Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 2 mai 2019 à 14h30
Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur Jean-Pierre Sueur, auteur de la présente proposition de loi, mes chers collègues, aujourd’hui, lorsque la justice prononce la confiscation d’un bien, le produit de celle-ci revient au budget général de l’État, après une éventuelle indemnisation des parties civiles.

Cette affectation à l’État français est moralement difficile à admettre lorsque les biens confisqués sont issus de la corruption dont profitent certains personnages de haut rang au détriment de leur population, qui figure souvent parmi les plus pauvres de la planète. Cette situation, moralement injustifiable, a conduit le tribunal correctionnel de Paris à faire, en 2017, un appel du pied à destination du législateur, dans une affaire concernant la Guinée équatoriale ; Jean-Pierre Sueur vient d’en parler.

La proposition de loi de notre collègue que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans ce contexte ; il s’agit de proposer un cadre juridique permettant de rendre aux populations victimes de la corruption les confiscations prononcées par les juridictions françaises dans les affaires dites des biens mal acquis. Cette proposition de loi vise à répondre, certes imparfaitement, à cette attente.

Toutefois, la commission des finances a relevé un certain de nombre de difficultés posées par ce texte, sur le plan juridique et opérationnel.

Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi prévoit d’affecter les sommes concernées à « l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit ainsi qu’à la lutte contre la corruption » dans le pays victime. On se heurte ici à la principale difficulté, d’ordre pratique : à qui doit-on effectivement affecter ces sommes ? À l’État, au risque d’alimenter de nouveau les circuits de corruption ? En outre, quid des États faillis ? Comment associer les acteurs locaux et contrôler l’utilisation des fonds ? Enfin, comment articuler de tels programmes avec notre action diplomatique ?

Ces questions ne sont pas théoriques, comme le montre le cas récent de la saisie de biens appartenant à l’oncle de Bachar el-Assad : si des confiscations étaient prononcées par la justice française dans cette affaire, comment s’assurerait-on de l’affectation de leur produit à la population syrienne ?

Au regard de l’expérience de la Suisse, particulièrement engagée, compte tenu de son activité bancaire, sur ce sujet, il semble qu’il faille faire preuve de souplesse et de pragmatisme en l’espèce. Il pourrait être envisagé de s’appuyer sur l’Agence française de développement, compétente en matière d’aide au développement. Toutefois, il conviendrait de s’assurer que les crédits reviennent bien aux pays victimes sans être noyés dans ceux de l’Agence et, surtout, qu’il s’agit bien de crédits s’ajoutant à ceux qui sont engagés par la France au titre de l’aide publique au développement.

Cela dit, en raison notamment des prescriptions de la loi organique relative aux lois de finances, la commission des finances n’a pas été en mesure de proposer des modalités satisfaisantes d’affectation aux populations victimes par le biais de l’Agence française de développement.

J’indique, sans m’y attarder, les autres problèmes identifiés.

D’abord, le champ des confiscations concernées mériterait d’être précisé ; en particulier, la référence à la notion de « personnes étrangères politiquement exposées » devrait sans doute être revue.

Ensuite, il conviendrait de déterminer le rôle joué par l’Agrasc dans cette procédure ; si l’Agence est capable d’identifier les confiscations devant être reversées aux populations victimes, elle n’est pas nécessairement l’institution la mieux à même de décider des modalités d’affectation à ces dernières, car elle n’a pas de compétences propres en matière d’aide au développement.

Enfin, la commission des finances a émis des doutes sur la mécanique budgétaire retenue.

Le prochain G7 sera organisé cet été à Biarritz, sous présidence française, et il traitera, entre autres, des moyens de lutter contre la corruption. Dans ce contexte, malgré les problèmes posés par le texte qui nous est soumis, il nous semble important d’envoyer un signal politique fort, indiquant que notre pays est prêt à s’engager à restituer aux populations victimes le produit des confiscations résultant de la corruption.

Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin de vous pour traduire ce principe dans le droit. Nous vous invitons donc à saisir l’occasion de la discussion de cette proposition de loi pour que le Gouvernement s’engage, dès aujourd’hui, à s’emparer du sujet, afin que nous soyons en mesure de proposer un dispositif pleinement satisfaisant lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

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