J'ai créé l'ASIC lorsque je dirigeais Dailymotion, et le co-fondateur de notre association était Pierre Kosciusko-Morizet, président de Priceminister : c'est un fait notable, les deux entreprises fondatrices étaient françaises, alors qu'il y avait en France une défiance particulière à l'égard du numérique, que le régulateur des télécoms avait été désigné comme régulateur du numérique, ce qui ne s'est vu dans aucun autre pays ; le statut d'hébergeur qui était le nôtre était attaqué... Depuis, nous avons été rejoints par des Américains ; ils tiennent aujourd'hui le haut du pavé dans le domaine numérique. Les géants sont américains. Le Président de la République parle de start up nation, mais nous peinons, en France comme en Europe, à constituer des entreprises de taille intermédiaire (ETI)... Un tel projet de taxation n'y changera rien.
Nous sommes très loin, à mon sens, des chiffres annoncés. La mesure donne une impression d'improvisation : pas d'étude d'impact, pas de concertation, montants sortis d'un chapeau... Comme si l'émergence des « gilets jaunes » imposait de contenter le peuple en allant chercher l'argent dans les poches profondes des grands méchants américains. L'affaire n'a pas été dénuée de fake news : les 14 points d'écart d'imposition des bénéfices entre entreprises traditionnelles et entreprises numériques relevés par la Commission européenne dans son étude d'impact accompagnant le paquet sur la fiscalité du numérique de mars 2018 proviennent d'une étude théorique de PwC, que ce cabinet ne souhaite pas mettre en avant.
On souligne aussi que les services de Google ou Facebook sont gratuits : « pour le consommateur, cela ne changera rien » nous dit-on. Mais, le boulanger, le petit garagiste qui se font connaître localement par des campagnes numériques seront pénalisés. J'ajoute que la hausse de prix des fournitures est souvent répercutée sur les prix de vente...
Le syndicat des régies internet (SRI) a chiffré les recettes de publicité à 5 milliards d'euros par an. Si l'on ajoute les marketplaces (soit 1 milliard d'euros en France, pays où il n'y a pas de vente de données), l'assiette est de 6 milliards d'euros, soit un produit fiscal autour de 180 millions d'euros, loin du montant annoncé.
Nous voulions une solution européenne, nous avons échoué : nous n'avons pas réussi à faire une Europe fiscale. Dès lors, travailler avec l'OCDE paraît la voie raisonnable : cherchons à obtenir une sunset clause. Par ailleurs, la rétroactivité de la taxe au 1er janvier 2019 nous semble assez délicate. Nous serions sur un système déclaratif... Mais quelles données collecter, nous l'ignorons aujourd'hui.