Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 avril 2019 à 15h05
Projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Le conseil des ministres a adopté, le 10 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente pour cette période la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent. Or ce document important est devenu obsolète du fait des annonces du Président de la République jeudi dernier. De qui se moque-t-on, si ce n'est de nos partenaires ou du Parlement européen ?

Considéré en principe comme le véritable support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire, ce projet s'accompagne du programme national de réforme, qui a pour finalité d'exposer les mesures programmées ou déjà mises en oeuvre afin de réaliser les objectifs fixés.

Ce document est théoriquement important et c'est la raison pour laquelle notre commission a souhaité qu'un débat en séance publique soit prévu aujourd'hui, alors que le Gouvernement n'avait pas envisagé de l'inscrire à l'ordre du jour. Le président Éblé et moi-même avons ainsi défendu l'organisation de ce débat, conformément à la volonté du bureau de notre commission. Cela nous est apparu d'autant plus nécessaire que l'exercice exigé par la transmission du programme de stabilité présente cette année une double particularité : d'une part, il tire les conséquences budgétaires du ralentissement de l'économie et donne l'occasion au Gouvernement de mettre à jour la trajectoire au regard des mesures adoptées fin décembre par le Parlement, afin de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement dit « des gilets jaunes » ; d'autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées par le Président de la République du grand débat national, et ce alors même qu'elles risquent fort d'avoir un impact non négligeable sur la trajectoire budgétaire.

Commençons par examiner le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement. Comme le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je pense que le scénario retenu constitue une base réaliste pour asseoir la programmation pluriannuelle des finances publiques, dès lors qu'il prend acte du ralentissement de l'économie française. Alors que le projet de loi de finances pour 2019 avait déjà été marqué par une révision à la baisse du scénario de croissance, les hypothèses retenues par le Gouvernement dans le cadre du présent programme de stabilité enregistrent un nouveau recul. La croissance serait ainsi limitée à 1,4 % du PIB en volume sur l'ensemble de la période 2019-2022, soit 0,3 point en deçà du précédent scénario.

La révision à la baisse des perspectives de court-terme pour la première période, de 2019 à 2020, tient essentiellement à un « effet base » 2018 défavorable et au ralentissement du commerce et de l'économie européenne. En effet, le ralentissement est plus fort que les prévisions pour le commerce mondial et l'activité de la zone euro, ce qui pèse sur les exportations françaises.

La hausse de la demande adressée à la France serait ainsi limitée à 2,7 % en 2019, également en net recul par rapport au précédent programme de stabilité, ainsi qu'au projet de loi de finances pour 2019. En revanche, la demande intérieure resterait dynamique, comme le suggèrent les enquêtes de conjoncture du début d'année et compte tenu de l'effet des mesures sur le pouvoir d'achat et des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » sur la croissance - cet effet est estimé à 0,3 point de PIB.

Les hypothèses retenues sont donc globalement en ligne avec les prévisions les plus récentes.

Si le présent projet de programme de stabilité est marqué par une dégradation des perspectives de croissance de court terme, le scénario de moyen terme est également revu à la baisse - une première depuis le début du quinquennat !

À cet horizon, l'évaluation des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement repose moins sur l'analyse des indicateurs conjoncturels que sur l'appréciation de la position dans le cycle de l'économie française et sur son potentiel de croissance, lesquels sont actuellement soumis à de fortes incertitudes.

Vous le savez, la croissance potentielle joue en quelque sorte le rôle d'un « limitateur de vitesse » : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective doit se rapprocher de la croissance potentielle. De ce point de vue, alors que le Gouvernement faisait jusqu'à présent l'hypothèse que l'économie française entrerait dans une phase de légère « surchauffe » en fin de quinquennat, tel n'est plus le cas dans le cadre du présent projet de programme de stabilité. Une fois l'écart de production refermé en 2020, la croissance effective - 1,4 % - resterait ainsi très proche de la croissance potentielle - 1,35 % en 2022 -, ce qui maintiendrait l'écart de production au voisinage de zéro.

Le HCFP qualifie ce scénario de « raisonnable », alors qu'il considérait à juste titre l'an passé que « le scénario retenu d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 » était « optimiste ». Les hypothèses de croissance effective qui en découlent apparaissent en tout état de cause en ligne avec les principales estimations disponibles de la Banque de France, du FMI, etc.

Si le débat sur le cadrage macroéconomique gouvernemental se focalise le plus souvent sur le scénario de croissance, d'autres hypothèses jouent un rôle décisif pour l'évolution des finances publiques, au premier rang desquelles figurent l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité et l'évolution des taux d'intérêt.

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement bénéficie d'un fort dynamisme des recettes, qui a grandement facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires, avec une élasticité des prélèvements obligatoires, de 1,4 point de PIB en 2017 et de 1,2 point de PIB en 2018. Il s'agit d'une situation atypique, car l'élasticité n'est restée supérieure à l'unité pendant trois exercices consécutifs qu'à une seule reprise depuis 1990. Pour la suite du quinquennat, le Gouvernement retient une hypothèse plus réaliste, celle d'un retour à une élasticité unitaire.

La question du rythme de la remontée des taux d'intérêt revêt également une importance majeure pour apprécier la crédibilité du scénario gouvernemental compte tenu du niveau actuel de la dette publique.

En dépit de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de ralentir la normalisation de sa politique monétaire, le Gouvernement continue à établir l'hypothèse d'une remontée des taux assez importante, au rythme de 75 points de base par an - scénario dont j'avais déjà souligné le caractère conservateur l'an dernier.

Sans surprise, les prévisions de taux d'intérêt du Gouvernement diffèrent donc fortement du scénario central des conjoncturistes et de la Banque de France, ce qui conduit naturellement à une appréciation différente du poids de la charge de la dette. Celle-ci s'élèverait en 2021 à 1,3 point de PIB d'après la Banque de France, contre 1,6 point de PIB dans le scénario gouvernemental. Cette différence correspond au surcoût induit par la suppression complète de la taxe d'habitation.

Si la prudence peut se justifier dans un domaine où l'incertitude est grande, il apparaît étonnant de retenir des hypothèses aussi éloignées des conjoncturistes. Ces prévisions concernant la charge de la dette n'auraient-elles pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée, qui échapperait au contrôle du Parlement et dont la sous-exécution viendrait compenser les dérapages sur les autres dépenses ?

Venons-en maintenant à la trajectoire budgétaire, qui ne recueille pas, cela ne vous surprendra pas, le même assentiment que le scénario macroéconomique. En effet, le nouveau scénario budgétaire apparaît significativement dégradé, au point que l'on peut se demander si le Gouvernement ne sacrifie pas les finances publiques pour tenter de répondre au mouvement des gilets jaunes et plus largement aux attentes fortes des Français. Je pense à la renonciation à 120 000 postes de fonctionnaires et à l'abandon ou au report de réformes.

Par rapport au scénario du projet de loi de finances, trois changements notables expliquent la révision des objectifs budgétaires gouvernementaux.

Le premier facteur tient à une exécution 2018 légèrement plus favorable qu'escompté, avec un déficit public de 2,5 % du PIB, contre une prévision de 2,6 % du PIB. Cela permet ainsi au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point pour l'exercice 2019.

La décomposition du solde public fait apparaître que ce résultat est le produit de deux effets contraires : d'une part, un solde conjoncturel plus dégradé que prévu, en lien avec un taux de croissance 2018 - 1,6 % - inférieur de 0,1 point à la prévision associée au projet de loi de finances - 1,7% -; d'autre part, un effort de maîtrise des dépenses plus important qu'anticipé - supérieur de 0,2 point. Malheureusement, ce sont encore une fois les collectivités territoriales - à qui l'on donne souvent des leçons - qui ont grandement contribué à cette bonne tenue de la dépense, avec une progression des dépenses de fonctionnement limitée à 0,7 % en comptabilité budgétaire, soit un niveau significativement inférieur à l'objectif de 1,2 % fixé dans le cadre du mécanisme de contractualisation.

L'effet base positif de 0,1 point de PIB issu de l'exécution 2018 est toutefois plus que compensé par la dégradation des perspectives de croissance 2019-2022, qui pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.

Enfin, la trajectoire budgétaire est également bouleversée par les réponses apportées à la crise des gilets jaunes en décembre dernier.

Le coût de ces décisions, que le ministre nous a demandé de voter sans savoir à l'époque les expliquer, peut être estimé à 7,4 milliards d'euros en 2019, soit 0,3 point de PIB - selon l'hypothèse favorable d'une mise en oeuvre intégrale des économies annoncées sur le budget de l'État, 1,5 milliard d'euros, soit 40 % des crédits mis en réserve - et d'un rendement de la taxe GAFA conforme à la prévision, soit 400 millions d'euros. Je demande à voir... En 2022, le coût s'élèverait à 12,9 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, en retenant l'hypothèse du présent programme de stabilité d'un gel complet de la trajectoire carbone jusqu'à la fin du quinquennat.

Faute d'un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique, et en dépit des grandes déclarations de Bruno Le Maire concernant le déficit, l'effet combiné de ces trois facteurs pèserait donc à hauteur de 0,9 point de PIB sur le solde 2022, éloignant ainsi un peu plus la France du retour à l'équilibre des comptes publics initialement anticipé par le Gouvernement.

Cette remise en cause de la trajectoire de réduction du déficit public conduit naturellement à un moindre infléchissement du ratio d'endettement, qui ne diminuerait que de 1,6 point à l'échelle du quinquennat, loin des ambitions initiales. En outre, la révision à la baisse des perspectives de croissance conduit mécaniquement à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB. À l'inverse, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est plus importante qu'escompté - 0,5 point supplémentaire par rapport au projet de loi de finances -, du fait des réponses apportées à la crise des gilets jaunes.

À l'issue du quinquennat, le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale resterait supérieur de 1,7 point à celui qui a été observé avant la crise financière. Le niveau atteint en 2022 serait sensiblement le même qu'en 2012. Autrement dit, en matière de prélèvements obligatoires, le quinquennat Macron permettra tout juste d'effacer les excès du quinquennat Hollande !

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