Je commencerai par une information : hier, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité, moins une abstention, la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, que nous aurons l'occasion d'évoquer ensemble prochainement.
S'agissant du présent projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse, la loi Bichet de 1947 a souvent été qualifiée, y compris au Sénat, d'« icône de la République ». Elle a permis de garantir, dans le contexte tourmenté de l'après-guerre, l'effectivité du principe constitutionnel de pluralisme des courants de pensée et d'opinion. En effet, comme l'a noté le Conseil constitutionnel dès 1984, la libre communication des pensées et des opinions n'est effective que si le public est à même de disposer d'un nombre suffisant de publications représentant des opinions et des tendances différentes. Cela implique donc que tous les journaux d'information politique et générale soient disponibles sur l'ensemble du territoire national.
Aujourd'hui, les objectifs de la loi Bichet demeurent, y compris à l'heure de la transformation numérique, qui permet en théorie de disposer de l'ensemble des publications existantes. Le projet de loi qui vous est soumis prévoit donc de les étendre à la diffusion numérique. Par ailleurs, je crois profondément à l'avenir de la presse papier, à son ancrage dans nos territoires et à son utilité pour le débat démocratique.
Les évolutions numériques ont toutefois conduit à des bouleversements qui rendent aujourd'hui indispensable l'adaptation de la loi Bichet. Si elle est une icône de la République, elle ne doit pas devenir un totem, et il apparaît nécessaire de l'adapter.
Les chiffres du secteur de la diffusion papier de la presse illustrent bien les difficultés importantes auxquelles ce secteur est confronté. Entre 2007 et 2017, plus de 1 000 éditeurs de presse ont vu leurs volumes de ventes diminuer de 54 %. Plus de 6 000 points de vente ont fermé leur devanture entre 2011 et 2018, dans des villes moyennes ou des communes déjà fortement éprouvées par la déprise économique et démographique. Vous connaissez également les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, qui assure aujourd'hui la distribution de l'intégralité des quotidiens nationaux.
L'entreprise a bénéficié d'un plan de continuation homologué en mars 2018 par le tribunal de commerce, auquel l'État a contribué par un prêt d'un montant de 90 millions d'euros. Elle affichera cette année des fonds propres négatifs d'un montant de 400 millions d'euros après affectation des résultats de l'année 2018.
Nous devons aujourd'hui moderniser la distribution de la presse au numéro sans casser le système. Il n'est pas aisé de modifier un texte aussi ancien et aussi symbolique, sur lequel s'est construit depuis plus de 70 ans un système complexe, qui a pu occasionner certaines dérives et qui a clairement montré ses limites. Le projet présenté par le Gouvernement, fruit d'un long travail de concertation avec l'ensemble du secteur, parvient à résoudre cette équation difficile, me semble-t-il. Il s'agit d'un texte équilibré et protecteur de l'intégrité de la distribution de la presse, qui permet notamment d'atteindre trois objectifs essentiels : la préservation de la diversité des publications, garante de l'expression de la pluralité des opinions ; le maintien d'un service de proximité sur l'ensemble du territoire national, tout particulièrement dans les zones rurales ; la préservation de l'avenir d'une filière et de professionnels, qui, pour certains, connaissent aujourd'hui des difficultés.
Le projet de loi préserve certains principes essentiels de la loi Bichet : le maintien du principe coopératif obligatoire - c'est une garantie forte d'équité de traitement entre tous les éditeurs, à laquelle les acteurs de la filière sont très attachés - ; le droit absolu à la distribution de l'ensemble des titres d'information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente et les quantités distribuées ; le maintien d'un système permettant l'accès à une grande variété de publications sur l'ensemble du territoire national - la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, un acquis que nous devons à la loi de 1947 et qu'il nous faut préserver. Ces acquis constituent le socle sur lequel notre réseau de distribution s'est construit. Ils doivent être conservés.
Mais la loi, dans sa rédaction actuelle, pose aussi un certain nombre de difficultés.
Tout d'abord, la détention obligatoire du capital des messageries par les éditeurs place, de fait, les éditeurs, à la fois clients et actionnaires, dans des situations structurelles de conflit d'intérêts.
Ensuite, alors qu'ils assurent le rôle essentiel d'interface commerciale avec le client-lecteur, les marchands de journaux n'ont aujourd'hui aucun contrôle sur le type de publications qu'ils reçoivent, ni sur les quantités d'exemplaires livrés. Il nous faut redonner une vraie marge de manoeuvre à ces acteurs essentiels de la filière et à leur capacité d'adaptation aux réalités du marché.
Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités. Je ne remets pas en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, l'ARDP, auxquelles je tiens à rendre hommage, mais la régulation actuelle ne permet pas d'accompagner efficacement la modernisation de la filière et de garantir sa pérennité.
Le projet qui vous est soumis prévoit donc une véritable modernisation du cadre législatif, selon des modalités et un calendrier qui permettent d'accompagner la transition.
En premier lieu, la régulation du secteur sera confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), autorité compétente et légitime, notamment en matière de régulation économique, qui disposera de pouvoirs d'intervention forts, notamment en ce qui concerne l'homologation des barèmes, et d'un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le CSMP et l'ARDP.
En deuxième lieu, la fin de la détention capitalistique majoritaire des messageries par les coopératives d'éditeurs doit permettre de nouvelles perspectives en termes de stratégie industrielle pour les acteurs actuels. Elle permettra également, à moyen terme, à d'autres acteurs de proposer le cas échéant un service de distribution de la presse, à condition bien évidemment d'être agréés par l'Arcep sur le fondement d'un cahier des charges strict établi par décret.
Cette possibilité de délivrer des agréments à d'autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra intervenir qu'après une phase de transition. Le projet de loi autorise en effet le Gouvernement à différer jusqu'au 1er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l'agrément, et le Gouvernement entend utiliser pleinement cette marge de manoeuvre afin de laisser aux acteurs actuels un délai raisonnable pour s'adapter.
En troisième lieu, le texte prévoit de donner plus de souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu'ils distribuent, en dehors de la presse d'information politique et générale et de la presse reconnue par la CPPAP, la Commission paritaire des publications et agences de presse. Cet axe essentiel de modernisation doit permettre d'améliorer l'attractivité commerciale des marchands de journaux et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs dans nos régions, nos départements et nos communes.
En quatrième lieu, le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique, en prévoyant d'une part un droit d'accès aux kiosques numériques aux éditeurs de titres d'information politique et générale, en imposant d'autre part des obligations de transparence aux agrégateurs d'informations en ligne sur leurs choix de mises en avant des contenus d'information.
Enfin, le projet de loi confie à l'Arcep la mission d'élaborer un schéma d'orientation de la distribution de la presse, qui devra intégrer le rôle spécifique joué par les dépositaires régionaux de presse de niveau 2, dans une logique d'accompagnement de la transition.
Ces grands axes offrent, je le crois, un cadre équilibré à l'indispensable évolution du dispositif actuel de la distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle pour l'équilibre économique de l'ensemble de la filière.
Avant de répondre à vos questions, je souhaite rapidement replacer ce projet de loi dans le cadre plus large de la politique du Gouvernement en faveur de la presse. La directive sur le droit d'auteur, adoptée le 15 avril dernier par les institutions européennes et qui prévoit la création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse, est déjà en cours de transposition. Je salue la proposition de loi de transposition adoptée à l'unanimité en première lecture au Sénat à l'initiative de David Assouline. Le texte sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale dans deux jours. Nous serons donc le premier pays européen à procéder à la transposition de cette directive, ce qui permettra aux éditeurs et agences de presse de bénéficier enfin de revenus pour l'exploitation de leurs articles par les plateformes numériques.
Par ailleurs, les principaux éditeurs de la presse d'information politique et générale ont présenté à Bruno Le Maire et à moi-même un plan de filière afin de mieux accompagner la modernisation du secteur. Ce plan est en cours d'instruction par nos services et viendra utilement alimenter nos réflexions.
Enfin, le soutien du Gouvernement à la presse repose en grande partie sur un système d'aides, adapté aux différents enjeux - aides à la distribution physique, au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires, mais également à la modernisation des titres, à l'émergence de nouveaux titres et aux médias de proximité. Il s'agit là d'une politique publique essentielle pour assurer la vitalité de notre débat démocratique et l'accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.
Je remercie de nouveau tous les acteurs de la filière pour leur engagement et leur contribution directe ou indirecte à ce projet de loi, qui s'appuie sur les acquis de la loi Bichet pour construire l'avenir. C'est l'avenir du secteur que nous écrivons aujourd'hui et, avec lui, une nouvelle page de l'histoire de la presse écrite. Le Gouvernement sera bien entendu ouvert à tous les amendements qui pourraient venir encore améliorer le texte qui vous est présenté.