse est toujours servie par une méthode pragmatique, concrète, visant des résultats pratiques dans les plus brefs délais. J’évoque, m’objecterez-vous peut-être, des perspectives utopiques. Pourtant, nos premiers résultats donnent, je le crois, de bonnes raisons d’être optimistes.

Pour ne prendre qu’un exemple, si l’objectif de 100 % de plastique recyclé est certes encore très loin d’être atteint –nous ne recyclons que 300 000 des 3, 6 millions de tonnes de plastique produites chaque année en France –, son inscription dans la feuille de route pour l’économie circulaire a mis tous les acteurs de la chaîne de valeur en mouvement. Ainsi, voilà quelques jours, les industriels du secteur se sont engagés à utiliser 1 million de tonnes de plastique recyclé d’ici à 2020. Cela prouve que nous sommes aujourd’hui en mesure de déclencher un vrai changement d’échelle. Nous avons aussi mis en place une méthode pour vérifier la bonne mise en œuvre de ces engagements, de façon que les acteurs travaillent de façon transparente.

Par ailleurs, brutaliser notre appareil industriel en allant trop vite serait contreproductif ; une large acceptabilité sociale des mesures prises est nécessaire. Une méthode à mon sens pertinente consiste à donner aux filières de la visibilité, en fixant des objectifs de court, moyen ou long terme très ambitieux et en accompagnant les acteurs dans leur adaptation. Nous soutenons leurs investissements grâce à des dispositifs comme le programme des investissements d’avenir, piloté par l’Ademe. Nous actionnons en parallèle des leviers incitatifs, par exemple les bonus-malus mis en place pour l’écocontribution des filières à responsabilité élargie des producteurs. Nous mettons aussi en œuvre de nouveaux dispositifs pour améliorer la collecte : l’appel à projets de collecte innovante et solidaire, financé par l’éco-organisme Citeo, en est un bel exemple.

Cette transformation représente un vivier considérable d’opportunités économiques, sociales et environnementales. Songez qu’une tonne de matière recyclée crée dix fois plus d’emplois qu’une tonne de matière enfouie ! Il y a donc un enjeu en termes de création d’emplois non délocalisables partout sur nos territoires.

En stimulant les filières grâce à des incitations et en concevant une menace réglementaire crédible, nous adressons aux acteurs un message clair : ceux qui entrent dans la boucle de l’économie circulaire ont tout à y gagner ; pour les autres, le temps presse, et la contrainte ira crescendo.

Cette dynamique a été enclenchée par la feuille de route pour l’économie circulaire, que, au côté du Premier ministre, j’ai mise en place pour installer la méthode que je viens de décrire et à laquelle nous croyons.

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