Intervention de Didier Rambaud

Réunion du 2 mai 2019 à 14h30
Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier RambaudDidier Rambaud :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de Jean-Pierre Sueur, nous débattons aujourd’hui du sujet important de la corruption transnationale.

Important moralement, parce que ce phénomène constitue une brèche dans les valeurs universelles que doit défendre notre pays.

Important financièrement, parce que la corruption transnationale subtilise à des populations entre 20 et 40 milliards de dollars chaque année, selon les estimations de la Banque mondiale, au profit d’individus.

Posons les termes : la corruption transnationale est le fait d’offrir un avantage indu, pécuniaire ou autre, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou de conserver un marché dans le commerce international.

Avec l’entrée en vigueur de la convention sur la lutte contre la corruption, la France a adopté plusieurs incriminations de corruption et de trafic d’influence en relation avec des agents publics étrangers. Elle a aussi étendu les pouvoirs des enquêteurs.

Parmi les mesures récentes permettant de mieux saisir le phénomène, je tiens à souligner la possibilité offerte aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile, ou encore la création utile du parquet national financier, dont le rôle a été décisif dans l’affaire des biens mal acquis et la condamnation du vice-président de Guinée équatoriale.

Cette condamnation a reposé sur l’acte de blanchiment, compris comme infraction autonome et distinct des délits d’origine d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics et corruption commis en Guinée équatoriale. Elle a validé la vente des biens saisis et l’affectation de son produit au budget de l’État.

Voilà où se situe la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur : l’affectation des recettes provenant de la confiscation des sommes ou biens issus de la corruption aux populations des États où la corruption a eu lieu.

Les sommes recouvrées et le produit de la vente des biens confisqués seraient ainsi affectés à l’amélioration des conditions de vie des populations et au renforcement de l’État de droit, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le ou les pays où les infractions en cause ont été commises.

Mon groupe s’abstiendra sur ce texte, car plusieurs points doivent encore être éclaircis.

Tout d’abord, cette proposition de loi repose sur l’idée que les faits de corruption ont lieu exclusivement dans les pays les plus pauvres. Or cette idée est contredite par le rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale selon lequel, dans un cas sur deux, ces faits se déroulent dans un pays développé.

Aussi, l’affectation de ces sommes à des pays en développement, comme le prévoit la proposition de loi, n’est pas viable, non seulement parce que cela relève de la politique de développement de notre pays, mais aussi parce que cette affectation présente un risque de recyclage de l’argent dans un circuit de corruption. Pourrait-on accepter, par exemple, que les sommes issues de la vente de biens confisqués soient utilisées pour payer un marché public auprès d’une entreprise française de BTP ?

La morale nous engage à ce que les sommes provenant de la vente de voitures de luxe, d’œuvres d’art ou d’immeubles ayant servi à blanchir de l’argent détourné ou issues de la corruption soient reversées aux populations des pays où la corruption est – hélas ! – inscrite dans les mœurs et dans les habitudes.

Pourtant, la proposition de loi qui nous est soumise ne répond pas encore à cette exigence morale. En effet, comme l’a souligné le rapporteur, la création d’un fonds au sein du budget général contrevient aux règles de la LOLF.

Nous pouvons alors, mes chers collègues, regarder chez nos partenaires. L’affaire des biens mal acquis est un bon cas pratique : aux États-Unis, le department of justice, ou DoJ, a conclu un accord avec Teodorin Obiang pour qu’il renonce à 30 millions de dollars d’avoirs qui seront reversés à des associations caritatives au bénéfice du peuple de Guinée équatoriale.

En Suisse, Teodorin Obiang n’a pas été condamné, le code pénal de ce pays permettant, pour le dire rapidement, de compenser le tort causé. La Guinée s’était en effet engagée à ce que le produit de la vente de voitures saisies en Suisse soit affecté à une organisation internationale menant un projet humanitaire en Guinée.

La Suisse, comme cela a été rappelé, est citée en exemple en matière de restitution des avoirs illicites : sur les trente dernières années, environ 2 milliards de dollars ont été restitués aux populations.

L’évolution de la législation suisse est liée aux événements et présente un caractère d’opportunité. Il en est ainsi de la loi Duvalier, qui vise à éviter que l’argent détourné et caché en Suisse par l’ancien dirigeant d’Haïti ne puisse lui revenir.

Je pense également au fonds créé conjointement par la Suisse et les États-Unis dans le cadre d’une affaire de corruption au Kazakhstan : 115 millions de dollars ont transité par la Banque mondiale au profit de la population kazakhe.

Chaque fois, la Suisse s’engage dans un dialogue avec l’État concerné. Il n’y a donc aucune automaticité. Il faut le redire : l’automaticité de l’affectation des recettes pose question, puisque la moitié des affaires de corruption concerne les pays développés.

Mes chers collègues, en conclusion, nous devons trouver les bons outils pour répondre au défi de la restitution des avoirs confisqués dans les affaires de corruption.

L’affectation des sommes à l’AFD est une piste, même si l’ajout de cette responsabilité risque de nuire à la cohérence globale des missions de l’Agence. Il me semble que s’appuyer sur les ONG, comme le font la Suisse et les États-Unis, serait plus prometteur.

Enfin, notre droit pénal mérite sans doute d’être revu, comme le suggèrent les auteurs de certains amendements. Malheureusement, la proposition de loi ne répond pas à ces questions juridiques.

Mon groupe soutiendra un futur débat qui permettra de suivre les évolutions sur ce chantier. Je remercie madame la secrétaire d’État des preuves d’engagement qu’elle nous a données. Cette détermination honore notre pays.

Nous autres, parlementaires, resterons attentifs aux propositions du Gouvernement et aux engagements internationaux.

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