Intervention de Éric Bocquet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 avril 2019 à 8h40
Projet de loi portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés — Audition commune de Mm. Giuseppe de Martino président de l'association des services internet communautaires asic julien pellefigue économiste associé au cabinet taj christophe pourreau directeur de la législation fiscale et françois soulmagnon directeur général de l'association française des entreprises privées afep

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Une anecdote personnelle : j'ai acheté des places pour le concert d'Elton John le 18 juin prochain au grand stade de Lille, sur un site domicilié dans le Delaware... Deux billets à 56 euros pièce me reviennent, une fois ajoutées les taxes de ceci et les taxes de cela, à 152 euros. Voilà le résultat concret d'un exemple de la vie quotidienne d'un utilisateur de ces services numériques censément en concurrence et donc tirant les prix à la baisse. J'ai oublié de préciser que ce site s'appelle Viagogo : c'est bien un site à gogos !

Le rapporteur général a indiqué à juste titre que nous peinions à voir comment l'assiette serait définie. Comment les choses se passeront-elles pour les entreprises qui transfèrent leurs bénéfices au Luxembourg, en Irlande ou aux Pays-Bas ? Quel est l'état de la coopération sur ce sujet ? La France s'y engage, modestement certes, mais elle a cessé d'attendre que les autres s'engagent également, ce qui est un progrès à saluer.

Monsieur Soulmagnon, quel est pour vous le taux idéal d'impôt sur les sociétés ? Si c'est zéro, toute l'économie mondiale pourrait s'installer aux Bahamas ou aux Bermudes. Car après le passage des États-Unis à 21 %, il y a l'Irlande à 12,5 %, et l'on se dirige vers zéro ! Le processus est enclenché depuis de nombreuses années : en 2009, l'impôt sur le revenu des personnes physiques représentait 20 % des recettes fiscales de l'État français et l'impôt sur les sociétés 15 % ; aujourd'hui, le premier est toujours à 20 % mais le second ne représente plus que 11 % de nos recettes fiscales. Jusqu'où irons-nous ? La compétition n'a pas de limite. On pourrait même imaginer un impôt négatif, qui consisterait à donner de l'argent à des entreprises pour qu'elles s'installent chez nous !

On peut caricaturer les appels à la justice fiscale que l'on entend dans notre pays depuis le mois de novembre, en insistant sur les imperfections ou les violences, mais il faut respecter cet appel, car il concerne aussi le monde économique. Les grands groupes paient moins d'impôt sur les sociétés que les petites et moyennes entreprises. Au nom de quoi ? Ce n'est pas juste !

L'impôt sur les sociétés est en effet un critère pris en compte par une entreprise pour son implantation, mais ce n'est pas le seul, alors arrêtons avec cette obsession ! Si c'était le cas, Toyota ne se serait jamais établie à Onnaing, dans le Valenciennois. Il faut aussi un cadre de vie, des infrastructures, des crèches, des écoles, de la culture pour les salariés et leurs enfants. L'impôt n'est pas le critère absolu.

Une remarque plus générale pour finir : est-ce encore le Parlement qui fixe la loi fiscale dans ce pays ? La direction générale des finances publiques (DGFiP) est incapable de réunir des informations fiables sur les grands groupes alors qu'avec le prélèvement à la source, elle sait tout des particuliers. Pour les entreprises, il n'y a pas de comptabilité pays par pays, aucune transparence ! Au nom de quoi ? Qui fait la loi fiscale dans ce pays ? En principe, le Parlement, et c'est la même pour tous ! Au lieu de cela, nous manquons de données, on nous menace de rétorsion contre le consommateur final, et la justice donne raison à Google pour ne pas payer son impôt en France : cela commence à faire beaucoup. Il y a un problème démocratique dans ce pays.

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