Intervention de François Bonhomme

Réunion du 7 mai 2019 à 14h30
Contrôle de l'application et de l'évaluation des lois — Adoption d'une proposition de résolution dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, aux termes de l’article 21 de la Constitution, « le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale. Il assure l’exécution des lois. »

Dans la circulaire du 29 février 2008 relative à l’application des lois, constatant que « l’objectif consistant à prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi [n’était] pas encore atteint », le Gouvernement rappelait l’obligation de résultat qu’il s’était fixé à ce titre.

Selon le credo même du Gouvernement, « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d’irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ». Il résulte de l’inexécution des lois par le Gouvernement, en raison même de l’obligation à caractère constitutionnel qui s’impose à lui, que la responsabilité pour faute de l’État peut être engagée en cas de retard ou de carence dans l’application des lois.

Qu’en est-il dans les faits ?

Nous ne connaissons que trop cette réalité : il n’est pas rare que les décrets et autres textes réglementaires nécessaires à l’application effective des lois soient publiés très tardivement. À titre d’exemple, lorsque le Parlement a autorisé les policiers municipaux à consulter directement le fichier des plaques d’immatriculation ou celui des permis de conduire, il a fallu plus de deux ans pour prendre le décret d’application. Hormis quelques expérimentations, la consultation de ces fichiers est toujours impossible, faute de moyens matériels. On en arrive à des situations absolument surréalistes, où l’expérimentation de la mise en œuvre d’un décret d’application de portée générale intervient plus de deux ans après le vote de la loi !

On observe par ailleurs un certain nombre de carences dans l’application des lois. Maryse Deguergue, professeur de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, considère à ce titre que, dans certains cas, « ce n’est plus à proprement parler un retard qui est reproché au Gouvernement, mais une abstention qui équivaut, selon les termes mêmes des arrêts les plus récents, à un refus de satisfaire à l’obligation qui lui incombe ».

De telles situations sont problématiques, car la loi votée doit pouvoir s’appliquer dans des délais rapides et s’imposer à toutes et à tous dès lors qu’elle a été promulguée. Rappelons une évidence : ces lois, dont l’exécution peine à être mise en œuvre, résultent bien souvent d’attentes signifiées par les citoyens et les collectivités territoriales.

De fait, notre collègue Franck Montaugé et les autres cosignataires de cette proposition de résolution sont partis d’un constat avéré et partagé : en l’état, tout ministre peut s’affranchir de l’application de la loi. Disons-le franchement, comment le Gouvernement peut-il attendre autant des collectivités territoriales et prétendre au crédit de sa parole, s’il ne s’astreint pas à respecter l’obligation constitutionnelle d’assurer l’exécution des lois qui lui incombe ?

Le contrôle de l’application des lois apparaît donc comme une nécessité et les objectifs des auteurs de cette proposition de résolution sont louables, puisqu’il s’agit de mettre fin à des retards dans l’application des lois particulièrement inacceptables.

Au cours de l’histoire de notre République, le Sénat s’est présenté comme le pionnier du contrôle de l’application des lois. Cela fait ainsi plus de quarante ans que la chambre haute dresse un bilan annuel de l’application des lois, proposant une vision globale des efforts mis en œuvre par le Gouvernement. Au printemps, chaque président de commission réalise un bilan de l’application des lois relevant des compétences de sa commission. Le président de la délégation du bureau du Sénat chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle élabore ensuite le bilan annuel de l’application des lois, publié à la fin du mois de mai ou au début de juin.

Enfin, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle propose de renforcer le suivi de l’application des lois, notamment en autorisant les présidents des deux assemblées, soixante députés ou soixante sénateurs à saisir le Conseil d’État en cas de retard ou de carence du Gouvernement.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui prévoit la création d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur d’un texte, confiant ainsi à ce dernier la responsabilité de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat. Il est également prévu que les commissions permanentes puissent désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. Le rapporteur resterait libre d’organiser ces travaux de suivi, notamment en fonction du nombre de décrets manquants. Ses observations auraient vocation à alimenter le bilan annuel de l’application des lois, dont l’existence serait reconnue par le règlement du Sénat.

Les travaux de la commission des lois ont par ailleurs permis d’expliciter la procédure applicable aux textes examinés par une commission spéciale. Les commissions permanentes seraient ainsi habilitées à désigner un rapporteur pour suivre l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence.

Je salue les travaux menés par la commission des lois, en particulier par notre collègue Philippe Bonnecarrère, qui ont permis d’assouplir les modalités propres à ce droit de suite et de rendre celui-ci plus opérationnel, notamment en instaurant la possibilité de désigner plusieurs rapporteurs ou de constituer des groupes de travail pluralistes.

En effet, s’il apparaît que la création d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur est susceptible de renforcer utilement le suivi de l’application des lois, il est aussi de notre devoir de veiller à ce que cela ne conduise pas à engorger les commissions permanentes.

À cet égard, le dispositif de la proposition de résolution initiale était plus contraignant. Son article 1er prévoyait ainsi que le rapporteur d’un texte a l’obligation de rendre compte chaque année de ses travaux de suivi et d’évaluation devant sa commission. La commission des lois a fait le choix de circonscrire le champ de la proposition de résolution au suivi de l’application des lois, en supprimant toute référence à l’évaluation des lois. Pour toutes les raisons évoquées antérieurement, cette restriction me semble opportune. Je voterai donc en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution.

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