Intervention de Arnaud de Belenet

Réunion du 2 mai 2019 à 14h30
Clarification de diverses dispositions du droit électoral — Discussion d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique

Photo de Arnaud de BelenetArnaud de Belenet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre éminent collègue Alain Richard, qui vient de s’exprimer, nous invite à clarifier diverses dispositions du code électoral, qui, depuis 1956, a effectivement perdu en lisibilité et en cohérence, malgré les tentatives d’harmonisation de la Commission supérieure de codification. Nul doute que la présence de dispositions de valeur organique a constitué un obstacle.

La proposition de loi et la proposition de loi organique s’inspirent assez directement des observations rendues par le Conseil constitutionnel le 21 février dernier au sujet des élections législatives de 2017. Elles couvrent néanmoins l’ensemble des élections, y compris les élections locales.

Sur le fond, ces textes visent deux objectifs : d’une part, clarifier le contrôle des comptes de campagne et les règles d’inéligibilité ; d’autre part, mieux encadrer la propagande électorale et les opérations de vote.

Au cours de ses travaux, la commission des lois a salué ces efforts de clarification. Ces textes auront des conséquences concrètes, notamment pour simplifier les démarches administratives des candidats et mettre fin à certains détournements de procédure en matière de propagande électorale.

Les nombreux amendements déposés ont démontré tout l’intérêt de ces véhicules législatifs, à la fois techniques et transversaux.

Notre collègue Alain Richard propose, tout d’abord, de simplifier les démarches administratives des candidats et d’améliorer les contrôles de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques – ou CNCCFP.

Nous constatons effectivement une massification du contentieux, qui complique les contrôles, de l’aveu même du Conseil constitutionnel et de la CNCCFP.

Lors des élections législatives de 2017, le nombre de candidats ayant déposé un compte de campagne a augmenté de 27 % par rapport au scrutin précédent. En conséquence, la commission nationale a saisi le juge de l’élection à 351 reprises, soit une hausse de près de 50 % par rapport à 2012.

Pour les élections départementales de 2015, elle a contrôlé plus de 9 000 comptes de campagne, avec des moyens qui sont reconnus comme limités. Je rappelle qu’elle dispose de 39 agents permanents et recourt à quelques rapporteurs vacataires, qu’elle s’adjoint au gré des élections.

Contrairement à la préconisation initiale du Conseil constitutionnel, la commission des lois n’a pas souhaité modifier le périmètre des comptes de campagne, craignant de fragiliser les contrôles de la CNCCFP. Elle a privilégié d’autres mesures pour alléger les démarches administratives des candidats, notamment en élargissant la dispense d’expertise comptable.

Aujourd’hui, seuls les candidats dont le compte ne comprend aucune recette ni dépense sont dispensés de recourir à un expert-comptable. À titre d’information, mes chers collègues, sachez que, lors des élections législatives de 2017, plus de 3, 5 millions d’euros ont servi à rémunérer des experts-comptables, ce qui représente près de 5 % des dépenses électorales !

Le texte de la commission élargit la dispense d’expertise-comptable aux candidats qui remplissent deux conditions cumulatives : d’une part, s’ils ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés ; d’autre part, si leurs recettes et leurs dépenses n’excèdent pas un montant fixé par décret.

Entendu en audition, l’ordre des experts-comptables ne s’oppose pas – bien au contraire – à cette simplification, considérant que le chiffre d’affaires de ses membres ne dépend pas de cette intervention, qu’il qualifie de « devoir citoyen ».

Des amendements de nos collègues Roger Karoutchi et Josiane Costes nous inciteront à aller plus loin dans nos démarches de simplification, notamment en ce qui concerne les « menues dépenses » des candidats.

Notre collègue Jean-Pierre Grand nous propose, avec l’appui du Gouvernement, d’autoriser les candidats à recourir aux plateformes en ligne pour recueillir des dons. Demande forte des candidats, cette mesure nécessitait de nombreuses garanties, notamment pour assurer la traçabilité des dons ; le Gouvernement nous les apporte.

En complément, la commission des lois a adopté plusieurs mesures techniques, notamment pour mieux organiser les contrôles de la CNCCFP et confirmer l’interdiction, pour les personnes morales, d’apporter leur garantie aux prêts contractés par les candidats.

La proposition de loi et la proposition de loi organique visent également à clarifier les règles d’inéligibilité. Aujourd’hui, en effet, le code électoral distingue plusieurs hypothèses d’inéligibilité, ce qui affecte sa lisibilité.

En cas de dépassement du plafond des dépenses électorales par le candidat ou si celui-ci n’a pas déposé son compte de campagne, le juge « peut » prononcer l’inéligibilité. En revanche, il a l’obligation de déclarer inéligible un candidat « dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».

En pratique, et nous aurons certainement ce débat ultérieurement, à l’occasion de l’examen d’un des amendements, le juge prononce l’inéligibilité seulement lorsqu’il estime que l’irrégularité constatée présente un degré de gravité suffisant. La réalité est donc qu’il n’est pas tenu de prononcer l’inéligibilité : dans ce cas également, il « peut » le faire.

Malgré les différences de rédaction, il exerce toujours le même office. Pour plus de lisibilité, les présents textes tendent donc à clarifier le rôle du juge en mettant en accord le code électoral et la jurisprudence, comme l’a d’ailleurs préconisé le Conseil constitutionnel.

Je le rappelle avec force à cette tribune, il ne s’agit en aucun cas d’affaiblir le régime des inéligibilités, qui doit s’appliquer avec la plus grande fermeté à l’encontre des candidats fautifs. Il y va de la crédibilité de notre système institutionnel.

En commission, nous avons eu un débat concernant le « point de départ » de l’inéligibilité. Aujourd’hui, cette sanction s’applique à compter de la décision définitive du juge de l’élection. Tout le monde s’accorde sur les inconvénients de cette disposition : pour une irrégularité équivalente, son effet varie d’un candidat à l’autre, en fonction du délai d’instruction de l’affaire.

Initialement, la proposition de loi et la proposition de loi organique tendaient à faire démarrer l’inéligibilité à la date du premier tour de scrutin. Cette solution présentait toutefois plusieurs inconvénients. De par son effet rétroactif, elle aurait notamment permis à un candidat déclaré inéligible de se présenter plus rapidement devant les électeurs, à défaut de modifier la durée maximale de trois ans.

Dans une volonté de compromis, la commission des lois a proposé un dispositif alternatif, qui lui a semblé plus équitable. Le juge électoral sera invité à moduler la durée des inéligibilités prononcées, afin que les candidats ayant commis des irrégularités comparables lors d’un même scrutin soient déclarés inéligibles pour les mêmes échéances électorales. C’est donc le « point d’arrivée », et non plus le « point de départ », qui serait pris en compte.

La commission a également clarifié l’inéligibilité prononcée contre les parlementaires pour manquement à leurs obligations fiscales, notamment pour confirmer que les fautifs ont l’interdiction, pendant la durée de leur inéligibilité, de se présenter à d’autres scrutins.

Enfin, les textes proposés par Alain Richard visent à sécuriser la propagande électorale et les opérations de vote. Le droit en vigueur comporte, en effet, plusieurs ambiguïtés en cette matière, que notre collègue vient de développer.

La commission des lois a profité des dispositions prises en matière de tenue des réunions électorales pour élargir les conditions dans lesquelles les Français de l’étranger peuvent tenir des réunions électorales, même en amont des campagnes, et pour clarifier les règles de propagande des élections sénatoriales, qui présentaient de nombreuses lacunes.

S’agissant des bulletins de vote, il est proposé d’y interdire l’apposition de la photographie ou de la représentation des tierces personnes, mais également du candidat ou de son suppléant. Étonnamment, le Conseil constitutionnel avait admis, dans une décision rendue en décembre 2017, la représentation sur un bulletin de vote aux élections législatives d’une tierce personne, maire d’une commune et ancien député de la circonscription, alors que cela pouvait induire en erreur les électeurs.

Nous aurons un débat pour étendre cette disposition aux affiches des candidats. J’y suis personnellement opposé – c’est aussi le cas, je crois, de la majorité des membres de la commission –, car, en la matière, il me semble que la liberté d’expression et la vivacité du débat démocratique doivent prévaloir.

En outre, la proposition de loi tend à inscrire dans le code électoral la tradition républicaine selon laquelle les règles électorales ne sont pas modifiées dans l’année précédant le scrutin. Ce principe de bon sens, que nous avons tous apprécié à différentes occasions, permettra d’éviter les accusations de « tambouille électorale ». Le pouvoir réglementaire sera tenu de respecter cette règle, mais le pouvoir législatif, à l’inverse, aura toujours toute latitude pour y déroger au cas par cas, lorsque cela sera nécessaire.

En conclusion, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à adopter la proposition de loi et la proposition de loi organique telles qu’elle les a amendées.

Permettez-moi de remercier l’auteur de ces textes de sa confiance, ainsi que les membres de la commission des lois, au travers de son président, de m’avoir accompagné, avec une redoutable efficacité et une grande bienveillance, dans cette première fonction de rapporteur.

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