Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 7 mai 2019 à 14h30
Réforme de la politique agricole commune — Discussion d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément de l’intervention de notre collègue Claude Haut, j’axerai mon propos sur la comparaison entre les propositions du Sénat et le schéma de réforme envisagé par la Commission européenne. Or, en l’état actuel des choses, disons-le clairement : l’écart entre les deux apparaît tout à fait considérable.

Certes, ce schéma comporte plusieurs points positifs. Notre collègue vient de les saluer.

Néanmoins, le contenu général des négociations en cours suscite un très vif sentiment de malaise, en raison tout à la fois des contraintes budgétaires, du manque d’ambition et des risques soulevés par les orientations de la Commission européenne.

Plus précisément, ces orientations ne reprennent que très imparfaitement, voire contredisent, aussi bien les recommandations des deux premières résolutions du Sénat, de 2017 et 2018, que celles de notre nouvelle, et troisième, proposition de résolution européenne sur la PAC.

Nous déplorons le projet de diminution drastique du budget : en termes réels, baisse de 12 % pour le premier pilier et de 28 % pour le second. S’y ajoutent l’incertitude pesant sur le nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, des interrogations sur les nouvelles ambitions environnementales, ainsi que la perspective d’un quasi-statu quo sur l’adaptation des règles de concurrence aux spécificités agricoles.

En dernière analyse, le risque ultime de la réforme en gestation est même celui d’une renationalisation de la politique agricole.

Depuis de nombreuses années, en effet, les pays de l’Union affichent des divergences de vues de plus en plus profondes sur la PAC. Par cette proposition d’un nouveau mode de mise en œuvre, la Commission manifeste surtout l’intention de mettre un terme à son travail de médiation pour trouver une position commune, en laissant désormais la main largement aux États membres pour la gestion de leur politique agricole.

Or les obligations réglementaires et les standards permettant d’assurer de bonnes conditions agricoles et environnementales, qui figurent dans l’annexe du projet de la Commission, deviendraient presque tous optionnels. Les distorsions de concurrence ne pourraient, dès lors, que s’accentuer dans une course au moins-disant environnemental conduite en toute légalité, au détriment des producteurs les plus vertueux, notamment français, alors même qu’ils éprouvent déjà de grandes difficultés à vivre dignement du fruit de leur travail.

Au surplus, la présentation détaillée du dispositif, qui comprend 142 articles et plusieurs annexes, conduit à craindre un simple « transfert de bureaucratie » de l’Union européenne vers les États membres, dont les agriculteurs ne tireraient aucun bénéfice. En définitive, seule la Commission européenne semblerait y trouver intérêt…

Ce changement radical d’approche fait craindre un fort risque de « renationalisation rampante ». On peut ainsi redouter, à terme, c’est-à-dire à la fin des années 2020, d’aboutir de facto à 27 politiques agricoles qui ne seraient plus communes en rien. Cela marquerait la fin de la PAC telle qu’elle a été conçue et appliquée depuis l’origine, en 1962.

Permettez-moi de conclure en rappelant que mes collègues Daniel Gremillet, Claude Haut, Franck Montaugé et moi-même avions présenté, dès le mois de juillet 2017, un premier rapport d’information intitulé PAC : traverser le cap dangereux de 2020.

Ce travail a été actualisé par un second rapport d’information, publié en février 2019. Le titre de ce document, PAC : arrêter l ’ engrenage conduisant à sa déconstruction d ’ ici 2027, résume à lui seul l’évolution inquiétante de ce dossier, ainsi que la ligne directrice qui sous-tend notre proposition de résolution, afin de conjurer pareille perspective.

Depuis le 6 juin 2018, date de notre dernier débat en séance publique avec votre prédécesseur, monsieur le ministre, les négociations sur la future PAC ont continué à avancer, sans malheureusement que les orientations défendues par la Commission européenne soient fondamentalement remises en question, au sein du Conseil, par les États membres.

Or, monsieur le ministre, il y a urgence, car, plus le temps passe, plus ces orientations risquent de s’imposer à la longue.

Le Président de la République nous donne parfois l’impression de nous écouter à Paris, mais de tenir un discours inverse à Bruxelles. Pour peser face à nos partenaires, il faut une parole constante et une voix qui ne tremble pas.

Disons-le franchement : si les autorités politiques françaises ne réagissent pas maintenant, en envoyant un signal politique particulièrement fort, il sera définitivement trop tard !

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