La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 16 mai, à dix heures trente, sous réserve de sa transmission, du projet de loi relatif à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019.
Acte est donné de cette demande.
La commission des lois se réunira pour examiner le rapport et le texte le mercredi 15 mai matin. Le délai limite de dépôt des amendements de séance sur ce texte pourrait être fixé à l’ouverture de la discussion générale, et la réunion de la commission pour l’examen des amendements se tiendrait à l’issue de celle-ci.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française et du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la zone euro.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, portée sur les fonts baptismaux le 1er janvier 1999, la monnaie unique fête cette année le vingtième anniversaire d’une existence particulièrement mouvementée. En effet, nous ne pouvons oublier la crise mondiale de 2008-2009 ni, plus encore, la crise des dettes souveraines propre à la zone euro en 2011-2012.
Depuis lors, beaucoup a été fait pour renforcer ce pilier de la construction européenne, y compris grâce à l’action décisive de la BCE, la Banque centrale européenne, dans les moments critiques, et régler certains problèmes structurels grâce à la réforme menée entre 2010 et 2012. Les débats portant sur la légitimité, l’orientation, la cohérence ou la solidité de l’union économique et monétaire n’ont toutefois jamais cessé.
Les leçons de la dernière campagne présidentielle ont été retenues, et le Rassemblement national avance désormais masqué sur son projet de suppression de l’euro, auquel les Français sont, vous le savez, massivement opposés. Si, voilà deux ans à peine, Marine Le Pen ne jurait que par le retour au franc et la dévaluation, l’objectif est aujourd’hui « euphémisé » et renvoyé à un calendrier plus lointain.
Nous le savons tous, la fin de l’euro se traduirait immanquablement par une nouvelle explosion de notre dette, un profond affaiblissement de notre économie et, au final, un appauvrissement général des Français.
De l’autre côté du spectre, le Président de la République – sans doute serez-vous moins d’accord avec moi sur ce point, monsieur le ministre – propose, quant à lui, l’exact inverse, soutenant que l’avenir de la monnaie unique sera fédéral, ou ne sera pas.
Sa proposition phare : créer un budget autonome de la zone euro équivalant à plusieurs points de PIB, soit un montant se chiffrant en centaines de milliards d’euros.
Comme on pouvait s’y attendre, ses ambitions ont été rapidement douchées et ont reçu une fin de non-recevoir cinglante de la part de plusieurs États membres, ainsi qu’un soutien aussi timide qu’ambigu de notre partenaire allemand.
Car, si le principe d’un « instrument budgétaire » spécifique a bel et bien été acté par le Conseil européen, son volume sera sans doute dérisoire par rapport au souhait du Président de la République. Surtout, son rôle devrait se concentrer sur la convergence et la compétitivité, ce qui est essentiel, en excluant toutefois la fonction de stabilisation, qui constituait le cœur de la proposition présidentielle.
Cet échec annoncé était largement prévisible. Emmanuel Macron pouvait-il en effet ignorer que la crise de la zone euro, en grande partie nourrie par les politiques irresponsables conduites dans certains États membres, avait laissé des marques profondes et que, dans ce contexte, les solutions appelant à une mutualisation des risques financiers étaient vouées à l’échec sans ce préalable indispensable qu’est le retour de la confiance mutuelle entre partenaires ?
Or la politique menée par le Gouvernement depuis deux ans, en ne restaurant pas la crédibilité économique de la France, ne saurait permettre le rétablissement de cette confiance. Les réformes structurelles nécessaires à la remise en ordre de notre économie ont certes été promises, mais n’ont pas été entreprises ou ont été conduites a minima.
De surcroît, notre trajectoire budgétaire, comme celle d’ailleurs de l’Italie, demeure le plus puissant des arguments contre toute union de transfert. Le Gouvernement a ainsi déjà fait une croix sur son objectif de retour à l’équilibre en 2022, à rebours de la quasi-totalité de nos partenaires de la zone euro, qui l’ont déjà atteint ou s’en rapprochent rapidement.
Alors que le déficit moyen de la zone euro devrait s’établir aux alentours de 0, 6 % du PIB pour l’année 2018, celui de la France reste encalminé à 2, 5 % et devrait même atteindre 3, 1 % l’année prochaine. Quant à notre déficit structurel et à notre dette, ils n’enregistrent aucune baisse.
Dans le même temps, la dépense publique continue de croître inexorablement. Avec un niveau de 56 % du PIB, elle reste supérieure de 12 points à la moyenne des autres membres de la zone euro.
Cette voie n’est pas soutenable. Elle ne fait qu’accroître au niveau national les risques que le Président de la République entend mutualiser au niveau européen. Et, face à l’aléa moral qu’il représente, le fédéralisme budgétaire prôné par Emmanuel Macron s’apparentera, pour un temps sans doute encore long, à une impasse politique !
D’autres moyens, plus pragmatiques, doivent donc être mis en œuvre pour renforcer la résilience de la zone euro et la convergence en son sein. La première des clés reste nationale. L’Europe n’a pas vocation à se substituer aux États pour régler leurs problèmes économiques à leur place ; c’est à chacun d’entre eux qu’il appartient de prendre ses responsabilités.
Cette orientation générale, dont le maître mot est non pas l’austérité, mais l’équilibre, servirait en outre l’objectif d’une plus forte coordination économique d’ensemble et pourrait, par exemple, inciter davantage les États excédentaires à dépasser leurs réticences et à mobiliser leurs marges de manœuvre pour soutenir leur propre croissance et celle de la zone euro.
D’un point de vue institutionnel, le directoire politique, aujourd’hui organisé de manière temporaire ou à l’échelle des ministres et non des chefs d’État, doit pouvoir être pérennisé afin d’œuvrer davantage au pilotage économique de la zone euro. Dans cette optique, il est nécessaire d’impliquer les parlements nationaux dans le cadre de ces discussions.
Les conditions seront alors réunies pour que la coordination économique de la zone euro se penche également sur la nécessaire mise en place d’un mécanisme de convergence des règles relatives aux marchés du travail et aux systèmes sociaux, ainsi qu’aux systèmes fiscaux appliqués aux entreprises. Les avancées dans ces domaines ne se feront sans doute pas d’emblée à dix-neuf. N’hésitons pas alors à mener ce travail avec un groupe peut-être plus restreint d’États membres. Le récent traité d’Aix-la-Chapelle a affiché de hautes ambitions en la matière ; nous attendons maintenant la concrétisation de celles-ci.
Gardons enfin à l’esprit que les mécanismes privés de partage des risques, qui passent par l’intégration des marchés bancaires et financiers nationaux, sont aussi importants et efficaces que les mécanismes publics en cours de discussion, qu’il s’agisse du budget de la zone euro ou des évolutions bienvenues du mécanisme européen de stabilité.
En effet, la fragmentation persistante du secteur bancaire et financier pose des inconvénients majeurs qui sont au cœur des débats sur la zone euro. Elle atténue la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Elle alimente le cercle vicieux de la contagion entre risque bancaire et risque souverain. Elle renforce la polarisation des activités économiques, ce qui entrave le processus de convergence. Elle freine la mobilité des capitaux et le recyclage de l’excédent d’épargne des pays du Nord – 340 milliards d’euros en 2018 – en investissements dans ceux du Sud. Enfin, elle empêche la diversification des risques privés, qui joue pourtant un rôle essentiel dans l’absorption des chocs asymétriques. On estime en effet qu’aux États-Unis ce type de choc est amorti aux trois quarts par le crédit bancaire et les marchés de capitaux, ce qui diminue d’autant la nécessité d’opérer des transferts budgétaires fédéraux.
Finaliser l’architecture de l’union bancaire et de l’union des marchés de capitaux et avancer plus vite sur leur contenu technique doit donc, à l’évidence, constituer une priorité. Malgré des difficultés, comme, par exemple, celles qui concernent le fonds unique de garantie des dépôts, ce chantier a surtout l’avantage de faire l’objet d’un consensus politique de principe exempt de graves clivages de doctrine, ce qui est loin d’être le cas du fédéralisme budgétaire.
Pour finir, je dirai qu’affirmer le rôle international de l’euro est devenu un objectif incontournable. L’euro est la deuxième monnaie mondiale, mais il ne concurrence pas suffisamment le dollar, qui reste la devise de référence et constitue un formidable instrument de la puissance américaine, notamment lorsqu’il s’agit pour les États-Unis d’imposer leurs lois extraterritoriales. Pour s’affirmer dans la mondialisation, l’Europe doit désormais penser sa monnaie comme un outil stratégique et plus simplement comme un instrument facilitant le fonctionnement de l’économie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les nuages de tous types s’amoncellent sur la croissance mondiale et européenne. À cet égard, après avoir mené une politique monétaire accommodante et décisive pour soutenir l’activité économique en Europe, la BCE voit aujourd’hui ses capacités d’action fortement amoindries.
La mobilisation doit rester forte face aux défis de l’euro. Si c’est avant tout dans les États membres que se joue l’avenir de l’économie européenne et de la monnaie unique, des voies d’action collective existent, mais elles ne pourront être empruntées qu’à une seule condition : celle d’être avant tout pragmatiques.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier d’être venus nombreux pour ce débat fondamental sur la zone euro.
Je veux dire d’emblée au sénateur Jean-François Rapin que je partage son constat de départ et son ambition conclusive, mais un peu moins certains propos au milieu de son intervention, mais c’est de bonne guerre, je le reconnais bien volontiers.
Sourires.
Je partage son constat de départ : oui, la zone euro est inachevée et elle est donc fragile face au risque de nouvelles crises économiques ou financières ! Nous sommes au milieu du gué. Or il n’y a pas situation plus défavorable. Soit on est sur une rive, soit on est sur l’autre, mais rester au milieu des courants les plus puissants, ceux d’une zone euro qui n’a pas tiré toutes les conséquences de la crise financière de 2008, qui ne s’est pas dotée de tous les instruments de nature à lui permettre de résister à une nouvelle crise financière, ni d’un budget indispensable pour renforcer la convergence des États membres, serait une erreur profonde. Il n’y a pas de statu quo possible pour la zone euro. Soit nous avançons, soit nous y renonçons, mais le statu quo ne peut pas être une solution. D’ailleurs, ni les marchés ni nos concurrents ne nous en laisseront le loisir.
Je partage également votre ambition, monsieur le sénateur Rapin – vous l’avez parfaitement formulée à la fin de votre intervention –, de faire en sorte que l’euro devienne une monnaie de référence. Entre la monnaie chinoise, qui s’affirme de plus en plus, et le dollar, qui est une monnaie de référence sur les marchés internationaux, l’euro doit bien entendu devenir une monnaie de référence internationale, parce qu’il nous donnera une puissance politique considérable pour peser sur le cours des affaires du monde, notamment sur les questions commerciales. Comment peut-on y arriver ? C’est sur ce point que nos avis vont légèrement diverger.
D’abord, il faut retrouver une crédibilité nationale. Je partage là aussi la nécessité absolue que la France soit crédible auprès de ses partenaires européens. Mais, monsieur Rapin, vous reconnaîtrez tout de même que nous avons réussi à sortir la France de la procédure de déficit public excessif dans laquelle elle était engluée depuis dix ans.
Pour la première fois depuis des années, nous respectons enfin la règle de 3 % de déficit public – nous sommes en dessous –, …
M. Bruno Le Maire, ministre. … et nous allons tenir cet engagement sur la durée du quinquennat. Seule l’année 2019 fera figure d’exception, parce que nous transformons le CICE en allégement de charges définitif. Hormis cet événement exceptionnel, sur la durée du quinquennat, pour la première fois depuis dix ans, la France sera sous la barre des 3 % de déficit public et elle sera sortie de la procédure de déficit public excessif.
MM. André Gattolin et Richard Yung applaudissent.
Le deuxième élément de nature à garantir la crédibilité nationale, c’est la poursuite des réformes de structure, qui sont d’ailleurs saluées par nos partenaires européens.
Nous avons engagé une réforme de la fiscalité du capital, en l’allégeant : suppression de l’ISF, prélèvement forfaitaire unique, réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, qui va être ramené de 33, 33 % à 25 % d’ici à 2022. À cet égard, je rappelle que le Président de la République a confirmé avec courage toutes ces orientations fiscales pour la durée du quinquennat.
Nous avons réformé le marché du travail. Nous avons réformé le statut de la SNCF. Nous allons désormais ouvrir le chantier de l’assurance chômage, pour plus de justice et pour permettre à tous ceux qui cherchent un emploi d’en retrouver un plus facilement. Nous allons engager la réforme de la fonction publique, ainsi qu’une réforme sans précédent du régime de retraite, pour avoir un système plus juste, plus équitable et transparent, un système par points, afin de mettre fin aux différences existant entre les agents du service public et ceux du secteur privé, des différences que nous regrettons tous.
Vous le voyez, les réformes structurelles qui garantissent la crédibilité de la France sont bien au rendez-vous.
Une fois que nous sommes d’accord sur l’objectif final – et nous le sommes ! –, sur le risque pesant sur la zone euro – nous le sommes également – et dès lors que la France a retrouvé sa crédibilité nationale, pour quoi doit-elle plaider ? Elle ne doit en aucun cas plaider pour un fédéralisme budgétaire. À cet égard, relisez attentivement les déclarations et les discours du Président de la République : jamais le Président de la République n’a employé le mot « fédéralisme » !
M. Jean-François Rapin se montre dubitatif.
Le premier objectif, c’est l’union bancaire. Je ne développerai pas longuement ce point, car vous l’avez parfaitement fait. Permettez-moi simplement de dire une chose.
À force de reporter les décisions concernant l’union bancaire pour toutes sortes de prétextes qui ne tiennent absolument pas la route, que se passe-t-il ? Nous ouvrons tout grand le marché unique à nos concurrents américains. Les grandes banques américaines, des banques solides, à succès, sont passées de 43 % à 47 % du marché unique européen en l’espace de quelques années. On peut continuer comme cela et faire du marché unique européen le terrain de jeu des banques américaines. Pour ma part, je préférerais que ce soit le terrain de jeu des banques européennes.
Mais, pour cela, il nous faut l’union bancaire.
L’union des marchés de capitaux est aussi une nécessité absolue, vous avez eu raison de le rappeler. Sans union des marchés de capitaux, il n’y a pas d’investissements, et, sans investissements, il n’y a pas de champions mondiaux. N’allez pas chercher ailleurs notre incapacité à faire émerger des géants du numérique !
Si l’on considère le nombre de start-up, quel est aujourd’hui le premier État en Europe en termes de créativité technologique ? C’est la France ! Et nous pouvons en être fiers ! Mais qu’est-ce qui pèche ensuite ? C’est la taille de ses entreprises, notre capacité à grandir. Nous n’arrivons pas à faire émerger, au niveau européen, des champions du numérique de taille identique à Google, Facebook, Amazon ou d’autres, parce que nous n’avons pas un marché unique de capitaux efficace. Qui plus est, les montants investis dans le capital-risque en 2018 s’élevaient à 100 milliards de dollars aux États-Unis, 80 milliards de dollars en Chine, contre 20 milliards en Europe. Penser petit n’est pas à la hauteur des circonstances ni du projet politique européen que nous portons.
Enfin, le troisième instrument, c’est le budget, avec deux objectifs : la convergence et la stabilisation. Là non plus, je ne reviendrai pas sur les propos de M. Rapin. J’ai en revanche un point de divergence.
Nous avons obtenu un accord historique entre la Chancelière Angela Merkel et le Président de la République française à Meseberg. Nous y avons travaillé pendant des mois avec mon homologue, le vice-chancelier, ministre fédéral des finances, Olaf Scholz ; nous y avons passé des nuits blanches. Pourquoi ?
Il y a deux ans, quand j’ai été nommé ministre des finances, je ne pouvais même pas prononcer le terme « budget » de la zone euro quand je me rendais en Allemagne. On parlait d’« instrument monétaire », d’« instrument de convergence », mais surtout pas de « budget ». Deux ans après, à Meseberg, la Chancelière allemande et le Président de la République française ont signé un accord en vertu duquel il est écrit : « Nous allons mettre en place un budget de la zone euro pour favoriser la convergence entre les États membres de la zone euro. »
En juin prochain, dans quasiment un mois, nous disposerons de tous les éléments pour mettre en place ce budget de la zone euro. En deux ans, nous avons accompli ce que le Président de la République avait promis aux Français et à la Nation française.
En revanche, c’est vrai, pour ce qui concerne la stabilisation, je regrette que nous n’ayons pas davantage progressé. Mais le problème n’est pas franco-allemand. J’entends beaucoup dire ici que se poseraient des difficultés entre la France et l’Allemagne. Or, depuis deux ans, les réalisations sont importantes.
Ce n’est pas l’Allemagne qui s’est opposée à la stabilisation. Olaf Scholz lui-même avait proposé un instrument de stabilisation, un instrument d’assurance chômage, que j’estime tout à fait pertinent : si jamais un État membre de la zone euro était en difficulté et voyait son taux de chômage exploser, mais avait, dans le même temps, respecté ses engagements budgétaires et fait tous les efforts de compétitivité nécessaires, nous aurions payé à sa place les allocations chômage supplémentaires. En effet, nous préférons que celui-ci continue à investir, à innover, à financer ses entreprises plutôt qu’à financer l’indemnisation du chômage. C’était un mécanisme vertueux, et je persiste à penser que, au-delà de l’indispensable convergence, il faut aussi un instrument de stabilisation.
Telles sont les quelques remarques que je tenais à formuler ; j’aurai l’occasion d’intervenir dans le débat interactif. Je me félicite de la qualité du débat que Jean-François Rapin a ouvert avec son intervention, et je vous remercie, une fois encore, d’être venus aussi nombreux débattre d’un sujet ardu qui ne suscite pas toujours l’enthousiasme des foules, alors qu’il est décisif pour l’avenir de nos compatriotes.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. André Gattolin.
Les prochains mois seront sans doute déterminants pour l’état de santé de l’Union européenne, en particulier de la zone euro. En effet, le niveau global d’endettement public, qui avait légèrement décru en 2018, semble reprendre sa course en avant, notamment en Grèce et en Italie, où il atteignait plus de 132 % du PIB en 2018.
Dans son dernier bulletin économique, la BCE souligne les risques pesant sur les perspectives de croissance de la zone euro. Là encore, la situation italienne a de quoi préoccuper, puisque le Gouvernement vient d’abaisser ses prévisions de croissance pour 2019 à 0, 1 % du PIB, bien loin des espoirs qu’il nourrissait initialement.
Dans un climat déjà des plus atones en raison du Brexit et de la guerre commerciale sino-américaine, cette faiblesse de l’Italie menace aujourd’hui la stabilité de la zone euro, d’autant que l’Allemagne, déjà peu encline à la mansuétude à l’endroit de l’Italie, voit cette année sa croissance connaître un net ralentissement et s’inquiète de l’important déséquilibre des soldes respectifs de leur banque centrale et de celle de l’Italie auprès de la BCE.
Dans ce contexte et dans la perspective de la future réforme de la zone euro, quelles sont les mesures préconisées par le Gouvernement pour éviter que cette situation inquiétante n’influe trop négativement sur la résilience tant attendue de la zone euro ?
Monsieur le sénateur Gattolin, je partage votre préoccupation. Il faut peut-être à un moment donné que l’on ouvre les yeux. On peut toujours dire « Tout va très bien, madame la marquise », mais des tensions commerciales fortes conduisent à un ralentissement très marqué de la croissance dans la zone euro, avec une situation de récession en Italie et un niveau de croissance estimé pour 2019 à 0, 5 % en l’Allemagne, pays censé être la locomotive de la zone euro. Quand la locomotive est à 0, 5 % de croissance, les wagons peuvent s’inquiéter.
Pour ce qui nous concerne, nous enregistrons, je le rappelle, 0, 3 point de croissance au premier trimestre de 2019. Il appartient aussi à la France de formuler des propositions pour éviter le marasme. Nous n’y sommes pas encore, mais nous pouvons y tomber. L’art de la politique est non pas de rester scotché à la vitre, mais d’anticiper. C’est pourquoi j’ai proposé à nos partenaires européens – je profite de ce débat pour le rappeler – un contrat de croissance, auquel je crois profondément.
Je ne suis pas le ministre des finances français qui, comme d’habitude, va dire à nos amis Allemands : « Investissez plus, investissez plus, investissez plus ! » Je leur propose un contrat, aux termes duquel la France s’engage à poursuivre ses transformations économiques de fond pour gagner en compétitivité. C’est le premier pilier.
Deuxième pilier : accélérons tous ensemble les décisions nécessaires, qui ont été parfaitement rappelées par M. Rapin, quant à l’achèvement de la zone euro : union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro. Tout cela doit pouvoir être clos à la fin de l’année 2019. Ce n’est qu’une question de volonté politique. Tous les éléments techniques sont sur la table, et nous les connaissons par cœur. Alors, un peu de volonté politique et un peu de courage !
Troisième pilier de ce contrat de croissance : profitons de la politique accommodante de la BCE, qui ne durera pas éternellement. Utilisons cette fenêtre d’opportunité pour mettre en œuvre le contrat de croissance que je propose : que les États qui doivent encore le faire engagent des réformes – c’est le cas de la France, je le reconnais avec sincérité et honnêteté – ; que ceux qui peuvent se le permettre réalisent plus d’investissements – je pense à l’Allemagne, aux Pays-Bas et à d’autres États qui ont une situation budgétaire meilleure – ; procédons à l’achèvement des décisions nécessaires sur la zone euro, …
… avec l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux et le budget, tout en profitant de la politique accommodante de la BCE. Telle est la proposition que nous faisons à nos partenaires européens.
Si rien ne change, la zone euro s’approche d’une nouvelle crise économique et financière. Les prévisions de croissance sont mauvaises, vous venez de le dire et de le répéter, monsieur le ministre : elles sont faibles en France, plus mauvaises en Allemagne et davantage encore en Italie. La production industrielle de la zone euro recule, particulièrement en Allemagne.
De surcroît, se pose un grave problème de contenu. Le modèle compétitivité-prix qui domine dégrade le contenu social et écologique de cette croissance, en abîmant nos sociétés, les droits sociaux, le pouvoir d’achat, les services publics et en « creusant les inégalités de revenus », comme le reconnaît l’OCDE.
Les réponses apportées depuis la crise de 2008 sont en plus inefficaces. Le niveau de la dette publique est aujourd’hui supérieur à celui de l’avant-crise.
L’impasse économique et les inégalités dans lesquelles ces politiques enfoncent l’Europe coûtent politiquement de plus en plus cher, comme le montre encore le score alarmant de Vox en Allemagne.
La poussée des extrêmes droites en Europe est l’enfant de la faillite libérale européenne.
Face à cette situation, les gouvernements de la zone euro semblent ne pas réagir, cherchant à achever la zone euro, comme vous venez de le dire, mais sans repenser son contenu. La Banque centrale européenne vient d’ailleurs de confirmer son cap sur la politique déjà menée. Il faut changer de trajectoire, monsieur le ministre ! Pour ce faire, les parlementaires communistes avancent notamment deux propositions précises pour mobiliser autrement l’argent de la zone euro.
Première proposition : changer les critères de la BCE pour cibler les refinancements vers un autre type de développement économique, riche en emplois, relocalisant l’activité industrielle, utile socialement et écologiquement.
Seconde proposition : créer un fonds européen dédié au financement des services publics.
Le Gouvernement est-il prêt à soutenir ces deux propositions ?
Monsieur le sénateur Laurent, je suis, comme vous, convaincu de la nécessité d’une réorientation des politiques de la zone euro de manière à tenir compte de ce qu’on constate partout : la montée des populismes et des inquiétudes de peuples qui estiment que la zone euro, telle qu’elle est, ne répond pas à leurs attentes.
La première attente, je tiens à le rappeler, c’est la prospérité. La zone euro doit être une garantie de prospérité pour tous les États membres, mais elle doit également garantir leur protection, face à la Chine, aux États-Unis et aux autres grands ensembles économiques. Cela passe par les décisions que j’ai déjà évoquées : elles permettront de renforcer la zone euro et de la rendre plus prospère.
Le contrat de croissance que je propose répond aussi à votre remarque, qui est juste : personne ne peut se satisfaire du ralentissement présent de la croissance de la zone euro et dire simplement que tout ira mieux demain ! Dans ce cas, ne faisons plus de politique, ne prenons plus de décisions et laissons les marchés décider à notre place ! Mais si ce sont les marchés qui décident de tout, plutôt que nous, c’est toute notre ambition politique qui est réduite à néant.
Pour ma part, je crois à la volonté politique, y compris en matière économique ; si je propose ce contrat de croissance, c’est bien parce que je crois profondément que, lorsqu’il y a un tel ralentissement, qui peut avoir un impact immense sur la vie quotidienne de nos compatriotes, notre responsabilité est de dire : il faut faire autrement !
Quant au contenu, je suis prêt à examiner toutes les propositions, même les plus iconoclastes.
Le Président de la République a proposé un bouclier social. Cette proposition est iconoclaste au sein de la zone euro, mais elle pourrait garantir un minimum à toutes les personnes qui travaillent et qui rencontrent des difficultés dans la zone euro. Cela permettait de montrer que le modèle de développement économique européen n’est pas le dumping social – toujours plus vers le bas – ; notre modèle, c’est la dignité du travail et de sa rémunération.
Concernant la Banque centrale européenne, je suis prêt à ce que nous envisagions un engagement de toutes les banques centrales – européenne comme nationales – sur la finance verte.
Je crois à la nécessité d’un financement vert. Je suis prêt à étudier cette possibilité.
Je vous en ai d’ailleurs soumis une, à laquelle vous n’avez pas réagi : la création d’un fonds consacré au développement des services publics. Vous n’ignorez pas que c’est un grand problème dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres pays européens. Si nous voulons combler les inégalités en Europe, il y a de quoi faire, notamment en utilisant la finance de la Banque centrale européenne pour rattraper les retards existants.
Nous avons donc beaucoup de propositions iconoclastes, comme vous les appelez, dont la reprise par le Gouvernement serait utile.
L’objectif fondamental de l’Union européenne, mais aussi de l’union économique et monétaire, est de garantir le développement économique et la stabilité, ainsi que le progrès et la prospérité pour tous.
En 2016, Jacques Delors lançait un avertissement clair qui demeure, plus que toujours, d’actualité : « Si l’élaboration des politiques européennes compromet la cohésion et sacrifie des normes sociales, le projet européen n’a aucune chance de recueillir le soutien des citoyens européens. »
Or la création de l’union économique et monétaire s’est accompagnée de règles précises relatives aux dépenses publiques, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Il est d’ailleurs à noter que le célèbre économiste Jean Pisani-Ferry, dans une communication très récente, s’interroge sur la pertinence du maintien de ces règles, notamment celle relative aux 3 % de déficit, alors que les conditions ont sensiblement évolué depuis l’entrée en vigueur de ces règles, en 1997.
Sous l’effet de la crise, ces règles ont conduit les États à adopter des politiques d’austérité : réduction drastique des dépenses, donc des services publics, diminution des investissements, baisse des dépenses sociales, augmentation de la flexibilité du marché du travail et gel des salaires visant à améliorer la compétitivité des entreprises. Ainsi, on a contribué à renforcer le camp des eurosceptiques.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est double.
D’une part, quel rôle entend jouer la France pour réformer le pacte de stabilité de manière à permettre aux États de profiter des taux bas pour financer des investissements, tels que ceux qui sont liés à la transition vers une économie bas-carbone ?
D’autre part, en vue de la préparation du prochain sommet pour l’avenir de l’Europe, qui se déroulera le 9 mai prochain, quelles initiatives la France souhaite-t-elle prendre pour traduire dans des lois européennes, au moins à l’échelle de la zone euro, les mesures contenues dans le socle européen des droits sociaux et, en particulier, les annonces faites par le Président de la République relatives à un salaire minimum européen et à l’alignement du paiement des cotisations sociales des travailleurs détachés sur le niveau du pays d’accueil ?
On s’écarte un tout petit peu du débat sur la zone euro, mais je veux vous redire, monsieur le sénateur, la détermination du Gouvernement tout entier à mettre en place le socle européen des droits sociaux, notamment le salaire minimum européen et les exigences que vous avez mentionnées concernant la rémunération des travailleurs détachés. Ce sera à Mme la ministre du travail de porter cette ambition ; elle le fait déjà avec beaucoup de détermination.
Cela étant, je partage votre analyse : il ne peut pas y avoir d’Europe sans une dimension de solidarité. L’Europe ne peut pas être une compétition sans fin des États les uns contre les autres. Il faut que nous ayons cette garantie de solidarité.
En revanche, sur les règles, je vais être très clair avec vous : ce sont toujours les cancres qui contestent les systèmes de notation. Lorsque vous avez de très bons résultats scolaires, vous pouvez dénoncer l’absurdité, la stupidité de la notation ; lorsque vos résultats sont moins bons, vous êtes un petit peu moins fondé à contester le système en vigueur.
Mon exigence, comme ministre des finances, est de faire en sorte que la France apporte à ses partenaires la preuve qu’elle est enfin capable de respecter ses engagements, dont nous sommes tous les dépositaires. C’est important, en premier lieu, pour la règle des 3 % de déficit public. On peut évidemment contester la pertinence du chiffre – pourquoi pas 2 % ou 4 % ? –, mais il faut bien une règle, et la France sera plus crédible pour contester les règles le jour où elle les respectera et les aura respectées plusieurs années d’affilée.
M. André Gattolin applaudit.
Dans quelques mois, l’euro fêtera les vingt ans de sa création ; ce sera sans doute l’occasion de dresser un bilan de cette monnaie commune à dix-neuf pays de l’Union européenne. Nous savons déjà que la progression du PIB par habitant a été de 89 % dans la zone euro depuis 2000, tandis qu’elle n’a été que de 58 % pour nos amis Britanniques restés à la livre. L’euro a permis une stabilité des prix et des changes, des taux de crédit relativement bas à la fois pour les ménages et pour les entreprises, ainsi qu’un cadre bénéfique pour la croissance de la zone euro, même si l’on aurait sans doute souhaité faire mieux encore.
Actuellement, comme d’autres monnaies, l’euro est en repli par rapport au dollar ; il est passé sous 1, 12 dollar, soit une perte de 2, 8 % depuis le mois de janvier dernier. Souvent qualifié de monnaie de confiance, l’euro doit conforter son assise et, ainsi, mieux affirmer sa souveraineté, en particulier par rapport au dollar. Tout cela suppose évidemment la consolidation des instruments économiques que porte la zone euro, ainsi que la stimulation de la croissance, qui est quelque peu léthargique, malgré un léger rebond finalement observé durant ce trimestre. Aussi, parmi les recommandations du Conseil pour les affaires économiques et financières, je retiendrai celles qui consistent à demander aux pays de la zone euro de soutenir l’investissement public et privé, d’alléger le coût du travail et d’assainir les finances publiques.
En réponse au mouvement des « gilets jaunes », le Président de la République a fait un certain nombre d’annonces sur le plan économique et fiscal ; elles pourraient, à certains égards, envoyer des signaux contradictoires. Je pense notamment à la baisse des impôts, très bien perçue par les marchés de change tant qu’elle ne creuse pas notre déficit public. Dans ces conditions, comment la France va-t-elle articuler les exigences qui nous lient à la zone euro et lesdites promesses qui nous engagent vis-à-vis de nos concitoyens ?
Monsieur le sénateur Yvon Collin, j’entends aujourd’hui beaucoup de contestations de la zone euro. Ces contestations sont parfois artificielles. C’est pourquoi je voudrais rappeler, avec beaucoup de simplicité, les avantages considérables que la zone euro apporte à nos entreprises et à nos concitoyens.
Premièrement, il n’y a plus d’inflation. On peut le regretter, argumenter qu’il en faudrait un tout petit peu, mais il n’y a plus cette inflation massive qui existait il y a quelques décennies encore et qui est un impôt sur les pauvres. Ceux qui perdent le plus lorsqu’il y a une inflation forte, ce sont en effet les ménages les plus modestes. Ne pas avoir d’inflation, c’est une protection pour les plus fragiles de nos compatriotes.
Deuxièmement, c’est un élément décisif, la zone euro permet aux entreprises de bénéficier d’une liberté de circulation. On a la même monnaie : cela facilite le commerce. Or le commerce intra-européen représente 60 % des échanges commerciaux français. C’est donc un avantage considérable pour le développement et la compétitivité de nos entreprises. Quand elles exportent vers Rome, Berlin ou Madrid, elles n’ont pas à payer de frais de change.
Troisièmement, la solidité de cette monnaie nous garantit des capacités d’exportation. Une monnaie forte facilite les échanges commerciaux extérieurs.
Ces trois avantages décisifs de la zone euro doivent être mis en avant sans relâche.
Il demeure une faiblesse, que vous avez parfaitement soulignée : il n’y a pas assez de convergence au sein de la zone euro. Malheureusement, certains États ont davantage bénéficié que d’autres, objectivement, de cette zone. C’est pourquoi le Président de la République et le Gouvernement ont proposé le budget de la zone euro : notre but est d’amener plus de convergence là où, au cours des dernières années, il y a eu trop de divergences.
Quand on a créé l’euro, on nous a expliqué qu’il ferait contrepoids au dollar et qu’il serait une force pour l’Europe en général, et donc pour la France, en matière de commerce international. Or je suis absolument scandalisé de constater la nullité de la zone euro quand il s’agit de résister aux pressions de M. Trump, qui essaie par exemple de nous empêcher de commercer avec l’Iran.
S’il y a bien un domaine où l’euro aurait pu être utile, ç’aurait bien été pour résister à la mainmise et à la domination du dollar. Or notre politique étrangère actuelle est asservie : nous sommes à genoux devant le dollar de M. Trump, qui nous impose les pays avec lesquels nous pouvons commercer et ceux avec qui nous n’avons pas le droit d’être en relations économiques.
Je le dis sans détour, monsieur le ministre : c’est scandaleux ! C’est le fait de la nullité intégrale des gouvernements qui s’occupent de l’euro.
Heureusement, monsieur le sénateur, vous avez mis en cause les gouvernements, et non pas la France, sinon je vous aurais invité à participer à mes entretiens, à Washington, avec l’administration américaine ; vous auriez pu constater qu’ils sont musclés. On nous reproche quelque chose qu’en bon gaulliste je soutiens fortement : l’indépendance et la souveraineté française.
Quand le Président de la République refuse de s’engager dans une négociation commerciale avec les États-Unis parce qu’ils sont sortis des Accords de Paris, la réponse est musclée.
Quand nous taxons les géants du numérique, parce que nous estimons que c’est une question de justice fiscale, la réponse est musclée également.
En revanche, je vous rejoins totalement sur la nécessité de résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Les États-Unis n’ont pas à être le gendarme de la planète ! Le dollar n’a pas à être l’étalon de l’ensemble du commerce mondial !
Ainsi, lorsque les États-Unis ont décidé de mettre en place des sanctions extraterritoriales contre l’Iran, alors même que ce dernier est toujours membre de l’accord que nous avons signé à Vienne, nous avons mis en place, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, un instrument spécifique afin de continuer à commercer avec l’Iran en dépit des sanctions extraterritoriales américaines. S’il n’y avait pas eu cette réaction européenne, j’aurais admis que nous n’avions pas été à la hauteur. Or je constate que les Européens ont eu le courage de mettre en place cet instrument.
Cela dit, je connais suffisamment le manque de détermination de certains face aux États-Unis pour savoir que c’est au pied du mur qu’on verra le maçon. §C’est donc au pied de cette institution financière que nous verrons la détermination des États européens à résister aux États-Unis d’Amérique.
Monsieur le ministre, à la limite, vous me donnez raison, mais on constate tout de même que nos échanges commerciaux avec l’Iran ont diminué de plus de moitié. Franchement, on ne peut pas s’en satisfaire !
Les dirigeants de l’euro et, de manière générale, les pays qui font partie de la zone euro sont totalement nuls. On baisse les bras face aux États-Unis. J’estime que c’est scandaleux : si l’on continue à se laisser faire ainsi, c’est toute notre politique étrangère et tous nos échanges commerciaux internationaux qui, bientôt, seront aux ordres des États-Unis.
J’insiste, monsieur le ministre : il serait temps de mettre un vrai blocage au sein de la zone euro tant que cette affaire n’est pas réglée.
« Un petit bout d’Europe entre nos mains », c’est ainsi que l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi qualifiait l’euro en 2002. La zone euro est en effet au cœur de l’Europe et représente une étape essentielle de l’achèvement du marché intérieur et de l’intégration économique et financière du continent.
Utilisé par près de 340 millions de citoyens à travers dix-neuf États membres, l’euro constitue la réalisation la plus concrète de l’intégration européenne. Toutefois, il souffre d’un manque d’incarnation politique et peine à avancer en raison de l’obstruction de pays plus eurosceptiques que d’autres. Or le renforcement de l’union économique et monétaire doit être la première des priorités. Dix-neuf États ont choisi de partager une monnaie commune et, ainsi, de mettre en commun leur souveraineté. Il faut à présent aller plus loin et accepter une Europe en cercles concentriques, dont le cœur sera la zone euro, avec un marché du travail beaucoup plus intégré et une convergence sociale assumée.
Une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires permettra de consolider ce cœur de l’Europe. Il est toutefois primordial qu’un instrument budgétaire commun puisse s’articuler avec une politique monétaire par définition communautarisée. Les règles de coordination et de convergence des politiques économiques nationales ne sauront masquer le manque criant d’un outil budgétaire commun qui permettra de facto de limiter les divergences économiques.
Enfin, malgré sa technicité, l’union bancaire lancée en pleine crise des dettes souveraines et européennes doit être achevée. Les deux premiers piliers, à savoir la supervision commune des banques et le mécanisme de résolution des crises et de gestion des faillites bancaires, doivent être approfondis ; le troisième, un système de garantie commune des dépôts bancaires, reste à construire.
Monsieur le ministre, quelles sont les priorités françaises sur ces points en vue de la prochaine réunion de l’Eurogroupe le 16 mai prochain ? Quelles sont les priorités du Gouvernement pour relancer l’Union européenne dans son cœur, alors que le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau, met en garde contre tout attentisme au sein de la zone euro ?
Le propos de M. le sénateur Longeot soulève de nombreuses questions.
Il existe une supervision de la zone euro ; il faut une supervision plus solide des banques européennes. Ce qui vient de se passer avec la Danske Bank le montre très clairement : il est indispensable de renforcer la supervision bancaire de l’Union européenne.
Ce sont souvent les mêmes qui nous font des leçons de morale, en nous accusant de ne pas respecter ceci ou cela : eh bien, qu’ils respectent déjà les règles bancaires européennes et qu’ils se conforment aux règles instaurées contre le blanchiment ! On ne peut pas demander de renforcer les règles pour certains et non pour soi-même. Je souhaite donc que nous ayons une supervision bancaire européenne plus solide.
Sur l’incarnation, je vous rejoins là aussi totalement, monsieur le sénateur. Je veux croire que nous aurons mis en place tous ces instruments – union bancaire, union des marchés de capitaux, budget de la zone euro, budget de convergence – d’ici à la fin de 2019 ; si ce n’est pas le cas, c’est que les États membres de la zone euro n’auront pas été à la hauteur de leurs responsabilités historiques.
Dans un second temps, j’espère parvenir à convaincre nos partenaires qu’un instrument de stabilisation est absolument indispensable, mais chacun sait qu’on est aujourd’hui bloqué sur ce point.
Il faudra en tout cas, dans une perspective de long terme, une incarnation. Ce sera le ministre des finances de la zone euro, qui sera un primus inter pares. On rejoint la construction politique que nous vous proposons : plutôt qu’une fédération, des États-nations qui travaillent plus ensemble.
Prenons l’exemple de la Banque centrale européenne, qui fonctionne remarquablement bien : il y a un primus inter pares, Mario Draghi, son président, qui prend ses responsabilités quand cela est nécessaire, mais tous les présidents de banques centrales membres de la zone euro sont également présents autour de la table, donnent leur avis et apportent leur regard sur la situation. C’est à mon avis le bon modèle pour la zone euro de demain.
La création de l’euro incarne la réussite la plus palpable de l’Union européenne. Avec près de 75 % du PIB de l’Union européenne, la zone euro constitue la troisième puissance économique mondiale. Elle représente le noyau dur de l’Union européenne.
L’euro a délivré deux promesses fondatrices : la stabilité des prix, avec une inflation moyenne de 1, 7 % par an en Europe depuis sa création, soit trois fois moins qu’au cours des vingt années précédentes. Les récentes crises ont démontré la solidité de cette monnaie et sa capacité à protéger les économies des États membres. Pourtant, il faut encore progresser et relever les défis qui se présentent à nous : l’achèvement de l’union bancaire, la convergence des réformes économiques nationales, le renforcement et la souveraineté de l’union économique et monétaire, et la défense du rôle international de l’euro.
Les États les plus performants contribuent à la croissance de la zone euro, mais chaque État doit faire preuve de sérieux budgétaire. L’idée d’un contrat de croissance est de bon aloi. Ces avancées sont d’autant plus nécessaires dans un contexte de concurrence accrue, de tensions commerciales et internationales et d’incertitudes liées au Brexit. Il est donc indispensable d’engager des réformes évitant toute divergence entre les politiques menées par les États membres et, surtout, permettant à l’Europe de peser face à de grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine.
La zone euro renforce nos positions sur les marchés mondiaux. Alors que la dette européenne baisse globalement et que la croissance semble se maintenir dans la zone euro, l’Italie, qui mène une politique expansionniste, voit sa dette augmenter sans reprise de sa croissance. Les décisions budgétaires que ce pays prend peuvent avoir des répercussions très négatives sur ses voisins, qui font les efforts budgétaires demandés, alors même que ces efforts ne sont pas toujours populaires auprès de leurs citoyens.
Monsieur le ministre, alors même que la Commission doit refaire un point de la situation budgétaire en juin prochain, comment éviter que certains États, comme l’Italie, mènent des politiques économiques allant à l’encontre des autres États membres ? Que compte faire la France pour faire avancer concrètement ces réformes indispensables de la zone euro, pour en convaincre nos partenaires et, notamment, pour développer le soft power de la zone euro ?
Je ne suis pas satisfait du niveau de croissance de la zone euro. D’autres orateurs l’ont dit dans ce débat : si l’on se satisfait de ce niveau de croissance, il ne faudra pas s’étonner de la montée des populismes partout en Europe. On nous dira : « Votre euro est bien sympathique, mais si c’est pour avoir 0, 2 ou 0, 5 point de croissance et être à la traîne alors que d’autres grandes nations, comme les États-Unis, ont de meilleurs résultats que nous, c’est qu’il ne marche pas ! »
Il est temps que nous prenions nos responsabilités. C’est le contrat de croissance que j’ai proposé : d’un côté, des réformes pour ceux qui en ont besoin, dont la France ; de l’autre, plus d’investissements pour ceux qui en ont la capacité budgétaire, dont l’Allemagne. Certes, celle-ci dépense plus qu’elle ne le faisait auparavant, mais elle peut dépenser plus encore pour financer des investissements qui bénéficieront à l’ensemble de la zone euro. Voilà le contrat que je propose.
Vous avez également évoqué la situation italienne, monsieur le sénateur. Je répète toujours à nos partenaires italiens que nous sommes tous dans le même bateau : nous avons abandonné notre souveraineté monétaire.
J’entends certains affirmer, à l’occasion de la campagne pour les élections européennes, qu’il n’y a pas de souveraineté européenne. Dans ce cas, c’est qu’ils ont abandonné l’euro, qui est un instrument de cette souveraineté. Sans souveraineté européenne, il n’y a pas d’euro ! La nier, c’est de facto renoncer à l’euro et à la zone euro.
Dès lors que nous avons partagé cette souveraineté et que nous avons une monnaie commune, il faut que chacun suive les règles. C’est trop facile d’aller voir sa propre population et de lui déclarer : « Nous sommes complètement libres, nous faisons ce que nous voulons, nous sommes indépendants et nous nous moquons de ce que diront l’Allemagne, la France, l’Espagne et les autres ! » C’est notre cohésion qui fait notre force ; les règles que nous respectons tous font la force de notre zone commune. Personne ne peut s’abstraire de règles qu’il a librement et souverainement choisies : elles le protègent et protègent la zone euro dans son ensemble.
Le dollar est la monnaie la plus utilisée pour les échanges internationaux de biens et de services, mais aussi pour les réserves de change dans le monde. Cette supériorité du dollar permet aux États-Unis de pratiquer une politique extérieure agressive, au point de faire condamner à de lourdes amendes les entreprises non américaines qui ont utilisé le dollar pour des transactions avec des pays que les États-Unis boycottent.
Avec son internationalisation, le yuan chinois est intégré aux réserves de change de plusieurs États, dont la Russie. Certes, le FMI estime à moins de 2 % la part du yuan dans le total des réserves de change des 149 pays suivis par cet organisme, mais la part de cette devise a quasiment doublé dans ces pays entre 2017 et 2018. La valeur du yuan et la volonté de la Chine d’en faire progressivement une monnaie concurrente du dollar deviennent le sujet central dans les vifs débats entre la Chine et les États-Unis.
Il n’en est pas de même pour l’euro, dont la position, pourtant bien plus forte, n’inquiète guère les États-Unis, et pour cause ! En effet, l’euro remplit gentiment un rôle d’intermédiaire des échanges internationaux, à hauteur de 36 %, contre 40 % pour le dollar. D’une part, plus de 80 % des importations d’hydrocarbures des pays de l’Union européenne sont payées en dollars ; d’autre part, seulement 22 % des réserves mondiales de change sont détenues en euros, contre 60 % en dollars.
Dans son rapport annuel de 2018, la Banque centrale européenne juge que la place de l’euro dans le monde n’a jamais été aussi réduite. Selon la BCE, l’euro a perdu 3 points dans les réserves mondiales de change entre 2008 et 2017. Certes, la fiabilité économique de l’euro est rassurante, mais sa crédibilité géopolitique n’est pas à la hauteur de la puissance économique que l’Union européenne pourrait être, si elle en avait la volonté politique.
L’alignement des principaux pays de l’Union européenne sur la politique étrangère agressive des États-Unis, comme c’est le cas vis-à-vis de la Russie, ou leur incapacité à s’y soustraire efficacement, comme c’est le cas vis-à-vis de l’Iran, ne permettra pas à l’euro de trouver cette crédibilité géopolitique qui lui manque.
La France, qui affiche ses ambitions pour une Europe qui protège, est-elle consciente qu’un euro réellement indépendant du dollar serait le meilleur bouclier de l’Europe ? Si tel est le cas, quelles sont les propositions concrètes que la France est prête à faire à ses partenaires pour forger ce bouclier ?
Monsieur le sénateur, il n’y a ni puissance ni projet politique sans monnaie. L’euro doit être l’instrument de la puissance politique européenne ; sinon, il n’aura pas d’avenir.
Toute notre discussion d’aujourd’hui montre bien le chemin qu’il faut suivre. Il faut une incarnation : le ministre des finances de la zone euro. Il faut des instruments complémentaires : l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, le budget de la zone euro. Enfin, il faut une ambition – n’ayons pas peur d’employer ce mot –, celle de faire de l’euro, demain, une monnaie de réserve équivalente au dollar. C’est possible ! Nous avons en effet le marché de consommateurs le plus riche de la planète, même si nous avons quelque peu tendance à l’oublier. Les 500 millions de consommateurs européens font le marché le plus riche et le plus attractif du monde.
Nous avons une monnaie solide et stable, l’euro. Il nous appartient seulement, à présent, de prendre un certain nombre de décisions très concrètes.
Premièrement, je proposerais volontiers que les facturations se fassent désormais en euros, et non plus en dollars, pour les entreprises européennes qui exportent. C’est un moyen de faire de l’euro une monnaie de référence sur la scène internationale.
Deuxièmement – nous avons évoqué avec M. Masson les contours de cette proposition –, il faudrait avoir un instrument financier doté de réserves en euro qui nous permettraient de financer les échanges commerciaux, y compris avec des États placés sous sanctions extraterritoriales américaines. L’euro peut être un outil d’autonomie, un outil d’indépendance politique, mais il faut pour cela cette institution financière totalement indépendante.
Troisièmement, il faut être capable de développer le commerce en euro, en ayant conscience de ce qui se passe à travers le monde. Le montant total des investissements de l’Exim Bank chinoise en Afrique est supérieur, depuis deux ans, à celui des investissements de la Banque mondiale. Cela dit bien le renversement de puissance que l’on peut observer aujourd’hui.
Face à cela, notre intérêt est de faire de l’euro une monnaie de référence internationale. La Commission européenne a formulé des propositions en ce sens ; nous les soutenons. J’y ajoute celles que je viens d’avancer : la facturation en euros, l’outil financier indépendant et le développement des échanges commerciaux sur la base de notre monnaie commune.
Lors du Conseil européen du mois de décembre dernier, les vingt-sept États membres se sont accordés sur le principe d’un budget de la zone euro, toutefois éloigné du projet soutenu ces dernières années, tout comme de l’ambition initiale défendue par le Président de la République au début de son mandat. La France a, semble-t-il, reculé sur plusieurs points essentiels, et ce dès la déclaration commune avec l’Allemagne au mois de décembre 2018, loin des déclarations du mois de juin de la même année, à l’occasion du sommet de Meseberg.
Le premier point concerne l’investissement. Un budget à la disposition des États membres de la zone euro devrait favoriser la convergence de ces derniers, afin de réduire les risques de dysfonctionnements économiques. Nous nous en sommes éloignés.
Le deuxième point porte sur l’abandon de la fonction de stabilisation économique que nous n’avons cessé de demander et qui donnerait tout son sens à la dimension budgétaire afin d’en faire un véritable outil de protection en cas de nouvelle crise financière. Or l’idée d’un fonds permettant de résister aux chocs asymétriques et de disposer notamment d’un système d’assurance chômage européen qu’un État membre de la zone euro pourrait activer a littéralement disparu de la position commune franco-allemande.
Le troisième point a trait au financement de ce budget. Celui-ci est réduit à une simple ligne budgétaire du budget général de l’Union européenne. Il court donc le risque de se résumer à un simple fonds européen, très éloigné de ce que l’on aurait pu attendre et de ce qui serait nécessaire.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous sommes préoccupés du tour que prennent aujourd’hui les négociations. Il ne suffit pas d’annoncer un projet, encore faut-il faire en sorte qu’il puisse, une fois adopté, permettre des ambitions.
Ma question est donc double : reste-t-il encore une marge de manœuvre afin de retrouver un budget de la zone euro qui intégrerait plus étroitement les pays partageant la monnaie unique ? À ce stade, la France peut-elle encore défendre le principe d’une fonction de stabilisation pour ce budget ?
Monsieur le sénateur Botrel, moi, je ne suis pas très savant, j’écoute ceux qui savent plus que moi. Le FMI, l’OCDE, le président de la Banque centrale européenne : tous disent qu’il faut que le budget de la zone euro ait une fonction de stabilisation. Je l’ai dit et répété : il existe aujourd’hui chez un certain nombre d’États une opposition farouche à toute fonction de stabilisation de la zone euro. Je pense en particulier aux Pays-Bas, qui se sont fortement opposés à toute idée d’une fonction de stabilisation pour le budget de la zone euro.
L’Union européenne se bâtit pas à pas. Dieu sait que j’aimerais parfois qu’elle chausse des bottes de sept lieues, mais nous sommes obligés, pour avancer, de faire de temps en temps des compromis. Les compromis ne doivent jamais être des renoncements.
Aujourd’hui, le principe d’un budget de la zone euro est acquis, ce qui constitue déjà un progrès considérable par rapport à la situation d’il y a deux ans. Nous avons acté la fonction de convergence, c’est-à-dire des investissements supplémentaires pour que les économies convergent, alors qu’aujourd’hui elles sont en train de diverger, ce qui menace l’avenir de la zone euro.
Je ne renonce pas à la fonction de stabilisation de la zone euro. Je le dis avec beaucoup de simplicité, parce que j’y crois et que je considère que, lors de la prochaine crise économique, nous serons bien contents que ces instruments de stabilisation évitent à deux ou trois États de couler et d’être entraînés vers le fond, faute de solidarité. Il ne faut pas avoir peur de ce mot de solidarité entre les États membres de la zone euro : la compétition, oui, mais à condition qu’il y ait aussi de la solidarité !
Enfin, il faut des ressources propres pour le financement du budget de la zone euro. Je pense à la taxe sur les transactions financières, mais on peut aussi imaginer d’affecter une partie des ressources issues de la taxation des géants du numérique.
Je souhaite insister sur un dernier point : la gouvernance de la zone euro doit se faire à dix-neuf. Si les États non membres de la zone euro veulent participer à la décision, ma recommandation, c’est qu’ils adhèrent à la zone euro !
Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a déclaré voilà quelques semaines : « Les risques liés aux perspectives de croissance de la zone euro sont toujours orientés à la baisse, en raison de la persistance d’incertitudes liées aux facteurs géopolitiques, à la menace du protectionnisme et aux vulnérabilités des marchés émergents. »
Cette baisse de la croissance, qui, au-delà de la zone euro, affecte l’ensemble des économies industrialisées, a conduit la BCE à poursuivre sa politique monétaire dite « accommodante », notamment avec des taux d’intérêt très bas. Cette politique a deux objectifs principaux : d’une part, relancer l’activité économique – force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes – ; d’autre part, éviter une augmentation brusque des déficits publics, laquelle entraînerait une hausse de la dette publique.
Concernant ce second aspect, il convient de rappeler que la crise des dettes souveraines européennes, entre 2010 et 2012, a failli conduire à la faillite de l’État grec et à l’éclatement de la zone euro. Éviter que ce scénario ne se reproduise est donc une priorité.
Les pays membres de la zone euro ont d’ores et déjà mis en place des mécanismes de stabilité. Ces réformes bienvenues nous semblent cependant trop partielles, voire incomplètes, au regard des enjeux et des risques que la situation économique actuelle fait peser sur la stabilité de la zone euro et de l’Union européenne dans son ensemble.
Nous pouvons par ailleurs nous demander si c’est bien le rôle de la Banque centrale européenne que de veiller à ce que les États ne se retrouvent pas en faillite. Qui plus est, sa politique monétaire « accommodante » ne pourra se poursuivre éternellement, vous l’avez souligné, monsieur le ministre.
Nous devons sortir de cette situation inconfortable. Où en sont donc les propositions de la France en faveur d’une intégration politique plus poussée des pays membres de la zone euro ?
Madame la sénatrice, les divergences actuelles de situations économiques entre les États membres de la zone euro ne sont pas tenables. Je le redis avec beaucoup de gravité : vous ne pouvez pas avoir une union monétaire et des divergences croissantes entre les États membres de cette zone monétaire.
La faiblesse de la croissance de la zone euro n’est pas non plus tenable sur le long terme. Je partage donc l’appréciation du président de la Banque centrale européenne : il est urgent de réagir.
Certaines responsabilités sont nationales, je le martèle. Je pense à la poursuite des transformations pour gagner en compétitivité et réussir davantage économiquement. Toutefois, il faut également que l’Union européenne et la zone euro soient capables de faire preuve de plus de solidarité – je l’ai dit à M. Botrel. Vous ne pouvez pas, d’un côté, exiger des réformes structurelles, le rétablissement des finances publiques et, de l’autre, ne rien proposer en contrepartie ; ce n’est pas possible. La contrepartie, c’est de la solidarité, la garantie des dépôts bancaires et un instrument budgétaire permettant aussi de faire de la stabilisation.
Enfin, puisque vous avez beaucoup cité la Banque centrale européenne, je tiens à rendre hommage à son président, Mario Draghi, qui, en pleine crise des dettes souveraines, à un moment où les spreads entre l’Italie, la Grèce et l’Allemagne pouvaient atteindre 300, 400, 600 points de base et où la zone euro était menacée d’éclater, a eu le courage de dire devant la presse et l’opinion publique européenne : « Nous prendrons toutes les décisions nécessaires pour rétablir la situation. » Souvenez-vous de sa fameuse expression : « whatever it takes ».
Moi, j’aime l’Europe quand, à la tête de l’une de ses institutions, on trouve un homme qui a le courage et la lucidité de prendre les décisions qui s’imposent. Or je veux dire à tous mes homologues européens que nous sommes aujourd’hui dans une situation analogue.
Le 15 décembre 2018, le sommet de la zone euro a demandé à l’Eurogroupe d’élaborer, d’ici à la fin du mois de juin prochain, une proposition détaillée pour un instrument budgétaire spécifique à la zone euro. Selon le mandat donné aux ministres des finances par les chefs d’État ou de gouvernement, cet instrument se concentrera uniquement sur le soutien à la convergence et à la compétitivité.
La Commission européenne a proposé au mois de mai dernier un outil de stabilisation reposant sur un système de prêts, proposition déjà en retrait par rapport à celle qui avait été formulée par le Président de la République. Toutefois, aucun consensus n’a pu émerger pour soutenir cette idée, qui a donc été exclue du mandat adopté au mois de décembre 2018.
Malgré cette première clarification, les divergences d’appréciation semblent toujours très fortes entre les États membres et de nombreuses questions demeurent en suspens sur les principaux aspects de cette capacité budgétaire, notamment sur la nature et la finalité de ses dépenses, sur sa base juridique, sa gouvernance, son lien avec le semestre européen et, surtout, l’origine et le montant de ses recettes. La France et l’Allemagne ont notamment proposé que ce fonds soit alimenté par des ressources propres issues de nouvelles taxes, par des contributions nationales et par des financements européens. À ce titre, la Commission européenne a proposé, dans son projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027, un programme doté de 25 milliards d’euros sur sept ans pour financer un outil d’aide à la mise en place de réformes structurelles ainsi qu’un mécanisme de convergence.
Monsieur le ministre, même si les négociations sur le volume financier de l’instrument budgétaire pour la zone euro sont toujours en cours, pouvez-vous nous indiquer sur quelle base travaillent la Commission européenne et les États membres ?
Par ailleurs, les difficultés rencontrées par la taxe sur les services numériques ou la taxe sur les transactions financières semblent indiquer que ce fonds ne sera pas financé, dans un horizon prévisible, par de nouvelles ressources propres, mais le sera essentiellement par des contributions budgétaires nationales. Pouvez-vous dès lors nous préciser le montant attendu de la participation française et son impact sur nos finances publiques ?
Madame la sénatrice, pour qu’il y ait un accord sur le budget de la zone euro, d’abord un accord avec l’Allemagne, puis un accord à dix-neuf, nous avons accepté des compromis.
Nous avons d’abord accepté qu’il y ait un lien entre le budget de la zone euro et les perspectives financières pour l’Union européenne pour les années à venir, alors que l’on aurait pu très bien imaginer une indépendance totale.
Nous avons également accepté – cela a été souligné par beaucoup d’entre vous – que ce soit un budget de convergence et non un budget de stabilisation, qui privilégie l’investissement, mais qui ne permet pas de réagir en cas de crise économique.
Nous n’irons pas plus loin dans les concessions. Nous devons désormais prendre un certain nombre de décisions au mois de juin prochain. Je le redis : la gouvernance doit se faire à dix-neuf, et la France n’acceptera pas que la gouvernance de la zone euro se fasse par des États qui n’en sont pas membres. Je ne vois pas pourquoi ceux qui ont abandonné leur souveraineté monétaire pour avoir une monnaie commune se verraient dicter l’avenir de la zone euro par ceux qui n’ont pas renoncé à leur souveraineté monétaire.
Là-dessus, que les choses soient bien claires : nous voulons une gouvernance à dix-neuf.
Il faut aussi des ressources propres. La taxe sur les transactions financières, à propos de laquelle nous ne sommes pas loin d’un accord, peut être une ressource propre pour la zone euro.
Enfin, et je veux y insister, en réponse à votre question, madame la sénatrice, il s’agit là d’un point de départ et non d’un point d’arrivée. Je continue à considérer qu’il faudra, à un moment ou un autre, une fonction de stabilisation au budget de la zone euro, et je préfère qu’on le décide en dehors d’une période de crise plutôt que, comme à chaque fois, commencer par dire non et dire oui quand la crise survient. Il serait plus raisonnable de dire oui tout de suite.
L’Europe ne produit plus d’Européens. Ce constat est terrible, mais bien réel dans cette aire géopolitique qu’est l’Union européenne, la première pourtant à s’être bâtie sur la base du choix des États et non pas sous le joug de telle ou telle armée.
L’une des plus grandes réussites de l’Union européenne, c’est l’euro. Toutefois, alors que l’euro a été initialement pensé comme un outil au service de l’Union européenne, comme un instrument de protection et de développement des économies, tant en interne qu’en externe, nous devons aujourd’hui dresser un constat d’échec quant à son rôle au sein de l’Union européenne.
Aujourd’hui, au-delà de cette monnaie que nous partageons, qu’est-ce qui compose l’Union européenne ? Une gouvernance démocratique ? Pas vraiment. Une convergence fiscale ? Pas davantage. Une convergence sociale ? Encore moins. En effet, dans cet ensemble, plusieurs États censés coopérer se livrent à une véritable concurrence, parfois fiscale – de ce point de vue, la France a, récemment encore, apporté sa pierre à l’édifice avec la flat tax ou la suppression de l’exit tax.
Nous aurions souhaité que le budget de la zone euro soit orienté non seulement vers le développement économique, mais également vers une politique sociale digne de ce nom, digne de la puissance économique qu’est l’Europe. Je pense bien évidemment au mécanisme européen d’assurance chômage, à la sécurité sociale européenne, en passant par le droit à la formation, mais aussi un salaire minimum européen – dans le débat préalable aux élections européennes, certains ont tenté d’en parler, mais se sont pris les pieds dans le tapis – ou à l’intégration des indicateurs sociaux dans le processus de semestre européen. À ce titre, la directive des travailleurs détachés est un contre-exemple.
Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous peser dorénavant dans les discussions à l’échelon européen par des actions concrètes pour que le budget de la zone euro soit réellement un outil au service de la croissance, mais surtout de la convergence sociale dans l’Union européenne – sujet qui nourrit aujourd’hui beaucoup d’extrémisme ? Comment faire en sorte qu’il y ait une véritable direction et une véritable gouvernance politique de la zone euro à dix-neuf ?
Monsieur le sénateur Temal, l’une des conditions de la convergence sociale, c’est la convergence fiscale, car celle-ci permet d’éviter ce qui peut, à mon avis, profondément déstabiliser la zone euro, le dumping fiscal. Le dumping fiscal est une plaie dont il ne sortira rien de bon : ni croissance, ni emploi, ni capacité de résistance face aux États-Unis ou à la Chine.
La convergence fiscale est au cœur de l’accord de Meseberg. Je le redis : cet accord entre la Chancelière allemande et le Président de la République est historique. Il prévoit la convergence fiscale sur l’impôt sur les sociétés. Nous la construisons, notamment en rapprochant les droits des faillites français et allemand. Tout cela avance, et je souhaite que les autres États membres de la zone euro nous suivent dans cette voie.
Si nous voulons véritablement une convergence, je vais vous dire le fond de ma pensée, il faut passer de l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale.
C’est la seule façon d’avancer. Regardez ce qui s’est passé sur la taxation des géants du numérique ! Nous étions seuls au départ, puis cinq. Ensuite, vingt-trois États européens se sont totalement mobilisés là-dessus. La Commission européenne a proposé un texte solide, convaincant, même s’il n’est pas parfait. Malheureusement, quatre États, qui se mettent systématiquement en posture d’opposition à la taxation du numérique, ont bloqué cette décision, et c’est l’Union européenne tout entière qui est fragilisée.
Si nous voulons véritablement la convergence, ayons du courage et passons de l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale !
Monsieur le ministre, vous venez de proposer à nos partenaires européens « un nouveau contrat de croissance pour la zone euro ». Ce nouveau contrat est justifié par le constat d’un ralentissement de la croissance mondiale. Il repose sur quatre piliers, notamment l’accélération de la transformation de la zone euro, avec un budget disponible pour le mois de juin prochain, et une union bancaire réalisée d’ici à la fin de 2019.
La zone euro a déjà connu plusieurs réformes qui lui ont permis de surmonter les crises. Je pense ici aux prémices de cette union bancaire, au renforcement de la gouvernance économique ou encore à la création d’un mécanisme de sauvetage permanent qui peut mobiliser jusqu’à 700 milliards d’euros.
La zone euro se réinvente grâce aux crises. Ces réformes, à l’écart desquelles les peuples ont été tenus, ont cependant eu un prix démocratique : le Brexit, l’émergence d’eurosceptiques, voire d’europhobes, en témoignent.
Aussi, ce contrat est un premier pas, mais il ne remplacera pas la réforme d’envergure qui est attendue et qui conditionnera l’avenir de la zone euro. S’il est indispensable de renforcer le pilotage exécutif de la zone euro en se posant la question du contrôle démocratique, de la place des parlements nationaux, l’enjeu démocratique n’est pas qu’institutionnel.
La zone euro a été mise en place, mais les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées indépendantes. C’est l’existence d’une Union européenne à vingt-sept et d’une union monétaire à dix-neuf sans aucune convergence des législations qui pose aujourd’hui problème. L’Europe est perçue par les peuples de la zone euro comme celle qui entrave et qui admet le déséquilibre. Si un État est exigeant, s’il s’impose des normes de qualité, il sera confronté, au sein même de la zone euro, à la concurrence de produits émanant d’autres États fabriqués à un moindre coût et de moindre qualité.
Il est urgent de renforcer la confiance des peuples dans l’Europe. Redonner confiance, c’est d’abord créer une Europe et une union monétaire intelligibles. C’est aussi, à mon sens, créer les conditions d’un marché structuré.
Le choix est simple : se contente-t-on d’administrer et de réfléchir à une gouvernance ou crée-t-on les conditions d’un marché structuré au sein de l’union monétaire, en renforçant l’équilibre, l’équité, la concurrence loyale entre États de l’Union par une convergence économique, fiscale et sociale ?
Monsieur le sénateur Babary, vous le savez : qui aime bien châtie bien ! Si je suis parfois sévère envers l’Union européenne, c’est parce que je l’aime profondément et que je crois profondément au destin français en Europe et au destin européen.
Vous l’avez parfaitement dit, l’Europe ne se réforme qu’en situation de crise. Cependant, nous pouvions nous permettre cela jusqu’au Brexit, jusqu’à l’émergence des partis extrémistes partout en Europe. Maintenant que nous voyons le danger, tous ceux qui croient dans la démocratie libérale et dans la nécessité de garder un système démocratique comme celui que nous avons devraient se dire qu’il y a urgence à décider, à faire progresser la zone euro, à mettre en place les instruments dont nous avons parlé.
Je le dis très simplement : je pense qu’aujourd’hui l’organisation institutionnelle de la zone euro n’est pas satisfaisante, que tout est fait pour que l’on ne puisse pas décider.
La politique, c’est très concret. Vous qui êtes tous des élus et des responsables politiques chevronnés, vous savez que les formats et les quorums sont décisifs. Autour de la table se trouvent réunis non seulement les dix-neuf ministres des finances de la zone euro, la Commission européenne, le vice-président de la Banque centrale européenne, le représentant du mécanisme européen de stabilité, le représentant du service légal de la Commission européenne, mais aussi les États non membres de la zone euro, parce qu’il faut bien qu’ils participent à la discussion… On pourrait aussi inviter tous les États étrangers à venir assister à nos réunions pour savoir ce qui s’y passe ! Tout est fait et organisé pour que l’on ne décide pas. Ça suffit !
Je le dis avec beaucoup de gravité : il faut passer à autre chose. Il existe d’autres modèles de gouvernance qui seraient mille fois plus efficaces. Il faut être capable d’anticiper le jour où se trouveront autour de la table les dix-neuf ministres des finances et un primus inter pares ministre des finances de la zone euro qui aura la voix décisive supplémentaire pour dire : « Voilà où nous allons ! Certains ne sont pas d’accord ? Certains ont des réticences ? Ce n’est pas grave. Avançons dans cette direction, parce que c’est comme cela que nous serons tous ensemble plus forts. » Nous aurons alors franchi le cap décisif qui nous manque aujourd’hui. Monsieur le sénateur Babary, je préfère le faire dans une période calme plutôt qu’en période de crise.
Le temps a passé depuis la signature de la déclaration de Meseberg au mois de juin 2018 et la signature du traité d’Aix-la-Chapelle au mois de janvier dernier.
Le premier texte nous engageait à réaliser des progrès décisifs vers une union des marchés de capitaux et à créer un budget de la zone euro, dont le but serait de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans ladite zone. Le second texte affichait plusieurs projets prioritaires, dont le suivi serait assuré par le conseil des ministres franco-allemand, avec une volonté de coopération au sein de l’Union européenne dans le domaine des services et des marchés financiers.
La Chancelière Angela Merkel, puis les pays nordiques groupés derrière le chef du gouvernement néerlandais ont largement minoré l’ambition et les objectifs de ce projet de budget. Ils refusent que ce budget joue un rôle de stabilisateur en cas de choc économique – à juste titre, compte tenu de la situation économique et financière de la France. Nous ne pouvons pas convaincre nos partenaires européens sans leur apporter la preuve que nous pouvons restaurer nos comptes publics, au risque de donner l’image d’un projet déresponsabilisant les États, qui, quelle que soit leur gestion, seront de toute façon sauvés par ce fonds. Ce dernier n’aura que peu de réserves en raison de la mauvaise santé économique de ses contributeurs.
Plus récemment, la tribune intitulée « Pour une Renaissance européenne », que le Président de la République a publiée au mois de mars dernier, n’évoque pas une seule fois la zone euro. Voilà qui est très significatif d’un renoncement à réformer en profondeur l’union économique et monétaire au profit d’un repositionnement sur les questions de liberté et de sécurité.
L’accord entre la France et l’Allemagne est fragile, car il ne semble pas vouloir aller pour l’instant au-delà des bonnes intentions.
Monsieur le ministre, vous avez répondu en partie à mes questions sur les intentions de la France pour maintenir ses finances publiques et rassurer nos partenaires européens. Reste que la trajectoire d’ici à 2022 est loin de celle de ses partenaires de la zone euro. Pouvez-vous me préciser qu’en matière de convergence il y aura une concrétisation de ses ambitions ? Quelles sont les pistes et les discussions du mois de juin prochain ? Nos concitoyens et nos partenaires européens ont besoin d’être rassurés sur l’engagement de la France.
Madame la sénatrice Duranton, la France a pris deux engagements vis-à-vis de ses partenaires européens et, plus encore, vis-à-vis des Français. Le premier, c’est le rétablissement des finances publiques. Le second engagement, c’est la poursuite de la transformation économique de notre pays. Nous tiendrons ces deux engagements.
J’ai eu l’occasion de le dire, ces transformations économiques – indemnisation du chômage, retraites, fonction publique – feront l’objet de réformes structurelles dès 2019. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont indiqué.
S’agissant des finances publiques, nous resterons sous les 3 % de déficit public. Nous devons continuer non seulement à stabiliser, mais aussi à baisser la dette publique, point noir de la situation des finances publiques françaises, je le reconnais bien volontiers. Cela veut tout simplement dire que, si nous ne voulons pas aggraver la charge de la dette, chaque fois qu’une nouvelle dépense est engagée, il faut trouver des recettes équivalentes.
Il faut donc un financement pour les 5 milliards d’euros de baisses d’impôt sur le revenu. Le Président de la République a été très clair sur ce sujet : ce financement doit reposer sur les organismes publics, dont un certain nombre doivent être transformés en profondeur, sur quelques niches fiscales destinées aux entreprises. Je le répète, cela concernera seulement une partie du financement. On ne financera pas l’intégralité des 5 milliards d’euros de baisse d’impôt sur le revenu par la remise en cause de niches fiscales destinées aux entreprises ; ce serait totalement incohérent.
Le troisième volet qu’a indiqué le Président de la République, c’est la durée du travail.
Telles sont les modalités de financement sur lesquelles, à la demande du Premier ministre, Gérald Darmanin et moi-même travaillons dès aujourd’hui.
Prenons l’exemple des organismes publics. Gérald Darmanin et moi-même allons, dès cette semaine, en vue de la réunion avec le Premier ministre qui se tiendra lundi prochain, faire la revue de l’ensemble des organismes publics pour voir lesquels sont efficaces, lesquels le sont moins et où nous pouvons réaliser des économies.
Nous avons eu ici même une longue discussion sur les chambres de commerce et d’industrie. Je veux les citer en exemple, car ces structures, qui bénéficiaient d’une taxe affectée de plus de 1 milliard d’euros, ont accepté une transformation en profondeur : la réforme de leur statut, un financement par prestation et non plus uniquement par taxe affectée. Tout cela se solde par un demi-milliard d’euros d’économies.
Les économies sur la dépense publique sont une affaire de volonté. Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté, à la demande du Premier ministre et du Président de la République, d’examiner attentivement tous les organismes publics pour voir où nous pouvons faire des économies.
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la question de la stabilité financière. Voilà quelques semaines, vous déclariez dans une interview accordée à Reuters qu’il nous fallait mettre en place l’union bancaire « dans les prochains mois et pas dans les prochaines années ». Difficile de ne pas partager cet objectif… Toutefois, le contexte politique actuel est tel que cette affirmation présente une valeur relative dans le débat public, d’autant plus que vous parlez de « mesures techniques » sans préciser lesquelles. Or la plupart d’entre elles sont de facto des mesures politiques.
Aujourd’hui, avant même l’achèvement de l’union bancaire, nous avons une forme d’union au sein de la zone euro. Nous avons notamment un Fonds de résolution unique, qui doit être doté de 55 milliards d’euros à l’horizon de 2023 et qui, l’été dernier, était doté de 24, 9 milliards d’euros. Nous avons un système européen d’assurance des dépôts qui prendra la forme d’un mécanisme commun de coassurance en 2020-2024, à hauteur de 45 milliards d’euros.
Face à cette union bancaire, on peut relever deux types de risques.
Le premier est structurel et concerne les prêts non performants. D’après une étude publiée l’année dernière par l’OFCE, le solde de prêts non performants – qui n’a pas été provisionné – atteignait 395 milliards d’euros à la fin de 2017.
Le second risque est celui d’une crise financière et économique dans les mois ou les années à venir, sur laquelle plusieurs économistes et responsables d’organisations internationales nous alertent déjà. Pour avoir une idée de l’ampleur potentielle d’une crise d’un point de vue financier, on peut regarder les montants des aides d’État accordées aux banques après la crise, entre 2008 et 2017 : au cours de cette période, l’Union européenne a déboursé 665 milliards d’euros en capital et 1 296 milliards d’euros d’aide en trésorerie. Ces chiffres ne sauraient suffire à évaluer la robustesse de notre système européen, mais ils donnent une idée des ordres de grandeur.
Hier, au Sénat, lors du débat sur le projet de programme européen de stabilité, lequel n’a malheureusement pas donné lieu à un vote, vous avez déclaré que la zone euro « n’est pas armée pour faire face à une nouvelle crise économique et financière » et que « les instruments mis en place après la crise de 2008 sont insuffisants ». Quelle serait l’ampleur du péril pour nos finances publiques si une crise financière se déclenchait demain, ce que nul ne peut exclure ? De quels instruments concrets disposerions-nous pour y faire face ?
Nous avançons, monsieur le sénateur, mais trop lentement. Or je ne veux pas que nous soyons pris de court par les événements, car il n’y a rien de pire en politique.
Vous m’interrogez sur les instruments concrets dont nous disposerions en cas de crise.
Nous avons mis en place le backstop du Fonds de résolution unique. Ce filet de sécurité, de l’ordre de 55 milliards d’euros, permettra de doubler le montant du Fonds de résolution unique et de disposer d’un peu plus de 100 milliards d’euros en cas de crise financière. Il sera disponible à partir de 2024.
Si nous pouvons avancer son entrée en vigueur, nous le ferons ; nous y travaillons. C’est l’une des décisions clés prises à Meseberg par le Président de la République française et la Chancelière allemande.
Par ailleurs, vous avez parfaitement raison, il faut assainir la situation des banques. Il nous faut nous débarrasser le plus vite possible des fameux prêts non performants, les NPL, inscrits au bilan des banques, car ils font peser une menace sur la stabilité financière de la zone euro. Nous avons là aussi engagé le processus. Dans l’accord franco-allemand de Meseberg, nous avons fixé un niveau cible de prêts non performants, niveau que nous sommes en train d’atteindre à un rythme tout à fait régulier.
En outre, comme je l’ai indiqué précédemment, il faut renforcer la supervision bancaire de l’ensemble des banques européennes afin d’éviter les défaillances telles que celle d’une grande banque danoise.
Enfin, j’insisterai sur un dernier point : une consolidation bancaire est nécessaire en Europe. Nos banques sont trop petites, ce qui empêche le développement économique et ouvre notre marché à nos concurrents américains.
Comme cela a été indiqué, afin de soutenir les réformes et les investissements nationaux, la France et l’Allemagne ont fait une proposition commune afin de créer un « nouvel instrument budgétaire pour la zone euro ». Ce nouvel instrument fiscal, qui ne sera pas mis en place avant 2021, aura pour objectif d’améliorer la compétitivité et la convergence parmi les pays de la zone euro et les États candidats à la monnaie unique.
La revendication du Président Emmanuel Macron concernant la fonction stabilisatrice de ce budget en cas de crise n’a en revanche pas été satisfaite. Cet instrument ne permettra donc pas de soutenir un État en cas de crise. La France et l’Allemagne estiment néanmoins qu’avec plus de compétitivité et de convergence la stabilité de la zone euro s’améliorera.
Ce nouvel instrument budgétaire pour la zone euro peut paraître utile pour accroître la convergence à l’échelon de la zone euro, la divergence étant plus forte au sein de la zone euro qu’à l’échelle de l’Union européenne. Considérez-vous toutefois, monsieur le ministre, qu’une occasion a été manquée d’instaurer une fonction stabilisatrice ?
Pour atteindre ses objectifs de compétitivité et de convergence, ce nouveau fonds financera les coûts occasionnés par les réformes et les dépenses d’investissement « dans des domaines stratégiques liés aux réformes et aux priorités d’investissement identifiées au cours du semestre européen ». Il s’agirait surtout d’investissements dans l’innovation et le capital humain, qui remplaceraient des dépenses aujourd’hui purement nationales.
Alors que le montant du budget de la zone euro n’est pas encore fixé – il sera déterminé lors des négociations du prochain budget européen pluriannuel pour la période 2021-2027 –, je m’interroge sur la finalité peu précise et le fonctionnement de ce budget. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce que ce budget est censé financer et sur ses règles de fonctionnement ? Sera-t-il utilisé sous forme de subventions ou de prêts ? Pourra-t-il servir à financer des investissements publics ou non ?
La réponse est oui, monsieur le sénateur Pellevat, ce budget de la zone euro pourra servir au financement d’investissements publics.
Je ne reviens pas sur le fonds de stabilisation, que nous avons déjà longuement abordé. Sachez simplement que je ne renonce absolument pas à l’idée que, au cours des années à venir, le budget européen puisse comprendre une dimension de stabilisation. On me dit parfois que c’est absolument hors de portée, qu’il existe des oppositions farouches. Reste que je pense à des exemples très récents d’opposition totale à des projets portés par la France, tels que le budget de la zone euro : au bout de deux ans, nous y sommes arrivés.
Je pense à un exemple encore plus frappant : les aides d’État. Il y a cinq ans, on ne pouvait même pas prononcer les mots « aide d’État » ou « aide publique » s’agissant des investissements dans l’innovation ou la recherche. C’était impensable ! Nous avons depuis apporté la preuve qu’il était tout de même compliqué de se passer des aides publiques pour financer des projets d’investissement, sachant que les Chinois et les Américains ne se privaient pas, eux, d’y avoir recours.
SpaceX n’est pas né du seul génie de M. Musk. Ce dernier a bénéficié des infrastructures et des commandes de l’État fédéral américain et des installations de la NASA. Résultat : les Américains ont aujourd’hui un lanceur renouvelable, mais pas nous, hélas ! La Chine, quant à elle, subventionne massivement ses véhicules et ses batteries électriques. Et nous serions, nous, au milieu, le dindon de la farce, adeptes d’un libéralisme absolu et animés d’une croyance aveugle dans les forces du marché, les seuls à dire : « jamais d’intervention publique » ?
Ce que je constate, c’est que, grâce à la persévérance française, il est aujourd’hui possible de financer des projets d’innovation structurants avec des aides publiques, des aides d’État. Peter Altmaier et moi, nous annoncerons dans deux jours la création d’une filière européenne de batteries électriques, qui nous permettra d’être souverains et indépendants de la Chine et de la Corée du Sud. Si une telle filière est possible, c’est parce qu’on a accepté qu’elle soit financée non seulement par des entreprises privées allemandes et françaises, mais également par des aides d’État, des aides publiques. C’est comme cela que l’Europe réussira. Il nous faut non pas répéter sans cesse un mantra idéologique dépassé, mais être capables d’inventer l’économie du XXIe siècle.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat sur la zone euro, organisé sur l’initiative de notre collègue Jean-François Rapin.
Je me permets de rappeler que la création de l’euro fut un acte économique fort, autant qu’un acte politique fondamental. Il a procuré aux pays qui l’ont adopté des avantages économiques que nous avons tendance à oublier et dont nous aurions tort de sous-estimer l’ampleur. Il est surtout devenu le bien commun des 340 millions d’Européens qui l’utilisent quotidiennement.
Au cours de ses deux décennies d’existence, la monnaie unique a dû surmonter bien des épreuves. Nombreux sont ceux qui, à sa création, lors de la crise financière ou de la crise des dettes souveraines, lui ont prédit avec certitude une fin aussi imminente que retentissante. Pourtant, malgré les vicissitudes et les polémiques, l’euro est toujours là. À ceux qui prônent sa disparition, les Européens répondent massivement par une volonté, croissante au fil des ans, de le préserver.
On ne saurait toutefois en déduire que le bilan de l’union économique et monétaire est pleinement satisfaisant dans tous les domaines. Certes, l’euro a parfaitement joué son rôle de bouclier anti-crise monétaire et de stabilisateur des prix et des changes, et grâce aux réformes lancées entre 2010 et 2012, conjuguées à l’action de la Banque centrale européenne dans les moments décisifs, la zone euro est aujourd’hui bien plus solide qu’à l’origine. La création de la monnaie unique portait toutefois en elle une promesse de prospérité qui n’a pas été suffisamment tenue dans tous les pays après la crise. Alors que l’euro devait engendrer une convergence « naturelle » ascendante des économies européennes, c’est au contraire, et vous l’avez souligné à plusieurs reprises, monsieur le ministre, à leur évolution divergente que nous avons assisté.
Pour remédier à cette situation, certains préconisent d’en finir avec ce qu’ils appellent le « dogme de l’austérité », refusant de voir que les dérives budgétaires individuelles des États membres sont le premier des risques pesant sur l’ensemble de l’édifice commun. La responsabilité première de tout pays ayant fait le choix d’appartenir à la zone euro reste donc de mener des politiques budgétaires non pas rigoristes, mais équilibrées, ainsi que, et surtout, des réformes structurelles visant à relever son potentiel de croissance économique. À cet égard, monsieur le ministre, je vous avoue que nos analyses concernant les réformes structurelles mises en place dans ce pays divergent.
D’autres, comme le Président de la République, prônent quant à eux une mutualisation de ces risques budgétaires par la création d’un budget de la zone euro suffisamment important pour mettre sur pied une union de transferts permanents, ou tout au moins pour assurer une fonction de stabilisation macroéconomique puissante. L’idée ne manque pas de fondement théorique. J’avoue qu’elle peut paraître séduisante, mais elle est aujourd’hui politiquement irréaliste, tant les crises qui ont marqué cette décennie ont miné la confiance entre États membres. Force est de constater que la France, au vu de son incapacité à redresser ses comptes publics et à transformer son économie, n’est sans doute pas l’avocat le plus indiqué pour défendre une telle évolution de la zone euro. Chacun sait que c’est en 1974 que la France a, pour la dernière fois, connu un budget à l’équilibre.
C’est donc avant tout en nous appuyant sur des réformes – de vraies réformes ! – que nous pourrons poursuivre le renforcement de l’union économique et monétaire et améliorer la situation économique structurelle de la zone euro, en termes de résilience et de convergence, une convergence, monsieur le ministre, que je ne perçois guère. Je dis oui à l’accord de Meseberg, oui au passage de la règle de l’unanimité à la majorité qualifiée – trois fois oui ! –, mais les résultats se font attendre…
Pour la convergence, l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux sont fondamentales. Leur achèvement permettrait de mieux absorber les chocs économiques en diversifiant les risques spécifiques aux différents pays de la zone euro, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un budget commun de stabilisation.
Chacun a pu percevoir la différence, tant dans l’analyse que dans la prospective, entre l’approche allemande et l’approche française. Je pense, pour reprendre les mots de François Villeroy de Galhau, qu’une « union de financement » contribuant à rétablir la circulation des capitaux entre les pays de la zone euro est indispensable. L’épargne excédentaire dans un pays viendrait ainsi plus facilement financer les investissements efficaces dans un autre et y soutenir la croissance, ce qui est l’un des objectifs d’une union monétaire.
Pour améliorer la qualité de ces investissements, outre la poursuite des réformes structurelles nationales, l’émergence d’une politique industrielle européenne dans les secteurs stratégiques est essentielle. Le temps me manque pour détailler précisément ces politiques, mais il est bien évident…
… que des progrès importants restent à faire dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la digitalisation de l’économie.
Enfin – c’est une question qui a été abordée par nombre de nos collègues –, la dimension de la zone euro nécessite bien évidemment que cette monnaie soit davantage utilisée dans les accords commerciaux internationaux. Dans les deux ans qui ont suivi la crise de Lehman Brothers, elle était utilisée à hauteur de 40 %, contre moins de 30 % aujourd’hui. C’est la seule véritable réponse à l’extraterritorialité des lois américaines, sur fond de fragilité de l’Organisation mondiale du commerce. Il n’y a pas d’autre solution que celle-ci.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Nous en avons terminé avec le débat sur la zone euro.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures quarante-cinq.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence du président Gérard Larcher, en déplacement à l’étranger.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’invite chacun à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles de notre assemblée : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
Jeudi dernier, le Président de la République a annoncé les mesures qu’il souhaitait mettre en œuvre à l’issue du grand débat national.
Ajoutées à la suppression intégrale de la taxe d’habitation et aux mesures prises en décembre dernier, la baisse prévue de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes et la réindexation des plus petites retraites portent la facture à plus de 25 milliards d’euros !
Le chef de l’État a esquissé quelques pistes de financement, évoquant pêle-mêle l’abrogation de certaines niches fiscales consacrées aux entreprises, un allongement de la durée de cotisation ou encore, du bout des lèvres, la réduction des dépenses publiques. Mais nul ne sait très bien aujourd’hui selon quelle méthode et quelle ventilation…
Quelles niches fiscales allez-vous raboter ou supprimer ? Le taux réduit de TVA sur les travaux de rénovation sera-t-il concerné ? Quid de l’exonération d’impôt sur les sociétés pour les organismes d’HLM et des dérogations en faveur du mécénat ?
Pour réaliser des économies budgétaires, lesquelles ne sont pour l’heure supportées que par les seules collectivités locales, le Président de la République semble surtout miser sur les taux artificiellement bas de la Banque centrale européenne. Par pur opportunisme budgétaire, Bercy dégrade ainsi ses prévisions monétaires pour se ménager plusieurs milliards d’euros de réserves budgétaires.
Monsieur le Premier ministre, la situation préoccupante de nos finances publiques exige beaucoup plus et beaucoup mieux. Quel effort budgétaire l’État consentira-t-il et à quelle hauteur ? Quels ministères seront concernés ?
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Madame la sénatrice Vermeillet, je vous remercie de votre question, qui me permet d’évoquer le financement des mesures annoncées par le Président de la République et la manière dont nous allons les mettre en œuvre.
Ces mesures, vous l’avez souligné, sont importantes. Elles viennent s’ajouter à celles qui ont été annoncées le 10 décembre dernier, à savoir l’augmentation de la prime d’activité, la diminution du taux de CSG payée par un grand nombre de retraités ou encore l’exonération des heures supplémentaires.
Notre objectif, d’ici au 1er janvier 2020, est de mettre en œuvre une baisse de l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros, de réindexer sur l’inflation les pensions de retraite de moins de 2 000 euros, puis, au 1er janvier 2021, toutes les pensions de retraite.
Nous avons fait la démonstration au cours des années précédentes de notre capacité à tenir nos engagements européens. Ainsi, pour la deuxième année consécutive, 2018 s’est terminée avec un déficit public inférieur à 3 % et égal à 2, 5 %, soit 0, 2 point de moins que les prévisions du projet de loi de finances pour 2018. L’année 2018 s’est également caractérisée, et c’est une première dans notre histoire contemporaine, par une diminution en volume de la dépense publique, à hauteur de 0, 3 %, grâce à la fois à un pilotage extrêmement strict des dépenses de l’État, à la maîtrise de l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, à hauteur de 0, 7 %, et à une amélioration des comptes sociaux de 4 milliards d’euros par rapport à 2017.
Le Premier ministre et le Président de la République ont indiqué que, pour financer les nouvelles mesures, nous procéderions de deux manières. En premier lieu, nous dégagerons des économies budgétaires sur la dépense publique. Nous l’avons fait en 2018, et nous pouvons le faire de nouveau en 2019 et en 2020. En second lieu, nous réexaminerons un certain nombre de niches fiscales dont bénéficient les entreprises, à l’exception de celles qui garantissent la compétitivité des entreprises et l’emploi.
Nous aurons à débattre de ces questions d’ici au mois de juin, à l’occasion du débat d’orientation des finances publiques. Nous serons particulièrement à l’écoute, madame la sénatrice, des propositions des parlementaires en la matière.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.
Redonner du pouvoir d’achat était un préalable indispensable, mais il s’agit maintenant de redonner de la confiance afin que ce pouvoir d’achat dope l’économie française et ne soit pas transformé en épargne.
Pour redonner de la confiance, l’État doit montrer l’exemple. Il doit prouver qu’il a la volonté de faire des économies et les réaliser. C’est à vous d’ouvrir la marche, sinon, nous allons tous la rater.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.
La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Monsieur le secrétaire d’État, vendredi dernier, quatre individus ont été mis en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils préparaient à brève échéance une attaque extrêmement violente contre nos forces de l’ordre. Trois d’entre eux seraient connus pour des faits de droit commun. Le dernier, un mineur, aurait déjà été condamné à une peine de prison pour avoir cherché à se rendre en Syrie.
Je sais que vous ne pourrez pas nous donner plus de détails sur cette affaire, confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure, mais je veux ici saluer le travail de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, qui ont permis de déjouer avec brio ce projet d’attentat contre les leurs. C’est le cinquante-huitième attentat déjoué depuis 2015. À travers la police française, c’était une fois encore toute une nation qui était visée.
Dans un contexte de forte sollicitation, nos services de renseignement et l’ensemble de nos forces de sécurité demeurent fortement mobilisés pour prévenir de nouveaux drames humains. Ils le sont depuis les terribles attentats de 2015, qui ont suscité un renforcement de notre dispositif de sécurité intérieure. Le projet d’attentat déjoué vendredi démontre une nouvelle fois l’utilité et l’efficacité de ce dispositif.
Cet épisode vient surtout nous rappeler que la menace terroriste reste présente et qu’elle nous concerne toutes et tous, non seulement en France, mais également à l’étranger. Nous pensons aux attaques perpétrées à Christchurch en Nouvelle-Zélande, mais aussi à Colombo, au Sri Lanka. Le terrorisme n’a pas de frontières, et nous sommes tous concernés.
Face à la menace terroriste toujours bien réelle, et même si le risque zéro n’existe pas, pouvez-vous nous dire si nous sommes dans cette lutte mieux armés qu’hier et nous préciser les moyens mis en œuvre pour renforcer la lutte contre ce fléau ?
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, vendredi, quatre individus – trois majeurs et un mineur – ont été interpellés alors qu’ils s’apprêtaient à commettre une action violente à l’arme automatique. Nous avions de bonnes raisons de penser qu’un passage à l’acte pouvait avoir lieu à brève échéance. Sur instruction du parquet de Paris, ces individus ont donc été interpellés. Vous comprendrez que je ne peux pas vous en dire plus.
Oui, la menace existe toujours. Elle a une forme endogène. Des individus peuvent être présents sur le territoire et passer à l’acte en réponse à la propagande de Daech. On l’a vu, Al-Baghdadi a diffusé une vidéo hier. Nous devons donc être extrêmement vigilants.
Le dispositif qui a été mis en place sous le quinquennat précédent, puis renforcé par le Président de la République et le Premier ministre, vise à faire en sorte que tous les services de renseignement travaillent ensemble, sous la coordination de la Direction générale de la sécurité intérieure. L’ensemble des individus connus pour radicalisation sont suivis par les services de renseignement.
Je tiens également à saluer le travail effectué dans l’administration pénitentiaire par le Bureau central du renseignement pénitentiaire.
L’ensemble des services échangent des informations sur les objectifs pour s’assurer que tous sont bien pris en compte et suivis.
Je précise que les moyens mis à disposition des services ont été renforcés. Ils le seront encore cette année, le budget de la DGSI augmentant de 20 millions d’euros afin de financer des dispositifs techniques de renseignement et de renforcer son dispositif humain. Le recrutement dans les services de renseignement de plus de 1 900 personnes est prévu sur le quinquennat.
Le dispositif juridique est lui aussi renforcé, grâce à la loi SILT.
Je tiens à vous rassurer, ce dispositif fonctionne puisque ces individus n’étaient pas connus uniquement pour des faits de droit commun. Ils étaient aussi suivis en raison de leur radicalisation. Ils ont été détectés dans le cadre du dispositif que je viens d’évoquer, puis judiciarisés. Les services de renseignement ont décidé de les poursuivre pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste.
Tels sont les éléments que je peux porter à votre connaissance.
À mon tour, je félicite et je remercie mes anciens collaborateurs, l’ensemble des effectifs de la Direction générale de la sécurité intérieure, qui, sous l’autorité du directeur général, puis du parquet de Paris, ont effectué un travail remarquable ayant permis de déjouer un cinquante-huitième projet d’attentat.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.
La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.
Dans le cadre de la restitution du grand débat, le Président de la République a fait part de sa volonté de mener deux réformes visant à favoriser l’apprentissage des fondamentaux à l’école. La première consiste, au sein du réseau d’éducation prioritaire, en l’extension aux grandes sections de maternelle du dispositif de dédoublement des classes actuellement mis en œuvre pour les CP et CE1. La seconde, hors REP, tend à plafonner à vingt-quatre élèves les effectifs des classes au sein de ces trois mêmes niveaux d’enseignement.
Ces mesures ont vocation à être déployées sur l’ensemble du territoire d’ici à la rentrée de 2022. Nous nous en félicitons. Les efforts consentis sont tout à fait opportuns. Toutefois, nous constatons que ces nouvelles évolutions, à l’instar de l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à trois ans, engagent certainement autant nos communes que l’État.
D’après les chiffres communiqués par les services du ministère de l’éducation nationale, le déploiement de la première mesure nécessitera la création de 6 000 classes supplémentaires, quand la seconde requerra de 3 000 à 5 000 nouvelles classes. Une classe supplémentaire, c’est un enseignant supplémentaire, mais pas uniquement ; ce sont aussi des personnels municipaux et surtout des locaux municipaux supplémentaires.
La Haute Assemblée a débuté ce jour en commission l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Il y est notamment question du soutien financier de l’État aux communes dans le cadre de l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire et de l’évolution du forfait communal alloué aux établissements privés sous contrat. Le dimensionnement de ce soutien fait largement débat auprès des maires.
Monsieur le ministre, l’annonce du 25 avril dernier a fait naître de nouvelles inquiétudes dans leurs rangs. Pouvez-vous nous apporter des premiers éléments de réponse ? Y aura-t-il un accompagnement financier significatif des communes, et ce alors que 17 milliards d’euros de nouvelles mesures fiscales vont venir grever le budget de l’État ?
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Gabriel Attal, secrétaire d ’ État auprès du ministre de l ’ éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Mireille Jouve, les annonces du Président de la République lors de sa conférence de presse constituent une étape fondamentale dans l’histoire de l’éducation nationale
Rires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Le dédoublement des classes en grande section de maternelle dans les territoires et les quartiers prioritaires va amplifier l’action menée par Jean-Michel Blanquer depuis deux ans avec le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les REP et les REP+. Nous voyons dès aujourd’hui les effets produits sur les élèves dans ces territoires : les apprentissages des fondamentaux y sont plus rapides et ces mesures permettent de lutter contre les inégalités sociales.
Ces annonces consacrent aussi le rôle de l’école comme vecteur d’égalité des territoires. À cet égard, vous avez rappelé une mesure très importante : le plafonnement à vingt-quatre du nombre d’élèves en CP et CE1 dans toutes les écoles. Cette mesure fait écho à de nombreux débats que nous avons eus ici, lors des questions orales ou à l’occasion de l’examen de textes. Nombreux sont ceux d’entre vous qui sont intervenus pour évoquer le cas d’écoles de leur territoire dont les classes comptent un grand nombre d’élèves. Nous plafonnerons ce nombre à vingt-quatre à l’avenir. C’est, je le répète, une mesure d’égalité des territoires.
Je veux insister sur un autre point.
Vous avez parlé des élus, mais vous n’avez pas rappelé une mesure très importante : l’absence de fermeture d’écoles pendant ce quinquennat sans accord du maire.
C’est aussi une mesure d’égalité des territoires et une manière de remettre l’élu local au centre du jeu. Ces six dernières années, nous avons assisté à 2 000 fermetures nettes d’écoles. Il s’agit donc d’une mesure extrêmement importante.
Enfin, sur l’abaissement de l’âge de la scolarité à trois ans, des compensations pour les communes ont été annoncées par Jean-Michel Blanquer. Elles seront prochainement déployées. Des débats ont eu lieu, avec des opinions dans les deux sens, et je suis sûr qu’ils se poursuivront lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance.
Nous devons nous réjouir de ces annonces, car s’il est un sujet qui peut nous rassembler toutes et tous, c’est bien celui de l’apprentissage des savoirs fondamentaux, qui se joue pour beaucoup dès le plus jeune âge, et de la lutte contre les inégalités.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Dans la révision générale annoncée des niches fiscales accordées aux entreprises, vous entendez maintenir en l’état le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ainsi que le crédit d’impôt recherche, afin, dites-vous, de créer des emplois. Or cette politique n’a pas produit les résultats escomptés, alors que le CIR existe désormais depuis plus de trente ans.
Ce choix a un coût pour nos compatriotes : 42 milliards d’euros pour le CICE et 6, 2 milliards d’euros pour le CIR pour la seule année 2019.
La France est championne d’Europe des aides publiques à la recherche et développement aux entreprises, sans résultats probants au regard de nos voisins. Pour financer ces aides, vous voulez couper dans les dépenses publiques, utiles à tous. Selon l’OFCE, l’effort s’élève à plus de 20 milliards d’euros. La transformation en allégement de cotisations va mettre en péril le financement et le fonctionnement de notre système de protection sociale.
Si ces dépenses créaient de l’emploi, aidaient en priorité les petites et moyennes entreprises, soutenaient les artisans de nos territoires, nous pourrions porter sur elles un regard bienveillant, mais cette ponction d’argent public n’a qu’un effet très limité sur l’emploi et profite d’abord aux plus grandes entreprises. De même, le crédit d’impôt recherche est de plus en plus utilisé comme levier par les grandes multinationales pour faire financer leur recherche par l’État français avant de transférer, dans de trop nombreux cas, leur production dans des pays à bas coût.
Vous sachant féru de musique et de rock, monsieur le Premier ministre, je vous laisse méditer ces paroles de Kurt Cobain : « Une idéologie est un système de pensée cohérent avec lui-même, mais non avec la réalité. »
Pourquoi vous obstinez-vous à maintenir de telles mesures injustes et inefficaces ?
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Monsieur le sénateur Bocquet, vous ne serez pas surpris si je vous dis que nous ne partageons pas votre constat sur deux points.
Tout d’abord, à compter de 2019, le CICE n’est plus un crédit d’impôt. Nous l’avons transformé en allégement pérenne de cotisations payées par les entreprises. C’est la raison pour laquelle, cette année, son coût pour les finances publiques s’élève à 40 milliards d’euros, puisque nous soldons aussi le crédit d’impôt dû au titre de l’année 2018. Nous considérons que le CICE, créé en 2013, dont la pérennisation sous forme d’allégement de cotisations avait été annoncée dès 2016, a été un outil utile pour préserver l’emploi et améliorer la compétitivité des entreprises.
Ensuite, concernant le crédit d’impôt recherche, nous considérons aussi que c’est un outil particulièrement efficace pour maintenir la compétitivité et le développement de programmes de recherche dans les entreprises et permettre ainsi à l’industrie et à l’économie françaises d’être plus fortes sur les scènes européenne et internationale. Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé que certaines niches fiscales dont bénéficient les entreprises allaient être soumises à un examen, à l’exception de celles que j’ai évoquées, avec comme souci majeur de préserver la compétitivité.
Nous ne toucherons pas non plus aux niches fiscales en faveur des ménages, qu’il s’agisse de celles qui donnent du pouvoir d’achat, de celles qui accompagnent la rénovation thermique ou de celles qui permettent l’emploi de salariés à domicile.
Les mesures annoncées le 10 décembre dernier ont déjà été financées, à hauteur de 10 milliards d’euros. Les autres mesures, qui représentent de 7 milliards à 8 milliards d’euros, seront financées par la révision des niches que je viens d’évoquer et par des économies sur la dépense publique.
Nous le ferons en maintenant la trajectoire budgétaire et en respectant les engagements pris par le Président de la République pour améliorer le pouvoir d’achat des Français. Nous le ferons de concert avec le Parlement et, comme je le disais à Mme Vermeillet, nous attendons vos propositions.
Enfin, si j’en crois le sourire du Premier ministre, il semblerait que votre choix de citer Kurt Cobain ait plutôt été de bon aloi, monsieur Bocquet. Il se pourrait même que vous ayez réussi à lui faire atteindre une sorte de nirvana…
Sourires et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
M. Éric Bocquet. Malheureusement, votre réponse ne nous fait pas toucher le nirvana, monsieur le secrétaire d’État.
Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Selon France Stratégie, 111 milliards d’euros ont été accordés aux entreprises sous forme de créances fiscales entre 2013 et 2018 pour 100 000 emplois créés. Et nous avons appris il y a quelques minutes que le géant de la distribution Auchan annonce, dans ma région, la suppression de 720 emplois sur vingt et un sites. Je rappelle que ce groupe a touché 88 millions d’euros de CICE !
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, à l’origine de la conférence de presse tenue la semaine dernière par le Président la République, on trouve cinq mois de crise sociale sans précédent, une crise dont vous n’êtes certes pas intégralement responsable, mais qui a été déclenchée et amplifiée par votre politique. Pour y répondre, le Président, qui dit « découvrir les problèmes du pays », reste convaincu que sa politique va dans le bon sens. Il ne nous a pas convaincus, pas plus que les Français d’ailleurs.
Je prendrai deux exemples.
D’abord, le pouvoir d’achat : pas une fois le mot « salaire » n’est apparu dans les propos du Président de la République. Pour ce qui concerne les retraites, il faudra dorénavant travailler plus pour avoir une retraite à taux plein. Quant à leur réindexation, elle est remise à plus tard et ne concernera pas toutes les pensions. Il n’a pas fallu autant de tergiversations pour rejeter le rétablissement de l’ISF, pourtant souhaité par les Français.
Ensuite, les services publics et les territoires : alors qu’il faudrait entendre les élus locaux, vous leur demandez de faire plus avec encore moins.
Tout à l’heure, M. Attal nous a parlé de la non-fermeture des écoles. Toutefois, au-delà du buzz, il oublie de rappeler qu’il y aura toujours des fermetures de classes dans les écoles, comme M. Blanquer l’a rappelé voilà quelques jours, et que c’est bien souvent en milieu rural qu’elles interviennent. C’est donc déjà une promesse non tenue.
Vous avez enfin entendu la proposition des socialistes, mais également de personnalités comme M. Hulot, qui souhaitaient la réunion d’une grande conférence sociale, territoriale et environnementale. J’espère qu’elle mettra fin à vos projets sur les retraites et sur l’assurance chômage. Mais pourquoi ne pas commencer par aborder un vrai sujet, celui des salaires, et faire en sorte que des engagements publics soient pris et tenus ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le sénateur, vous le savez, vous l’avez dit vous-même dans votre intervention, la crise des « gilets jaunes » est une crise inédite qui a révélé bien des inquiétudes qui traversent notre pays. Au cours de cette crise, nos concitoyens ont exprimé une triple inquiétude concernant l’injustice fiscale, sociale et territoriale.
Dès le 10 décembre 2018, avec un premier train de mesures, puis lors de sa conférence de presse de la semaine dernière, le Président de la République a ouvert certains chantiers pour l’avenir et annoncé des mesures extrêmement concrètes.
Ces annonces ont été complétées, à la suite du séminaire de la majorité et du Gouvernement, par un calendrier d’efficacité présenté par le Premier ministre, qui permet de mettre sur les rails de manière opérationnelle et concrète l’ensemble des annonces du Président de la République. Celles-ci nous permettent de répondre à l’injustice fiscale, avec une baisse très concrète de l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros dès le 1er janvier 2020, mais aussi à l’injustice sociale. En la matière, vous avez oublié un peu vite, monsieur le sénateur, en parlant de la question des salaires, l’augmentation de 100 euros de la prime d’activité.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
C’est in fine de l’argent en espèces sonnantes et trébuchantes dans la poche des Français. C’est donc une réponse de justice sociale !
Vous avez également oublié de mentionner les pensions alimentaires, qui pourront désormais être recouvrées directement par un tiers, en l’occurrence la Caisse d’allocations familiales. C’est une réponse importante pour les femmes qui sont dans des situations désespérées lorsque leur conjoint ne verse pas la pension alimentaire.
Enfin, sur la question de l’injustice territoriale, monsieur le sénateur, vous omettez de parler du lancement d’une nouvelle étape de la décentralisation, …
Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d ’ État. … à laquelle nous sommes attachés et qui permettra de résoudre ces inégalités.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.
L’actualité est marquée par l’effroyable attentat du 21 avril dernier au Sri Lanka, la vidéo menaçante du calife Abou Bakr Al-Baghdadi, la multiplication des attaques terroristes au Sahel et leur extension préoccupante dans plusieurs pays d’Asie. Elle confirme, comme l’avaient annoncé de nombreux spécialistes du renseignement, que la défaite sur le terrain de l’État islamique en Syrie et en Irak ne signe pas la fin du terrorisme international, mais qu’elle pourrait bien au contraire préluder à sa recrudescence et à une nouvelle stratégie de globalisation.
La France, nous le savons tous pour l’avoir chèrement payé, est une des cibles principales, d’abord parce qu’elle est une terre occidentale de liberté, mais aussi en raison de son action contre le terrorisme dans le monde entier. Notre pays est en première ligne dans la zone stratégique constituée par plusieurs pays sahéliens : il a activement combattu les djihadistes au Moyen-Orient. La visite du président du Sénat et de sa délégation, qui rencontreront aujourd’hui ou demain les militaires de l’opération Chammal pour les remercier et les féliciter, en est l’illustration.
En France même, les forces de l’ordre continuent d’être l’une des cibles privilégiées du terrorisme, comme en témoigne l’attentat préparé contre elles et déjoué vendredi dernier. Je voudrais à mon tour saluer le dévouement et l’efficacité de nos services de sécurité. Mais elles ne sont pas bien sûr les seules visées.
Compte tenu des signes convergents que semblent indiquer ces actualités, pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, faire le point sur la situation de la menace terroriste et nous dire si elle appelle de la part du Gouvernement des mesures particulières, en France bien sûr, mais aussi à l’étranger. Faut-il en particulier adapter notre soutien aux pays du Sahel, dont certains sont dans une situation critique ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.
Nous avons tous été choqués par la violence des attentats de Pâques au Sri Lanka. Pour avoir vu dans notre pays, et parfois connu directement, de tels attentats, pour avoir vécu de telles scènes, nous nous faisons une représentation très claire de l’horreur qui s’est déchaînée au Sri Lanka, et nous adressons évidemment toute notre sympathie et notre amitié aux autorités et, plus largement, au peuple sri-lankais confronté à cette vague de violences terribles.
Vous évoquez, monsieur le président Malhuret, la menace terroriste à l’étranger et sur notre territoire. Cette menace, vous avez raison, se caractérise par sa permanence et sa prégnance. Il est singulier de constater que, dans les périodes de calme – il y en a parfois –, le rappel du caractère imminent de cette menace terroriste donne parfois le sentiment à certains que l’on voudrait jouer sur les peurs. Mais lorsque, malheureusement, un attentat se produit ou que, heureusement, un attentat est déjoué, on se rend compte que cette menace est puissante et permanente.
À l’étranger, nous pouvons aider un certain nombre d’États à lutter contre la menace terroriste, laquelle ne manquerait pas d’avoir des répercussions dans notre propre pays. Nous le faisons par des politiques d’échange d’informations entre services de renseignement avec un très grand nombre d’États dans le monde. Cette capacité à travailler en confiance avec d’autres services de renseignement sur ces aspects est absolument cruciale, les services français le font avec beaucoup de rigueur et de sérieux, et c’est un élément très important de notre défense collective.
Nous nous sommes également engagés militairement dans la lutte contre le terrorisme en Syrie, où Daech a été vaincu, et nous devons nous en réjouir. Toutefois, vous avez raison de le souligner, monsieur le président Malhuret, la défaite militaire de Daech en Syrie ne fait pas disparaître la menace terroriste à l’étranger, et encore moins en France. D’autres zones dans le monde sont ou deviennent des réservoirs et des lieux de non-droit qui peuvent voir tel ou tel groupe se développer, telle ou telle alliance se reconstituer, telle ou telle cellule se former. C’est la raison pour laquelle, après l’intervention décidée par le précédent Président de la République, François Hollande, au Mali, nous sommes restés sur place pour accompagner la lutte contre les mouvements terroristes et éviter la recomposition de cellules ou de routes qui viendraient nous impacter directement.
Sur le plan national, nous sommes confrontés à une menace endogène. Certes, le califat a disparu, mais nous savons que, partout en France, il peut y avoir des basculements, des passages à l’acte – nous l’avons constaté à Strasbourg en décembre dernier – et qu’il est très difficile de les prévenir ou de les identifier. Nous savons aussi que les services français se livrent à un travail remarquable de concentration, de sérieux et de vigilance. Depuis 2015, près de cinquante-huit attentats ont été déjoués. Ce sont des victoires silencieuses, mais de réelles victoires, dont nous devons nous féliciter. Saluons le remarquable travail de ceux qui, souvent dans l’ombre, nous protègent efficacement en investissant le meilleur d’eux-mêmes dans une lutte quotidienne, sans pour autant nous faire d’illusions sur la possibilité d’atteindre un hypothétique risque zéro, qui n’existe pas.
Nous accompagnons ce travail, juridiquement, financièrement et sur le plan organisationnel. Mesurons bien l’effort !
Juridiquement, ce sont la loi SILT et la sortie de l’état d’urgence. Ce texte nous a permis de disposer d’un dispositif juridique armé en dehors d’une loi d’exception datant de 1955.
Financièrement, nous accordons plus de moyens, notamment à la DGSI : 1 900 recrutements supplémentaires sur la durée du quinquennat. Ce sont plus d’hommes et de femmes, plus de compétences, plus de capacités pour bloquer des évolutions vers la radicalisation ou le passage à l’acte.
Nous œuvrons également à une plus grande efficacité opérationnelle en créant le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et en confiant à la DGSI le rôle de coordination opérationnelle. Cela peut sembler être des mots, mais cette coordination a effectivement donné des résultats dans la lutte contre le terrorisme. Les mesures sur le renseignement pénitentiaire sont également décisives et la création du Parquet national antiterroriste permettra, du point de vue judiciaire, une meilleure coordination des procédures.
Enfin, monsieur le président Malhuret, on ne combat pas la menace terroriste simplement par des mesures sécuritaires ou judiciaires. Nous en avons parfaitement conscience. Cela passe aussi, pour la menace externe, par des politiques de coopération et d’aide au développement. Le soutien à des politiques locales de développement économique et culturel pourrait ne pas sembler à la hauteur de la tâche, mais c’est en réalité le seul moyen de lutter efficacement contre cette menace dans la durée.
Sur le territoire national, nous voulons nous livrer à une lutte sans merci contre tous ceux qui veulent remettre en cause le pacte républicain. Depuis février 2018, nous avons fermé quatre écoles hors contrat où nous avions des raisons de penser que des thèses pouvant conduire à la radicalisation étaient développées. Nous avons fermé sept lieux de culte, huit établissements culturels ou associatifs et quatre-vingt-neuf débits de boisson pour les mêmes raisons.
La loi d’avril 2018, adoptée sur l’initiative d’une de vos collègues, Mme Gatel, a permis d’engager quinze procédures d’opposition à des écoles dont nous avions des raisons de penser qu’elles ne respecteraient pas le pacte républicain et qu’elles pourraient constituer des lieux de radicalisation.
Autrement dit, oui, la menace est permanente. Je ne dis pas cela pour faire peur, mais parce que je vous mentirais si j’affirmais le contraire. Soyez néanmoins assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la totale détermination des forces de sécurité et de tous ceux qui concourent à la sécurité de notre pays : ils entendent être à la hauteur des enjeux et offrir le plus haut niveau de sécurité possible à nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.
La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour le groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à M. le ministre de la culture.
Le soir du dramatique incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, le chef de l’État s’est engagé à une restauration complète de la cathédrale dans un délai de cinq ans. J’avais alors pensé qu’une émotion bien légitime avait occulté un réalisme de bon aloi, compte tenu de l’absence totale de diagnostic quant aux dommages subis. Mais cette détermination affichée s’est confirmée dans les jours qui ont suivi par le dépôt d’un projet de loi rédigé à la hâte, pourvu d’une étude d’impact sommaire et soumis à une procédure accélérée.
Or ce texte opère des choix qui m’apparaissent aussi étonnants que dangereux. Outre qu’il confie la mission de reconstruction à un établissement public créé pour l’occasion, alors que l’Oppic ou le CMN seraient des opérateurs tout à fait compétents pour ce rôle, il prévoit, à son article 9, des « mesures d’aménagement ou de dérogation en matière d’urbanisme, d’environnement, de construction et de préservation du patrimoine ». Monsieur le ministre, de quels aménagements et dérogations s’agira-t-il ?
La protection de nos monuments historiques est assurée par un ensemble de lois et de règles déontologiques issues d’une très longue tradition française. La France figure parmi les pionniers en la matière, et il serait très périlleux d’initier des dérogations, qui plus est par voie d’ordonnances, moyen redoutable d’éviter le débat.
La France dispose par ailleurs des meilleurs spécialistes de la protection du patrimoine, y compris dans votre ministère. Je m’interroge donc également sur le concours international d’architecture envisagé pour reconstruire la flèche de la cathédrale. Prenons garde, monsieur le ministre, qu’après avoir connu l’outrage des flammes l’intégrité de Notre-Dame ne soit pas mise à mal par des innovations visant à la rendre, selon l’expression même du Président de la République, « plus belle encore ». Permettez-moi également de vous interroger sur le sens de cette expression dans ce contexte.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. - M. Martial Bourquin et Mme Françoise Laborde applaudissent également.
Lundi 15 avril, nous avons tous été bouleversés par les images de Notre-Dame de Paris en flammes. Comme vous le savez, monsieur le sénateur Leleux, sans le travail extraordinaire, le courage, la compétence et le sang-froid des sapeurs-pompiers de Paris, le drame aurait pu être bien pire qu’il n’a été.
Depuis l’incendie, le travail des équipes du ministère de la culture a également permis, en liaison avec les sapeurs-pompiers de Paris et de toute l’Île-de-France, de sécuriser Notre-Dame de Paris pour éviter que le drame ne soit plus grave encore.
Depuis, nous avons pris rapidement un certain nombre de dispositions, notamment au travers de la loi que nous allons vous soumettre pour faire en sorte d’avoir un dispositif spécifique pour accompagner la générosité des Français pour Notre-Dame de Paris, en particulier sur le plan fiscal.
La question porte sur la loi !
Nous débattrons ensemble des dispositifs que nous avons prévus, qui nous permettront d’avoir le meilleur dispositif législatif pour restaurer de la meilleure façon possible Notre-Dame de Paris.
Je suis le garant des principes fondamentaux de la préservation du patrimoine. Vous pouvez compter sur moi pour que tous les dispositifs qui visent à préserver le patrimoine soient respectés pour Notre-Dame de Paris, en liaison avec les équipes du ministère de la culture, les architectes en chef des monuments historiques et les architectes des Bâtiments de France, qui œuvrent en ce moment même à la sauvegarde de Notre-Dame de Paris. Toutefois, ne nous privons pas de dispositifs qui nous permettront effectivement de restaurer Notre-Dame de Paris à la hauteur de ce qu’elle représente pour l’humanité.
M. Franck Riester, ministre. Concernant la flèche, laissons la créativité des architectes s’exprimer
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Franck Riester, ministre. … et, le moment venu, décidons de la restaurer à l’identique ou de tenir compte des gestes architecturaux proposés.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste. - Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe La République En Marche.
Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
La faculté de médecine des Antilles et de la Guyane, dénommée Hyacinthe Bastaraud, existe depuis 1988. Elle doit désormais jouer pleinement son rôle dans la formation des futurs médecins de la région.
Actuellement, nos étudiants partent vers l’Hexagone à partir de la quatrième année afin de poursuivre leur parcours. Ils sont ainsi accueillis dans des universités déjà surchargées et, avec la réforme du numerus clausus, l’accueil de nos étudiants deviendra encore plus difficile. Pour rappel, le numerus clausus est à ce jour de 140 pour les Antilles et de 20 pour la Guyane. De plus, le départ des étudiants en métropole ne favorise pas leur retour sur nos territoires, qui manquent pourtant cruellement de médecins. En effet, seule une moitié d’entre eux choisit de revenir. La faculté a pourtant acquis un savoir-faire de qualité et elle aspire légitimement à une évolution à la mesure des besoins de la région. Nous disposons également d’une recherche épidémiologique et clinique d’excellence.
Madame la ministre, l’université doit s’inscrire pleinement dans la déclinaison régionale de la stratégie de transformation du système de santé et offrir une formation complète et de qualité.
Dans le contexte actuel, il est difficile d’attirer ou de retenir les meilleurs spécialistes dans nos territoires et de nourrir le réseau des médecins de ville et des praticiens hospitaliers. L’accès de nos patients aux surspécialités de recours, mais aussi à une médecine de proximité, en est obéré. Par ailleurs, l’enjeu du positionnement des pays avoisinants est crucial, tant du point de vue de la recherche que du bassin de population de nos hôpitaux.
Cette demande vous a déjà été adressée par l’université des Antilles. Il s’agit, pour cette institution, du projet le plus important pour les années à venir, inscrit dans sa stratégie de développement et d’ouverture à l’international, et qui permettra d’affirmer son ancrage dans la zone caraïbe.
M. Dominique Théophile. Ma question sera donc la suivante : à quand la mise en place d’une faculté de médecine Antilles-Guyane de plein exercice ?
MM. Antoine Karam et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.
Monsieur le sénateur Dominique Théophile, l’université des Antilles dispose d’un premier et d’un troisième cycle d’études médicales. Durant le deuxième cycle, les étudiants sont envoyés sur l’ensemble du territoire métropolitain pour acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leur profession.
L’application de la loi de 2015 est en cours d’examen par une mission parlementaire, de manière à s’assurer que la séparation entre l’université des Antilles et celle de la Guyane suit son cours. J’ai moi-même demandé à François Weil de conduire une mission auprès de l’université des Antilles. Pour le Gouvernement, il est effectivement extrêmement important de s’assurer du développement du système de soins et de la formation en santé au sein de l’université des Antilles.
En 2011, celle-ci comptait 18 PU-PH et 29 en 2018. Les personnels hospitalo-universitaires affectés à l’université des Antilles ont augmenté de plus de 46 %. L’essentiel, pour le Gouvernement, est de garantir la présence de terrains de stage suffisants pour assurer une formation médicale complète au sein de l’université des Antilles.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi Santé, un amendement a été proposé par des députés et intégré dans le texte. Il nous permettra de produire un rapport précis sur la pertinence de l’ouverture d’une formation complète en médecine, notamment au regard du rayonnement de l’université des Antilles dans l’arc caraïbe.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Après la conférence de presse du Président de la République et le séminaire gouvernemental, du flou, toujours du flou, mais pas sur le dérapage des déficits publics !
Au moment où la croissance faiblit, vous avez fait le choix de creuser le déficit. Comme l’indiquait un ancien rapporteur général de la Cour des comptes interrogé à la suite de vos annonces, le déficit public se dégrade et la politique budgétaire française menace la cohérence de la zone euro à long terme. Pourtant, le candidat Emmanuel Macron le disait lui-même : ne pas réduire nos dépenses courantes et notre dette serait irresponsable pour les générations à venir. Il avait raison !
Mais, deux ans après ces belles paroles, l’État dépense encore plus que sous la présidence de François Hollande – il faut tout de même le faire ! §–, et sans réaliser d’économies structurelles. Ainsi, comment allez-vous financer la suppression de 23 milliards d’euros de recettes de taxe d’habitation et, surtout, quelles sont les compensations pour les collectivités territoriales ? À la fin de 2018, vous tentez d’acheter la paix sociale avec un chèque de 10 milliards d’euros ; aujourd’hui, vous annoncez 5 milliards d’euros de réductions d’impôts : là encore, comment ces mesures seront-elles financées ? La réalité, c’est que c’est la dette qui paye. Autrement dit, vous créez de l’impôt pour nos enfants, à l’égard de qui vous vous déresponsabilisez.
Vous aviez promis le réenchantement, une révolution destinée à construire la prospérité du XXIe siècle. Le soulèvement populaire récent, le déclassement d’une partie des Français, l’inquiétude de nos concitoyens pour leur avenir illustrent l’effondrement de cette illusion… Monsieur le Premier ministre, quelle France voulez-vous transmettre aux générations futures ? Quel est votre objectif en matière de dette pour la fin du quinquennat ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Monsieur le sénateur Chevrollier, vous dressez un tableau sombre, …
… qui ne reflète pas la réalité de la situation des comptes de la France. Permettez-moi de le montrer en m’appuyant sur quatre chiffres.
D’abord, en 2018, l’année comptable s’est terminée sur un déficit s’élevant à 2, 5 % du PIB, au lieu des 2, 7 % prévus dans le projet de loi de finances. C’est la deuxième année consécutive que la France respecte son engagement de contenir son déficit au-dessous de 3 % du PIB. Cela n’était pas arrivé depuis 2006.
Ensuite, toujours en 2018, la dépense publique a diminué en volume de 0, 3 %, ce qui est une première dans l’histoire contemporaine. Cela s’explique par la maîtrise des dépenses de l’État et par le fait que les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales n’ont augmenté que de 0, 7 %
Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.
Enfin, les comptes de la sécurité sociale se sont améliorés à hauteur de près de 4 milliards d’euros par rapport à 2019 et le taux des prélèvements obligatoires est passé de 45, 2 % à 45 % du PIB, ce qui signifie que la pression fiscale sur nos compatriotes a commencé à diminuer.
Monsieur le sénateur, ces quatre chiffres témoignent que le tableau que vous avez brossé ne correspond pas à la réalité de la situation des comptes publics.
Quelle France voulons-nous laisser aux générations futures ? avez-vous demandé. Si vous le permettez, je parlerai plutôt de la France que nous voulons construire. Nous voulons construire une France qui soit maîtresse de son destin, et non à la merci des marchés et d’un endettement public trop important, transmis de génération en génération. Nous voulons construire une France où la dépense publique soit efficace, synonyme de solidarité, d’attention portée aux plus fragiles, d’accompagnement du développement et du progrès de chacun dans notre société. Ces objectifs, nous les atteindrons par la rigueur et la maîtrise des comptes. Les comptes des exercices 2017 et 2018, ainsi que ceux de 2019, avec les pistes de financement des mesures que j’ai évoquées en réponse à la question de Mme la sénatrice Vermeillet, démontrent que nous pouvons y parvenir, sans renoncer à nos objectifs comptables et politiques.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, vous serez jugés sur les résultats de votre politique à la fin du quinquennat. Aujourd’hui, vous ne maîtrisez pas la dépense publique, alors que vous devriez la diminuer. La majorité sénatoriale vous fait des propositions : écoutez-nous ! Pour l’heure, au lieu de montrer l’exemple en matière de gestion publique, le Gouvernement et le Président de la République donnent des leçons à nos partenaires européens !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales vient de publier les conclusions de sa dernière enquête de victimation. Les chiffres sont inquiétants : la délinquance a explosé en 2018 par rapport à l’année 2017, qui marquait déjà une très forte hausse du nombre des actes délictueux.
Augmentation de la délinquance et malaise croissant au sein des forces de l’ordre, dont certains membres vont jusqu’à se suicider, tiennent à la même cause : une incapacité à prendre en compte les besoins de ceux qui nous protègent. Le Président de la République, pendant sa très longue intervention de la semaine dernière, n’a pas fait allusion à la question de la sécurité des Français.
Monsieur le Premier ministre, la responsabilité de cet échec incombe à votre gouvernement. Il est inutile de me répondre que cette hausse de la délinquance est la faute des « gilets jaunes » : en 2017, il n’y avait pas de « gilets jaunes » ! Il est inutile de me répondre qu’elle vient de loin : l’augmentation de la délinquance ne peut être considérée comme une fatalité !
Comptez-vous, monsieur le Premier ministre, revoir la feuille de route des ministères de l’intérieur et de la justice, afin de mettre un terme à l’accroissement de l’insécurité dans notre pays ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Ainsi, le nombre des cambriolages a baissé, de même que celui des atteintes aux biens ou des vols dans les véhicules.
Sans doute faites-vous une confusion avec le premier trimestre de 2019, au titre duquel nous enregistrons effectivement une hausse des items de la délinquance, notamment des atteintes aux biens et des cambriolages.
Nous avons bien conscience que le travail des policiers et des gendarmes est devenu bien plus difficile, avec la menace terroriste et l’émergence de nouvelles menaces liées notamment à la cybercriminalité, avec les nouvelles missions qui leur sont dévolues, comme la gestion de l’ordre public, qui les amène souvent à devoir faire face à des violences urbaines, à des émeutes.
Nous devons préparer les forces de l’ordre à répondre à ces exigences. À cet égard, vous omettez, dans le panorama que vous dressez, la création de 10 000 emplois sur l’ensemble du quinquennat, la mobilisation de moyens budgétaires supplémentaires, à hauteur de 300 millions d’euros par an, que nous allons investir dans l’immobilier pour la police nationale et la gendarmerie nationale. En outre, nous déchargeons policiers et gendarmes de tâches indues, notamment des tâches procédurales et administratives ou des gardes statiques, pour qu’ils puissent être présents sur le terrain, auprès de nos concitoyens, et lutter effectivement contre la délinquance.
Nous engageons donc énormément de moyens en faveur des policiers et des gendarmes. Nous concevons de nouvelles doctrines opérationnelles pour en finir avec le travail en « tuyaux d’orgue » qui prévalait encore trop souvent auparavant. En matière de lutte antiterroriste, comme l’a indiqué le Premier ministre, nous déployons des dispositifs de coopération opérationnelle. Je pourrais aussi longuement développer tout ce que nous faisons en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. Les services apprennent à travailler ensemble pour obtenir de meilleurs résultats dans la lutte contre la délinquance. Sur certains territoires, le nombre des réseaux de trafic de stupéfiants démantelés, ceux-là mêmes qui gangrènent nos cités et causent tant de problèmes à nos concitoyens, a été multiplié par cinq.
Policiers et gendarmes sont efficaces, de même que la politique du Gouvernement en matière de sécurité intérieure.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le secrétaire d’État, une commission d’enquête du Sénat a fait à la fois un constat et des propositions au Gouvernement pour lutter efficacement contre le malaise des forces de l’ordre et l’augmentation de la délinquance.
Vous le savez d’expérience, vous n’aurez pas de résultats si le management de la police n’est pas profondément revu, si la réponse pénale aux actes délictueux n’est pas certaine et, enfin, si une loi de programmation sur la sécurité intérieure ne vient pas apporter aux policiers et aux gendarmes les moyens dont ils ont besoin. Si tout ne peut pas être rattrapé rapidement, il est nécessaire d’ouvrir une perspective positive pour redonner le moral à nos forces de l’ordre.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Mme la présidente. La parole est à M. André Vallini, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la ministre des armées, depuis quatre ans, une guerre fait rage au Yémen. Elle a fait plus de 70 000 morts à ce jour, dont une grande majorité de civils – des femmes, des enfants, des vieillards… Le Yémen connaît en outre aujourd’hui une crise humanitaire et alimentaire qui est, selon plusieurs ONG, la plus grave de l’histoire contemporaine.
Cette guerre est conduite, chacun le sait, par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au moyen d’avions, de bombes, de canons, de navires, d’armements fabriqués en France : chars Leclerc, corvettes Baynunah, Mirages 2000, radars Cobra, blindés Aravis, hélicoptères Dauphin, canons Caesar, d’autres matériels encore… Les navires sont notamment utilisés pour exercer un blocus des livraisons de nourriture et de médicaments, qui peut être considéré, en vertu des critères de l’ONU, comme un crime de guerre.
Je rappelle que le traité sur le commerce des armes, dont la France est signataire, interdit aux États parties d’exporter du matériel militaire s’il existe un risque que ce matériel soit utilisé pour perpétrer des violations graves et répétées du droit international humanitaire, violations dont la France pourrait donc être complice au Yémen. Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous garantir que tel n’est pas le cas ?
Monsieur le sénateur, vous l’avez dit avec vos mots, la situation au Yémen est épouvantable. Cette guerre doit cesser !
La France est depuis longtemps engagée en faveur du processus de paix. Le Gouvernement a encore récemment reçu l’envoyé spécial de l’ONU, M. Griffiths. Il lui a réitéré son plein soutien dans sa mission ô combien difficile.
Croire que cet horrible conflit disparaîtrait si la France mettait fin à son partenariat avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis est faux. §On ne peut pas abandonner des pays qui font eux-mêmes face à des menaces telles que celle d’Al-Qaïda, organisation terroriste qui nous a frappés sur notre propre sol en 2015.
Le Gouvernement n’a jamais nié la présence d’armes d’origine française au Yémen. Ce que j’ai dit et ce que je répète, c’est que, aujourd’hui, nous n’avons pas de preuves que ces armes ont été employées contre les populations civiles.
Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Vous le savez fort bien, monsieur le sénateur Vallini, pour avoir vous-même exercé des fonctions gouvernementales au Quai d’Orsay : l’autorisation d’exporter des armes n’est accordée qu’après un examen interministériel rigoureux, auquel participe le Quai d’Orsay. Cet examen tient compte de différents critères : la nature des matériels, l’identité de l’utilisateur final, le respect des droits de l’homme, la stabilité régionale, la nécessité de lutter contre le terrorisme, ainsi que la sécurité des civils.
Nous avons un dialogue très franc avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sur l’urgence de sortir de ce conflit, car la France n’a qu’un objectif : la fin de cette guerre.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.
Madame la ministre, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Norvège, la Belgique, le Canada ont suspendu tout commerce d’armements avec l’Arabie saoudite. Pourquoi la France n’en fait-elle pas de même ?
J’ajoute que des journalistes français qui enquêtent sur ce dossier sont actuellement inquiétés par la DGSI. On ne peut que dénoncer cette atteinte à la liberté de la presse !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Le Président de la République a fait un certain nombre d’annonces. Il a notamment essayé de rassurer les maires et les élus. Mais ceux-ci, notamment les élus ruraux, se demandent quel sera leur statut à l’avenir et surtout quels moyens financiers se verront attribuer les collectivités territoriales. Pouvons-nous aujourd’hui obtenir quelques éléments d’information sur ces deux points ? Les ressources des collectivités territoriales seront-elles encore une fois affectées au nom de la volonté de faire des économies ?
Par ailleurs, le Président de la République souhaite mettre en œuvre une nouvelle loi de décentralisation améliorant le dispositif de la loi NOTRe, qui pose problème. Selon quel calendrier ? Quelles compétences seraient concernées ?
En outre, avec la suppression de la taxe d’habitation, l’impôt sur le foncier est la seule ressource financière qui reste aux maires. Compte tenu des économies demandées et du peu de ressources fiscales dont ils disposent, les maires des petites communes ne savent plus comment financer leurs projets. Cette perte d’autonomie financière s’ajoute aux difficultés à se faire entendre au niveau des intercommunalités. La crise des vocations risque de se faire fortement sentir lors des prochaines élections municipales.
J’espère, monsieur le Premier ministre, que vous avez conscience de la lassitude de ces élus et de la difficulté de mettre en place une véritable politique de développement local. À moins d’un an des prochaines élections municipales, il devient urgent d’exposer aux élus ruraux et aux futurs candidats de quelles ressources pourront bénéficier les collectivités. Il y va de notre démocratie, car pour présenter un projet municipal, il faut savoir sur quelles ressources on peut compter. Sinon, il ne s’agira que de promesses qui ne pourront être tenues !
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Monsieur le sénateur Luche, vous avez évoqué la nature et l’intensité du lien entre l’État et les collectivités territoriales.
Permettez-moi de vous répondre en trois points, évoqués hier lors du séminaire du Gouvernement par le Premier ministre, à la suite des décisions annoncées par le Président de la République.
Nous avons devant nous trois chantiers en ce qui concerne les relations entre l’État et les collectivités territoriales.
Le premier porte de manière extrêmement précise sur le statut de l’élu, en particulier du maire, et l’apport d’un certain nombre de corrections, d’améliorations aux textes qui régissent l’organisation territoriale. Vous avez évoqué la loi NOTRe : ce texte, que je connais bien et qui a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat à l’issue d’une commission mixte paritaire, gagnera certainement à être amélioré pour corriger certains points qui peuvent parfois apparaître comme irritants. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, conduira une concertation dans les semaines qui viennent en vue d’aboutir avant 2020 et les élections municipales, de manière à donner de la lisibilité aux élus.
Un deuxième chantier à ouvrir concerne la clarification de la répartition des compétences et la capacité des territoires à bénéficier d’un principe de différenciation. Cela renvoie à la révision constitutionnelle que le Gouvernement a présentée et sur laquelle nous aurons à revenir, mais aussi à une concertation, territoire par territoire, avec les collectivités, qui sera menée, dans les mois à venir, par la ministre chargée de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault.
Enfin, s’agissant des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales, je rappellerai d’abord que le Gouvernement maintient l’enveloppe globale des dotations aux collectivités et que celle-ci a même augmenté de 500 millions d’euros entre 2017 et 2019. Nous nous inscrivons dans une volonté de contractualisation et de responsabilisation des collectivités territoriales. Les chiffres de 2018 montrent que nous avons gagné notre pari à cet égard.
Ensuite, s’agissant de la taxe d’habitation, nous aurons, avec Sébastien Lecornu, à rouvrir un cycle de négociations et de concertations avec les associations d’élus, de manière que le projet de loi de finances pour 2020 apporte des réponses et détermine le dispositif de compensation, l’objectif étant de tenir l’engagement du Président de la République d’assurer des ressources stables, pérennes et justes aux collectivités locales pour qu’elles puissent mener leurs politiques et répondre aux besoins de nos concitoyens.
Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 7 mai et seront retransmises sur Public Sénat, le site internet du Sénat et Facebook.
Je vais suspendre la séance. Elle sera reprise à dix-sept heures cinquante-cinq pour un débat sur le thème : « Quelle politique de lutte contre la pollution et de recyclage du plastique et, plus généralement, quelle utilisation du plastique en France ? »
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Philippe Dallier.
La parole est à M. Joël Bigot, pour une mise au point au sujet de votes.
Monsieur le président, je souhaite procéder à deux rectifications de votes concernant le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.
Lors des scrutins n° 80 et 81, Mme Laurence Rossignol et M. André Vallini ont été comptabilisés comme s’étant abstenus, alors qu’ils souhaitaient voter contre.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
L’ordre du jour appelle la nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur le thème : « Transports aériens et aménagement des territoires », créée sur l’initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 110 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur le thème : « Quelle politique de lutte contre la pollution et de recyclage du plastique et, plus généralement, quelle utilisation du plastique en France ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe auteur de la demande.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat sur l’utilisation des plastiques en France.
Longtemps, nous avons cru que la Terre offrait un espace infini, tellement nous sommes petits devant elle. Longtemps, nous avons cru que jeter ne prêtait pas à conséquence. Mais ce matériau fantastique qu’est le plastique est devenu notre trouble-fête : le chant du styrène vire au cauchemar ! L’ère du gaspillage du plastique a conduit à la gabegie d’un matériau qui se retrouve aujourd’hui dans nos assiettes. Consommation effrénée et habitudes délétères consistant à jeter toujours plus après un usage éphémère : c’est le gobelet en plastique jeté après quelques gorgées ou la bouteille utilisée lors d’un unique repas. Le boomerang de notre surconsommation nous revient avec des conséquences catastrophiques.
Aujourd’hui, nous sommes effarés de découvrir qu’un estomac de cachalot échoué peut contenir plus de quinze kilos de plastique, dont un filet de pêche de treize mètres de long, scandalisés de voir une dépouille de cormoran à l’estomac rempli de déchets de toutes sortes ! Nous sommes émus, enfin, par cette tortue à la carapace en forme de 8, qui a grandi sanglée par un anneau de canette… On recense des centaines d’espèces animales touchées par le phénomène d’enchevêtrement et d’ingestion. Images terribles de notre futilité face aux souffrances, aux vies meurtries d’animaux innocents, insouciance coupable, aveuglement incompréhensible, inconséquence condamnable…
Cette situation est le résultat de notre addiction à une certaine forme de facilité, de confort, d’hygiénisme exacerbé. L’océan se meurt et, si nous ne faisons rien, il y aura, en 2050, plus de plastique que de poissons dans les océans !
Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est après la Seconde Guerre mondiale que le plastique, ce matériau sous-produit du pétrole, léger, très peu coûteux, très stable et malléable s’impose comme le matériau idéal. Il peut prendre toutes les formes parce que fabriqué par moulage. Il est robuste, coloré. Il va peu à peu concurrencer les autres matériaux et, finalement, remplacer le verre, le métal, la porcelaine, la céramique, le papier, le carton et le bois.
Apportant d’abord de réels progrès, source de richesses et d’emplois, le plastique voit son usage se généraliser ; de nouveaux besoins apparaissent, et la dérive consumériste nous mène aux objets à usage unique et au suremballage qui gonfle nos poubelles, dans un glissement progressif vers un comportement qui friserait le ridicule, si ses conséquences n’étaient dramatiques. Et c’est l’indigestion : la France produit 5 millions de tonnes de plastique par an, le monde 10 tonnes par seconde ! Depuis 1950, 8, 3 milliards de tonnes de plastique ont été produites, dont la moitié depuis 2000. Au total, 9 % seulement de ce plastique a été recyclé, 12 % incinéré ; tout le reste est dans la nature…
De cette quantité colossale, la moitié a fini dans les mers et les océans, jusqu’aux pôles, aux îles les plus éloignées et même au fond des fosses océaniques. N’a-t-on pas vu un sac plastique entier dans la fosse des Mariannes, à 10 000 mètres de profondeur dans le Pacifique Nord ?
Dans le même temps, les infrastructures de recyclage n’ont pas suivi la croissance de la production ; elles peinent à se mettre en place et ne sont toujours pas dimensionnées à la mesure de la quantité de plastique produite et jetée. En France, actuellement, à peine plus de 20 % du plastique est recyclé. La gestion non réglementée conduit à des déversements à ciel ouvert qui atteignent les bassins aquifères et les plans d’eau.
Par ailleurs, les courants marins ont provoqué la formation de cinq gyres, ou continents plastiques, véritables soupes où flottent en moyenne 500 000 fragments de plastique par kilomètre carré. Le plus important, celui du Pacifique Nord, appelé « septième continent », couvre 7 millions de kilomètres carrés, soit l’équivalent du tiers de l’Europe ou de six fois la France…
Notre mer Méditerranée n’est pas épargnée : elle a le redoutable privilège de présenter en certains endroits des concentrations en microplastiques presque identiques à celles du principal continent plastique, notamment au large de Nice et de Cannes. C’est choquant, regrettable et tellement triste…
Il est temps d’apporter une précision importante pour comprendre l’étendue du problème que nous avons à gérer : le plastique n’est pas biodégradable et restera toujours du plastique. Dans la nature, la seule évolution qu’il va subir est de se casser, de se fragmenter en morceaux de plus en plus petits, sous l’effet des rayons ultraviolets, de la chaleur et des contraintes mécaniques. Comme cela fait des dizaines d’années qu’il y a des plastiques dans la nature, on les trouve maintenant sous forme de très petites particules : microplastiques et même nanoplastiques.
Les plastiques sont des macromolécules obtenues par polymérisation, en accrochant les unes aux autres, par réaction chimique, de petites molécules identiques appelées monomères. Dans leur fabrication entrent malheureusement aussi des additifs, qui donnent aux plastiques des propriétés particulières adaptées à leur utilisation : plastiques anti-UV, antistatiques, retardateurs de flammes, antichocs ou antimicrobiens, et j’en passe. Certains contiennent ainsi de véritables cocktails d’additifs.
Du point de vue sanitaire, les problèmes viennent du relargage de ces additifs lors des fragmentations, sous l’effet de la chaleur ou au contact de graisses. En effet, ces additifs sont des perturbateurs endocriniens, affectant notamment la fertilité, le système nerveux et le développement intellectuel, causant des pubertés précoces. Ils sont classés comme cancérigènes. Une étude récente sur l’eau embouteillée a révélé une contamination aux microplastiques de 93 % des bouteilles, pour onze marques testées.
Les plastiques collectés pour le recyclage sont fortement dégradés et nécessitent des opérations complexes de décontamination. Le recyclage du plastique est en réalité d’abord un « décyclage ». De plus, une bouteille ne peut pas être recyclée à l’infini.
Qu’en est-il des vêtements produits à partir de matière recyclée ? Le tissu polaire, vanté comme solution de recyclage miracle, s’avère une source de polluants : lors des passages en machine à laver, des fibres minuscules se détachent par abrasion et polluent l’eau.
Chaque jour, la station d’épuration de Nice envoie ainsi 6 milliards de fibres en mer !
Au-delà des conséquences inévitables sur les habitats naturels et sur l’économie, rappelons que les nanoplastiques traversent les barrières tissulaires pour s’accumuler dans les organes, perturbant à terme le fonctionnement de ceux-ci. Ces minuscules et invisibles fragments contamineront de façon invasive toute la chaîne alimentaire, avec des effets sur la santé encore trop mal évalués.
De plus, tous ces petits radeaux de plastique sont colonisés par des bactéries et microorganismes potentiellement pathogènes. Ils fixent et transportent aussi des polluants persistants comme les polychlorobiphényles, les PCB, et les dioxines.
Mes chers collègues, alors que les enjeux sont immenses, la France se situe au vingt-huitième rang des pays de l’Union européenne en matière de recyclage des plastiques ; nous avons même repoussé à 2021 l’interdiction des pailles en plastique…
Le projet de loi pour une économie circulaire et une meilleure gestion des déchets est très attendu, mais sa première version reste décevante. Il s’agit d’éviter une crise écologique et sanitaire sans précédent, en prenant dès à présent des mesures radicales d’interdiction de certains contenants, emballages et produits en plastique !
Afin que les politiques publiques en faveur du recyclage ne soient pas le simple reflet d’un aveuglement collectif, attachons-nous sans attendre à réduire de manière drastique notre consommation de plastiques, pour envisager leur retrait du marché et une réorientation du secteur. L’objectif est de garder seulement les plastiques irremplaçables, par exemple pour les usages hospitaliers, et de recycler ces matériaux en circuit fermé, comme c’est le cas pour les bouteilles en polyéthylène téréphtalate, le PET. Ne tombons pas dans l’illusion du tout-recyclage !
Nombre de pays ont plus d’une longueur d’avance sur nous, à l’instar du Costa Rica, qui a déjà interdit le plastique à usage unique. Il est temps que la France mette en place une véritable politique de lutte contre les plastiques, en s’attaquant à la racine du mal, c’est-à-dire en réduisant le plastique à la source !
Par ailleurs, dans le prolongement des avancées obtenues par la France lors de la COP21, notre pays ne peut-il être à l’initiative d’un accord international pour lutter contre la pollution par les plastiques ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jérôme Bignon, Éric Gold et Hervé Maurey applaudissent également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en guise de préambule, je vous propose un voyage dans le temps, aux origines du plastique.
Voilà 1 600 ans, en Amérique du Sud, on a manipulé le premier plastique : du latex, produit à partir de la sève transformée du castilla elastica, l’arbre à caoutchouc… Servant à réaliser des balles ou des figurines, ce plastique était issu de matières premières non fossiles, que les Amérindiens avaient appris à mêler à une fleur, l’ipomée blanche, pour produire la matière dont ils avaient besoin. Ces objets ont traversé les siècles sans devenir des déchets polluants : issus de matières naturelles, ils pouvaient, nés de la terre, mourir en elle.
Chaque époque innove en fonction des avancées scientifiques, mais surtout de ses besoins. Ainsi, les Amérindiens ont appris à produire du plastique pour répondre à une nécessité du moment. L’évolution des sociétés et des besoins, ainsi que l’augmentation de la population mondiale, ont accompagné la montée en puissance de la production du plastique fossile. À l’origine, c’était pour le meilleur : songeons aux plastiques utilisés en médecine, par exemple pour l’intubation, cette rupture technologique majeure.
Malheureusement, du fait des outrances de la société de consommation, le niveau de la production de plastique dépasse l’entendement. En 2016, dans notre pays, on en a produit 120 kilos par habitant… Il faut dire les choses clairement, comme l’a fait Mme la sénatrice Préville : cela relève de la surconsommation et du gaspillage !
Si nous savons aujourd’hui à merveille extraire les hydrocarbures et si nous continuons à investir massivement à l’échelle mondiale pour en extraire toujours plus, nous consacrons nettement moins de temps et d’énergie à organiser la fin de vie des produits issus de leur transformation. Ainsi, à l’échelle mondiale, nous déversons chaque minute dans la mer l’équivalent d’un camion poubelle rempli de plastiques… Le niveau de prolifération des plastiques est devenu insoutenable !
Dans ces conditions, quel rôle doit jouer l’État ? Quel rôle peut jouer la France, compte tenu de sa petite taille ? Selon moi, il s’agit d’abord d’être aussi exemplaires que possible au niveau national, puis de continuer à mobiliser, toujours plus activement, aux niveaux européen et international.
Dès le début de son mandat, le Président de la République nous a fixé deux objectifs très clairs : réduire de moitié la quantité de déchets mis en décharge et tendre vers 100 % de plastique recyclé d’ici à 2025.
Ministres et parlementaires, il est grand temps que nous œuvrions ensemble pour agir plus vite et plus fortement contre la prolifération du plastique, comme nos concitoyens ne cessent de nous le commander.
Ces derniers mois, votre mobilisation, notamment lors de l’examen du projet de loi Pacte, nous a permis de mettre en conformité le droit national avec le droit européen ; c’était crucial pour amplifier la première victoire que représente l’adoption cette année de la directive sur la fin des produits à usage unique, qui sera appliquée d’ici à janvier 2021. Je souligne que la France a été en première ligne pour rehausser l’ambition de ce texte tout au long des négociations européennes.
Cette mise en conformité du droit national avec le droit européen constitue le premier pilier d’une stratégie qui en comporte trois.
D’abord, nous entendons lutter contre les plastiques superflus, ce qui passe par l’interdiction de certains produits plastiques, en premier lieu ceux à usage unique.
En parallèle, nous devons mener une réflexion collective profonde sur nos usages. À cet égard, une question me semble centrale : quels sont les meilleurs leviers à activer pour réduire rapidement et drastiquement notre consommation de plastiques ? Je pense qu’il faut transformer en profondeur notre système de production et de consommation, ce qui soulève, plus largement, la question de l’organisation de notre système économique.
Le débat d’aujourd’hui est l’occasion d’aller plus loin. Nos concitoyens ne supportent plus certaines incohérences, comme celle consistant à commercialiser des brocolis bio sous emballage plastique. Je suis convaincue que nous devrions encourager, par exemple, la vente en vrac, pour mettre un terme à de telles pratiques polluantes, dévastatrices pour la planète et contraires aux modes de vie et de consommation que nous voulons promouvoir. Nous y travaillons activement et nous présenterons d’ici à l’été une loi anti-gaspillage et pour le développement de l’économie circulaire qui nous permettra d’aller encore plus loin.
Deuxième pilier de notre stratégie, nous devons atteindre dans les plus brefs délais l’objectif d’un recyclage à 100 % du plastique dit utile. Cet objectif est réaliste, parce que nous sommes déjà sur le chemin d’une réduction de notre consommation inutile de plastique. Pour accélérer la cadence, il faut nous assurer que toutes les résines mises sur le marché sont recyclables, que les filières industrielles sont matures, que la collecte est optimale et que la demande en plastique régénéré croît. C’est donc toute une boucle qu’il faut mettre en place : je m’y emploie depuis mon arrivée au Gouvernement, dans le cadre de l’élaboration de la feuille de route pour une économie circulaire.
Le troisième pilier de notre stratégie vise à susciter un boom de l’innovation, de la recherche et du développement dans ce secteur. Nous devons exploiter le potentiel des solutions mécaniques, biotechnologiques et chimiques, car elles sont la clé de notre capacité à toujours mieux recycler. De même, nous devons porter une attention toute particulière aux compétences innées de la nature pour biodégrader. Pour préparer de la meilleure manière l’ère post-plastique d’origine fossile, je suis convaincue que la nature elle-même est notre meilleure alliée !
Une stratégie victorieuse est toujours servie par une méthode pragmatique, concrète, visant des résultats pratiques dans les plus brefs délais. J’évoque, m’objecterez-vous peut-être, des perspectives utopiques. Pourtant, nos premiers résultats donnent, je le crois, de bonnes raisons d’être optimistes.
Pour ne prendre qu’un exemple, si l’objectif de 100 % de plastique recyclé est certes encore très loin d’être atteint –nous ne recyclons que 300 000 des 3, 6 millions de tonnes de plastique produites chaque année en France –, son inscription dans la feuille de route pour l’économie circulaire a mis tous les acteurs de la chaîne de valeur en mouvement. Ainsi, voilà quelques jours, les industriels du secteur se sont engagés à utiliser 1 million de tonnes de plastique recyclé d’ici à 2020. Cela prouve que nous sommes aujourd’hui en mesure de déclencher un vrai changement d’échelle. Nous avons aussi mis en place une méthode pour vérifier la bonne mise en œuvre de ces engagements, de façon que les acteurs travaillent de façon transparente.
Par ailleurs, brutaliser notre appareil industriel en allant trop vite serait contreproductif ; une large acceptabilité sociale des mesures prises est nécessaire. Une méthode à mon sens pertinente consiste à donner aux filières de la visibilité, en fixant des objectifs de court, moyen ou long terme très ambitieux et en accompagnant les acteurs dans leur adaptation. Nous soutenons leurs investissements grâce à des dispositifs comme le programme des investissements d’avenir, piloté par l’Ademe. Nous actionnons en parallèle des leviers incitatifs, par exemple les bonus-malus mis en place pour l’écocontribution des filières à responsabilité élargie des producteurs. Nous mettons aussi en œuvre de nouveaux dispositifs pour améliorer la collecte : l’appel à projets de collecte innovante et solidaire, financé par l’éco-organisme Citeo, en est un bel exemple.
Cette transformation représente un vivier considérable d’opportunités économiques, sociales et environnementales. Songez qu’une tonne de matière recyclée crée dix fois plus d’emplois qu’une tonne de matière enfouie ! Il y a donc un enjeu en termes de création d’emplois non délocalisables partout sur nos territoires.
En stimulant les filières grâce à des incitations et en concevant une menace réglementaire crédible, nous adressons aux acteurs un message clair : ceux qui entrent dans la boucle de l’économie circulaire ont tout à y gagner ; pour les autres, le temps presse, et la contrainte ira crescendo.
Cette dynamique a été enclenchée par la feuille de route pour l’économie circulaire, que, au côté du Premier ministre, j’ai mise en place pour installer la méthode que je viens de décrire et à laquelle nous croyons.
Une année de consultations avec les parties prenantes a conduit à l’élaboration de cinquante mesures. Un an après l’engagement concret sur cette voie, le bilan est positif : 95 % de ces mesures sont en cours de mise en œuvre. En particulier, nous avons lancé un pacte sur les emballages plastiques, réunissant treize entreprises désireuses de jouer un rôle moteur pour accélérer, avant même le vote de la loi sur l’économie circulaire, la lutte contre le suremballage et le plastique inutile. Nous voulons accompagner cette dynamique.
Je me réjouis que beaucoup de ceux de nos concitoyens qui ont participé au grand débat national aient abordé les questions qui nous occupent ici. Ainsi, la moitié des 150 000 contributions portant sur l’écologie font référence aux déchets, un grand nombre font référence au plastique, alors même que ces thèmes ne figuraient pas dans le cadrage initial fixé par le Président de la République. C’est dire l’importance qu’ils revêtent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de vos travaux !
Vous avez dépassé votre temps de parole de trois minutes, madame la secrétaire d’État. Je ne serai pas aussi tolérant dans la suite du débat…
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Gontard.
Je ne reviendrai pas sur l’aberration écologique que représente l’usage du plastique, en termes tant de consommation de pétrole que d’émissions de gaz à effet de serre et de production de déchets qui défigurent nos paysages et empoisonnent nos océans. Ma collègue Angèle Préville l’a remarquablement démontrée, et je la remercie, ainsi que le groupe socialiste et républicain, d’avoir proposé la tenue de ce débat.
En quelques décennies, les matières plastiques sont devenues tellement incontournables dans tous les domaines de notre existence que s’en passer semble une tâche insurmontable. Même quand il s’agit d’objets insignifiants à usage unique, comme les gobelets ou les pailles, nous tergiversons, comme l’a mis en évidence un débat récent dans cet hémicycle. Je ne parle même pas de la difficulté à supprimer verres et bouteilles en plastique dans notre assemblée…
Le commerce national ne s’est pourtant pas effondré avec l’interdiction des sacs en plastique, en 2016. Les industriels s’y sont adaptés sans grande difficulté. Il est heureux que l’Union européenne nous force la main, avec une première interdiction d’objets en plastique à usage unique en 2021 ! Reste qu’il faut aller beaucoup plus loin. Il est incompréhensible que, en France, nous ne recyclions qu’un petit quart des 5 millions de tonnes de plastique que nous produisons chaque année. Nous sommes en deçà de la moyenne européenne, qui se situe autour de 30 %, l’Allemagne recyclant même plus de 40 % de son plastique.
Comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, notre société pousse l’aberration jusqu’à priver certains fruits de leur peau, leur emballage naturel, avant de les prédécouper et de les emballer dans du plastique : c’est le comble de l’absurdité !
Madame la secrétaire d’État, puisque vous vous êtes engagée à améliorer le recyclage des bouteilles plastiques, nous vous invitons à instaurer, à la suite d’Istanbul, de Sydney ou encore de Pékin, une consigne permettant de payer, par exemple, des tickets de métro tout en participant au recyclage.
Mais cela reste largement insuffisant. La prochaine étape est l’instauration d’une obligation de recycler à 100 % les emballages plastiques à court terme. Cela passe par l’interdiction des matières plastiques non recyclables, qui contribuera également à simplifier les consignes de tri du plastique, trop confuses aujourd’hui.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures précises comptez-vous prendre pour favoriser notamment le commerce en vrac, seule alternative crédible à l’utilisation du plastique ? Plus généralement, le Gouvernement souscrit-il à l’ensemble des objectifs que j’ai exposés ?
Monsieur le sénateur Gontard, j’aimerais disposer de bien plus de deux minutes pour répondre à cette question essentielle, que le Gouvernement s’est posée dans les mêmes termes.
Pour lutter drastiquement contre la pollution plastique, nous avons fixé trois objectifs principaux.
D’abord, il convient de continuer à supprimer les plastiques inutiles, car, comme l’a souligné Mme la sénatrice Préville, ils finissent souvent dans la nature.
Ensuite, il importe de faire en sorte que les objets plastiques du quotidien soient recyclés à 100 %. Pour cela, nous allons mettre en place un bonus-malus avec des écomodulations, par le biais des éco-organismes, de façon à éliminer peu à peu les plastiques non recyclables et à favoriser l’écoconception. Nous avons également lancé des appels à manifestation d’intérêt pour identifier les meilleurs systèmes de collecte innovante et solidaire. À cet égard, des solutions comme celle que vous proposez, à savoir la mise en place d’une consigne, seront explorées.
Enfin, nous voulons encourager massivement le réemploi et le développement du vrac. Nous avons déjà commencé à travailler pour lutter contre le suremballage. Ainsi, sans même attendre la loi sur l’économie circulaire, nous avons signé avec treize industriels, issus notamment du monde de la grande distribution, un pacte national comportant des objectifs très ambitieux de réduction de l’usage des matières plastiques. La mise en œuvre de ces engagements sera vérifiée chaque année par des ONG telles que le WWF, Tara Expéditions ou la Fondation Ellen MacArthur.
Le sujet dont nous débattons est d’une brûlante d’actualité, puisque débute au siège de l’Unesco, à Paris, une semaine scientifique destinée à porter haut la protection de la biodiversité au niveau politique et à déboucher sur un protocole international dans lequel la lutte contre les déchets plastiques devra figurer en bonne place, en vue d’enrayer l’extinction massive des espèces.
L’action diplomatique de la France depuis la COP21, organisée sous le précédent quinquennat, est à la hauteur des enjeux, mais qu’en est-il de nos actions concrètes ? Notre taux de recyclage ne dépasse pas les 22 %, alors que la moyenne européenne se situe à 31 %.
Madame la secrétaire d’État, vous avez signé, en février dernier, un pacte national sur les emballages plastiques, qui invite les entreprises à mettre en place, sur la base du volontariat, des stratégies de gestion des déchets plastiques. Mais quid des entreprises ne souhaitant pas s’engager ou ne respectant d’ores et déjà pas l’obligation des cinq flux fixée par la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ?
Nous attendons avec impatience la dernière mouture de votre projet de loi, censé mettre en musique la feuille de route pour l’économie circulaire, dont on fête en ce mois d’avril le premier anniversaire. Le premier jet fut fort décevant, car finalement très peu contraignant s’agissant de la gestion du plastique.
Enfin, un projet de consortium visant à mettre en place une consigne sur les bouteilles en plastique et d’autres emballages serait à l’étude, sans que les collectivités territoriales soient consultées. Celles-ci étant des acteurs incontournables de la gestion des déchets et de la prévention de leur production, il me paraît important de les associer aux pourparlers en cours. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement sur ce projet de consortium, ainsi que sur les solutions retenues s’agissant de la consigne pour les bouteilles en plastique, un principe auquel l’Ademe n’est pas favorable ? Un vrai risque existe de déstabiliser toute la filière de collecte séparée, sans même poser la question, ô combien cruciale, de la réduction des déchets plastiques en amont.
Monsieur le sénateur Joël Bigot, je vous remercie de votre question.
La feuille de route pour l’économie circulaire représente un changement majeur. Je ne doute pas que vous ayez suivi de près les discussions ayant entouré son élaboration. Vous aurez donc pu constater combien les collectivités territoriales y ont été associées, de même que les entreprises et les associations. Ces mêmes acteurs contribuent d’ailleurs à enrichir le contenu du projet de loi pour l’économie circulaire. Vous savez également combien la France s’est mobilisée au niveau européen. Je m’étonne donc de votre remarque préliminaire.
Au titre des trois priorités gouvernementales en matière de lutte contre la pollution plastique que j’ai exposées en réponse à M. Gontard, nous explorons de façon approfondie la possibilité de mettre en place une consigne pour les emballages plastiques, mais aussi pour l’aluminium.
Au départ, quand nous avons évoqué cette idée, il y a eu une levée de boucliers de la part de nombre des parties prenantes. Les entreprises nous disaient que c’était impossible, nos administrations que, en France, c’était totalement infaisable, compte tenu de notre système de filières à responsabilité élargie du producteur, très différent du système allemand de consignes. Les collectivités territoriales étaient quant à elles très sceptiques.
À force de discussions, nous avons avancé sur cette question. Je puis même vous dire que, maintenant, les entreprises sont particulièrement motrices en la matière. Je suis même bien souvent amenée à demander aux entreprises de ne pas avancer trop vite, de façon à maintenir dans la boucle les collectivités territoriales. Plus que jamais, en effet, il faut que les municipalités puissent bénéficier elles aussi du gisement de valeur que représentent les matières plastiques.
Nous menons donc un travail en liaison étroite avec les collectivités territoriales, parce qu’il faut que chaque acteur de l’économie circulaire en ait pour son argent.
Madame la secrétaire d’État, je prends bonne note de votre volonté de mettre en place une consigne pour le plastique.
On a demandé aux collectivités territoriales de mettre sur pied des structures de dimension importante, d’une capacité de traitement de 30 000 tonnes au minimum. Or la mise en place d’une consigne risquerait de déséquilibrer l’approvisionnement, et donc de mettre en question la ressource-matière pour les collectivités territoriales, d’où la frilosité de l’Ademe, en revanche très favorable à la mise en place d’une consigne pour le verre.
Par ailleurs, il faut aussi mieux prendre en compte la responsabilité de ceux qui mettent les plastiques sur le marché.
D’après une étude dont les conclusions ont été publiées récemment, 365 particules de microplastiques en moyenne ont été retrouvées par mètre carré et par jour à la station météorologique de Bernadouze, dans les Pyrénées. Cette station se situe en zone protégée Natura 2000, à 1 500 mètres d’altitude et à plus de cinq kilomètres du village le plus proche… Cela prouve que, en matière de pollution plastique, aucun territoire n’est à l’abri.
Élu d’un département rural, le Puy-de-Dôme, connu pour ses grands espaces et son air pur, je m’inquiète naturellement des résultats de cette étude, qui font apparaître des taux de pollution aux microplastiques comparables à ceux de Paris ou de Pékin.
Produites par un certain nombre d’industries, les microparticules de plastique s’accumulent dans les sols et les cours d’eau et sont transportées par le vent, la pluie et la neige sur de très grandes distances. Dans l’océan Pacifique, 94 % des 2 000 milliards de déchets en plastique sont des microparticules. Même s’ils ne représentent de fait qu’une petite partie de la masse totale de ce continent de plastique, ils sont les plus difficiles à traiter et s’intègrent durablement dans notre écosystème. La question des macrodéchets n’est que la partie visible du problème.
Au-delà des conséquences sanitaires pour l’homme –nous les connaissons mal pour l’instant –, il existe des risques majeurs pour la biodiversité, alors que de nombreux scientifiques évoquent une probable sixième extinction de masse.
Ces fragments ou microfilms sont utilisés à grande échelle dans l’industrie, notamment dans les secteurs des cosmétiques et des fibres synthétiques. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour interdire l’utilisation des microparticules, en particulier dans l’industrie cosmétique.
Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? Comment comptez-vous inciter les industriels à préparer un changement dans leurs modes de production ?
Monsieur le sénateur Gold, les microbilles plastiques ajoutées intentionnellement dans certains produits, par exemple les cosmétiques ou les détergents, constituent en effet une source de pollution sur laquelle il est possible d’agir, d’autant qu’il existe des alternatives bien plus respectueuses de l’environnement.
Avec la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016, la France a montré la voie, en interdisant l’usage des microbilles plastiques dans les cosmétiques rincés à partir de 2018. J’ai défendu la généralisation de cette mesure à tous les États membres de l’Union européenne, comme le prévoit la feuille de route de l’économie circulaire, qui a ainsi une portée tout à fait concrète. À la suite de cette démarche, la Commission européenne a saisi l’ECHA, l’Agence européenne des produits chimiques, pour étudier la possibilité d’une restriction de mise sur le marché sur la base du règlement Reach. En janvier 2019, cette agence a préconisé une restriction de l’usage des microplastiques non seulement dans les cosmétiques, mais aussi dans les détergents, les fertilisants et les pesticides. Je veillerai à ce que la Commission se saisisse rapidement de cet avis et présente une proposition législative à ce sujet.
J’ai aussi demandé en 2018 à la Commission européenne de prévoir des mesures pour la récupération des microplastiques issus du lavage des textiles en machine. Toutes les options sont sur la table pour déployer de telles mesures.
Par ailleurs, nous travaillons avec différents pays européens, notamment les Pays-Bas, à la mise en place d’un pacte européen sur les emballages plastiques afin d’aller encore plus loin, dans un premier temps sur la base du volontariat.
Enfin, nous voulons que les discussions sur l’environnement menées dans le cadre du G7 débouchent sur des résultats très concrets, notamment en matière d’installation de filtres sur les machines à laver ou sur les stations d’épuration, de façon à empêcher que ces microplastiques souvent issus du lavage de textiles synthétiques finissent dans l’environnement.
Vous le voyez, ce sujet constitue une priorité pour le Gouvernement. Nous avons commencé à agir de manière très concrète et avons déjà obtenu des résultats. Il faut aller encore plus vite et plus loin.
Le plastique offre l’illustration parfaite d’une économie linéaire et la France comme l’Europe accusent aujourd’hui un retard important en matière de collecte et de recyclage des plastiques, principalement parce qu’elles n’ont pas su entraîner l’ensemble des secteurs économiques dans une dynamique d’écoconception et de recyclage.
Si les exigences récemment posées en la matière, notamment à l’échelon européen, sont à saluer, la France peine toujours à trouver son modèle et à mettre en place un dispositif cohérent.
Six mois après la publication de la feuille de route, les engagements pris sont globalement très décevants. En effet, l’ensemble des mesures en faveur du recyclage actuellement en discussion se limitent à quelques annonces, sans s’attaquer à la question des différents plastiques non recyclables ni à celle du partage des responsabilités et des coûts entre l’amont et l’aval pour l’établissement de filières de recyclage pérennes.
Afin de renforcer la responsabilité de ceux qui mettent les plastiques sur le marché, il est nécessaire de créer l’environnement adéquat pour une gestion efficace des flux entrants et une amélioration de la qualité des flux sortants. Cela contribuera au développement d’une économie circulaire.
Il me semble urgent d’imposer un véritable plan de prévention et d’écoconception aux entreprises, incluant des objectifs de réduction des déchets et de fabrication de produits réutilisables ou recyclables, de rendre contraignante, à l’horizon de 2025, l’intégration de matériaux recyclés dans tous les produits mis sur le marché, de mettre en place de nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs, notamment pour le sport, les jouets ou le bricolage, enfin de contraindre fortement l’usage de produits non recyclables ou non valorisables énergétiquement, en cohérence avec la réglementation.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous prendre concrètement en compte les impératifs que je viens d’énumérer ? Il est clair que l’on ne pourra relever le défi du recyclage du plastique que par la mise en synergie des acteurs de toute la chaîne de valeur.
Vous avez raison, monsieur le sénateur Kern, la France est en retard par rapport à certains de ses voisins et, tout simplement, au regard de l’urgence ! Il faut donc que nous accélérions, et c’est ce que nous faisons. Ce sujet constitue en effet une priorité depuis que nous sommes arrivés au Gouvernement et les premiers résultats se font jour : la production de matières plastiques recyclées a par exemple augmenté de 12 %. Vous le voyez, nous sommes sur une bonne trajectoire. Il revenait à l’État de rassembler les différents acteurs concernés. Si nous n’avions pas enclenché cette dynamique, ils n’auraient pas travaillé ensemble.
Cela étant, il faut aller encore plus loin. C’est tout l’objet du projet de loi qui sera déposé d’ici à l’été et qui comprendra des réformes importantes, notamment en ce qui concerne le montant des écocontributions versées par les entreprises à des éco-organismes. Nous souhaitons que ces contributions augmentent de façon significative afin d’inciter à une moindre utilisation du plastique, notamment pour les emballages.
Nous devons effectivement passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. Pour cela, toute une série d’incitations doit être mise en place, car il est vrai qu’un changement de méthode aussi profond représente un effort très significatif pour l’ensemble des acteurs.
Engager cet effort est cependant une urgence pour la nature et la biodiversité. Cela permettra en outre la création dans nos territoires d’emplois non délocalisables et porteurs de sens. Les entreprises gagneront quant à elles en compétitivité.
Adopter une telle approche globale associant l’amont et l’aval est capital, comme en témoignent les images-chocs du tristement célèbre septième continent plastique.
Nous devons désormais déployer toute notre énergie pour lutter contre les plastiques à usage unique. À cet égard, je vous le dis sans ambages, madame la secrétaire d’État, le vote de l’Assemblée nationale allant à l’encontre de ce qu’avait décidé le Sénat sur ce sujet, intervenu le jour même de la mobilisation mondiale en faveur du climat, nous rend particulièrement amers !
Madame la secrétaire d’État, le plastique prolifère ! À défaut d’être récupéré après usage et recyclé, il est jeté dans la nature. Il ne disparaît pas, il se désagrège en petits morceaux, puis en fines particules. Le vent et l’eau le dispersent, et il infecte la planète dans toutes ses composantes, à, commencer par l’homme. La biodiversité, sur laquelle se penche en ce moment l’IPBES, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, est directement affectée.
On ne le dira jamais assez, le meilleur plastique est celui que l’on ne produit plus ! Certains usages du plastique ont récemment été interdits aux niveaux français ou européen ; c’est une bonne chose, mais il faut continuer de recycler les plastiques utilisés. Nos concitoyens sont plutôt efficaces à cet égard, puisqu’en France 75 % des emballages plastiques sont collectés. Malheureusement, seulement 26 % de ces emballages sont recyclés : cela ne suffit pas.
On voit apparaître de nouvelles technologies : ainsi, la société française Carbios parvient à recycler la quasi-totalité du plastique PET grâce à des enzymes bactériennes. Certains pays ont développé l’usage et le tri du plastique biosourcé et compostable pour améliorer la valorisation de leurs déchets plastiques.
Un problème fondamental demeure toutefois : le plastique vierge coûte souvent moins cher que le plastique recyclé. Madame la secrétaire d’État : comptez-vous faire en sorte que le prix du plastique vierge reflète les externalités négatives pour notre planète de sa production et de son utilisation, afin de favoriser l’usage du plastique recyclé ? Le Gouvernement envisage-t-il d’encourager la mise en place d’une filière de valorisation des biodéchets qui serait consolidée par des évolutions réglementaires et fiscales rapides ? Enfin, quelles mesures concrètes vont être prises par le Gouvernement pour diminuer la pollution due au plastique dans les filières de traitement des biodéchets ?
Monsieur le sénateur Bignon, vous m’interrogez sur les mesures à mettre en œuvre pour favoriser l’usage du plastique recyclé et sur les risques de pollution due au plastique dans les filières de traitement des biodéchets.
J’ai déjà évoqué la feuille de route de l’économie circulaire et les différentes mesures que nous avons déjà prises et mises en œuvre de surcroît, ainsi que le projet de loi à venir.
Premièrement, des filières industrielles ont pris des engagements et nous avons conclu un pacte avec une partie des distributeurs en vue de l’utilisation de 1 million de tonnes de plastiques recyclés, contre 300 000 tonnes aujourd’hui. Pour le moment, cette démarche est fondée sur le volontariat, mais nous comptons la rendre obligatoire.
Deuxièmement, des bonus-malus plus incitatifs vont être progressivement déployés pour responsabiliser financièrement les fabricants de produits plastiques ; nous nous appuierons pour cela sur les éco-organismes. Nous savons que ce type de dispositif fonctionne : un tel bonus-malus a été mis en place en janvier dernier pour les films d’emballage en polyéthylène recyclé ; ce n’est que le début !
Troisièmement, un taux minimum d’emploi de plastique recyclé pourra être fixé pour certains produits, par exemple les bouteilles en plastique.
Quatrièmement, d’autres leviers peuvent être mobilisés. À titre d’illustration, le label bas carbone, qui récompense les démarches permettant de réduire les émissions de CO2, notamment dans les filières agricoles et forestières, pourrait être étendu au secteur du recyclage.
Concernant le risque de pollution plastique dans les biodéchets, la loi a prévu, pour les déchets qui restent jetés, qu’ils respectent une norme de compostage domestique plus exigeante que celle appliquée par certains de nos voisins. Si cette exigence s’avère insuffisante, elle sera renforcée.
Enfin, j’ai missionné M. Alain Marois pour élaborer un pacte de confiance visant à renforcer les exigences de qualité pour les matières fertilisantes issues des biodéchets, s’agissant notamment des éléments indésirables comme le plastique.
Je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur un point : il ne faudra pas oublier d’aider les collectivités locales pour qu’elles puissent équiper au plus vite leurs centres de tri d’équipements innovants permettant de mieux faire face à la pollution par les plastiques.
Il faut évidemment une mobilisation citoyenne et des solutions techniques, mais aussi un appui aux collectivités locales, qui ne doivent pas se voir imposer une charge d’exploitation supplémentaire.
L’impact émotionnel est fort, quand nous voyons des images de bouteilles en plastique flottant sur les mers, mais ne cédons pas pour autant à un plastique bashing radical et irraisonné !
Dans cet esprit, il est nécessaire de recueillir l’ensemble des données relatives à la pollution par le plastique, à sa production et à son recyclage en France et dans le monde.
Il est également fondamental de dresser un état des lieux des dangers, avérés ou non, du plastique pour la santé. Il est aussi essentiel de faire le point sur la recherche fondamentale et les solutions innovantes permettant le développement d’alternatives adaptées aux réalités.
Bien sûr, nous sommes parfaitement conscients qu’il est urgent de trouver des solutions de substitution, mais ne cédons pas à une application précipitée du principe de précaution, car les enjeux liés à la production de plastique sont d’ampleur : c’est un secteur économique qui représente des milliers d’emplois, notamment dans le domaine de l’embouteillage.
Concernant les solutions innovantes en matière de recyclage, une société du Puy-de-Dôme, Carbios, produit des bouteilles entièrement à partir de déchets plastiques biorecyclés. C’est une première mondiale et une innovation porteuse d’avenir, sachant que 6, 3 milliards de tonnes de déchets plastiques se retrouvent dans les décharges et les océans ou dans les unités de recyclage françaises.
Madame la secrétaire d’État, quels moyens techniques, et surtout financiers, l’État compte-t-il engager afin de soutenir les solutions innovantes en vue de permettre une transition écologique efficiente, qui tienne compte des réalités économiques de la filière de production des contenants plastiques ?
Monsieur le sénateur Boyer, il n’est pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain ! Nous sommes bien conscients que des changements brutaux, radicaux nuisent à l’acceptabilité sociale des politiques publiques environnementales. Nous avons pu en faire l’expérience récemment… Nous visons l’efficacité, et il faut donc trouver un équilibre pour avancer le plus vite possible sans laisser personne au bord de la route. C’est tout l’objectif des politiques publiques menées par le Gouvernement.
Cette approche vaut aussi pour la lutte contre la pollution par les plastiques. Comme je l’ai déjà indiqué, nous entendons être intraitables sur la pollution plastique et enclencher une véritable mutation de notre modèle économique pour aller vers une économie circulaire, mais en veillant à ne laisser personne sur le bord du chemin.
Dans cette perspective, j’ai engagé des discussions avec Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour développer l’apprentissage et la formation de façon à accompagner les reconversions que pourrait induire l’évolution des filières concernées. Une agence de l’État comme l’Ademe travaille avec les collectivités et les entreprises à l’émergence de solutions alternatives, au travers du programme d’investissements d’avenir, le PIA.
Je le redis, ne nous voilons pas la face : le gisement d’emplois se situe dans le secteur du recyclage, sachant qu’une tonne de déchets recyclée au lieu d’être enfouie représente dix emplois supplémentaires.
Nous devons travailler ensemble à l’élaboration des solutions : c’est tout l’esprit de la feuille de route de l’économie circulaire et de la méthode du Gouvernement !
Nous savons qu’il est très difficile, voire illusoire, de se passer complètement du plastique, car c’est une matière façonnable, peu coûteuse, inerte biologiquement et résistante sur le plan mécanique. Ainsi, le plastique est utilisé dans les transports, le bâtiment, l’électronique, la santé, soit bon nombre de domaines de la vie quotidienne.
Le plastique, c’est fantastique, mais c’est surtout catastrophique quand il n’est pas recyclé. Pourtant, s’il est correctement trié et collecté, il peut être recyclé et connaître une deuxième, voire une troisième vie.
Pour parvenir à l’objectif de 100 % de déchets plastiques recyclés, une des mesures proposées dans la feuille de route vise à inciter les industriels à entrer dans la boucle, en incorporant davantage de matières premières issues du recyclage dans les produits, tout en assurant leur qualité, leur traçabilité et une réelle sécurité pour nos concitoyens.
Ainsi, d’ici à sept ans, il y aura deux fois plus de matières premières issues du recyclage dans nos produits du quotidien, mais cela restera largement insuffisant. Au-delà de l’engagement des industriels à augmenter le taux de recyclage du plastique, il semble nécessaire d’améliorer sa collecte, en modernisant les infrastructures, et de mieux informer le consommateur des gestes corrects à adopter, afin qu’il puisse mieux différencier les plastiques, le papier, les métaux. Chaque effort de tri est bénéfique pour toutes les filières et permet d’amorcer un cercle vertueux.
Une solution existante et facilement exportable pour lutter contre la pollution due au plastique est d’inciter au développement des bioplastiques biodégradables et compostables. On en produit actuellement 2 millions de tonnes par an en France, soit 1 % du marché des emballages plastiques.
L’émergence de ces bioplastiques, dits de nouvelle génération, permet la valorisation des biodéchets qu’ils peuvent contenir et qui amènent, aujourd’hui, des émissions de CO2 : ces biodéchets qui sont actuellement enfouis ou incinérés pourraient être valorisés, notamment par compostage.
Les biodéchets représentent un tiers des poubelles résiduelles des Français ; c’est un gisement non négligeable, qu’il faut maintenant détourner de l’élimination en vue de l’instauration d’une économie circulaire de la matière organique.
Pour atteindre l’objectif de 100 % des plastiques collectés et recyclés avant 2025, pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, quelles mesures seront mises en œuvre pour rendre la collecte plus efficace, moderniser nos centres de tri et améliorer ainsi la valorisation de nos déchets ?
Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je souhaite d’abord vous remercier de votre soutien sans faille et sans concession aux travaux que nous avons menés sur la feuille de route de l’économie circulaire. Je sais que vous serez encore à nos côtés pour nous stimuler et encourager les innovations.
Votre question aborde plusieurs thèmes, notamment celui des bioplastiques biodégradables et compostables. L’emploi du terme « biodégradables » suscite des confusions dans l’esprit des Français, en donnant à penser que ces plastiques se dégraderont dans la nature et peuvent donc être abandonnés dans l’environnement. Or c’est tout le contraire : ces plastiques dits biodégradables ne se dégradent que dans un environnement contrôlé, par exemple en termes de teneur en oxygène ou de température, soit sur un site industriel spécialisé, soit dans un composteur domestique bien géré, et cela vaut seulement pour quelques produits très fins, tels que les sacs en plastique.
Dans ce contexte, il ne faut pas que le remède soit pire que le mal ! C’est pourquoi des informations devront être mentionnées sur certains produits en plastique, par exemple pour préciser clairement le geste de tri spécifique à accomplir ou pour éviter que certains fabricants ne trompent les Français. C’est l’objet de l’une des mesures du projet de loi anti-gaspillage que nous préparons.
Vous avez aussi évoqué la question, absolument essentielle, de l’accompagnement des collectivités locales. Soyez assuré que l’État et ses différentes agences concernées continueront d’être mobilisés à leur côté, notamment dans le cadre du PIA. Nous voulons aussi mettre à contribution de façon plus efficace les éco-organismes, en fixant des objectifs de performance clairs, mesurables, qui devront être relayés de façon transparente.
Dans notre pays, en matière d’écologie, nous sommes très forts pour poser des objectifs à l’échéance de 2030, de 2040 ou de 2050, mais quand il s’agit du présent ou de l’avenir proche, nous n’avançons que très lentement, par sauts de puce. Or dix sauts de puce ne vaudront jamais un bond de kangourou ! Ce grand écart me préoccupe, car, vous l’avez dit vous-même, madame la secrétaire d’État, il y a urgence. D’autres pays ont pris des mesures très fortes.
J’en viens maintenant à ma question, qui porte sur la santé.
Les plastiques contiennent un certain nombre de substances, dont les plus connues sont les phtalates, les bisphénols ou le trioxyde d’antimoine, présent dans le PET. La présence de ces substances a des conséquences graves pour la santé humaine, sachant qu’elles peuvent être cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.
Si l’évaluation et la recherche ont considérablement fait progresser nos connaissances en la matière, les décisions suivent difficilement, ce qui pose la question de notre mode de gouvernance en matière de santé environnementale. Quand une substance a été identifiée comme toxique, obtenir son retrait du marché soulève les plus grandes difficultés, faute de procédure clairement identifiée, y compris en termes de fixation de priorités, tous les produits ne pouvant bien sûr être retirés du jour au lendemain.
Aujourd’hui, la gouvernance en matière de santé environnementale est mal organisée dans notre pays. Comptez-vous, madame la secrétaire d’État, travailler sur cette question essentielle et faire des propositions en vue de modifier cette gouvernance ?
Monsieur le sénateur Jomier, j’estime avoir fait quelques bonds de kangourou depuis mon entrée au Gouvernement ! Je vous accorde que cela ne sera jamais suffisant, étant donné l’urgence, mais nous nous efforçons tous les jours de remédier aux problèmes, y compris parfois en travaillant à bas bruit, notamment aux niveaux européen et international.
C’est en effet largement au niveau international que s’élaborent les solutions en matière de santé environnementale. C’est pourquoi la France se bat dans les différentes instances. Ainsi, nous avons adressé plusieurs courriers à la Commission européenne sur les sujets que vous avez évoqués. Je citerai le cas des perturbateurs endocriniens : nous avons lancé une nouvelle stratégie propre à la France, tout en engageant le combat au niveau européen en vue de mettre en place une politique transversale, prenant en compte à la fois le secteur des cosmétiques et celui des jouets, par exemple. Nous menons à cet effet un énorme travail de persuasion à l’égard de nos partenaires européens.
En ce qui concerne la gouvernance, pour prendre des mesures, il faut pouvoir s’appuyer sur des preuves scientifiques. Là aussi, nous menons un combat à bas bruit. Nathalie Loiseau, alors ministre chargée des affaires européennes, et moi-même avons rencontré les responsables de l’ECHA, l’Agence européenne des produits chimiques, et de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Nous souhaitons que ces agences, dont les avis guident notre prise de décisions, transforment en profondeur leur système d’évaluation des substances chimiques et soient beaucoup plus indépendantes des industriels.
C’est là un combat qui se joue en grande partie au niveau européen, mais nous le menons aussi au niveau français. J’en veux pour preuve le cas du glyphosate : sans la France, cette substance aurait été autorisée en Europe pour une nouvelle période de quinze ans ; elle l’a finalement été pour cinq ans, et notre pays en sortira quant à lui d’ici à trois ans.
Je conclus en soulignant que la production de matières plastiques recyclées a augmenté de 12 % et que les industriels se sont engagés à utiliser 1 million de tonnes de plastiques recyclés, contre 300 000 aujourd’hui : voilà deux autres bonds de kangourou, monsieur le sénateur !
Madame la secrétaire d’État, je souscris à votre analyse sur la situation des instances européennes, mais cela ne doit pas occulter nos propres responsabilités. En France, le ministère de la santé reste celui du soin : vous ne trouverez pas, dans son organigramme, une direction dédiée à la santé environnementale. Quant à l’influence des industriels, regardez comment est composé le conseil d’administration de l’Anses ! Enfin, la répartition des responsabilités entre les différentes agences est quelque peu chaotique… Il faut donc revoir notre gouvernance.
Beaucoup de constats et de positions que je partage ont déjà été exposés. Ce débat fait d’ailleurs écho à la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la lutte contre les déchets en plastique qui avait été déposée le 8 octobre dernier par ma collègue Nathalie Goulet et que j’avais cosignée.
Je souhaite aborder deux points importants à prendre en compte sur cette question primordiale pour l’environnement.
J’évoquerai en premier lieu l’acceptabilité des mesures par les consommateurs. Il est demandé aux industriels de diminuer le volume des emballages plastiques, de réduire leur poids et de supprimer les objets à usage unique, mais le consommateur a un pouvoir. Ainsi, les industriels ont testé auprès des consommateurs la réduction du poids des bouteilles de soda et d’eau : certains ont renoncé à cet allégement, car le client trouvait le produit trop bas de gamme…
Comme pour beaucoup de mesures environnementales, on souligne en outre les dégâts écologiques, en Asie par exemple : des vidéos montrant des rivières de déchets plastiques et des mers de bouteilles et de sachets circulent sur internet. On ne retrouve heureusement pas ces désastres en Europe !
Il faut en fait que le consommateur change ses habitudes d’achat et se tourne vers des objets réutilisables, qu’il accepte de voir la conception des contenants de ses produits favoris évoluer et qu’il se détourne du plastique pour les objets à usage unique. Des solutions existent déjà, mais comment l’inciter à y recourir davantage ?
J’évoquerai en second lieu la substitution du pétrole par des biomatériaux – algues, plantes, amidon… –, que nous devons développer et soutenir. Couplée à une réduction des volumes de production de plastiques, l’utilisation des déchets végétaux est un formidable levier pour la transition énergétique et le développement économique. Rappelons aussi que, par la photosynthèse, la plante capte du carbone. Les agriculteurs et la bioéconomie sont appelés à jouer un rôle important pour sortir du plastique issu du pétrole en lui substituant des biomatériaux : certains estiment que près de 70 % des familles de polymères sont susceptibles d’être biosourcées. Qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ?
Madame la sénatrice Férat, vous soulignez le rôle clé des consommateurs, d’ailleurs parfois appelés « consom’acteurs ».
Je suis d’accord avec vous sur le fait que les consommateurs ont, par les choix qu’ils opèrent, beaucoup de pouvoir. Les jeunes avec qui j’échange sur ces sujets me disent souvent qu’ils n’ont pas envie d’attendre que les entreprises leur proposent de meilleurs produits ; ils veulent agir eux-mêmes. Je considère cependant que l’État doit donner aux citoyens les moyens d’agir. Tout ne peut pas reposer uniquement sur la créativité ou la volonté de changement du consommateur : il faut conjuguer les dynamiques à l’œuvre, qu’elles trouvent leur origine dans l’État, les entreprises ou les consommateurs.
Nous avons déjà commencé à agir concrètement. Madame la sénatrice, vous avez indiqué que certains consommateurs refusaient les produits mieux écoconçus, les croyant de moindre qualité. C’est souvent ce que me disent les entreprises au début, puis elles s’aperçoivent que ces nouveaux produits sont finalement beaucoup mieux acceptés par les consommateurs qu’elles ne l’imaginaient. Il en va de même en matière de réduction des invendus et du gaspillage. Je pense donc que les entreprises peuvent faire davantage. D’ailleurs, elles le savent puisque treize d’entre elles ont signé le pacte national sur les emballages plastiques il y a quelques semaines au ministère de la transition écologique et solidaire. La mise en œuvre de ce pacte aux objectifs très ambitieux est à effet immédiat. Cela nécessite une transformation parfois drastique des habitudes et des repères des consommateurs, qui en définitive acceptent ces changements et franchissent le pas, notamment les plus jeunes d’entre eux.
Enfin, il faut encourager le recours aux plastiques biosourcés, sans pour autant que son développement ait des conséquences négatives sur la biodiversité et la nature.
Derrière le mot « plastique », il y a différentes réalités, parce qu’il y a différentes résines plastiques, certaines étant plus recyclables que d’autres. Au-delà, les filières de recyclage existent-elles en réalité ?
Parmi les différents plastiques, le polyéthylène téréphtalate, le PET, à 100 % recyclable, est recommandé particulièrement pour les usages alimentaires et les boissons. C’est un usage vertueux du plastique lorsqu’il s’inscrit dans une économie circulaire. Il s’agit de la deuxième matière d’emballage la plus recyclée en France, après le verre. Des progrès ont en effet été accomplis depuis dix ans et des engagements ont été pris par les embouteilleurs de boissons pour intégrer une part croissante de ce plastique recyclé dans la fabrication des bouteilles. Cela permet d’être optimiste quant à la possibilité d’atteindre les objectifs fixés par la directive européenne à venir, qui imposera l’emploi de 25 % de plastique recyclé pour la fabrication des bouteilles en PET d’ici à 2025.
Afin d’assurer la disponibilité en suffisance, sur le territoire français, d’un plastique recyclé compétitif de la qualité souhaitée, il est nécessaire de progresser dans la collecte des plastiques post-consommation pour recyclage. Une grande partie de nos concitoyens ont la chance de bénéficier d’un système de collecte sélective à domicile, qui représente un véritable service au profit du recyclage.
Pour permettre la pérennisation du système français, il faut doper nos performances en matière de collecte en s’inspirant de certains pays voisins, comme la Suisse ou la Belgique, plus efficaces que nous grâce à la mise à disposition obligatoire de poubelles de tri multiflux.
Compte tenu de ces éléments, pourriez-vous nous éclairer, madame la secrétaire d’État, sur la politique que le Gouvernement entend mener afin de limiter un plastique bashing à la fois irréaliste et insupportable ?
Monsieur le sénateur Chaize, mettre en place une véritable politique industrielle du recyclage est en effet essentiel. C’est exactement ce que nous entendons faire. J’y travaille avec le ministère de l’économie et des finances.
Je partage dans une large mesure votre constat. Pour qu’une économie circulaire du plastique puisse se développer, il faudrait déjà que nous réussissions à collecter suffisamment de matière première, c’est-à-dire de plastique à recycler. Sans attendre la loi à venir, nous explorons différentes solutions en vue de considérablement augmenter l’efficacité de notre système de collecte. Conçu il y a quelques dizaines d’années, celui-ci était relativement efficace pour l’époque ; aujourd’hui, il faut passer à l’étape supérieure. Cela représente une véritable révolution, dont la mise en œuvre se révélera probablement complexe, mais qui est nécessaire !
Nous cherchons à mettre en place une consigne pour le plastique et l’aluminium. Vingt projets innovants vont prochainement être déployés sur le territoire, avec l’Ademe et Citeo, afin de déterminer le meilleur moyen de collecter ces plastiques en vue de créer une vraie filière de recyclage.
Se pose également la question de la compétitivité-prix entre matière recyclée et matière vierge. On le sait, il y a trop de fluctuations, ce qui pousse bien souvent les industriels à continuer à utiliser du plastique vierge. Nous voulons utiliser les écomodulations pour lisser les variations du prix du baril de pétrole, qui ont des conséquences négatives sur l’utilisation et la commercialisation des matières plastiques recyclées. Nous entendons que ces dernières restent toujours au moins aussi compétitives que le plastique vierge.
Telles sont les différentes pistes que nous explorons. Monsieur le sénateur, je sais qu’il existe, dans l’Ain, une véritable expertise, de vrais champions de l’économie plastique. J’ai eu dernièrement l’occasion de me rendre dans votre département avec le ministre de l’éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, et de découvrir tous les projets développés au sein de ce territoire très riche. J’espère avoir bientôt l’occasion de m’y rendre de nouveau pour étudier avec vous des solutions en vue de conserver cet avantage, tout en s’adaptant le mieux possible à l’économie du XXIe siècle.
M. Patrick Chaize. Madame la secrétaire d’État, vous êtes bien sûr invitée. Ce sera avec grand plaisir que nous vous accueillerons dans l’Ain. Il faut en finir avec les généralisations, et ne pas hésiter à dire que le plastique rend des services et a ses vertus.
Mme la secrétaire d ’ État acquiesce.
Madame la secrétaire d’État, alors que j’évoquais ici même l’état de la Méditerranée au regard des pollutions, votre collègue Emmanuelle Wargon a indiqué que, sur le fondement du rapport que j’avais établi au nom de l’Opecst et de l’alerte que j’avais lancée, le Premier ministre avait demandé qu’un plan de réduction de l’apport de macro-déchets et de microplastiques à la mer soit mis en place d’ici à 2020. Je serais donc intéressé par toute précision sur ce point.
Le mal est mondial : chaque seconde, plus de 200 kilos de plastique aboutissent dans les océans. En conséquence, les résidus plastiques sont présents partout : dans les organismes, dans les espèces marines, et jusque dans la chaîne alimentaire.
En Méditerranée, par exemple, on compte de 100 000 à 900 000 microdéchets plastiques par kilomètre carré. Dans certaines zones, on dénombre autant de microdéchets que de planctons… Ils sont partout, et pas seulement dans les mers ! On en trouve jusqu’à 1 500 mètres d’altitude dans les Pyrénées ariégeoises. Quel est le coût de ces dommages environnementaux ? Et quel en sera le coût sanitaire ?
Saluons la volonté de la France et de l’Union européenne de sortir de la culture du « tout jetable », avec l’interdiction d’une dizaine de produits plastiques à usage unique, mais l’essentiel est de réduire la production et la consommation à la source, tout en favorisant le déploiement des alternatives au plastique.
L’important, c’est aussi la collecte, le recyclage et l’incinération. Dans ce domaine, nos marges de progrès sont énormes. Toutefois, on ne peut pas recycler indéfiniment les plastiques.
Comment entendez-vous promouvoir le déploiement d’alternatives au plastique ? Où en est-on de l’application du principe pollueur-payeur, c’est-à-dire de la prise en charge des frais de nettoyage et de collecte des déchets plastiques par les fabricants ? Enfin, puisqu’il faut une régulation à l’échelle de la planète, sous quel délai peut-on raisonnablement envisager la conclusion d’un traité mondial sur la réduction de la production de plastiques ?
Monsieur le sénateur Courteau, permettez-moi tout d’abord de vous remercier, conjointement avec mes collègues François de Rugy et Emmanuelle Wargon de votre travail et de votre implication sur le sujet de la pollution de la mer Méditerranée. Vous nous avez proposé des solutions pragmatiques et concrètes.
La France a fait de la lutte contre la pollution plastique des océans une vraie priorité. Comme vous l’avez souligné, il s’agit d’une problématique éminemment européenne et internationale. C’est pourquoi nous avons décidé d’en faire un axe important du prochain G7, qui se tiendra à Biarritz : nous voulons bâtir une coalition pour lutter contre la pollution plastique, réunissant de 20 % à 25 % au moins de l’ensemble des parties prenantes à l’échelon mondial. Nous enverrons ainsi un message aux autres, leur signifiant qu’il est temps de réguler et d’aller plus loin dans ce domaine. Vous avez évoqué un traité mondial, d’autres pistes peuvent aussi être explorées.
Par ailleurs, la France tient à être un fer de lance et à prendre ses responsabilités sur cette question. C’est pourquoi nous allons accueillir à Marseille le congrès de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature : là encore, la lutte contre la pollution plastique sera un thème central des discussions. Ce congrès vise à préparer la COP15 de la biodiversité, qui aura lieu en Chine et qui sera aussi importante que la COP21 a pu l’être. Nous entendons que la question de la lutte contre la pollution plastique y tienne une place importante.
Enfin, je rappellerai la signature, en France, du pacte national sur les emballages plastiques, qui vise à lutter contre la pollution plastique sur la terre ferme : en effet, une fois que les plastiques sont dans les océans, il est trop tard !
Nous devons changer notre système de production et de consommation en amont. Nous ne pourrons pas, malheureusement, nettoyer tous les océans.
Il est temps d’oser un changement radical et important. Je vous remercie de votre soutien sur le sujet, monsieur le sénateur.
Au travers de mon rapport rédigé au nom de l’Opecst, j’ai lancé une véritable alerte concernant les pollutions qui frappent la Méditerranée, avec une mention spéciale pour les plastiques, qui constituent une véritable bombe à retardement pour la faune, la flore et la santé humaine.
Je m’interroge sur les risques de polymérisation en Méditerranée, une mer toute petite, quasiment fermée et fragile. La solution repose sur la mobilisation des vingt et un États riverains. Il y faut un leader, qui prenne l’initiative de nouvelles actions. Je compte sur la France pour jouer ce rôle, madame la secrétaire d’État !
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. […] Nous sommes tous responsables. » Ces mots prononcés par le président Jacques Chirac lors du sommet de Johannesburg, en 2002, gardent toute leur pertinence et restent d’une brûlante actualité.
La lutte contre les déchets plastiques doit impérativement devenir une priorité pour l’Europe. La pollution par les plastiques sur terre ou dans les mers doit être réduite le plus tôt possible : chacun d’entre nous en convient.
Or, à ce jour, vous le savez bien, madame la secrétaire d’État, seulement 26 % des emballages plastiques sont recyclés. Dans les faits, de nombreux plastiques recyclables ne sont pas recyclés, en raison de contraintes techniques ou économiques. C’est par exemple le cas des plastiques souillés par des restes de déchets alimentaires. Ces objets pourraient être réalisés en plastique biosourcé et compostable. Ils pourraient alors être valorisés industriellement avec les biodéchets, et donc contribuer à l’augmentation du pourcentage global de plastique recyclé en sortant des flux du recyclage mécanique.
La loi impose le tri à la source et la valorisation des biodéchets à l’horizon 2023. Je salue ce dispositif qui, malheureusement, ne suffira pas à lui seul. Cette valorisation passera, entre autres procédés, par le compostage sur site, qui permet d’obtenir un compost propre, assurant un apport au sol de qualité, ce qui favorisera l’acceptation par les agriculteurs.
Je reconnais que le développement de cette filière industrielle est amorcé, mais il reste très insuffisant en France pour atteindre les objectifs réglementaires de valorisation des biodéchets qui ont été fixés.
Alors que le Gouvernement français a reconnu la pertinence de l’utilisation des plastiques biosourcés et compostables dès le vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la LTECV, en 2015, et, plus récemment, au travers du pacte national sur les emballages, que fait-il pour en favoriser le développement ? À l’évidence, pas grand-chose !
Madame la secrétaire d’État, vous passez par pertes et profits les milliards investis en recherche et développement, ainsi que les emplois créés par la filière française et européenne, qui jouit pourtant d’une avance technologique considérable pour ces innovations, véritables fers de lance de la bioéconomie. Croyez-vous que notre pays puisse supporter une telle erreur d’appréciation du Gouvernement, un aussi mauvais choix économique ?
Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous faire pour développer la filière du compostage et celle des plastiques biosourcés et compostables, qui contribuera à une amélioration significative des taux de valorisation des plastiques et permettra de lutter contre une pollution galopante que nous pourrions stopper ? C’est une question de courage politique. Osez, et nous vous suivrons !
Monsieur le sénateur Cuypers, vous avez rappelé les paroles prononcées par Jacques Chirac en 2002. C’était l’époque où les mots suffisaient. Maintenant, nous devons nous salir les mains et « entrer dans le dur » : c’est là où les choses deviennent difficiles !
On est parfois confronté à des situations assez paradoxales : c’est le cas avec les plastiques compostables. Force est de constater que l’évaluation de leur utilisation, telle qu’elle est prévue par la LTECV, pourrait être plus positive. Pour le dire simplement, cela fait partie des effets un peu indésirables de ce type de transfert : très concrètement, beaucoup des plastiques dits biodégradables ne le sont pas en réalité.
C’est la raison pour laquelle je dis souvent que, dans la mesure du possible, je préfère supprimer les plastiques du quotidien…
… et chercher à transformer les modes de production et de consommation en amont. Il faut cesser de considérer que nous pouvons systématiquement trouver une solution de substitution, sans jamais changer nos modes de vie, de production ou de consommation.
Cela étant, je ne nie pas qu’il existe des plastiques biosourcés utiles et efficaces. Là encore, il nous faudra veiller à ce que le développement du recours à ces plastiques ne se fasse pas au détriment de la nature. C’est pourquoi je privilégie les changements de comportement et les transformations économiques.
Par ailleurs, on retrouve encore beaucoup trop de biodéchets dans nos poubelles, ce qui aboutit finalement, dans le meilleur des cas, à incinérer de l’eau… Cette situation est paradoxale et parfaitement intolérable. Le traitement de cette question est épineux, parce qu’il implique un changement profond des comportements des consommateurs et de l’ensemble des acteurs du système.
J’ai demandé à Alain Marois de travailler sur un pacte de confiance avec l’ensemble des acteurs de la filière des biodéchets, en vue de trouver des solutions. La confiance est la valeur la plus utile pour parvenir à développer un système de collecte des biodéchets réellement efficace.
Mais la route est encore longue et les changements à opérer importants : nous aurons besoin de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour nous aider à trouver des solutions pérennes et efficaces, en liaison étroite avec les collectivités locales et nos concitoyens.
Madame la secrétaire d’État, la question du recyclage des plastiques hors emballages, soit 60 % des volumes utilisés dans des produits de consommation courante, est très complexe du fait de la variété des plastiques en cause, de la diversité de leur utilisation et de celle des additifs ou substances dangereuses ajoutés.
En effet, il n’y a pas un mais des plastiques : c’est là à mon avis l’élément qui risque de tuer l’économie circulaire. Si l’on réutilise ces plastiques en vue de les réaffecter à leur usage d’origine, il n’y a pas de problème. En revanche, si on les mélange avec d’autres en vue diluer les éléments dangereux qu’ils contiennent, il y a une perte de traçabilité, ce qui peut présenter un risque.
Pour la grande majorité des déchets plastiques, provenant des jeux, des équipements sportifs ou des véhicules, par exemple, il est nécessaire de recycler en boucle fermée si l’on veut éviter un risque sanitaire majeur. La question de la traçabilité est fondamentale. Il faut absolument prévenir tout risque de dilution. Le véritable enjeu est d’empêcher que l’on introduise dans des produits manufacturés des substances dangereuses qui risquent de détruire la confiance des consommateurs dans les produits issus du recyclage. Il vaut mieux, me semble-t-il, se priver d’un peu de valorisation pour conserver celle qui est pertinente et efficace, et assurer la pérennité de la filière.
Voici le point de vigilance que je souhaitais souligner : le recyclage de tous les plastiques sans distinction peut être dangereux. Quel est votre point de vue sur ce sujet, madame la secrétaire d’État ? J’ajoute que réaliser une telle ambition n’est pas possible pour l’heure, étant donné qu’il n’existe pas encore de modèle économique viable. En effet, jusqu’à présent, le plastique était exporté en Chine, qui a récemment fermé ses frontières. En Europe, on n’a pas encore développé les unités à même de bien trier, de recycler et de valoriser ces produits. Il faut donc stimuler les filières de recyclage : quels sont les ambitions et les leviers d’action du Gouvernement ?
Monsieur le sénateur Chevrollier, la santé de nos concitoyens est une priorité absolue et totale. Comme on ne peut pas différencier un plastique recyclé d’un plastique qui ne l’est pas, les mêmes normes s’appliquent à tous types de plastique. C’est un niveau d’exigence que nous assumons totalement et sur lequel nous ne reviendrons jamais !
Vous avez évoqué la possibilité de recycler un produit ou un emballage composé de plusieurs plastiques différents. Sachez que, grâce à toute une série de mesures que je n’aurai malheureusement pas le temps de détailler, comme le bonus-malus lié à la quantité de plastique recyclé incorporé dans le produit ou différentes modalités d’incitation à l’écoconception, nous cherchons à encourager l’élimination la plus rapide possible des plastiques non recyclables.
Nous voulons donc promouvoir l’écoconception des produits, et donc un recyclage plus facile, tout en assurant un niveau de qualité sanitaire égal ou supérieur à celui des matières qui ne sont pas issues du recyclage.
En matière de traçabilité et de santé, je tiens à préciser que, les microplastiques se retrouvant partout dans la nature, notre priorité est de changer notre modèle économique, notre façon de consommer et de produire. Notre objectif est de développer toute une palette de solutions technologiques pour éviter que ces microplastiques ne finissent dans nos assiettes.
Merci pour cette réponse, madame la secrétaire d’État.
Il faut effectivement agir autant en amont qu’en aval, pour promouvoir l’écoconception des produits, favoriser le recyclage, notamment en développant des produits démontables, et lutter contre l’obsolescence programmée.
Il est indéniable que l’utilisation croissante du plastique, depuis les années soixante, contribue aux changements climatiques et affecte ainsi la biodiversité. Quand elle reste nécessaire, il faut alors concevoir de nouveaux types d’emballages. Dans les Bouches-du-Rhône, l’entreprise Sirap développe ainsi une gamme d’emballages biodégradables et compostables, afin de répondre aux exigences aussi fortes que légitimes des consommateurs.
Ces avancées, on le sait, exigent d’importants investissements, qui peuvent être supportés par nos entreprises pour peu que nous veillions à ne pas les fragiliser. C’est sur ce point que je souhaite vous alerter, madame la secrétaire d’État : le pacte national sur les emballages plastiques est susceptible, me semble-t-il, de fragiliser des entreprises volontaires, notamment celles qui produisent aujourd’hui des emballages en polystyrène expansé, alors même que leurs concurrentes qui fabriquent des emballages à base d’autres polystyrènes ne sont pas concernées par l’interdiction et que le polystyrène expansé est tout aussi recyclable. Ne vous semblerait-il pas judicieux d’exempter, pour une période donnée, les entreprises proposant une gamme d’emballages écologiques afin d’encourager toujours plus ces investissements et, ainsi, de préserver les emplois, ou mieux encore d’en créer ?
Madame la sénatrice, je vais vous répondre « cash », pour parler un peu vulgairement : le polystyrène expansé ne se recycle pas, en tout cas pas à des coûts qui seraient acceptables pour les industriels ou les consommateurs. Il n’existe tout simplement pas de filière de recyclage de cette matière en France. Sur la base d’études que nous avons menées, je puis vous affirmer très clairement que le développement d’une telle filière n’est pas envisageable pour l’heure dans notre pays. Priorité est donnée à d’autres résines et à toute une palette de mesures que j’ai déjà eu l’occasion de détailler à plusieurs reprises, visant, premièrement, à accélérer le développement de l’utilisation des résines plastiques qui se recycleraient plus facilement, et, deuxièmement, à encourager la conception d’emballages constitués de résines uniques, par exemple, beaucoup plus facilement recyclables eux aussi.
Il revient aux industriels d’être créatifs. Nous leur fixons des objectifs ambitieux, ainsi qu’aux éco-organismes, aux collectivités, aux citoyens. Bref, l’écosystème se développe et se met en place afin que nous puissions favoriser l’écoconception, le recyclage, la transformation de tout un système de production et de consommation. Cela implique d’arrêter des priorités et de les assumer. L’un de vos collègues évoquait la nécessité de faire preuve de courage en politique ; je crois que c’est le cas ici !
Comprenez bien, madame la secrétaire d’État, que les salariés des entreprises concernées ont pleinement conscience de la nécessité de changer de modèle de consommation. Consommateurs, salariés, citoyens sont les mêmes personnes, et nous devons tous pouvoir, à défaut d’en être signataires, adhérer à ce pacte. En d’autres termes, cette transition écologique est l’affaire de tous et elle doit le rester !
D’après la Banque mondiale, 2 milliards de tonnes de déchets sont produits par an dans le monde, dont 33 % ne seraient pas traités correctement. Le plastique est l’une des matières qui posent le plus de problèmes, étant difficile à recycler, comme cela a été rappelé. Les chiffres de 2016, pour la France, ont été évoqués ; au niveau mondial, ce sont 242 millions de tonnes de déchets plastiques qui ont été produites. Or seulement 9 % de ce volume est recyclé.
Le plastique mettant en moyenne quatre siècles à se dégrader – des exemples récents montrent que même le plastique dégradable ne l’est pas vraiment –, la majorité du plastique fabriqué par l’homme se trouve dans la nature, dans les décharges sauvages ou dans les océans, causant d’importants dommages à la biodiversité marine.
Si certains emballages plastiques ne se recyclent pas, c’est essentiellement en raison du coût de l’opération, soit que les produits, tels les pots de yaourt, par exemple, trop légers, ne contiennent pas assez de matière pour que le recyclage soit rentable, soit que le recyclage soit jugé trop complexe, comme dans le cas des jouets.
Nous devons réussir à recycler tous les emballages, y compris les pots de yaourt, les barquettes ou les sacs plastiques. À ce titre, je rejoins les propos tenus sur la nécessité de développer des solutions innovantes.
Élu de Haute-Savoie, département très touristique dans lequel vous vous êtes rendue, madame la secrétaire d’État, je suis fortement sensibilisé à cette problématique de la lutte contre la pollution plastique, que nous pouvons constater dans nos montagnes et nos lacs.
Mais il n’y a pas que le recyclage. En amont du recyclage, il reste beaucoup à faire.
La lutte contre le suremballage, qui concerne neuf produits sur dix et irrite les consommateurs, me semble ainsi essentielle. Nous devons aussi lutter contre le « jetable », tous ces produits à usage unique qui ne sont pas indispensables et pour lesquels il existe des alternatives.
Enfin, j’aimerais souligner l’importance de la sensibilisation des enfants à l’école. L’éducation à l’environnement est primordiale pour favoriser la prévention de la production des déchets. Les bons gestes en matière de recyclage peuvent être appris dès le plus jeune âge. Des supports pédagogiques ou équipements pour sensibiliser les enfants au recyclage existent ; j’en avais acheté lorsque j’étais maire. Ils pourraient être davantage développés. L’État pourrait-il s’engager à éduquer à l’environnement dans tous les établissements scolaires ? Sensibiliser la jeunesse au développement durable, notamment au recyclage, me semble être une voie intéressante, car les enfants pourront, à leur tour, éduquer leur entourage.
Monsieur le sénateur, votre question manifeste un souci sincère pour la lutte contre la pollution plastique et la protection de la nature.
L’objectif du Gouvernement est triple.
Il est, d’abord et avant tout, de supprimer les plastiques inutiles. Vous avez évoqué le suremballage ou les plastiques jetables. C’est exactement dans cette voie que nous nous engageons : nous avons déjà supprimé toute une série d’objets en plastique à usage unique et, dès l’année prochaine, ce seront les gobelets et couverts en plastique, par exemple, qui seront interdits.
Nous voulons ensuite développer massivement le recyclage, en mettant en place toute une série d’incitations visant à favoriser l’écoconception, mais aussi à améliorer la collecte des plastiques, afin qu’ils entrent plus largement dans la boucle vertueuse du recyclage. J’ai déjà parlé du lancement d’appels à manifestation d’intérêt de façon à identifier de nouveaux systèmes de collecte innovants, par exemple des systèmes de consigne.
Enfin, nous entendons encourager très largement le réemploi de certains objets en plastique.
Nous n’avons pas attendu le projet de loi qui sera présenté avant l’été pour commencer à agir. Nous avons ainsi lancé un pacte sur les emballages plastiques, qui réunit treize entreprises ayant pris des engagements très significatifs pour réduire drastiquement le suremballage et commercialiser des produits entièrement élaborés à partir de matières premières recyclées d’ici à 2025. Des ONG vérifieront l’avancée de la mise en œuvre de ce pacte.
La sensibilisation des enfants dans les écoles est absolument fondamentale. J’ai rencontré des maires ayant mené, aux côtés des écoles, des actions tout à fait remarquables en la matière. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, réfléchit actuellement à des mesures à mettre en œuvre pour encourager de telles initiatives. Pour ma part, au cours d’une visite de deux jours dans l’Ain, non loin du pôle de compétitivité dédié au plastique, j’ai pu étudier très concrètement ce que nous pourrions faire. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Je serai ravie d’apprendre de vous, monsieur Pellevat, ce que vous avez fait dans votre municipalité.
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient donc de conclure, au nom de mon groupe, ce débat fort utile, qui fut riche d’enseignements. Il aura permis de souligner, s’il en était encore besoin, l’urgence de la situation, et donc la nécessité d’agir rapidement pour éviter une catastrophe écologique et sanitaire, comme nous l’a rappelé, avec beaucoup d’émotion, notre collègue Angèle Préville.
Rappelons les chiffres : selon un rapport de mars 2019 du WWF, il a été produit dans le monde autant de plastique entre 2000 et 2016 qu’entre 1950 et 2000. Plus de 310 millions de tonnes de déchets plastiques ont été produites en 2016, dont un tiers se sont retrouvées dans la nature, les océans recueillant 150 millions de tonnes de plastique. Si rien n’est fait, la production mondiale de déchets plastiques pourrait augmenter de plus de 40 % d’ici à 2030 et la quantité accumulée dans l’océan pourrait alors doubler. En 2050, il pourrait ainsi y avoir plus de plastique que de poisson dans la mer !
Rappelons également que la France a encore de gros progrès à faire en matière de recyclage, puisque seulement 22 % des plastiques y sont recyclés, contre 31 % à l’échelle européenne.
Une prise de conscience semble néanmoins naître dans l’opinion. Les discours se multiplient pour bannir les plastiques superflus et réduire l’usage unique. Une sorte de plastique bashing se développe de plus en plus, avec lequel, comme l’a indiqué notre collègue Patrick Chaize, il faut toutefois prendre ses distances.
Certes, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures. Ainsi, madame la secrétaire d’État, le pacte national sur les emballages plastiques que vous avez signé le 21 février dernier va dans le bon sens. Les entreprises et les grands groupes signataires s’engagent en effet à cesser d’utiliser le polychlorure de vinyle, ou PVC, pour la fabrication des emballages ménagers, commerciaux et industriels d’ici à 2022, et à éliminer les emballages plastiques problématiques ou inutiles d’ici à 2025, à commencer par le polystyrène expansé.
Ce pacte fixe également l’objectif de 60 % d’emballages plastiques effectivement recyclés à l’horizon 2022 et d’incorporer en moyenne 30 % de matières plastiques recyclées dans les emballages.
Mais ces mesures semblent insuffisantes eu égard aux enjeux. L’approche volontariste sur laquelle repose le pacte et l’absence de contraintes risquent d’en limiter les effets. Aucun objectif chiffré n’est donné, en outre, quant à la réduction de la quantité d’emballages à la source. Par ailleurs, le recyclage ne peut être la seule solution apportée au problème, d’abord parce que le recyclage du plastique n’est pas infini : contrairement au verre, au papier et au métal, les plastiques ne se biodégradent pas. Ensuite, parce que le meilleur déchet, c’est avant tout celui que l’on ne produit pas, il faut intervenir autant que possible à la source, en produisant moins de plastique.
L’aspect international du problème doit également être pris en compte. S’il est vrai que les principales sources du plastique des océans sont les pays en voie de développement, de nombreux autres pays, dont la France, exportent une partie de leurs déchets plastiques vers ces régions. C’est aussi en raison du caractère transnational du phénomène que de nombreuses organisations demandent la mise en place d’un traité international juridiquement contraignant pour enrayer cette pollution.
Il existe, me semble-t-il, un large consensus sur nos travées concernant ce sujet. Nous souscrivons, madame la secrétaire d’État, aux trois piliers que vous avez présentés : la suppression des plastiques inutiles, le recyclage de 100 % des plastiques utiles et la préparation, par l’innovation, de l’« après-plastique ».
Nous souhaitons que ce débat permette d’enrichir la feuille de route sur l’économie circulaire et vous pouvez compter sur notre implication, ainsi que sur celle des collectivités locales, dans sa mise en œuvre.
C’est sans doute toute une palette de mesures cohérentes et ambitieuses qu’il faut mettre en œuvre : des mesures coercitives, certes, mais aussi des mesures incitatives.
Au-delà, vous avez évoqué avec force, madame la secrétaire d’État, l’outrance de notre société de consommation. C’est donc un autre modèle de consommation et de développement que nous devons promouvoir. Sachez que nous prendrons toutes nos responsabilités à cet égard !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle politique de lutte contre la pollution et de recyclage du plastique et, plus généralement, quelle utilisation du plastique en France ? »
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 2 mai 2019 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
Ordre du jour réservé au groupe La République En Marche
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé (procédure accélérée ; texte de la commission n° 441, 2018-2019).
Proposition de loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral (texte de la commission n° 444, 2018-2019) et proposition de loi organique visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, présentées par M. Alain Richard et les membres du groupe La République En Marche (texte de la commission n° 445, 2018-2019)
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures à minuit :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain
Proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 406, 2018-2019).
Proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, présentée par M. Jérôme Durain, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (texte n° 384, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.
La liste des candidats établie par la commission des lois a été publiée conformément à l ’ article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai d ’ une heure prévu par l ’ article 9 du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat aux commissions mixtes paritaires chargées de proposer, d ’ une part, un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française et du projet de loi organique portant modification du statut d ’ autonomie de la Polynésie française ont été publiées sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Mmes Muriel Jourda, Lana Tetuanui, MM. Jean-Pierre Sueur, Jérôme Durain et Thani Mohamed Soilihi ;
Suppléants : Mmes Esther Benbassa, Maryse Carrère, Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, Jocelyne Guidez, MM. Victorin Lurel et Vincent Segouin.
Aucune opposition ne s ’ étant manifestée dans le délai prévu par l ’ article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
MM. Joël Bigot, François Bonhomme, Jean-Marc Boyer, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Mme Josiane Costes, MM. Pierre Cuypers, Jean Luc Fichet, Jacques Genest, Jordi Ginesta, Joël Guerriau, Éric Gold, Jean-Michel Houllegatte, Benoît Hur é, Mme Victoire Jasmin, M. Henri Leroy, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Jean-Claude Luche, Didier Mandelli, Sébastien Meurant, Cyril Pellevat, Mme Sonia de la Provôté, MM. Didier Rambaud, Claude Raynal, Jean Sol, Rachid Temal et Dominique Théophile.