Intervention de Max Brisson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 30 avril 2019 à 9h00
Projet de loi pour une école de la confiance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Max BrissonMax Brisson, rapporteur :

Merci de votre confiance. Je remercie ceux d'entre vous, nombreux, qui ont participé aux auditions que nous avons menées. Leur présence a enrichi les échanges avec nos interlocuteurs et nourrira nos débats. Je salue ma collègue Françoise Laborde, avec laquelle j'ai travaillé sur le métier d'enseignant, et dont j'ai tenté de traduire les préconisations de niveau législatif dans le présent projet de loi - puisque le ministre lui-même avait qualifié notre rapport d'« inspirant » !

J'ai conduit mes travaux dans un esprit d'ouverture et de compromis, conforme à ce qui est attendu du Sénat : pragmatisme, prise en compte des réalités locales, capacité à élever le débat, attachement enfin à la qualité de la loi par la suppression des dispositions bavardes, superflues ou manifestement réglementaires.

Nous avons tous fait l'objet de nombreuses sollicitations en vue de l'examen de ce projet de loi. Au-delà des divergences d'opinion, légitimes en démocratie, j'ai été surpris par la prévalence des rumeurs et des mensonges liés à certaines dispositions de ce texte. La défiance qu'il suscite montre que l'école de la confiance reste à construire !

Disons-le clairement : cette défiance provient en premier lieu de la méthode retenue par le Gouvernement, cavalière et faisant fi de la concertation et du dialogue social, illustrée notamment par la proposition de créer des établissements publics locaux des savoirs fondamentaux (EPLESF) ou les multiples demandes d'habilitation à légiférer par voie d'ordonnances.

C'est très regrettable, car notre école mérite mieux. La dégradation continue de ses performances et des acquis des élèves, mise en évidence tant par les évaluations internationales que par les travaux du ministère, l'incapacité à réduire l'échec scolaire et le décrochage, et le caractère très inégalitaire de celui-ci, montrent que des évolutions profondes de notre système éducatif, qui ne relèvent pas toutes de la loi, sont nécessaires.

À l'aune de ces enjeux et de l'ambition d'une élévation générale du niveau des connaissances, d'une école plus juste et qui aurait retrouvé la confiance de la société, ce projet de loi est globalement décevant.

Certes, en abaissant l'âge de l'instruction obligatoire à trois ans, il propose en principe une avancée démocratique que l'école n'avait pas connue depuis les lois fondatrices de Jules Ferry. Mais ne soyons pas dupes : ce progrès demeure marginal, puisqu'il ne concernera dans les faits qu'à peine 2 % des enfants d'une classe d'âge, les autres ayant déjà rejoint, par la volonté des parents, les bancs de l'école maternelle. La mesure emblématique qui est la raison d'être de ce projet de loi est donc pour l'essentiel symbolique. Hormis les cas de la Guyane et de Mayotte, où son application se heurtera à de grandes difficultés, au point d'être matériellement impossible dès la rentrée scolaire 2019, cette disposition se révèlera sans réel impact pour les autres territoires français : la loi, ici, ne fait que suivre le mouvement que la société a déjà imprimé.

Au-delà de l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, les autres mesures sont d'intérêt varié et sans grande cohérence.

Certaines sont la reprise bienvenue de préconisations que notre commission a déjà formulées, comme l'évaluation des établissements, le renforcement du pré-recrutement, l'affirmation plus forte de l'État employeur sur ses attentes en termes de formation initiale, ou le renforcement de l'école inclusive.

Ce projet de loi n'en demeure pas moins un texte de circonstance, qui peine à dégager une ambition claire pour l'école et ceux qui la font vivre.

Il réduit aussi à la portion congrue l'amélioration des conditions d'exercice du métier d'enseignant, alors qu'il est de plus en plus évident que les descendants des hussards noirs de la République, clefs de voûte de la formation des jeunes Français, n'ont plus confiance en leur hiérarchie et ne se sentent plus ni écoutés ni considérés.

Recréer la confiance et les conditions de la performance de notre école passerait pourtant par une revalorisation du métier d'enseignant, une gestion de proximité plus individualisée et des parcours professionnels plus diversifiés. Sur ces sujets, le projet de loi est muet, alors que ce sont les leviers majeurs de la transformation de notre école.

L'article premier consiste en une disposition hautement symbolique. À mes yeux, celle-ci n'est ni un « neutron législatif » ni l'instrument du musèlement des enseignants. D'ailleurs, les comportements ou les propos tenus récemment par certains membres du corps enseignant montrent que l'exigence d'exemplarité, dont la neutralité fait partie, n'est pas un vain mot. Revenir dessus serait un mauvais signal. Toutefois, et c'est le sens de la rédaction que je vous proposerai d'adopter, cet article doit être l'occasion de réaffirmer que la relation entre le maître et l'élève est une relation d'autorité, dans laquelle le respect est d'abord dû par les élèves et leur famille aux personnels et à l'institution scolaire.

J'ai exprimé mes réserves quant à la portée réelle de l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction. Nous partageons tous son objectif, qui est de réduire les inégalités sociales en matière de maîtrise de la langue française, et donc l'échec scolaire. Pour autant, il convient de ne pas s'enfermer dans une vision dogmatique de la scolarisation des tous petits. C'est pourquoi je vous proposerai de donner de la liberté et de la souplesse aux familles, notamment en permettant que l'instruction soit dispensée dans les structures reconnues que sont les jardins d'enfants - qui accueillent aujourd'hui le tiers des enfants de trois à six ans non scolarisés - et en autorisant des aménagements de l'obligation d'assiduité en petite section.

Surtout, notre commission devra exiger une compensation du surcoût pour toutes les communes ; je vous proposerai de l'inscrire à l'article 4, dans les marges de manoeuvre, étroites, permises par l'article 40 de la Constitution. Il est profondément injuste que les communes qui, jusqu'alors, faisaient un geste à l'égard des classes maternelles privées ne reçoivent aucune forme de compensation, quand celles qui refusaient jusqu'à présent de payer seront intégralement compensées !

Plutôt qu'une réévaluation systématique annuelle du montant de la compensation, je vous proposerai un amendement prévoyant que celui-ci sera calculé sur la base de la première année de mise en oeuvre, comme le prévoyait le projet de loi initial. Je vous proposerai également de permettre sa réévaluation à la demande des communes : seules celles qui seraient gagnantes y procéderaient.

L'instauration d'une obligation de formation pour les jeunes âgés de seize à dix-huit ans, à l'article 3 bis, m'a laissé perplexe. S'agissant de la traduction d'un engagement du Président de la République formulé près de deux mois avant le dépôt du projet de loi, son insertion par voie d'amendement, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, est très regrettable et révélatrice de la légèreté du Gouvernement. En l'absence de sanction, cette obligation de formation est largement formelle mais elle pourrait néanmoins constituer une obligation de prise en charge et une contrainte pour tous les acteurs publics. Cela serait un signal fort en direction des jeunes et de ceux qui interviennent dans le domaine de la formation et de l'insertion. Je vous proposerai d'adopter plusieurs amendements précisant la liste des activités satisfaisant à l'obligation de formation et indiquant qu'il reviendra au Gouvernement de préciser dans son décret en Conseil d'État les motifs d'exemption.

S'agissant du contrôle de l'instruction dispensée dans la famille, le projet de loi ne fait que reformuler le droit existant. Ses principales mesures consistent à sanctionner deux refus consécutifs de se soumettre à un contrôle et à punir les déclarations mensongères, lorsqu'elles dissimulent la scolarisation dans une école clandestine ou illégale. Cela me semble parfaitement légitime. Je vous proposerai des amendements précisant l'objet du contrôle et donnant aux familles les garanties d'une procédure équitable, sans remettre en cause l'effectivité de ces contrôles.

Un chapitre entier consacré à l'école inclusive, a été inséré par l'Assemblée nationale - ce qui témoigne, là encore, d'une certaine improvisation de la part du Gouvernement. Malgré des réticences initiales, liées à la méthode expéditive du Gouvernement, je vous proposerai de conserver le coeur du dispositif, à savoir la mise en place des pôles inclusifs d'accompagnement localisé, les PIAL. Confronté à une augmentation extrêmement forte de la demande, qui ne semble pas se tarir, le système actuel est intenable et craque de toutes parts.

En permettant la gestion de la ressource d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) au plus près des besoins, dans le respect des prescriptions des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les PIAL devraient donner plus de souplesse et d'intelligence à l'organisation de l'accompagnement des élèves en situation de handicap. Mais cela ne suffira pas ! On ne répondra à la pénurie d'accompagnants que par un effort d'amélioration de leur condition ; leur professionnalisation doit être le gage d'un accompagnement de qualité. Je vous proposerai d'adopter plusieurs amendements en ce sens.

La création, à l'article 6, des établissements publics locaux d'enseignement international (EPLEI) permettra aux élus d'adapter l'offre éducative aux besoins de leur territoire. En revanche, la possibilité de créer des EPLESF, prévue par l'article 6 quater inséré par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, est, à ce stade, inacceptable. Mal rédigé et mal expliqué, cet article a fait naître une forte inquiétude parmi les élus, les enseignants et les parents, inquiets du devenir des écoles en milieu rural et du lien fondamental qui unit l'école à sa commune - et le maire au directeur. Je vous proposerai d'adopter les quatorze amendements identiques tendant à supprimer cet article.

À l'article 8, la rationalisation des dispositions relatives aux expérimentations pédagogiques conduites par les établissements et l'extension du champ de ces dernières sont intéressantes. Je vous proposerai d'aller plus loin, en élargissant le champ des expérimentations et en levant le verrou que constitue la référence aux obligations réglementaires de service des enseignants.

L'article 9 remplace le conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) par une nouvelle instance, le conseil d'évaluation de l'école, qui aura notamment pour mission - nouvelle - de définir le cadre méthodologique et les outils d'évaluation des établissements. En apparence purement technocratique, cette mesure emporte une évolution majeure du système éducatif, l'évaluation des établissements scolaires, qui constitue une préconisation de longue date de notre commission.

Si j'y suis très favorable, on ne peut qu'être marqué par la faible indépendance de la future instance par rapport au ministre de l'éducation nationale. Outre quatre fonctionnaires de son ministère, ce dernier nommerait les six personnalités qualifiées ; il ne resterait que quatre parlementaires, dont on peut imaginer que la moitié environ procéderait de la majorité gouvernementale. En bref, le ministre serait à la fois juge et partie. Comme pour les établissements scolaires, on ne saurait se contenter de l'autoévaluation ! Un regard extérieur est crucial, dans la mesure où la future instance devra donner son avis sur les méthodologies d'évaluation des politiques du ministère et en réaliser des synthèses. C'est pourquoi je vous proposerai de revoir en profondeur la composition de la future instance, tout en veillant à ne pas multiplier ses membres afin qu'elle conserve une dimension opérationnelle - il ne s'agit pas d'en faire une énième instance de concertation...

Parmi les dispositions relatives à la gestion des ressources humaines, la plus emblématique a trait à la réforme de la formation initiale des enseignants. Même si ces dispositions sont assez limitées, comme le changement de nom, assez symbolique, des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ), j'y suis tout à fait favorable. Elles traduisent en effet les recommandations que nous avions émises, avec Françoise Laborde, particulièrement sur le renforcement du rôle de l'État-employeur dans la formation initiale de ses futurs professeurs, tant dans la définition des contenus de formation que dans le fonctionnement des Inspé. Dans la droite ligne de nos préconisations, je vous proposerai notamment de renforcer la présence d'enseignants de terrain et d'enseignants-chercheurs au sein du corps professoral des futurs Inspé.

La réforme du pré-recrutement des enseignants, prévue à l'article 14, constitue une avancée. Un parcours de pré-professionnalisation, reposant sur l'actuel statut des assistants d'éducation, sera mis en place à compter de la rentrée scolaire 2019. Il s'adressera aux étudiants de deuxième année de licence auxquels il permettra de prendre contact progressivement avec le métier tout en leur conférant une sécurité financière jusqu'au concours. Il sera mis en oeuvre pour le premier degré dans les académies déficitaires et pour le second degré dans les disciplines déficitaires. Il faudra veiller à ce que ce dispositif ne soit pas dévoyé, et interroger attentivement le ministre en séance sur ce point.

Considérant qu'il s'agit du levier majeur du changement dans l'institution scolaire, je vous proposerai de renforcer particulièrement le volet relatif à la gestion des ressources humaines du projet de loi, en vous proposant des amendements portant articles additionnels visant à prolonger, pendant les trois premières années d'exercice, la formation initiale par des actions de formation complémentaires ; à instaurer une obligation de formation continue pour tous les enseignants, hors du temps d'enseignement et le cas échéant indemnisée ; à prévoir de nouvelles modalités d'affectation des enseignants, fondées sur l'engagement réciproque de l'institution et du professeur, ce dernier s'engageant à servir dans un territoire jugé prioritaire pour une mission et une durée déterminées ; à prévoir l'association des chefs d'établissement aux décisions d'affectation de personnels dans leur établissement. Ces dispositions reprennent en grande partie les préconisations de notre rapport sur le métier d'enseignant.

Les dernières dispositions du texte sont essentiellement d'ordre technique. Je vous proposerai de supprimer l'article 17, qui habilite le Gouvernement à revoir par ordonnance l'architecture des services déconcentrés de l'éducation nationale. Je considère que le Parlement ne peut signer ainsi un chèque en blanc sur un sujet aussi important pour nos territoires, d'autant que le Gouvernement a opéré un revirement total sur son projet depuis le dépôt du projet de loi. Par cette suppression, nous mettrons en demeure le ministre de nous présenter clairement ses orientations en la matière.

La suppression des autres habilitations à légiférer par ordonnance, qui portent sur la réforme des conseils académiques et départementaux de l'éducation nationale et sur la refonte des dispositions particulières relatives à l'outre-mer du code de l'éducation, me semble moins justifiée, eu égard à la technicité de ces sujets.

Ma démarche est résolument critique mais constructive. Parce qu'il est un texte de circonstance, peu abouti et aux dispositions parfois grandiloquentes, ce projet de loi offre l'occasion à notre commission et au Sénat de faire entendre leur voix, qui est la voix des territoires et qui doit apporter des réponses aux attentes immenses que notre école continue de susciter.

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