Tout paraît fort simple, mais tout est compliqué. Après l'échec des négociations en Europe, les choses ne semblent guère progresser au niveau de l'OCDE. Politiquement, il n'y a pas lieu de s'opposer à des taxes s'appliquant aux entreprises qui paient peu d'impôt en France, comme c'est le cas sur les activités numériques. Mais l'assiette retenue, chiffre d'affaires plutôt que bénéfice, pourrait induire des dommages collatéraux. Mettre l'accent sur la consommation n'est pas non plus sans risque de pertes de recettes pour le budget français. Ce serait le cas, par exemple, sur les entreprises du luxe, si la Chine appliquait une taxe similaire. Il y a aujourd'hui beaucoup de discussions sur les prix de transfert. Si demain on considérait, au plan international, que la valeur est créée sur le lieu de la consommation, là où est réalisé le chiffre d'affaires, une partie de nos bases fiscales actuelles nous échapperait largement !
Il y a clairement un problème d'assiette. Le patron de Facebook dit, comme d'autres : « nous ne communiquons pas sur le chiffre d'affaires. » Avec le président Vincent Éblé, nous avons effectué un contrôle sur place auprès de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). Nous avons consulté des dossiers de transaction et interrogé l'administration, qui s'avoue incapable de déterminer le chiffre d'affaires en France de ces groupes qui n'ont pas d'établissement stable dans notre pays - et face auxquels, dès lors, les contentieux engagés ont été perdus. Monsieur Pellefigue, comment le cabinet Taj est-il parvenu à établir un nombre de contribuables ? De même des estimations très différentes du rendement de la taxe ont été présentées : comment l'administration fiscale est-elle parvenue à la prévision de 400 millions d'euros ? Les groupes qui n'ont pas d'établissement stable en France vous diront qu'ils ne peuvent retracer les trois activités visées. Ainsi, quel est le volume d'activité de Google en France ? Personne ne le sait. Dès lors, comment avez-vous pu établir un niveau de rendement de la taxe ? Comment savoir combien d'entreprises sont concernées ? Il y a gros à parier que les entreprises déclareront et paieront ce qu'elles estiment devoir payer « pour être tranquilles »... C'est déjà ainsi que cela se passe dans les transactions fiscales.
La bonne solution est donc plutôt au niveau de l'OCDE, cette taxe est mise en place faute de mieux, cette solution n'est pas exempte de difficultés, comme je l'ai souligné.
Il faudra aussi éviter les doubles impositions. Le consommateur français qui réserve un hôtel à Madrid via un site comme Booking.com sera imposé en France, pays de la transaction, mais aussi en Espagne si ce pays décide aussi de créer une taxe : pourquoi n'avoir pas prévu, comme dans l'avant-projet anglais, de scinder en deux la taxe pour éviter les doubles impositions ? Que se passera-t-il en cas d'intermédiaires multiples : appliquera-t-on le système de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), avec le report sur la dernière transaction ? Les opérateurs, quoi qu'il en soit, risquent de répercuter la taxe sur les clients, en indiquant le montant de la « taxe Le Maire »...