Monsieur Bocquet, les grandes entreprises ne demandent pas que le taux de l'impôt sur les sociétés soit aussi bas que possible, elles veulent une règle du jeu. Elles en ont plus qu'assez d'être entre le marteau et l'enclume des États. La concurrence fiscale n'est pas le fait des entreprises, mais des États ! Le projet de directive d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), dans son principe, nous convenait ; or les États ne se sont pas mis d'accord. Nous ne sommes pas opposés au projet de l'OCDE, nous disons simplement : attention à la double taxation. Si tout le monde s'accorde sur un taux de 22 %, très bien : ce qui nous importe, c'est que les règles soient les mêmes pour tous.
Il est dommage que le compte-rendu des assises de la fiscalité, qui se sont tenues il y a cinq ans, n'ait pas été rendu public. Une étude extrêmement bien faite - je rends hommage aux services de Bercy - y avait été présentée, qui montrait que les rendements respectifs de l'impôt sur les sociétés en France et en Allemagne était proches, en dépit des différences d'assiette. L'une des difficultés françaises réside dans le mode de financement des grands groupes. Contrairement aux États-Unis par exemple, il est essentiellement le fait des têtes de groupes ; ceux-ci portent donc l'ensemble de l'endettement. Cela rend le dispositif sensible à la déductibilité des intérêts. La France est attractive et il faut s'en réjouir, mais l'impôt sur les sociétés pèse sur la décision d'y localiser un siège social. Or nous avons intérêt à accueillir des sièges sociaux en France - même si nous aimerions aussi avoir des usines.
Nous avons réalisé un petit calcul visant à rapprocher l'impôt sur les sociétés de la consommation, pour mesurer l'attractivité des États, à partir de notre échantillon de membres. Toutes les grandes entreprises ne sont certes pas membres de l'AFEP, mais cela donne une première idée : elles réalisent moins de 25 % de leur chiffre d'affaires en France, quand les entreprises américaines réalisent 50 % de leur chiffre d'affaires sur le territoire américain. S'agissant des seules entreprises industrielles, ce chiffre tombe à moins de 10 % en France. D'après les documents publiés, Amazon réalise 68 % de son chiffre d'affaires aux États-Unis, 4 % en France, Google réalise 47 % de son chiffre d'affaires aux États-Unis, 2 % en France. Bref, nous sommes un grand pays de recherche, un grand pays pour les sièges sociaux, mais un petit pays de consommation. Ayant une population limitée au niveau mondial, et vieillissante, consommant donc moins que celle des pays dont la classe moyenne se développe, c'est à notre détriment que nous choisirions la consommation comme composante essentielle de l'assiette de la taxe.