Esther Benbassa l’a fait, tout comme Joël Labbé, et je les en remercie.
À mon sens, ces critiques sont une vue de l’esprit : notre texte vise spécifiquement les actes les plus graves, et les critères pour désigner un écocide y sont clairement délimités. Il s’agit d’une action concertée, qui tend à la destruction ou à la dégradation d’un écosystème et qui porte atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
D’autres, au contraire, nous ont reproché de présenter un texte trop spécifique au vu de ces critères. Mais, comme l’a rappelé mon collègue Jérôme Durain, il s’agit de réunir au-delà des clivages politiques pour punir et dissuader les auteurs des atteintes les plus graves à l’environnement. Les entreprises ne sont d’ailleurs pas défavorables à une clarification de notre législation pour accroître la sécurité juridique et éviter des distorsions de concurrence.
Cher Michel Canevet, vous citez l’exemple des barrages. Bien sûr, la construction d’un barrage n’est pas un crime ; elle suit une procédure administrative rigoureuse, validée par l’intérêt général. Elle ne risque donc aucunement d’être considérée comme un écocide.
À ce titre, comme Mme la rapporteure l’a répété en commission, vous nous dites que l’arsenal législatif existant est suffisant. Certes, de nombreuses sanctions existent face à une multitude de possibilités d’atteintes à l’environnement et aux écosystèmes. Mais elles s’inscrivent dans une tradition de sanctions administratives, et ces dernières ne sont plus adaptées aux enjeux actuels ni à l’urgence qui se dessine de plus en plus clairement. Les mafias qui se constituent à l’échelle mondiale et qui font de la criminalité environnementale leur business constituent un phénomène nouveau, qui va de pair avec la mondialisation. Esther Benbassa l’a précisé, certains trafics ont pour plaque tournante la France, plus précisément l’aéroport de Roissy : nous sommes donc réellement concernés.
Or ces mafias ne sont pas du tout impressionnées par les peines existantes, tout comme certaines entreprises, qui, ne jurant que par la rentabilité, sont peu soucieuses de respecter la planète. Souvent, les peines en vigueur ne dépassent pas les 75 000 euros d’amende et les deux ans de prison : une bagatelle au vu des enjeux et des puissances financières dont il s’agit !
En outre, peu de moyens sont donnés aux juges pour mener les investigations nécessaires et faire respecter le droit environnemental. En définitive, l’on prononce souvent des peines alternatives. Quant au seuil permettant de pousser les investigations et de perquisitionner, il n’est valable que pour les faits punis d’au moins trois ans de prison.
Dans ces conditions, non seulement le présent texte aura un effet dissuasif, mais il pourra entraîner une véritable prise de conscience. Il nous permettra de mettre le pied à l’étrier pour une révision de la hiérarchie des sanctions et des peines face aux atteintes environnementales.
Notre droit – dois-je vous le rappeler ? – n’est devenu véritablement contraignant et efficace face aux marées noires que lorsque nous avons relevé le quantum des peines après le drame écologique de l’Erika en 1999. C’est alors que l’on a décidé d’imposer des doubles coques aux pétroliers.
Ne soyons pas, une fois encore, à la remorque des événements. Inscrivons-nous dans l’état d’urgence écologique que le Président de la République a décrété la semaine dernière, lors de sa conférence de presse. Madame la secrétaire d’État, avec ce texte, vous avez la possibilité de passer des discours aux actes et peut-être de prendre le contrepied des critiques récentes formulées, dans ce domaine, à l’encontre de votre gouvernement.
On nous dit également que ce ne serait ni le lieu ni le moment de mener ce travail, que la France ne doit pas être le gendarme du monde, que cette problématique ne peut être traitée qu’au niveau international. Mais, à propos des êtres humains, avons-nous besoin d’exemples franco-français pour que le génocide et le crime contre l’humanité soient lourdement punis dans notre droit pénal ?
En matière de protection de l’environnement et du climat, soyons courageux, comme la France a pu l’être en matière de consécration des droits de l’homme ! Soyons les Lumières de cette lutte contre la criminalité environnementale, ouvrons la voie à des changements aux niveaux européen et international.
Le Brésil avait une législation environnementale parmi les plus vertueuses au monde. Or le président Bolsonaro engage une politique de détricotage systématique de cet arsenal vert et prévoit de raser toute une partie du plus gros poumon de notre planète. Et je ne parle pas du président Trump, qui au nom des États-Unis, plus gros pollueur mondial, s’assoit sur les accords de Paris.
Cher Alain Marc, vous relevez que nous ne représentons que 1 % de la population mondiale. Un tel propos me désole… Ce n’est pas là l’image de la France rayonnante, que j’aime et que je défends, comme nombre de nos collègues.
Madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas attendu l’existence d’un consensus européen pour être un des pays fers de lance sur d’autres sujets. Je pense notamment au début de taxation des GAFA, dont le Sénat débattra prochainement.
Plusieurs têtes de liste aux élections européennes, dont celle de la majorité gouvernementale, se prononcent en faveur de la taxation des transports aériens, dans la continuité de l’audacieuse législation suédoise, qui a évolué récemment. Or l’on nous disait que la convention de Chicago, signée en 1944, ne nous permettait pas de le faire ! Et, il y a à peine un mois, lors de l’examen du projet de loi relatif aux mobilités, la ministre des transports se prononçait contre cette mesure, lorsque certains d’entre nous l’évoquions.
Sous le dernier quinquennat, un pas en avant avait pourtant été fait au titre des responsabilités collectives en matière environnementale, avec la création du devoir de vigilance. Cette initiative a été lancée en 2017 par Dominique Potier, député de mon département, afin d’étendre la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Aujourd’hui, elle est reprise par un grand nombre de pays.
Or, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle votre pas en arrière au sujet du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. À deux reprises, et à l’unanimité, le Sénat a voté la création de ce fonds, proposée par notre collègue Nicole Bonnefoy. Mais, par deux fois, vous avez refusé de l’inscrire, tout d’abord dans le projet de loi Égalim, il y a exactement un an, puis dans le dernier projet de loi de finances. Nous attendons toujours la traduction législative de ce dispositif.
N’attendons pas une décision internationale : prenez-en l’initiative, avec nous. Songez aux deux côtés de la pièce, que vous avez cités : celui des droits et celui des devoirs. L’urgence climatique exige que nous prenions, ici et maintenant, toute notre responsabilité, à notre échelle, pour reconnaître le crime d’écocide.
Madame la rapporteure, à juste titre, vous avez cité McLuhan : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. » Dès lors, avançons ensemble en ce sens : c’est tout notre honneur d’être un pays fer de lance dans la lutte contre les atteintes infligées à l’environnement. Reconnaître le crime d’écocide, c’est se battre contre un possible écosuicide.
Avec « l’affaire du siècle », alors que des jeunes se mobilisent et marchent partout dans le monde pour le climat, la question environnementale est au cœur des débats.