Intervention de Marta de Cidrac

Réunion du 2 mai 2019 à 21h45
Reconnaissance du crime d'écocide — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marta de CidracMarta de Cidrac :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, force est de constater que les efforts mondiaux pour enrayer le réchauffement climatique et protéger l’environnement ne sont pas suffisants, les collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont tous évoqué. En ce sens, le texte proposé a le mérite de nous rappeler l’importance de ce sujet.

Cependant, la France n’est pas en reste dans les engagements écologiques que les États doivent prendre en urgence pour limiter les changements climatiques. Depuis 2005, la Charte de l’environnement est dans notre corpus constitutionnel et la France a joué un rôle primordial dans les négociations ayant mené à la conclusion des accords de Paris pour le climat en 2015.

Plus récemment, le Sénat a adopté, le 11 avril dernier, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, qui renforce les pouvoirs de police et d’investigation des inspecteurs de l’environnement et des agents commissionnés.

La Cour pénale internationale ne reconnaît pas encore de crimes contre l’environnement en temps de paix, mais a encouragé les législateurs nationaux à se saisir de cette question.

Dans cette perspective, l’initiative engagée par le groupe sénatorial des socialistes est louable et je remercie notre collègue Jérôme Durain pour le travail accompli, mais les contours de cette proposition de loi ne sont pas bien définis et il n’y a qu’un pas à faire pour affirmer que sa finalité serait strictement symbolique. C’est sur ce point que s’appuient les critiques principales que l’on peut lui opposer.

Ce texte pose d’abord des problèmes terminologiques et de définition. Dans son article 1er, l’alinéa 6 propose une définition de l’écocide qui repose sur la réunion de deux éléments : la présence d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et le fait que cette action devrait avoir pour effet de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.

Toutefois, quelle définition juridique correspond au terme d’« écosystème », à l’expression « atteinte à l’environnement », voire « conditions d’existence » ? Notre loi doit être précise et non équivoque, selon l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Or la notion d’écosystème est très large. Je cite sa définition courante : c’est un « ensemble formé par une communauté d’êtres vivants, animaux et végétaux, et par le milieu dans lequel ils vivent. »

Quelles sont donc les limites de l’incrimination, puisqu’il suffit d’une dégradation portant atteinte « de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population » pour être en infraction ? Quelles destructions sont acceptables, quelles sont celles qui seront qualifiées de « graves » ?

La question que je pose ici est de savoir sur quelle évaluation nous devrons nous appuyer pour déterminer une atteinte grave et durable à l’environnement. Quelle échelle de valeurs devrons-nous utiliser ? Il faudrait qu’un acte juridique le précise ou que des articles supplémentaires soient ajoutés à cette proposition de loi.

Je ne vais pas évoquer l’expression « conditions d’existence », qui ne fait également référence à aucune disposition juridique, laissant libre cours aux jugements de valeur et à l’interprétation multiforme du juge. Faisons en sorte qu’une incrimination pour destruction de l’environnement soit suffisamment précise et définie pour être efficace.

En tant que législateurs, nous devons nous assurer de l’expression claire et sans ambiguïté de la loi.

J’en viens donc à mon deuxième point. Cette proposition de loi n’apporte aucun outil juridique véritablement novateur pour la condamnation des infractions à l’environnement. Notre arsenal législatif s’est beaucoup renforcé ces dernières années et permet déjà de réprimer nombre de ces infractions.

La loi sur la biodiversité en vigueur depuis août 2016 a introduit dans le code de l’environnement une définition du préjudice écologique. Depuis cette nouvelle disposition, les atteintes à l’environnement peuvent désormais être indemnisées sur le plan civil.

Le code de l’environnement comporte également des incriminations pénales pour poursuivre et sanctionner des actions polluantes, comme le déversement de substances en mer, l’atteinte aux espèces, la mauvaise gestion des déchets ou le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes.

De plus, des incriminations pénales plus larges, qui existent déjà, peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque les individus en sont victimes.

J’ajoute que, dans cette proposition de loi, aucune distinction entre les activités légales et illégales n’est établie. Certaines activités détruisent l’environnement, mais restent dans le cadre réglementaire et légal. Pour illustrer mes propos, je ne citerai qu’un exemple : le projet de mine d’or industrielle en Guyane, soutenu par le Président de la République. L’étude d’impact de 2016, menée par la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Guyane, a révélé que l’exploitation de ce gisement provoquerait la destruction de sept hectares de forêt amazonienne et d’habitats naturels, ainsi qu’un fort risque de pollution des cours d’eau.

Il n’est, certes, pas acceptable qu’une impunité soit accordée à certaines entreprises. La destruction d’espèces végétales ou animales protégées est intolérable et, par-delà celles-ci, nous devons également être vigilants concernant la destruction d’espèces non protégées. Pourtant, comme je l’ai évoqué, cette proposition de loi ne permet pas de distinguer les activités légales des activités illégales. L’objectif de ceux qui les pratiquent est rarement la dégradation de l’environnement, mais celle-ci peut en être une conséquence. Doit-on sanctionner de la même manière ces deux cas de figure ? Cela ne me semble ni adapté ni opportun.

Une dizaine de pays ont adopté le crime d’écocide dans leur législation, comme le Vietnam et la Russie, cela s’explique par leur histoire. À ce jour, aucune condamnation notoire ne peut cependant être relevée. J’ajoute que, si mettre l’écocide sur le même plan que le crime contre l’humanité ou le génocide, le crime de guerre et le crime d’agression peut sembler pertinent, le texte tel qu’il nous est aujourd’hui proposé semble, pour le moins, exagéré.

Un contour mal défini pour l’écocide ne permet pas d’engager des solutions efficaces. Placer sans réserve sur le même plan une destruction des espèces et une destruction méthodique de groupes humains reste contestable.

Nous n’avons pas besoin d’un texte symbolique dont la mise en œuvre est impossible. L’enjeu est avant tout international, trop de conditions sont nécessaires et les failles sont nombreuses qui permettent d’échapper à une incrimination efficace.

Cette proposition de loi vise surtout à condamner les actions les plus graves, portant atteinte de manière irréversible à l’environnement. Je fais bien sûr référence au braconnage transnational, …

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