Intervention de Sophie Primas

Réunion du 7 mai 2019 à 14h30
Réforme de la politique agricole commune — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons souhaité, avec M. le président de la commission des affaires européennes Jean Bizet, avoir ce débat très important en cette période d’élections européennes. Car comment parler d’Europe sans aborder le sujet de la politique agricole commune ? Comment parler d’Europe sans évoquer cette politique voulue par les pères fondateurs ? Elle a permis, en l’espace de soixante petites années, de garantir une alimentation de qualité et en quantité suffisante pour tous les citoyens européens. N’en déplaise aujourd’hui aux vendeurs de peurs, ceux qui ont le ventre plein et la mémoire courte !

Comment réfléchir à l’avenir de l’Europe sans penser à une politique agricole qui façonne notre modèle de développement, aussi bien sur les plans stratégique, économique et environnemental, qui dessine notre modèle alimentaire, y compris dans sa dimension sanitaire, qui impacte l’aménagement de nos territoires ruraux et constitue, en définitive, une partie de notre identité ?

Henri Cabanel disait qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours. C’est un drame. L’émotion que cela devrait susciter est la même que celle que nous avons ressentie lorsque la charpente de Notre-Dame brûlait. C’est notre identité la plus profonde qui est touchée.

Sans la PAC, permettez-moi d’affirmer qu’il n’y aurait sans doute pas l’Union européenne que nous connaissons. Pour la famille gaulliste qui est la mienne, la PAC est l’un des acquis du couple franco-allemand voulu par Adenauer et de Gaulle. Ses difficultés actuelles sont le signe d’un affaiblissement de cet axe franco-allemand que le Président de la République s’était pourtant engagé à relancer.

Tout l’enjeu des négociations en cours sur l’avenir de la PAC, sur la question tant du budget que de son contenu, est de définir quelle agriculture européenne, mais, plus généralement, quelle Europe nous voulons pour demain. Car, oui, monsieur le ministre, nous voulons l’Europe !

Ces négociations ont débuté en 2018 et ont suscité de vives inquiétudes dans nos campagnes. Au-delà du budget, préoccupation majeure plusieurs fois évoquée, le risque le plus important et le plus inédit est celui de la renationalisation de la PAC, qui fait craindre une course au moins-disant social et environnemental au détriment de nos agriculteurs, et qui est l’inverse de l’esprit européen.

La situation est historiquement grave ; si nous en sommes là, monsieur le ministre, c’est que la négociation à laquelle a participé la France a été un échec. Le Président de la République a clairement sa part de responsabilité dans cet échec – comment le nier ? –, et il doit s’en expliquer.

Comment le nier, en effet, sachant les termes dans lesquelles ledit Président esquissait, à la Sorbonne, en septembre 2017, son projet agricole européen ? « La PAC », disait-il, « est devenue un tabou français » ; il poursuivait en affirmant son souhait d’« ouvrir de manière décomplexée et inédite une politique agricole commune […] permettant de laisser plus de flexibilité au niveau des pays ».

Deux ans plus tard, nous y sommes. Les annonces présidentielles ont été mises en œuvre. Et, comme l’a dit Jean Bizet il y a quelques instants, la direction prise sera difficile à modifier.

Certes, entre-temps, plusieurs prises de paroles officielles, dont la vôtre, monsieur le ministre, ont dénoncé tant le budget que la réforme proposés pour la PAC. Le discours que vous nous avez tenu est volontariste, et je vous crois sincère. Mais je ne savais pas que nous étions en cohabitation, tant votre discours est différent de celui du Président de la République…

Les négociations sont au point mort, nous dit-on. Et force est de constater que la France est étonnamment isolée au niveau européen. Le travail diplomatique de conviction et d’alliance doit être repris ; l’heure est venue d’obtenir des résultats. Ce n’est pas une question de majorité politique en Europe – vous le savez, monsieur le ministre. C’est une question de force et de présence de la France dans les instances de décision européennes.

De ce point de vue, j’attire l’attention des électeurs du 26 mai prochain : soyons vigilants s’agissant des groupes politiques européens auxquels les eurodéputés français vont adhérer ; car être dans l’opposition d’extrême ne sert à rien, sinon à affaiblir la position de la France. Ne pas dire où l’on siégera, et être ainsi nulle part, c’est très inquiétant.

Les auteurs de la proposition de résolution se refusent à la fatalité d’un échec des négociations de la PAC.

La procédure de décentralisation de cette politique doit être rejetée de manière unanime, au regard des risques qu’elle présente. Il faut défendre, à la place de cette procédure, un renforcement des mécanismes contracycliques et une meilleure mobilisation de la réserve européenne de crise, tant attendue par nos agriculteurs, afin de couvrir ces derniers contre les aléas économiques, climatiques ou géopolitiques.

Il serait également juste et nécessaire de garantir une concurrence loyale et équilibrée protégeant nos produits alimentaires des importations.

Je soutiens enfin une révision à la hausse des moyens budgétaires, à l’image de ce qui se pratique dans toutes les autres grandes puissances agricoles, afin que nous relevions ensemble les défis auxquels est confrontée l’agriculture. Il y va, monsieur le ministre, de notre indépendance géostratégique et de notre sécurité alimentaire.

Les négociations vont reprendre, après les élections européennes ; c’est un moment historique. Et je vous souhaite – je nous souhaite et je souhaite à la France – force, courage et réussite !

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