Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 avril 2019 à 15h05
Projet de programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 — Communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Ce n'est pas moi qui ai inventé le « ras-le-bol fiscal » !

Alors, quel regard porter sur la nouvelle trajectoire budgétaire proposée dans le programme de stabilité ?

S'il était légitime de répondre à la crise des « gilets jaunes », même s'il aurait mieux valu éviter d'allumer l'incendie, - le Sénat a voté le premier le gel de la trajectoire carbone qui a fait l'objet d'un consensus entre nous, mais aussi l'ensemble des mesures d'urgence pour le soutien au pouvoir d'achat en décembre dernier -, il me semble que leur coût aurait dû être compensé par un plus grand effort de maîtrise de la dépense. Aussi, je suis inquiet de ce nouveau report du redressement des comptes publics, qui risque de fragiliser la crédibilité de notre politique budgétaire et la capacité de l'économie française à faire face aux chocs. Il faut se souvenir que la stratégie budgétaire française de sortie de crise s'est singularisée par la volonté de ne pas fragiliser la reprise économique, en engageant un redressement plus progressif de ses comptes publics. Ce choix contribue ainsi à expliquer le retard français en matière d'ajustement budgétaire.

Que l'on s'attache au solde public ou à des indicateurs plus sophistiqués tels que le solde primaire structurel, la France se situe actuellement en « queue du peloton » des grands pays européens, avec l'Espagne. Cette stratégie budgétaire n'est pas dénuée de tout fondement sur le plan économique. En effet, des travaux ont confirmé qu'il est sous-optimal de mener des plans de consolidation budgétaire de grande envergure en bas de cycle. Sa crédibilité reposerait sur la détermination du Gouvernement à s'engager résolument dans un effort de redressement des comptes publics une fois l'économie revenue à son niveau d'activité potentiel. Or les grandes réformes ont toutes été oubliées, alors que le contexte actuel apparaît doublement favorable.

D'une part, l'écart de production est pratiquement résorbé à l'issue de l'exercice 2019 et devrait même être positif à compter de 2020, ce qui signifie que les conditions économiques sont désormais propices à la mise en place de plans de consolidation budgétaire. D'autre part, la France bénéficie depuis 2017 d'un effet « boule de neige » positif, qui facilite la réduction du ratio d'endettement. Ainsi, même un léger déficit primaire serait suffisant pour engager la diminution du ratio d'endettement. Mais il faudrait que la situation se prolonge jusqu'à la fin du quinquennat, ce qui est inédit depuis le milieu des années quatre-vingt.

Plutôt que de profiter de ce contexte historiquement favorable pour commencer à réduire notre endettement, le Gouvernement préfère une nouvelle fois reporter l'effort en « surfant » sur la conjoncture. La réduction du déficit structurel prévue par le Gouvernement, qui s'écartait déjà significativement des règles européennes, est ainsi revue à la baisse sur la période 2019-2021. Les efforts prévus apparaissent bien insuffisants sur l'ensemble du quinquennat. Si le Gouvernement pourra sans doute de nouveau compter sur la « souplesse » des institutions européennes, ce choix aura pour conséquence directe de nourrir la divergence de notre trajectoire d'endettement par rapport au reste de la zone euro. Seule l'Italie devrait faire pire en matière d'évolution de son endettement. Le différentiel d'endettement avec l'Allemagne atteindrait ainsi 48 points à l'horizon 2022 - 34 milliards d'euros qui partiront en fumée, sachant que cette charge représente le deuxième poste du budget de l'État. Et nos services publics requièrent de nouvelles infrastructures.

Or ce choix risque de rendre l'économie française plus vulnérable aux chocs, pour deux raisons. Tout d'abord, il risque de limiter la capacité de l'économie à faire face à un ralentissement économique, en empêchant la politique budgétaire de jouer son rôle d'amortisseur. Selon de récents travaux empiriques, dans l'hypothèse d'une crise financière de même ampleur, voire d'un krach boursier, les pays disposant d'importantes marges de manoeuvre budgétaires connaîtront une perte de PIB de moins d'un point en moyenne, tandis que les pays dont l'endettement est déjà élevé devront faire face à une perte d'environ 7 points de PIB - en 2008, il a fallu faire appel à la dépense publique, nationaliser des banques.

En outre, un niveau élevé d'endettement rend l'économie plus vulnérable à des enchaînements autoréalisateurs défavorables sur les marchés. Ainsi, un surcroît d'endettement de faible ampleur peut se traduire par une élévation brutale des taux d'intérêt. L'exemple italien, avec des taux souverains de 7 % à 8 % est d'ailleurs récemment venu rappeler l'importance de ce risque sur les marchés en cas de crise, notamment pour les pays dont les taux d'endettement avoisinent le PIB. Les taux pratiqués en Allemagne permettront toujours d'emprunter. Le choix du Gouvernement de reporter encore une fois l'inflexion du ratio d'endettement n'est donc pas exempt de risques sur le plan économique.

Pour l'heure, la trajectoire de redressement proposée par le Gouvernement reste sujette à caution.

Un premier facteur de fragilité tient au fait que la trajectoire budgétaire gouvernementale concentre les efforts sur les années 2021 et 2022, soit la fin du quinquennat, alors qu'il est très rare de réaliser des économies à l'approche de la campagne présidentielle. D'un montant de 13 milliards d'euros en 2020, les réductions nécessaires s'élèveraient ainsi à 20 milliards d'euros en 2022.

Un deuxième facteur de fragilité tient au manque de documentation de la trajectoire budgétaire, qui ne permet pas réellement au Parlement de porter un jugement sur la crédibilité des engagements pris. Même pour l'exercice en cours, les incertitudes sont importantes. Ainsi, les économies de 1,5 milliard d'euros annoncées sur l'État pour financer une partie du coût des réponses apportées à la crise des « gilets jaunes » ne sont pas précisées, alors même qu'il faudra également compenser le nouveau décalage de la mise en oeuvre de la « contemporanéisation » des aides au logement...

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