Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 2 mai 2019 à 14h30
Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, selon une estimation de la Banque mondiale, la corruption transnationale ferait perdre chaque année aux pays en développement entre 20 et 40 milliards de dollars, soit 20 % à 40 % du montant de l’aide annuelle au développement au plan mondial.

La loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a élargi le champ des biens pouvant être saisis et confisqués, et créé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc, qui assure la gestion des biens saisis et procède ensuite à leur aliénation.

Comme vous le savez, mes chers collègues, la convention des Nations unies contre la corruption prévoit la restitution obligatoire et intégrale des avoirs illicites au profit de l’État étranger victime dans les cas de soustraction de fonds publics ou de blanchiment de fonds publics soustraits. Elle organise la restitution du produit de toute autre infraction qu’elle vise et précise que, dans ce cas, « l’État partie requis où se trouvent les avoirs illicites doit restituer les biens confisqués à l’État signataire requérant lorsque ce dernier fournit des preuves raisonnables de son droit de propriété antérieur ».

Or ces règles sont rarement appliquées. En effet, elles n’entrent en vigueur que lorsque les juridictions étrangères ont engagé et mené à leur terme les procédures judiciaires nécessaires aux fins de recouvrer les avoirs illicites se trouvant à l’étranger.

Par ailleurs, dans les cas de corruption transnationale et tout particulièrement lorsque les agissements illicites mettent en cause des agents publics de haut rang, parfois encore en exercice, il paraît souvent illusoire d’espérer que les États concernés rétrocèdent aux populations victimes le fruit de ces confiscations.

Ainsi, la confiscation des produits de la corruption transnationale se trouvant en France emporte le plus souvent le transfert de leur propriété à l’État français.

Quel est le but de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, mes chers collègues ? Tout simplement de restituer aux populations spoliées l’argent qui leur a été volé par la corruption internationale et par les agissements de toutes ces personnes, notables ou non, mais souvent déjà très riches, qui ont accaparé des biens, lesquels prennent la forme d’appartements à Paris ou sur la Côte d’Azur ou de sommes d’argent conservées dans certains établissements financiers, et ce au mépris des populations qui ont été volées.

Nous considérons que la situation en France est contraire à la pratique d’un nombre croissant d’États, qui accordent une place centrale aux populations victimes en matière de recouvrement d’avoirs illicites. Nous avons donc organisé au Sénat un colloque avec l’association Transparency International France qui a bien montré les progrès effectués dans de nombreux États. Il faut maintenant faire de même dans notre pays.

C’est pourquoi la proposition de loi met en place un fonds dédié, afin d’organiser l’affectation des avoirs recouvrés dans les affaires de corruption transnationale au profit des populations victimes. Notons un double objectif : garantir que les avoirs illicites recouvrés en France contribuent au développement des pays qui en ont été injustement privés et conforter les efforts de notre pays en matière de lutte contre la corruption transnationale dans tous les cas où l’absence de gouvernance ou l’état de défaillance des États d’origine rendent légalement impossible la mise en jeu des règles de partage ou de restitution.

Transparency International ainsi qu’un certain nombre d’ONG, dont je tiens à saluer tout particulièrement l’action, proposent que, dans le dispositif d’affectation, cinq grands principes soient respectés : la transparence – la procédure doit être conduite de manière publique ; la solidarité quant à l’affectation des fonds ; l’efficacité – il faut que l’argent revienne aux populations victimes ; l’intégrité – il ne doit pas y avoir de soupçon de corruption dans la procédure, car certains États feraient tout pour ne pas restituer les sommes aux populations victimes ; enfin, la responsabilité, qui doit être celle de l’État français dans la gestion du fonds et la restitution des biens.

Je terminerai mon propos en soulignant l’efficacité particulière de la justice française en la matière. Je pense notamment à un jugement du 27 octobre 2017, par lequel le tribunal correctionnel de Paris a condamné, en France, le vice-président de la Guinée équatoriale – je ne ferai pas de publicité personnelle pour cet individu en le nommant – pour des faits de corruption, notamment de blanchiment et de détournement d’argent public.

Ce tribunal rappelle dans sa décision que, pour la France, l’enjeu moral est de permettre la restitution de l’argent détourné aux citoyens qui en ont été privés. Il indique que « ces sommes blanchies, au lieu de financer des infrastructures et des services publics en Guinée équatoriale, étaient placées ou dépensées en France pour alimenter le train de vie particulièrement fastueux » du vice-président. Il précise également que la peine de confiscation ne peut être « envisagée sous le seul aspect de l’efficacité répressive, ne prenant pas en compte l’intérêt des victimes. »

En outre, il indique que, dans un contexte de corruption transnationale, il paraîtrait « moralement injustifié pour l’État prononçant la confiscation de bénéficier de celle-ci. » Enfin, si l’État dont le président a aussi gravement fauté bénéficiait de ces sommes, il y aurait également un problème.

C’est pourquoi le tribunal correctionnel de Paris affirme qu’il « paraît vraisemblable que le régime français des peines de confiscation devrait être amené à évoluer en vue de l’adoption d’un cadre adapté à la restitution des avoirs illicites. »

Je le sais, madame la secrétaire d’État, on peut avoir une discussion sur quelques aspects techniques – M. le rapporteur, que je salue, ne manquera pas de les évoquer –, et il y aura peut-être lieu d’amender le prochain projet de loi de finances. Néanmoins, je vous demande d’adopter ce texte aujourd’hui, mes chers collègues, car, vous le savez, cette question sera à l’ordre du jour du prochain G7.

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