Comme il est de tradition, M. le rapporteur général va nous présenter son rapport d'information sur le projet de programme de stabilité. Cette présentation intervient cette année dans un contexte bien particulier après le grand débat et les récentes déclarations du Président de la République.
Je lui laisse la parole, pour qu'il expose son analyse de ce projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022.
Le conseil des ministres a adopté, le 10 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022, qui présente pour cette période la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent. Or ce document important est devenu obsolète du fait des annonces du Président de la République jeudi dernier. De qui se moque-t-on, si ce n'est de nos partenaires ou du Parlement européen ?
Considéré en principe comme le véritable support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire, ce projet s'accompagne du programme national de réforme, qui a pour finalité d'exposer les mesures programmées ou déjà mises en oeuvre afin de réaliser les objectifs fixés.
Ce document est théoriquement important et c'est la raison pour laquelle notre commission a souhaité qu'un débat en séance publique soit prévu aujourd'hui, alors que le Gouvernement n'avait pas envisagé de l'inscrire à l'ordre du jour. Le président Éblé et moi-même avons ainsi défendu l'organisation de ce débat, conformément à la volonté du bureau de notre commission. Cela nous est apparu d'autant plus nécessaire que l'exercice exigé par la transmission du programme de stabilité présente cette année une double particularité : d'une part, il tire les conséquences budgétaires du ralentissement de l'économie et donne l'occasion au Gouvernement de mettre à jour la trajectoire au regard des mesures adoptées fin décembre par le Parlement, afin de répondre aux préoccupations exprimées par le mouvement dit « des gilets jaunes » ; d'autre part, la programmation pluriannuelle a été établie indépendamment des conclusions tirées par le Président de la République du grand débat national, et ce alors même qu'elles risquent fort d'avoir un impact non négligeable sur la trajectoire budgétaire.
Commençons par examiner le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement. Comme le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je pense que le scénario retenu constitue une base réaliste pour asseoir la programmation pluriannuelle des finances publiques, dès lors qu'il prend acte du ralentissement de l'économie française. Alors que le projet de loi de finances pour 2019 avait déjà été marqué par une révision à la baisse du scénario de croissance, les hypothèses retenues par le Gouvernement dans le cadre du présent programme de stabilité enregistrent un nouveau recul. La croissance serait ainsi limitée à 1,4 % du PIB en volume sur l'ensemble de la période 2019-2022, soit 0,3 point en deçà du précédent scénario.
La révision à la baisse des perspectives de court-terme pour la première période, de 2019 à 2020, tient essentiellement à un « effet base » 2018 défavorable et au ralentissement du commerce et de l'économie européenne. En effet, le ralentissement est plus fort que les prévisions pour le commerce mondial et l'activité de la zone euro, ce qui pèse sur les exportations françaises.
La hausse de la demande adressée à la France serait ainsi limitée à 2,7 % en 2019, également en net recul par rapport au précédent programme de stabilité, ainsi qu'au projet de loi de finances pour 2019. En revanche, la demande intérieure resterait dynamique, comme le suggèrent les enquêtes de conjoncture du début d'année et compte tenu de l'effet des mesures sur le pouvoir d'achat et des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » sur la croissance - cet effet est estimé à 0,3 point de PIB.
Les hypothèses retenues sont donc globalement en ligne avec les prévisions les plus récentes.
Si le présent projet de programme de stabilité est marqué par une dégradation des perspectives de croissance de court terme, le scénario de moyen terme est également revu à la baisse - une première depuis le début du quinquennat !
À cet horizon, l'évaluation des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement repose moins sur l'analyse des indicateurs conjoncturels que sur l'appréciation de la position dans le cycle de l'économie française et sur son potentiel de croissance, lesquels sont actuellement soumis à de fortes incertitudes.
Vous le savez, la croissance potentielle joue en quelque sorte le rôle d'un « limitateur de vitesse » : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective doit se rapprocher de la croissance potentielle. De ce point de vue, alors que le Gouvernement faisait jusqu'à présent l'hypothèse que l'économie française entrerait dans une phase de légère « surchauffe » en fin de quinquennat, tel n'est plus le cas dans le cadre du présent projet de programme de stabilité. Une fois l'écart de production refermé en 2020, la croissance effective - 1,4 % - resterait ainsi très proche de la croissance potentielle - 1,35 % en 2022 -, ce qui maintiendrait l'écart de production au voisinage de zéro.
Le HCFP qualifie ce scénario de « raisonnable », alors qu'il considérait à juste titre l'an passé que « le scénario retenu d'une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu'en 2022 » était « optimiste ». Les hypothèses de croissance effective qui en découlent apparaissent en tout état de cause en ligne avec les principales estimations disponibles de la Banque de France, du FMI, etc.
Si le débat sur le cadrage macroéconomique gouvernemental se focalise le plus souvent sur le scénario de croissance, d'autres hypothèses jouent un rôle décisif pour l'évolution des finances publiques, au premier rang desquelles figurent l'élasticité des prélèvements obligatoires à l'activité et l'évolution des taux d'intérêt.
Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement bénéficie d'un fort dynamisme des recettes, qui a grandement facilité l'atteinte de ses objectifs budgétaires, avec une élasticité des prélèvements obligatoires, de 1,4 point de PIB en 2017 et de 1,2 point de PIB en 2018. Il s'agit d'une situation atypique, car l'élasticité n'est restée supérieure à l'unité pendant trois exercices consécutifs qu'à une seule reprise depuis 1990. Pour la suite du quinquennat, le Gouvernement retient une hypothèse plus réaliste, celle d'un retour à une élasticité unitaire.
La question du rythme de la remontée des taux d'intérêt revêt également une importance majeure pour apprécier la crédibilité du scénario gouvernemental compte tenu du niveau actuel de la dette publique.
En dépit de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de ralentir la normalisation de sa politique monétaire, le Gouvernement continue à établir l'hypothèse d'une remontée des taux assez importante, au rythme de 75 points de base par an - scénario dont j'avais déjà souligné le caractère conservateur l'an dernier.
Sans surprise, les prévisions de taux d'intérêt du Gouvernement diffèrent donc fortement du scénario central des conjoncturistes et de la Banque de France, ce qui conduit naturellement à une appréciation différente du poids de la charge de la dette. Celle-ci s'élèverait en 2021 à 1,3 point de PIB d'après la Banque de France, contre 1,6 point de PIB dans le scénario gouvernemental. Cette différence correspond au surcoût induit par la suppression complète de la taxe d'habitation.
Si la prudence peut se justifier dans un domaine où l'incertitude est grande, il apparaît étonnant de retenir des hypothèses aussi éloignées des conjoncturistes. Ces prévisions concernant la charge de la dette n'auraient-elles pas vocation à constituer une forme de « réserve de budgétisation » cachée, qui échapperait au contrôle du Parlement et dont la sous-exécution viendrait compenser les dérapages sur les autres dépenses ?
Venons-en maintenant à la trajectoire budgétaire, qui ne recueille pas, cela ne vous surprendra pas, le même assentiment que le scénario macroéconomique. En effet, le nouveau scénario budgétaire apparaît significativement dégradé, au point que l'on peut se demander si le Gouvernement ne sacrifie pas les finances publiques pour tenter de répondre au mouvement des gilets jaunes et plus largement aux attentes fortes des Français. Je pense à la renonciation à 120 000 postes de fonctionnaires et à l'abandon ou au report de réformes.
Par rapport au scénario du projet de loi de finances, trois changements notables expliquent la révision des objectifs budgétaires gouvernementaux.
Le premier facteur tient à une exécution 2018 légèrement plus favorable qu'escompté, avec un déficit public de 2,5 % du PIB, contre une prévision de 2,6 % du PIB. Cela permet ainsi au Gouvernement de disposer d'un « effet base » positif de 0,1 point pour l'exercice 2019.
La décomposition du solde public fait apparaître que ce résultat est le produit de deux effets contraires : d'une part, un solde conjoncturel plus dégradé que prévu, en lien avec un taux de croissance 2018 - 1,6 % - inférieur de 0,1 point à la prévision associée au projet de loi de finances - 1,7% -; d'autre part, un effort de maîtrise des dépenses plus important qu'anticipé - supérieur de 0,2 point. Malheureusement, ce sont encore une fois les collectivités territoriales - à qui l'on donne souvent des leçons - qui ont grandement contribué à cette bonne tenue de la dépense, avec une progression des dépenses de fonctionnement limitée à 0,7 % en comptabilité budgétaire, soit un niveau significativement inférieur à l'objectif de 1,2 % fixé dans le cadre du mécanisme de contractualisation.
L'effet base positif de 0,1 point de PIB issu de l'exécution 2018 est toutefois plus que compensé par la dégradation des perspectives de croissance 2019-2022, qui pèse à hauteur de 0,5 point de PIB sur le solde en 2022.
Enfin, la trajectoire budgétaire est également bouleversée par les réponses apportées à la crise des gilets jaunes en décembre dernier.
Le coût de ces décisions, que le ministre nous a demandé de voter sans savoir à l'époque les expliquer, peut être estimé à 7,4 milliards d'euros en 2019, soit 0,3 point de PIB - selon l'hypothèse favorable d'une mise en oeuvre intégrale des économies annoncées sur le budget de l'État, 1,5 milliard d'euros, soit 40 % des crédits mis en réserve - et d'un rendement de la taxe GAFA conforme à la prévision, soit 400 millions d'euros. Je demande à voir... En 2022, le coût s'élèverait à 12,9 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB, en retenant l'hypothèse du présent programme de stabilité d'un gel complet de la trajectoire carbone jusqu'à la fin du quinquennat.
Faute d'un plus grand effort de maîtrise de la dépense publique, et en dépit des grandes déclarations de Bruno Le Maire concernant le déficit, l'effet combiné de ces trois facteurs pèserait donc à hauteur de 0,9 point de PIB sur le solde 2022, éloignant ainsi un peu plus la France du retour à l'équilibre des comptes publics initialement anticipé par le Gouvernement.
Cette remise en cause de la trajectoire de réduction du déficit public conduit naturellement à un moindre infléchissement du ratio d'endettement, qui ne diminuerait que de 1,6 point à l'échelle du quinquennat, loin des ambitions initiales. En outre, la révision à la baisse des perspectives de croissance conduit mécaniquement à une moindre réduction du poids de la dépense publique dans le PIB. À l'inverse, la réduction de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est plus importante qu'escompté - 0,5 point supplémentaire par rapport au projet de loi de finances -, du fait des réponses apportées à la crise des gilets jaunes.
À l'issue du quinquennat, le poids des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale resterait supérieur de 1,7 point à celui qui a été observé avant la crise financière. Le niveau atteint en 2022 serait sensiblement le même qu'en 2012. Autrement dit, en matière de prélèvements obligatoires, le quinquennat Macron permettra tout juste d'effacer les excès du quinquennat Hollande !
Ce n'est pas moi qui ai inventé le « ras-le-bol fiscal » !
Alors, quel regard porter sur la nouvelle trajectoire budgétaire proposée dans le programme de stabilité ?
S'il était légitime de répondre à la crise des « gilets jaunes », même s'il aurait mieux valu éviter d'allumer l'incendie, - le Sénat a voté le premier le gel de la trajectoire carbone qui a fait l'objet d'un consensus entre nous, mais aussi l'ensemble des mesures d'urgence pour le soutien au pouvoir d'achat en décembre dernier -, il me semble que leur coût aurait dû être compensé par un plus grand effort de maîtrise de la dépense. Aussi, je suis inquiet de ce nouveau report du redressement des comptes publics, qui risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l'économie française à faire face aux chocs. Il faut se souvenir que la stratégie budgétaire française de sortie de crise s'est singularisée par la volonté de ne pas fragiliser la reprise économique, en engageant un redressement plus progressif de ses comptes publics. Ce choix contribue ainsi à expliquer le retard français en matière d'ajustement budgétaire.
Que l'on s'attache au solde public ou à des indicateurs plus sophistiqués tels que le solde primaire structurel, la France se situe actuellement en « queue du peloton » des grands pays européens, avec l'Espagne. Cette stratégie budgétaire n'est pas dénuée de tout fondement sur le plan économique. En effet, des travaux ont confirmé qu'il est sous-optimal de mener des plans de consolidation budgétaire de grande envergure en bas de cycle. Sa crédibilité reposerait sur la détermination du Gouvernement à s'engager résolument dans un effort de redressement des comptes publics une fois l'économie revenue à son niveau d'activité potentiel. Or les grandes réformes ont toutes été oubliées, alors que le contexte actuel apparaît doublement favorable.
D'une part, l'écart de production est pratiquement résorbé à l'issue de l'exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020, ce qui signifie que les conditions économiques sont désormais propices à la mise en place de plans de consolidation budgétaire. D'autre part, la France bénéficie depuis 2017 d'un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d'endettement. Ainsi, même un léger déficit primaire serait suffisant pour engager la diminution du ratio d'endettement. Mais il faudrait que la situation se prolonge jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui est inédit depuis le milieu des années quatre-vingt.
Plutôt que de profiter de ce contexte historiquement favorable pour commencer à réduire notre endettement, le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'effort en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s'écartait déjà significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021. Les efforts prévus apparaissent bien insuffisants sur l'ensemble du quinquennat. Si le Gouvernement pourra sans doute de nouveau compter sur la « souplesse » des institutions européennes, ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d'endettement par rapport au reste de la zone euro. Seule l'Italie devrait faire pire en matière d'évolution de son endettement. Le différentiel d'endettement avec l'Allemagne atteindrait ainsi 48 points à l'horizon 2022 - 34 milliards d'euros qui partiront en fumée, sachant que cette charge représente le deuxième poste du budget de l'État. Et nos services publics requièrent de nouvelles infrastructures.
Or ce choix risque de rendre l'économie française plus vulnérable aux chocs, pour deux raisons. Tout d'abord, il risque de limiter la capacité de l'économie à faire face à un ralentissement économique, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur. Selon de récents travaux empiriques, dans l'hypothèse d'une crise financière de même ampleur, voire d'un krach boursier, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires connaîtront une perte de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé devront faire face à une perte d'environ 7 points de PIB - en 2008, il a fallu faire appel à la dépense publique, nationaliser des banques.
En outre, un niveau élevé d'endettement rend l'économie plus vulnérable à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés. Ainsi, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt. L'exemple italien, avec des taux souverains de 7 % à 8 % est d'ailleurs récemment venu rappeler l'importance de ce risque sur les marchés en cas de crise, notamment pour les pays dont les taux d'endettement avoisinent le PIB. Les taux pratiqués en Allemagne permettront toujours d'emprunter. Le choix du Gouvernement de reporter encore une fois l'inflexion du ratio d'endettement n'est donc pas exempt de risques sur le plan économique.
Pour l'heure, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.
Un premier facteur de fragilité tient au fait que la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts sur les années 2021 et 2022, soit la fin du quinquennat, alors qu'il est très rare de réaliser des économies à l'approche de la campagne présidentielle. D'un montant de 13 milliards d'euros en 2020, les réductions nécessaires s'élèveraient ainsi à 20 milliards d'euros en 2022.
Un deuxième facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l'exercice en cours, les incertitudes sont importantes. Ainsi, les économies de 1,5 milliard d'euros annoncées sur l'État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées, alors même qu'il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en oeuvre de la « contemporanéisation » des aides au logement...
et le retard dans la mise en oeuvre des nouvelles règles d'indemnisation du chômage.
Une troisième faiblesse tient au fait que ce programme de stabilité a été établi « indépendamment des conclusions qui pourront être tirées du grand débat national ». Ite missa est : ce projet est déjà obsolète !
En effet, au moins quatre des mesures annoncées jeudi dernier pourraient se traduire par un impact significatif sur la trajectoire budgétaire, d'après les premiers éléments de chiffrage dont nous disposons.
Je pense bien sûr à la baisse annoncée de l'impôt sur le revenu, pour un montant d'environ 5 milliards d'euros, même si des économies en dépense et un rabot de certaines « niches fiscales » - lesquelles ? - viendraient en partie compenser ce coût. Je pense également à la réindexation partielle des pensions en 2020 et qui représenterait un « manque à gagner » de 1,4 milliard d'euros environ. Le renoncement total ou partiel à la suppression de 120 000 postes dans la fonction publique à l'échelle du quinquennat pourrait également peser sur les finances publiques - l'économie attendue était initialement estimée à 3 milliards d'euros environ. Enfin, porter à 1 000 euros la pension minimale pour les carrières complètes dans le privé représenterait un surcoût de 150 millions d'euros par génération à compter de 2020.
En première analyse, les enjeux budgétaires pourraient donc aller jusqu'à 10 milliards d'euros, soit environ 0,4 point de PIB, en l'absence de mesure de compensation.
Il ne serait pas acceptable de financer une nouvelle fois ces annonces par le recours à l'endettement, déjà particulièrement élevé. Il faudra malheureusement attendre l'actualisation de la trajectoire budgétaire à l'été dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques pour que le Gouvernement précise les économies supplémentaires qu'il entend mettre en oeuvre pour compenser le coût de ces nouvelles annonces.
En tout état de cause, le présent projet de programme de stabilité apparaît plus que jamais déconnecté des arbitrages budgétaires, ce qui est de nature à créer un doute sur la crédibilité de ce document, pourtant supposé constituer le support des engagements européens de notre pays en matière budgétaire. Et à moins que le ministre nous annonce tout à l'heure qu'il compte le réviser, je ne manquerai pas de l'interroger sur ce point.
Enfin, la trajectoire gouvernementale pourrait également pâtir d'une nouvelle dégradation du contexte macroéconomique, compte tenu des aléas importants susceptibles de peser sur le scénario de croissance gouvernemental à la hausse - principalement les aléas internes - mais aussi à la baisse - principalement les aléas externes.
Si la trajectoire gouvernementale se fonde légitimement sur le scénario macroéconomique le plus probable, il est utile d'examiner la sensibilité de la trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques retenues. Afin de circonscrire le champ des possibles, j'ai élaboré deux scénarios macroéconomiques alternatifs à partir des prévisions les plus optimistes et les plus pessimistes des instituts de conjoncture et des organisations internationales.
La réalisation du scénario défavorable conduirait à dégrader le niveau du déficit public de 0,9 point de PIB en 2022, tandis que la réalisation du scénario favorable l'améliorerait de 0,5 point de PIB, ce qui suggère que les aléas baissiers l'emportent sur les aléas haussiers.
De façon plus rassurante, la réalisation du scénario défavorable ne conduirait pas à dépasser le seuil maastrichtien de 3 % du PIB en 2020 - ce qui risquerait de conduire à l'ouverture d'une nouvelle procédure de déficit excessif à l'encontre de la France, compte tenu du dépassement déjà prévu dans le scénario gouvernemental en 2019, en lien avec le surcoût temporaire lié à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
En revanche, le retour à l'équilibre budgétaire à l'issue du quinquennat, qui figurait parmi les objectifs initiaux du Gouvernement, annoncé à de nombreuses reprises urbi et orbi, resterait hors d'atteinte, même dans le scénario favorable. La réalisation du scénario défavorable risquerait de porter le ratio d'endettement public au-delà du seuil symbolique de 100 % du PIB dès 2020.
Il est donc urgent d'agir, et j'espère que les finances publiques ne seront pas une nouvelle fois sacrifiées sur l'autel des annonces.
Merci de ce propos étayé et stimulant pour notre réflexion collective, je donne maintenant la parole aux commissaires.
Certes, tout cela devient virtuel, mais faire des annonces en dehors de tout texte est habituel. En décembre dernier, nous avons voté 10 milliards d'euros en 24 heures... C'est dire si le contrôle du Parlement est essentiel !
Presque tous les pays de l'OCDE revoient leurs prévisions de croissance dramatiquement à la baisse pour 2019 et 2020 - parfois de l'ordre de la moitié voire les trois quarts de l'évolution... La contraction du commerce international et l'augmentation continue des prix de l'énergie, et notamment du pétrole, y contribuent. Or le Gouvernement français semble avoir stabilisé sa prévision de croissance à 1,4 %, sans la modifier en raison de ces facteurs qui auront de probables conséquences sur l'économie française. Nous risquons de ne pas tenir nos prévisions...
Un scénario est toujours sujet à caution. Sans remettre en cause les hypothèses du HCFP, il existe des facteurs contradictoires en Europe. Parmi les facteurs négatifs, il y a la dégradation de la croissance de plusieurs pays européens, et la réduction du commerce international - même si nous n'y sommes pas trop exposés, puisque nous n'exportons pas beaucoup. En facteur positif, le Parlement a voté des mesures en urgence, équivalant à 0,3 point de PIB. Le Sénat avait voté de telles mesures initialement, en alertant sur les impacts de la hausse de la TICPE et de la non-indexation des retraites sur les entreprises et les ménages ; nous nous y sommes opposés non pas pour nous faire plaisir, mais parce que c'est la réalité économique ! Et ne négligeons pas l'impact de la contraction de la croissance en Europe ; il y a de nombreux facteurs d'incertitude...
Je félicite le rapporteur général pour sa présentation, mais la situation est ubuesque. Que fait-on là ? Je croyais que ce débat était une obligation du Gouvernement, avec comme seule différence un vote à l'Assemblée nationale, mais pas obligatoirement au Sénat... Or c'est la commission des finances qui a, in fine, décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour du Sénat ; le Gouvernement voulait-il s'en passer ?
Or certaines données ne sont déjà plus d'actualité. Je doute que les 9 milliards ou 10 milliards d'euros d'annonces de jeudi dernier et les 9 milliards d'euros de suppression de taxe d'habitation soient mentionnés dans ces prévisions, alors que le Gouvernement sera obligé de supprimer la taxe d'habitation pour tous - comme l'a demandé le Conseil constitutionnel. Si ces sommes ne sont pas prévues, quel est le sens de ce débat ?
Le Gouvernement est seulement obligé de transmettre au Parlement le programme de stabilité et le programme national de réforme. Ce débat en séance publique a été réclamé avec insistance par notre commission, mais le Gouvernement n'était pas obligé de le proposer. L'Assemblée nationale en débattra demain.
Oui.
La suppression complète de la taxe d'habitation est bien intégrée dans la trajectoire de la dépense publique. Le seul ratio pour lequel nous sommes en désaccord concerne l'évolution des taux d'intérêt. L'hypothèse retenue par le Gouvernement lui permet d'avoir davantage de marges de manoeuvre.
Dans quinze jours, nous examinerons le projet de loi de taxation des services numériques, dite taxe GAFA, qui revient aussi sur la baisse d'impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises. Le Gouvernement prévoit éventuellement « un lissage de la trajectoire pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros », qui « ne modifierait pas l'ancre de 25 % pour toutes les entreprises en 2022 » et serait prévu pour le projet de loi de finances pour 2020. Le Gouvernement se réserve donc le droit de reporter à plus tard la baisse de l'impôt sur les sociétés... en 2022, l'année des miracles !
Lorsque le rapporteur général et moi-même avons réclamé ce débat sur le programme de stabilité, nous n'en connaissions pas le contenu. Nous pensions qu'à la mi-avril nous aurions des éléments précis sur les décisions consécutives au grand débat national...
Merci de votre expertise de qualité et réaliste. Votre rapport porte bien sur le programme de stabilité des finances publiques, et notamment de la dette publique, document qui nous a été remis ?
D'où vient l'augmentation du coût des décisions prises en réponse aux gilets jaunes, qui passent de 7,4 milliards d'euros en 2019 à 12,9 milliards en 2022 ?
Nous portons précisément nos appréciations sur deux documents - le programme de stabilité et le programme national de réforme, qui montrent les engagements en cours de mise en oeuvre ou devant l'être - que la France enverra à nos partenaires européens. Le programme national de réforme précise les moyens de mise en oeuvre de la soutenabilité de la dépense publique.
Le différentiel entre 2019 et 2022 pour les mesures accordées aux gilets jaunes est dû à l'annulation de l'augmentation de la taxe carbone, qui devait intervenir chaque année. Nous avons gelé le tarif au niveau de 2018, il y aura donc moins de recettes qu'escompté - recettes qui devaient croître jusqu'en 2022. Le Gouvernement avait trouvé un impôt invisible, voté une seule fois, mais qui n'est pas indolore...
Merci pour ce rapport extrêmement tonique. Les mesures de décembre et celles qui viennent d'être annoncées par le Président de la République sont-elles conjoncturelles, nées de nécessités sociales, ou vont-elles avoir une mise en oeuvre plus structurelle ? Bascule-t-on d'une politique de l'offre vers une politique de la demande ou les vannes sont-elles juste un peu ouvertes ? Ce revirement est-il complet ?
Nous revenons à une juste proportion d'annulations d'erreurs relatives à des décisions qui n'avaient, pour certaines, pas encore été mises en oeuvre, comme l'augmentation de la taxe carbone. Le Gouvernement avait expliqué au Sénat qu'il ne pouvait revenir au tarif de 2018, il a fini par le faire...
La baisse annoncée d'impôt sur le revenu est plus fondamentale. Nous verrons à qui celle-ci bénéficiera : certaines tranches, les classes moyennes ?
Il n'y a pas de changement fondamental par rapport à la politique entreprise ; ce sont juste des corrections d'erreurs qui ne sont absolument pas mesurées. Le taux de prélèvements obligatoires restera à un niveau extrêmement élevé, loin devant l'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni, et même l'Espagne et le Portugal, qui ont fait des réformes structurelles. Nous avons seulement fait des réformes cosmétiques.
Nous faisons un débat théorique. Il aurait été difficile d'avoir déjà des déclinaisons opérationnelles des orientations du Président de la République, alors que de nombreux arbitrages n'ont pas encore été rendus... Il sera difficile de réaliser un bilan complet de ces mesures avant la rentrée prochaine. Restons prudents, sans pécher par excès d'optimisme ou de pessimisme. Les réductions de niches fiscales pour les entreprises ne sont pas précisées.
Le Président de la République ne renonce pas à supprimer 120 000 fonctionnaires, mais ce n'est plus un objectif absolu : il faut faire d'abord d'autres réformes dans l'éducation nationale ou les services publics de proximité. Même sans la crise de cette année, la suppression de ces 120 000 fonctionnaires aurait été difficile à tenir, à la moitié du quinquennat...
Supprimons plutôt les organismes qui se superposent les uns aux autres. Nous en sommes tous d'accord, mais attendons de voir comment chacun sera défendu... En dix-huit ans, nous sommes passés de deux à dix-huit agences ! Je ne suis pas sûr qu'elles soient structurellement plus efficaces et moins coûteuses que l'État. Nous ne pouvons pas juger en connaissance de cause. Certes, le Gouvernement reprendra d'une main ce qu'il donne de l'autre, mais pas forcément aux mêmes personnes...
Dont acte. Je ne reproche pas au Gouvernement de ne pas chiffrer des mesures récentes, mais enverra-t-il une lettre corrective à ses partenaires européens ?
Il devrait y en avoir une. C'est en tout cas nécessaire, une fois les mesures connues.
L'Insee envisage pour fin juin un surplus de croissance, qui serait alors supérieure à 1,4 %. Attend-on des recettes supplémentaires, notamment de TVA, à la suite de ces dernières mesures qui seront favorables au pouvoir d'achat ? Avez-vous pris en compte la baisse de 10 milliards d'euros de charge des intérêts de la dette d'ici à 2021, telle qu'annoncée dans Les Échos ? Ce serait une source d'économies importantes.
La baisse de la charge de la dette est bien prise en compte. On estime à 0,3 point de PIB l'impact des mesures en faveur des « gilets jaunes », mais avec un taux d'élasticité des recettes évalué à 1,4. Il y aura un petit impact sur les recettes de TVA, mais mieux vaut prendre en compte un taux d'élasticité des recettes proche de l'unité ; le taux de 1,4, récemment connu, est exceptionnel. Normalement la progression des recettes suit celle de la croissance économique. Celle-ci s'est élevée à 0,4 % au premier trimestre.
Je ne suis pas surpris par le ton du rapporteur général dans une période où il faut montrer sa connaissance du terrain. Mais en 1995, la dette publique était de 56,1 % du PIB ; 68,8 % en 2008, et 90,6 % en 2012. Certains gouvernements ont donc leur part de responsabilité : 34 points pour la droite, alors que la dette était gérée par des administrateurs de sociétés... Sous le quinquennat de François Hollande, la dette atteignait 98 % du PIB, certes, mais comparons ce qui est comparable...
La crise actuelle est une crise sociale, et pas seulement une crise des gilets jaunes - ce dernier terme est un raccourci facile et médiatique. Le Gouvernement doit évidemment répondre à cette crise pour ne pas tomber dans une crise plus importante. Nous parlons, au total, de 20 milliards d'euros... Or on avait bien réussi à trouver 20 milliards d'euros pour conforter la reprise des marges des entreprises par le biais du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)... Les Gouvernements successifs ont voulu réadapter l'économie à une réalité française.
Le programme de stabilité ne tient pas compte des éléments du grand débat national. Les chiffres prévus sont meilleurs que ce que nous avons pu - et vous avez pu - faire, ce qui serait rassurant pour l'économie.
Pour infléchir la dette, nous avons besoin de réponses et de solutions, et pas seulement de critiques. On pourrait augmenter l'âge de départ en retraite à 64 ans et supprimer de nombreux fonctionnaires d'État - mais le Gouvernement précédent avait augmenté ce nombre pour des raisons de sécurité.... Quelles autres mesures proposez-vous pour infléchir la dynamique de la dette ?
À part l'Italie, les autres pays ont fait des efforts massifs de désendettement. En cas de crise ou de krach financier, les pays qui ont presque 100 % de dette publique sont plus exposés, car les marchés risquent de ne plus leur prêter. La France fait partie d'un marché européen, avec des règles de convergence et une monnaie commune... Tous les gouvernements successifs portent la responsabilité de la dette française. Nous avons pu profiter d'un début de quinquennat avec un fort taux d'élasticité des recettes de 1,4. Affirmer que les réformes seront faites en 2022 n'est pas réaliste. La réduction des dépenses publiques permettrait d'enclencher le désendettement. Le retard de deux ans du départ en retraite ferait gagner 1 point de PIB, soit 20 milliards d'euros. La fonction publique d'État représente 40 % du budget de l'État, si on prend le compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, soit 140 milliards d'euros.
Sommes-nous mieux administrés aujourd'hui qu'il y a vingt ans ? Nos concitoyens en doutent. Il y a de moins en moins de fonctionnaires sur le terrain, alors qu'il faudrait réduire le nombre de ceux qui produisent des normes, comme les fonctionnaires des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire), des agences régionales de santé (ARS), des agences de l'eau, devenus des monstres ingouvernables. L'État n'a pas besoin de s'occuper des aides aux entreprises, puisque ces compétences reviennent largement aux régions. Localement, tout est automatisé, mais il y a beaucoup de monde pour produire des normes. Nous avons conservé le ministère de la santé malgré les ARS. Les agences de l'eau ont-elles apporté quelque chose ? Je n'en suis pas sûr... L'âge de départ à la retraite est un grand poste des dépenses sociales qui nous différencie des autres pays.
La commission autorise la publication de la communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.
Comme chaque année, notre commission contrôle l'application des lois qu'elle a examinées au fond au cours de la session précédente, c'est-à-dire les lois promulguées entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018. Les statistiques sont arrêtées au 31 mars 2019.
Un débat sur le bilan de l'application des lois aura lieu en salle Clemenceau le 11 juin prochain, après un échange avec le Secrétaire général du Gouvernement le jeudi 16 mai, sous la conduite de la vice-présidente chargée de ce sujet, notre collègue Valérie Létard.
Pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois promulguées durant la session 2017-2018 atteint 81 %. Il est légèrement inférieur à celui de la session précédente qui était de 83 %, mais pour un nombre de mesures attendues supérieur, soit 98 mesures contre 82. Point négatif, les délais se sont dégradés : alors que l'an passé 67 % des mesures d'application avaient été prises dans le délai de six mois prescrit par une circulaire du Premier ministre du 29 février 2008, cette année ce taux atteint 50 %. Cependant, le délai moyen de publication ne dépasse que légèrement les cinq mois, ce qui relativise cet indicateur, qui varie très fortement d'une année à l'autre.
Nos statistiques pour cette session portent sur l'application de la loi de finances pour 2018 et des deux lois de finances rectificatives pour 2017, ainsi que sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022.
La loi ratifiant l'ordonnance portant transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite « DSP 2 », et celle du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude sont également concernées, de même que 17 articles de la loi pour un État au service d'une société de confiance du 10 août 2018, qui avait fait l'objet d'un examen par une commission spéciale.
Les conventions fiscales et les traités internationaux ne sont pas pris en compte pour le contrôle de l'application des lois.
Tout d'abord, deux lois étaient d'application directe, à savoir la loi de règlement des comptes de l'année 2017 et la première loi de finances rectificative du 1er décembre 2017. Il n'y a donc pas lieu d'y revenir.
Ensuite, pour ce qui concerne l'application de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022, une seule mesure réglementaire d'application était prévue. Elle a été prise sous la forme du décret n° 2018-309 du 27 avril 2018 fixant les modalités de calcul de divers éléments pris en compte dans le cadre de la contractualisation entre l'État et certaines collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne l'application de la loi portant transposition de la directive dite « DSP 2 », seules deux mesures réglementaires étaient attendues. La première consistait en un décret pour préciser les modalités de fourniture d'espèces par les commerçants aux consommateurs ou cashback. Le décret n° 2018-1224 du 24 décembre 2018 a fixé ces montants, mais dans une limite comprise entre 1 euro au minimum et 60 euros au maximum, ce qui paraît bien faible au regard des besoins de certains territoires et en comparaison des plafonds retenus par nos voisins européens - 150 euros en Allemagne, dont on connaît l'attrait de ses habitants pour les paiements en cash.
Notre récente audition sur la dématérialisation des moyens de paiement a permis d'aborder ces sujets.
Un second décret n° 2018-1228 a été pris le 24 décembre 2018 concernant les modalités de communication entre prestataires de services de paiement et gestionnaires de comptes, de sorte que l'ensemble de la loi est appliquée.
Concernant la seconde loi de finances rectificative, sur 33 textes réglementaires prévus, 27 ont été pris et 2 sont devenus sans objet. Parmi les dispositions réglementaires prises, on notera celles qui concernent la procédure de recouvrement unique, prévue par l'article 73, qui porte sur la saisine administrative à tiers détenteur. Le décret n° 2018-1118 du 10 décembre 2018 relatif aux frais bancaires perçus par les établissements de crédit à la suite de la notification d'une saisie administrative à tiers détenteur fixe le montant maximum des frais bancaires à 100 euros, toutes taxes comprises.
L'article 75 introduit une obligation pour l'État, les collectivités territoriales et certains établissements publics d'offrir un service de paiement en ligne. Le décret n° 2018-689 du 1er août 2018 fixe les conditions de mise en place de ce service de paiement, détermine les critères écartant cette obligation et établit l'échéancier de la mise en oeuvre de cette obligation, avec un terme fixé au 1er janvier 2022. L'arrêté fixant la liste précise des personnes morales de droit public auxquelles s'applique cette obligation n'est pas encore pris, même si sa publication est promise avant le 1er juillet 2019.
L'article 90, qui affecte les recettes issues du « Loto du patrimoine » à la Fondation du patrimoine, a trouvé son application par deux arrêtés : l'un du 26 novembre 2018 et l'autre du 13 décembre 2018, qui ont affecté successivement les sommes de 16,47 millions d'euros et 3,12 millions d'euros à la Fondation du patrimoine. Cela ne résout évidemment pas le sujet de la fiscalité sur ces jeux...
Pour ce qui concerne les quelques mesures encore non prises, il s'agit de décrets concernant l'extension du recours obligatoire aux téléprocédures par les entreprises, qui devront intervenir à compter de 2020.
Concernant la loi de finances pour 2018, sur 45 mesures d'application attendues, 40 ont été prises et 1 est devenue sans objet. Ainsi, seules 4 mesures sont encore attendues, mais le fait que certaines n'aient pas été prises pose particulièrement question.
En effet, sur l'initiative de notre commission, l'article 68 de la loi de finances pour 2018 prévoyait un dispositif de plafonnement du montant des frais et commissions payés lors de l'acquisition d'un logement faisant l'objet du dispositif Pinel d'encouragement au développement du logement locatif intermédiaire. Ce décret n'est toujours pas pris, alors même que la loi de finances pour 2019 a précisé ce dispositif, sur proposition du Gouvernement, afin de faciliter sa mise en oeuvre !
Selon les informations du quotidien Le Monde parues le 2 mars dernier, le projet de décret serait bloqué depuis plus d'un an sur le bureau du ministre du logement... Nous allons demander des explications.
Par ailleurs, le Gouvernement devait remettre au Parlement, avant le 1er septembre 2018, un rapport d'évaluation des zones géographiques du dispositif Pinel pour mieux apprécier la pertinence des critères de classement des communes : celui-ci a été remis seulement en mars 2019 et est de portée limitée, puisqu'il ne se base pas sur les données fiscales de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ni même sur celles de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Les données de la DGFiP ont été transmises au ministre du logement après la publication du rapport et l'utilisation de celles de la CNAF nécessiterait la prise d'un décret en Conseil d'État après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) !
Une autre disposition, qui concerne la création d'une taxe sur les cessions de logements par les organismes de logement social, n'a pas trouvé à s'appliquer, car elle a été repoussée par la loi de finances pour 2019, ce qui montre, comme cela avait été soulevé par le Sénat, l'impréparation de cette mesure.
Enfin, l'article 171 de la loi de finances prévoyait de rendre gratuite la circulation sur autoroute pour les véhicules d'intérêt général prioritaires en opération. Or le ministère de l'intérieur estime désormais - suivant ainsi l'avis du Conseil d'État - qu'une telle exonération serait inconstitutionnelle en raison d'une rupture d'égalité des usagers devant le péage. Il faudrait à tout le moins qu'une solution soit proposée par le Gouvernement pour répondre à l'intention du législateur ! Notre collègue Jean-Pierre Vogel avait souhaité instaurer ce dispositif.
Concernant la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, 17 textes réglementaires d'application étaient attendus, mais seulement 6 ont été pris. Plusieurs textes importants sont en attente ; ils concernent les conditions dans lesquelles les agents chargés de la lutte contre la fraude peuvent avoir accès à des informations par échanges entre administrations, la responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires, la publication des sanctions administratives pour les personnes morales à raison de manquements fiscaux graves et frauduleux - name and shame -, et les nouvelles modalités de fonctionnement de la commission des infractions fiscales (CIF) à la suite de la réforme du « verrou de Bercy ».
Compte tenu de l'importance de la lutte contre la fraude fiscale, il est absolument nécessaire que toutes ces mesures d'application soient prises dans les meilleurs délais. Le délai de six mois pour l'application de cette loi du 23 octobre 2018 est désormais dépassé, et il est regrettable qu'il n'ait pas pu être tenu.
Enfin, s'agissant de la loi pour un État au service d'une société de confiance, qui avait fait l'objet d'une commission spéciale, sur un total de 17 articles relevant de la compétence de notre commission, seuls deux articles nécessitaient des mesures réglementaires d'application. Ces mesures ont été publiées.
Le décret n° 2018-1350 du 28 décembre 2018 permet au public d'accéder à l'ensemble des éléments d'information détenus par l'administration fiscale s'agissant des valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations intervenues au cours des cinq dernières années.
Le décret n° 2018-944 du 31 octobre 2018 concerne le recours au rescrit douanier. Au cours de son audition du 11 avril 2019 devant notre commission, le directeur général des douanes a souligné l'impact favorable de cette nouvelle mesure, 40 rescrits douaniers ayant été signés depuis la parution de ce décret, contre seulement 7 pour toute l'année 2017.
J'en viens enfin aux textes antérieurs à la session 2017-2018, en dressant le constat que certains dispositifs ne sont toujours pas appliqués depuis plusieurs années.
Même si au cours de l'année écoulée, 18 mesures attendues au titre des lois du « stock » ont été publiées ou sont devenues sans objet, le stock des mesures issues des lois anciennes toujours en attente s'élève à 20. À la suite des remarques que nous avons faites l'an passé, l'article 37 de la loi de finances pour 2019 a enfin abrogé les dispositions législatives prévoyant la publication d'un décret concernant les redevances de concession de brevet, qui datait de la loi de finances pour 2011, mais 3 mesures d'application de la loi de finances pour 2012 n'ont toujours pas été prises, concernant par exemple le régime des redevances perçues à l'obtention de certificats sanitaires pour exporter des produits alimentaires d'origine non animale, ou encore le régime d'octroi des licences de vente du tabac dans les départements d'outre-mer.
Dans ce dernier cas, après le report de la mesure à de multiples reprises, un régime transitoire permettant la vente de tabac aux particuliers au plus tard jusqu'au 30 juin 2019 a été mis en place. Aucune information n'a pu cependant être obtenue sur le régime qui s'appliquera au-delà de cette date.
Par ailleurs, comme indiqué l'an passé, la loi de finances rectificative pour 2011 avait créé une redevance sur les gisements d'hydrocarbures en mer, avec un décret fixant le taux qui permet le calcul de la redevance. Cependant, aucune mesure d'application n'a été prise, car aucune exploitation de gisement d'hydrocarbures en mer n'a été lancée. Les premières exploitations ne sont pas prévues avant 2020. L'anticipation de la loi sur la réalité est parfois très forte...
Il en va de même d'ailleurs du décret et de l'arrêté prévoyant les modalités de déclaration et le taux de la taxe due par les entreprises de transport aérien pour le financement du CDG Express, prévus dès la loi de finances rectificative pour 2016, mais qui n'ont pas encore été pris puisque la perception ne devrait pas intervenir avant le 1er avril 2024...
L'article 45 de la loi de finances pour 2016 prévoyait un décret concernant les opérations éligibles au financement du fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD), étendues aux actions de prévention de la radicalisation. En raison d'un désaccord entre le ministère de la justice et le Conseil d'État sur la nécessité d'une codification, ce décret a pris beaucoup de retard, mais devrait être soumis au Conseil d'État prochainement. En attendant, le pouvoir réglementaire continue d'agir sur le fondement d'un décret inadéquat.
On rappellera également que l'article 80 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », prévoyait des modalités d'affectation sous forme de don des sommes déposées sur le livret de développement durable et solidaire, mais ces mesures n'ont toujours pas été prises. Notre commission avait, à l'époque, sans être entendue, souligné le manque de précision du dispositif proposé.
Concernant maintenant les ordonnances, 16 ordonnances ont été ratifiées au cours de la période de contrôle, dont 15 par un article de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, qui est actuellement soumise au Conseil constitutionnel et donc non encore promulguée. Huit ordonnances demeurent en attente de ratification et une ordonnance n'a pas encore été signée.
Parmi les lois suivies au titre de la session 2017-2018, la loi relative à la lutte contre la fraude prévoyait une habilitation à légiférer par ordonnance, alors que la loi pour un État au service d'une société de confiance en prévoyait deux.
Pour la loi de lutte contre la fraude, il s'agissait de transposer la directive du Conseil du 25 mai 2018, qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal. Un délai de douze mois étant prévu pour la prise de cette ordonnance, ce délai court encore jusqu'en octobre 2019.
La loi pour un État au service d'une société de confiance habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures pour renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. L'ordonnance devait être publiée d'ici avril 2019 ; elle est cependant très compromise, si ce n'est abandonnée. Le ministre de l'action et des comptes publics a en effet déclaré dans un discours le 14 mars 2019 qu'aucune disposition législative nouvelle n'était nécessaire et que le Gouvernement s'appuierait sur les procédures existantes, à savoir le rescrit.
La même loi habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour simplifier le droit financier et le droit de la consommation et pour lutter contre des surtranspositions de directives. À ce jour, l'ordonnance n'est pas publiée.
J'en viens pour terminer aux rapports. Seuls 85 des 157 rapports attendus pour des lois promulguées depuis 2010 ont été effectivement remis au Parlement, soit à peine plus de la moitié... Au cours de la session 2017-2018, pas moins de 37 dispositions législatives ont prévu la transmission de documents à destination du Parlement - rapport, nouvelle annexe au projet de loi de finances, bilan d'expérimentation, etc. Le nombre de demandes de rapports est sans doute trop élevé, mais outre que certains, notamment en matière de dépenses fiscales, sont indispensables au travail parlementaire, bon nombre de rapports n'ont pas été remis alors même que la disposition avait été insérée par le Gouvernement lui-même. C'est ainsi le cas de 6 des 10 dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022. Seuls 2 de ces 6 rapports attendus ont été remis : il s'agit de l'annexe budgétaire au grand plan d'investissement et du rapport sur les relations financières entre l'État et la sécurité sociale. Il revient donc au Gouvernement de tenir ses engagements dans ce domaine.
La réunion est close à 16 h 30.