Intervention de Emmanuelle Wargon

Réunion du 7 mai 2019 à 14h30
Lutte contre les espèces toxiques envahissantes — Vote sur l'ensemble suite

Emmanuelle Wargon :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, qui soulève la question des espèces exotiques envahissantes, arrive à un moment important pour la discussion française et mondiale sur la biodiversité.

Le groupe d’experts internationaux sur la biodiversité, regroupés au sein de l’IPBES – la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques – a rendu son premier rapport hier, après avoir siégé une semaine entière à Paris ; il était hébergé par l’Unesco. Le bilan complet qu’il dresse de l’évolution de la biodiversité dans le monde est alarmant : un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, notamment 40 % des amphibiens, 33 % des récifs coralliens et 33 % des mammifères marins.

Le rapport isole des causes et propose des pistes d’action. Cinq causes principales sont évoquées. La première est l’artificialisation et la fragmentation des milieux. La deuxième est la surexploitation des ressources naturelles. La troisième est le changement climatique. La quatrième, ce sont les pollutions. Et les espèces exotiques envahissantes dont nous parlons aujourd’hui sont la cinquième cause d’extinction ou de réduction de la biodiversité dans le monde.

Nous sommes tous, je le crois, en train de prendre progressivement conscience de l’importance d’un tel enjeu, qui a été présenté au G7 Environnement à Metz hier et avant-hier. Cela a donné lieu à la première adoption d’une charte mondiale pour la biodiversité, signée par tous les membres du G7 et par les pays de différents continents qui étaient invités.

À partir de cette action internationale, nous allons mener un agenda ambitieux ayant pour objectifs d’adopter une stratégie pour la décennie qui s’annonce, mais surtout d’ouvrir des pistes d’action mondiale lors de la COP dédiée à la biodiversité, qui aura lieu en Chine fin 2020, et du Congrès mondial de la nature de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui aura lieu à Marseille, donc de nouveau en France, au mois de juin 2020.

Les espèces exotiques envahissantes sont originaires d’autres continents. Elles ont été introduites par l’homme, volontairement ou parfois accidentellement, comme c’est très probablement le cas, vous l’avez rappelé, s’agissant du frelon asiatique. Ce phénomène a pris une ampleur considérable depuis la Révolution industrielle, avec l’augmentation des flux de passagers et de marchandises à travers le monde. En effet, beaucoup d’espèces voyagent comme passagers clandestins.

On dénombre environ 12 000 espèces exotiques en Europe. Heureusement, toutes ne sont pas envahissantes. Elles sont environ un millier à l’être. En France métropolitaine, nous en avons identifié 390.

Ces espèces sont à l’origine d’impacts négatifs multiples : des impacts environnementaux, des impacts économiques sur l’agriculture, sur le tourisme, et des impacts sanitaires sur la santé humaine. Mais ces espèces ont un impact particulièrement important dans nos outre-mer. Je le rappelle, nos outre-mer recèlent environ 80 % de la biodiversité française. Or cette biodiversité est spécifique et fragile. Elle est soumise à des flux importants, qui peuvent être autant de vecteurs de propagation.

Les espèces exotiques envahissantes sont donc un problème sanitaire au sens large, avec un impact sur la santé de l’environnement, la santé vétérinaire, la santé des végétaux et la santé humaine. Du coup, plus ces espèces sont détectées précocement, meilleures sont les chances de parvenir à leur éradication dans un court laps de temps. En effet, lorsque le phénomène devient visible, il est souvent trop tard pour agir, et la détection dépend bien souvent de notre capacité collective à arpenter la nature et à sillonner le territoire, les techniques de lutte empiriques apparaissant parfois comme totalement dépassées. Certaines espèces – c’est le cas du frelon asiatique – sont trop largement répandues pour pouvoir être facilement éradiquées.

À l’échelon international, la Convention pour la diversité biologique intègre dans son programme stratégique 2011-2020, qui s’appelle l’agenda d’Aichi, un objectif spécifique sur ces espèces exotiques envahissantes. C’est d’ailleurs l’un des 4 objectifs sur 20 sur lesquels le rapport relatif à la biodiversité dont je parlais constate que des progrès satisfaisants ont été réalisés. En 2014, l’Europe a édicté un règlement qui liste les espèces et qui pose des interdictions sur ces espèces : interdiction de détention, de transport, d’utilisation, etc.

Par ailleurs, la France s’est dotée, au travers de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, d’outils permettant de contrôler l’introduction sur notre territoire ou dans le milieu naturel, ainsi que la détention, le transport et l’utilisation de ces espèces. Cette réglementation nationale relève à la fois du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, du ministère de la santé et du ministère de la transition écologique et solidaire.

La problématique monte donc en puissance. Il me semble important que le Sénat s’en saisisse. C’est un sujet du quotidien pour nos concitoyens. Cela nécessite une coordination forte entre les acteurs de terrain impliqués à différentes échelles géographiques et la concentration de la lutte sur les espaces et sur les espèces prioritaires, car il n’est pas possible de vouloir agir sur tous les fronts.

M. le rapporteur a présenté la problématique du frelon asiatique sur la base d’une proposition de loi proposée par Mme Agnès Canayer. Ce texte confiait au maire un pouvoir de police renforcé pouvant exiger du propriétaire une action de lutte contre les espèces exotiques envahissantes présentes sur sa propriété.

Mais, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi soulevait différentes questions, notamment des risques d’erreur d’appréciation, de traitement inapproprié, de dispersion des moyens, qui ne conduisent pas forcément à l’efficacité recherchée en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes.

Le maire peut et doit jouer un rôle de sentinelle, d’informateur à l’égard de ses administrés sur cette problématique. C’est le sens de l’amendement de M. le rapporteur, sur lequel le Gouvernement a émis un avis favorable ; il a été adopté par la commission.

À ce jour, il n’existe aucune solution totalement efficace de lutte contre le frelon asiatique. Les pièges physiques ne sont pas sélectifs et les biocides conduisent parfois à des pollutions diffuses. Il est préférable, comme vous l’avez rappelé, de se concentrer sur la protection des ruches par encagement. L’espèce ne présente pas de danger pour l’homme, du moins pas plus que les espèces locales.

Le grand opérateur issu de la fusion de l’Agence française de la biodiversité, l’AFB, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, à savoir l’Office français de la biodiversité, sera un acteur de premier plan, à l’appui des maires et des préfets sur la problématique des espèces exotiques envahissantes. Ses deux composantes travaillent déjà activement sur le sujet en matière de gestion, de prévention, de formation des gestionnaires et de communication.

En liaison avec la stratégie nationale dont je parlais, un Centre de ressources national sur les espèces exotiques envahissantes a d’ores et déjà été créé auprès de l’AFB, animé avec le Comité français des associations de la nature. Ce centre fournit des informations sur les espèces présentes sur le territoire métropolitain, mais aussi en outre-mer, sur les techniques de gestion, sur la réglementation. Il produit une lettre d’information transmise régulièrement à plus de 1 500 acteurs de terrain.

La France dispose déjà de beaucoup des outils nécessaires pour une lutte efficace, ciblée, à travers une chaîne de décision opérationnelle et une mobilisation des acteurs locaux. Le texte amendé par la commission a perdu son caractère normatif, …

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