Nous n'avons pas eu accès à des informations privilégiées pour calculer le montant de la taxe. Nous avons, comme l'ASIC, exploité les informations publiques que sont les chiffres d'affaires par pays, en leur appliquant une clé d'allocation tenant par exemple au produit intérieur brut. L'identification exhaustive des entreprises assujetties étant difficile, notre calcul n'est qu'une estimation raisonnable.
Je donnerai deux exemples du risque d'une double imposition que fait courir cette proposition. Imaginez une plateforme de réservation d'hôtels situés à 80 % en France et pour 20 % au Royaume-Uni, mais attirant autant de clients français que de clients anglais ; si la France crée une taxe assise sur le nombre d'hôtels, elle taxera 80 % du chiffres d'affaires de la plateforme. Si le Royaume-Uni crée une taxe assise sur le nombre de voyageurs, elle taxera 50 % de son chiffre d'affaires. La plateforme sera ainsi taxée sur 130 % de son chiffre d'affaires... Un autre cas de figure possible est celui des plateformes en cascade, ces plateformes qui vous conduisent vers d'autres plateformes, et qui partagent leurs revenus avec ces dernières. Si la première plateforme touche une commission de 100 et en reverse 50 à la seconde, et que les deux sont taxées, elles le seront sur un montant de 150. Je pourrais multiplier les exemples.
Un mot sur l'incidence fiscale. Toutes les taxes sont certes finalement payées par quelqu'un. La TVA n'a cependant pas la même incidence que l'impôt sur les sociétés : la première est massivement payée par les consommateurs, le second très largement par les actionnaires. S'agissant de la taxe sur les services numériques, nous avons calculé qu'une partie serait répercutée dans le prix, donc sur les consommateurs, l'autre sur les petites entreprises, qui l'absorberont dans leur niveau de profit. Nous serions heureux de discuter plus avant de nos analyses avec la direction de la législation fiscale. Nos hypothèses sont celles retenues dans les travaux de recherche : elles sont contestables, comme toutes les hypothèses, mais elles sont sourcées.
Sur le calcul de l'assiette, le texte est encore ambigu. Imaginez un réseau social qui vend de la publicité partout dans le monde et réalise un chiffre d'affaires de 100. Comment calculer une taxe assise sur le nombre d'utilisateurs en France ? S'agit-il des personnes qui se connectent une fois par jour ou une fois par mois ? Qui cliquent sur les publicités ou se contentent de les regarder ? Les publicités ne sont d'ailleurs pas toutes les mêmes : certaines s'affichent sur téléphone portable, d'autres sur ordinateur... Bref, il y a un très grand nombre de façons de calculer cette clé d'allocation à la France du chiffre d'affaires. Or en la matière, l'ambiguïté va de pair avec les possibilités de contestation.
Les données nécessaires pour calculer précisément l'assiette de la taxe, c'est-à-dire le chiffre d'affaires réalisé avec une audience française, supposent le recueil d'informations qui ne sont pas accessibles aujourd'hui. Cela implique des investissements supplémentaires de la part des entreprises, donc un coût de conformité qui s'ajoute au coût social de la taxe. Cela impose en outre à l'administration de contrôler les données qui lui sont fournies, et qui sont partiellement générées à l'étranger.