Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 7 mai 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Franck Riester, ministre de la culture, au sujet du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre de la culture

Je commencerai par une information : hier, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité, moins une abstention, la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, que nous aurons l'occasion d'évoquer ensemble prochainement.

S'agissant du présent projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse, la loi Bichet de 1947 a souvent été qualifiée, y compris au Sénat, d'« icône de la République ». Elle a permis de garantir, dans le contexte tourmenté de l'après-guerre, l'effectivité du principe constitutionnel de pluralisme des courants de pensée et d'opinion. En effet, comme l'a noté le Conseil constitutionnel dès 1984, la libre communication des pensées et des opinions n'est effective que si le public est à même de disposer d'un nombre suffisant de publications représentant des opinions et des tendances différentes. Cela implique donc que tous les journaux d'information politique et générale soient disponibles sur l'ensemble du territoire national.

Aujourd'hui, les objectifs de la loi Bichet demeurent, y compris à l'heure de la transformation numérique, qui permet en théorie de disposer de l'ensemble des publications existantes. Le projet de loi qui vous est soumis prévoit donc de les étendre à la diffusion numérique. Par ailleurs, je crois profondément à l'avenir de la presse papier, à son ancrage dans nos territoires et à son utilité pour le débat démocratique.

Les évolutions numériques ont toutefois conduit à des bouleversements qui rendent aujourd'hui indispensable l'adaptation de la loi Bichet. Si elle est une icône de la République, elle ne doit pas devenir un totem, et il apparaît nécessaire de l'adapter.

Les chiffres du secteur de la diffusion papier de la presse illustrent bien les difficultés importantes auxquelles ce secteur est confronté. Entre 2007 et 2017, plus de 1 000 éditeurs de presse ont vu leurs volumes de ventes diminuer de 54 %. Plus de 6 000 points de vente ont fermé leur devanture entre 2011 et 2018, dans des villes moyennes ou des communes déjà fortement éprouvées par la déprise économique et démographique. Vous connaissez également les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, qui assure aujourd'hui la distribution de l'intégralité des quotidiens nationaux.

L'entreprise a bénéficié d'un plan de continuation homologué en mars 2018 par le tribunal de commerce, auquel l'État a contribué par un prêt d'un montant de 90 millions d'euros. Elle affichera cette année des fonds propres négatifs d'un montant de 400 millions d'euros après affectation des résultats de l'année 2018.

Nous devons aujourd'hui moderniser la distribution de la presse au numéro sans casser le système. Il n'est pas aisé de modifier un texte aussi ancien et aussi symbolique, sur lequel s'est construit depuis plus de 70 ans un système complexe, qui a pu occasionner certaines dérives et qui a clairement montré ses limites. Le projet présenté par le Gouvernement, fruit d'un long travail de concertation avec l'ensemble du secteur, parvient à résoudre cette équation difficile, me semble-t-il. Il s'agit d'un texte équilibré et protecteur de l'intégrité de la distribution de la presse, qui permet notamment d'atteindre trois objectifs essentiels : la préservation de la diversité des publications, garante de l'expression de la pluralité des opinions ; le maintien d'un service de proximité sur l'ensemble du territoire national, tout particulièrement dans les zones rurales ; la préservation de l'avenir d'une filière et de professionnels, qui, pour certains, connaissent aujourd'hui des difficultés.

Le projet de loi préserve certains principes essentiels de la loi Bichet : le maintien du principe coopératif obligatoire - c'est une garantie forte d'équité de traitement entre tous les éditeurs, à laquelle les acteurs de la filière sont très attachés - ; le droit absolu à la distribution de l'ensemble des titres d'information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente et les quantités distribuées ; le maintien d'un système permettant l'accès à une grande variété de publications sur l'ensemble du territoire national - la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, un acquis que nous devons à la loi de 1947 et qu'il nous faut préserver. Ces acquis constituent le socle sur lequel notre réseau de distribution s'est construit. Ils doivent être conservés.

Mais la loi, dans sa rédaction actuelle, pose aussi un certain nombre de difficultés.

Tout d'abord, la détention obligatoire du capital des messageries par les éditeurs place, de fait, les éditeurs, à la fois clients et actionnaires, dans des situations structurelles de conflit d'intérêts.

Ensuite, alors qu'ils assurent le rôle essentiel d'interface commerciale avec le client-lecteur, les marchands de journaux n'ont aujourd'hui aucun contrôle sur le type de publications qu'ils reçoivent, ni sur les quantités d'exemplaires livrés. Il nous faut redonner une vraie marge de manoeuvre à ces acteurs essentiels de la filière et à leur capacité d'adaptation aux réalités du marché.

Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités. Je ne remets pas en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, l'ARDP, auxquelles je tiens à rendre hommage, mais la régulation actuelle ne permet pas d'accompagner efficacement la modernisation de la filière et de garantir sa pérennité.

Le projet qui vous est soumis prévoit donc une véritable modernisation du cadre législatif, selon des modalités et un calendrier qui permettent d'accompagner la transition.

En premier lieu, la régulation du secteur sera confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), autorité compétente et légitime, notamment en matière de régulation économique, qui disposera de pouvoirs d'intervention forts, notamment en ce qui concerne l'homologation des barèmes, et d'un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le CSMP et l'ARDP.

En deuxième lieu, la fin de la détention capitalistique majoritaire des messageries par les coopératives d'éditeurs doit permettre de nouvelles perspectives en termes de stratégie industrielle pour les acteurs actuels. Elle permettra également, à moyen terme, à d'autres acteurs de proposer le cas échéant un service de distribution de la presse, à condition bien évidemment d'être agréés par l'Arcep sur le fondement d'un cahier des charges strict établi par décret.

Cette possibilité de délivrer des agréments à d'autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra intervenir qu'après une phase de transition. Le projet de loi autorise en effet le Gouvernement à différer jusqu'au 1er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l'agrément, et le Gouvernement entend utiliser pleinement cette marge de manoeuvre afin de laisser aux acteurs actuels un délai raisonnable pour s'adapter.

En troisième lieu, le texte prévoit de donner plus de souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu'ils distribuent, en dehors de la presse d'information politique et générale et de la presse reconnue par la CPPAP, la Commission paritaire des publications et agences de presse. Cet axe essentiel de modernisation doit permettre d'améliorer l'attractivité commerciale des marchands de journaux et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs dans nos régions, nos départements et nos communes.

En quatrième lieu, le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique, en prévoyant d'une part un droit d'accès aux kiosques numériques aux éditeurs de titres d'information politique et générale, en imposant d'autre part des obligations de transparence aux agrégateurs d'informations en ligne sur leurs choix de mises en avant des contenus d'information.

Enfin, le projet de loi confie à l'Arcep la mission d'élaborer un schéma d'orientation de la distribution de la presse, qui devra intégrer le rôle spécifique joué par les dépositaires régionaux de presse de niveau 2, dans une logique d'accompagnement de la transition.

Ces grands axes offrent, je le crois, un cadre équilibré à l'indispensable évolution du dispositif actuel de la distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle pour l'équilibre économique de l'ensemble de la filière.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite rapidement replacer ce projet de loi dans le cadre plus large de la politique du Gouvernement en faveur de la presse. La directive sur le droit d'auteur, adoptée le 15 avril dernier par les institutions européennes et qui prévoit la création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse, est déjà en cours de transposition. Je salue la proposition de loi de transposition adoptée à l'unanimité en première lecture au Sénat à l'initiative de David Assouline. Le texte sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale dans deux jours. Nous serons donc le premier pays européen à procéder à la transposition de cette directive, ce qui permettra aux éditeurs et agences de presse de bénéficier enfin de revenus pour l'exploitation de leurs articles par les plateformes numériques.

Par ailleurs, les principaux éditeurs de la presse d'information politique et générale ont présenté à Bruno Le Maire et à moi-même un plan de filière afin de mieux accompagner la modernisation du secteur. Ce plan est en cours d'instruction par nos services et viendra utilement alimenter nos réflexions.

Enfin, le soutien du Gouvernement à la presse repose en grande partie sur un système d'aides, adapté aux différents enjeux - aides à la distribution physique, au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires, mais également à la modernisation des titres, à l'émergence de nouveaux titres et aux médias de proximité. Il s'agit là d'une politique publique essentielle pour assurer la vitalité de notre débat démocratique et l'accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.

Je remercie de nouveau tous les acteurs de la filière pour leur engagement et leur contribution directe ou indirecte à ce projet de loi, qui s'appuie sur les acquis de la loi Bichet pour construire l'avenir. C'est l'avenir du secteur que nous écrivons aujourd'hui et, avec lui, une nouvelle page de l'histoire de la presse écrite. Le Gouvernement sera bien entendu ouvert à tous les amendements qui pourraient venir encore améliorer le texte qui vous est présenté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je note que ce texte, une fois n'est pas coutume, est présenté en première lecture au Sénat. Je veux y voir une marque de reconnaissance pour les travaux au long cours de notre commission, en particulier ceux entrepris par le rapporteur Michel Laugier.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Ce projet de loi tire les conséquences de la situation très critique dans laquelle se trouve l'opérateur Presstalis. Le cadre que vous proposez vaut pour l'avenir, mais ne règle pas le problème des 400 millions d'euros de fonds propres négatifs de Presstalis, qui font peser un risque systématique sur toute la filière. Adosser Presstalis à un autre opérateur est sans doute la seule solution pertinente. Le nom de La Poste a été cité. Où en êtes-vous dans la recherche de cet opérateur ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Presstalis affiche bien 400 millions d'euros de fonds propres négatifs.

Une solution d'avenir pourrait en effet être l'adossement de Presstalis à un groupe industriel solide. La dirigeante de Presstalis, Michèle Benbunan, est en contact avec La Poste et d'autres acteurs comme Geodis. Le Gouvernement voit ces discussions d'un très bon oeil, mais rien n'est encore fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Le projet de loi mentionne, dans son article 17, les dépositaires centraux, c'est-à-dire le niveau 2.

Les dépôts indépendants, qui exercent actuellement un monopole régional reposant sur la pratique, et non sur les textes, ont beaucoup investi, et l'arrivée de nouvelles sociétés constitue une source de préoccupation pour eux. Quelle est votre vision de l'avenir de cette profession dans le nouveau contexte législatif ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Les dépositaires de niveau 2 jouent un rôle très important, notamment de conseil aux points de vente pour le marchandising et la gestion des stocks. Le schéma territorial d'orientation de la distribution de la presse que l'Arcep sera chargée de définir prendra en compte les spécificités du niveau 2. Je suis convaincu de l'avenir de ces métiers, qui apportent une vraie plus-value par rapport à la simple distribution des titres de presse.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

N'oublions pas qu'ils gèrent aussi les flux financiers.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Vous avez raison de le rappeler.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

La Commission du réseau de la diffusion de la presse, qui remplacera la commission du réseau du CSMP, sera amenée à prendre des décisions essentielles pour les territoires, notamment les autorisations d'ouverture des points de vente. Seriez-vous favorable à ce que les élus locaux soient associés, par exemple sous la forme d'une consultation par la Commission précitée ? Il me semble important, notamment après l'important travail du Sénat sur la revitalisation des centres-bourgs, que les élus aient leur mot à dire en ce domaine.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Je suis favorable à cette proposition. Réfléchissons à la meilleure façon de la graver dans le marbre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Pourriez-vous détailler le calendrier de la période de transition au-delà de 2023 ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

La période de transition court jusqu'en 2023. Dans l'intervalle, on donne de nouveaux moyens aux marchands de journaux pour travailler, on installe un nouveau régulateur, on accompagne au maximum la modernisation des acteurs existants, en particulier Presstalis, mais on ne permet pas à d'autres acteurs d'entrer sur le marché.

Le 1er janvier 2023 était la date limite acceptée par le Conseil d'État pour ne pas risquer de contrevenir aux principes constitutionnels. Les acteurs existants ont donc trois grosses années pour s'adapter à ce nouvel environnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

L'article 14 du projet de loi fait entrer dans le champ d'application de la loi de 1947 la presse numérique. C'est une avancée à saluer. En particulier, les agrégateurs devront fournir à l'utilisateur des informations sur l'utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la mise en avant des contenus, en d'autres termes le traitement algorithmique qui en est fait.

Vous le savez, j'ai très modérément confiance dans l'autorégulation des plateformes et autres agrégateurs. Nos voisins allemands sont en train de prendre des mesures contre les agrégateurs de données et les États-Unis se posent aussi des questions. J'ai moi-même fait adopter par le Sénat une résolution européenne pour demander la réouverture de la directive e-commerce afin de responsabiliser les plateformes.

Quelle est la volonté du Gouvernement sur ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

J'ai lu avec beaucoup d'attention la résolution du Sénat, dont je partage la philosophie et l'essentiel des constats.

Avant même le vote de la directive relative au droit d'auteur, le Gouvernement s'était mobilisé sur la directive Services de médias audiovisuels, dite « SMA », que nous aurons l'occasion de transposer dans le projet de loi relatif à l'audiovisuel.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Le texte devrait être présenté cet été en conseil des ministres et discuté à l'Assemblée nationale cet automne ou en tout début d'année 2020.

Le Gouvernement est mobilisé sur la responsabilisation financière des plateformes, avec la taxe GAFA, mais aussi sur leur mode de fonctionnement. Vous aurez l'occasion d'échanger prochainement avec Cédric O sur la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet. La loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information a été adoptée, même si vous n'étiez pas d'accord avec toutes ses dispositions, et le projet de loi sur l'audiovisuel permettra d'aborder la lutte contre le piratage.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous auditionnerons prochainement Cédric O. Mais qu'il s'agisse de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information ou du texte destiné à lutter contre les propos haineux, on reste dans l'autorégulation des plateformes. Or il me semble qu'il faut aller plus loin.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Le texte sur les propos haineux va plus loin, en prévoyant des sanctions très fortes en cas de non-respect d'un certain nombre de principes parfaitement clairs.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je ne vais pas revenir sur les points balayés par le rapporteur, notamment les pouvoirs accordés à l'Arcep ; nous aurons l'occasion d'en discuter cet après-midi avec son président. En revanche, monsieur le ministre, je voudrais insister sur la notion de quantité, donc sur l'article 8. Le succès de la réforme repose largement sur la capacité des messageries à mettre en place un assortiment et un plafonnement des titres livrés aux diffuseurs, dans les six mois suivant la promulgation du texte. Or, jusqu'à présent, cette démarche s'est toujours heurtée au caractère très désuet des systèmes d'information des messageries Presstalis et Messageries lyonnaises de presse (MLP). Avez-vous des garanties quant à leur capacité de s'adapter ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

À un moment, il faut inciter les acteurs de la filière à s'équiper en conséquence. C'est tout l'intérêt de disposer d'un régulateur fort, dont l'action sera amplifiée par la pression exercée par les marchands de journaux et les dépositaires de niveau 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Leleux

Nous avons bien compris, s'agissant de la souplesse introduite dans les assortiments, qu'il y aurait obligation de diffuser les 40 à 50 journaux de la presse IPG et négociation pour la diffusion des publications bénéficiant d'un numéro attribué par la commission paritaire. Qu'adviendra-t-il des autres, par exemple de certains journaux ludiques ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Le système que nous envisageons permettra plus de souplesse et d'adaptation : pour la presse d'information politique et générale (IPG), envoi systématique ; pour les autres publications reconnues par la CPPAP, accords interprofessionnels ; pour le reste, ou dans le cas où aucun accord interprofessionnel n'est trouvé, accords de gré à gré. Pour autant, les messageries ont le devoir de traiter ces publications de manière objective, transparente, efficace et non discriminatoire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, la loi Bichet est un des piliers sur lesquels s'est bâtie, après la Libération, la liberté de la presse. Par conséquent, on ne peut y toucher que d'une main tremblante. La crise actuelle est liée à de nombreux facteurs, mais certainement pas à l'esprit de cette loi, qui n'est en rien obsolète. Son ambition - rendre accessible, partout sur le territoire, une presse pluraliste - vaut toujours, même s'il faut désormais prendre en compte l'émergence de la presse numérique.

Je continue à douter de la mesure visant à confier la régulation de la distribution de la presse à l'Arcep. Certes, le fonctionnement précédent était complexe et engendrait des conflits d'intérêts, mais cette évolution n'est pas innocente. On confie à un organisme ayant une vocation de régulateur économique un rôle d'arbitre en matière de liberté d'expression, de liberté et de pluralisme de la presse - qui sont des droits constitutionnels. Culture et finance ne répondent pas à la même logique !

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Le texte que nous avons élaboré ne reprend pas intégralement les propositions du rapport Schwartz. Mais, sur ce point précis, nous l'avons rejoint. Le régulateur retenu n'est peut-être pas parfait. Il nous paraît toutefois le plus adapté pour régler les problématiques, notamment économiques, rencontrées par les acteurs de cette filière, le tout, bien évidemment, devant être géré dans le cadre des principes constitutionnels qui viennent d'être rappelés.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

La régulation repose désormais sur deux piliers : l'Arcep et le respect d'un cahier des charges, dont les contours seront précisés par décret. Quand envisagez-vous la publication de ce cahier des charges ? Quels éléments essentiels contiendra-t-il ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

La date retenue devra être la plus proche possible du 1er janvier 2023. Le cahier des charges devra contenir tous les éléments permettant de définir ce que doit être une entreprise de messagerie de presse capable d'assurer un service de très bonne qualité en matière logistique et de satisfaire les principes de la loi Bichet. Il n'est donc pas question de « casser » le système actuel ; nous donnons simplement la possibilité à de nouveaux acteurs, à compter de 2023, d'entrer sur un marché qui restera très régulé.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Je rejoins les inquiétudes exprimées par David Assouline sur la remise en question de la loi Bichet, fruit d'un équilibre trouvé à l'époque de son élaboration. Je m'interroge aussi sur le moment choisi pour procéder à cette évolution : alors qu'un véritable doute s'exprime sur le devenir de nos démocraties, tout ce qui peut contribuer à un recul du pluralisme est malvenu !

À cet égard, monsieur le ministre, vos propos ne m'ont pas complètement rassurée.

S'agissant du pluralisme, vous évoquez une certaine souplesse pour les marchands de journaux. Récemment, un kiosquier a refusé de diffuser un magazine dont la une ne lui convenait pas. Nous ne devons pas permettre le développement de telles pratiques !

Enfin, la diversification des points de vente et l'intervention des acteurs de la distribution traditionnelle, comme Amazon, ne seront pas bénéfiques en termes de proximité, car, on le sait, ces grands groupes s'implantent dans les seules zones qu'ils considèrent comme rentables, voire extrêmement rentables.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Oui, le système actuel permet une distribution de bonne qualité sur l'ensemble du territoire, mais à quel prix ? Presstalis a perdu 50 millions d'euros l'an dernier et, sans l'apport de 90 millions d'euros de l'État, le groupe était menacé de liquidation judiciaire au printemps 2018. Il faut sortir les prestataires de l'ornière ! C'est l'objectif que vise le Gouvernement, tout en assurant, pour le présent et pour l'avenir, le maintien des grands principes d'une distribution très large et plurielle de la presse.

Avec ce projet de loi, nous souhaitons soumettre les acteurs numériques à la même régulation que les autres. Ce qui s'appliquera aux kiosques physiques s'appliquera aux kiosques numériques.

Enfin, ce que le kiosquier mentionné s'est permis de faire n'est pas acceptable, et ne le sera pas plus après l'adoption du texte.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

La rénovation de la loi Bichet est nécessaire : en 1947, la presse était essentiellement quotidienne, la presse magazine quasiment inexistante et, effectivement, le système coopératif de distribution a connu des dérives.

Les acteurs coopératifs - j'ai eu la chance d'être associé à plusieurs auditions menées par notre rapporteur Michel Laugier - ont été attentifs au processus de concertation et, si certains éléments retoqués par le Conseil d'État ont pu susciter quelques inquiétudes, aucun d'entre eux ne considère que le projet de loi est à jeter.

Néanmoins, il faut aussi s'interroger sur la distribution de la presse dans sa globalité. Je pense notamment au portage : malgré le montant élevé des aides consacrées à son développement, il s'est difficilement implanté, semble peu pérenne et a parfois déstabilisé une partie du réseau physique de distribution. Une adaptation du système d'aides directes et indirectes à la presse s'impose donc. Quelle est votre vision sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Nous ne réglerons pas durablement les problèmes en allant à l'encontre de la qualité de service. Or le portage en constitue un des éléments, étant, notamment, un facteur d'incitation aux abonnements à la presse. Je suis donc favorable à ne pas casser les dispositifs d'aides mis en place en faveur de ce service, mais, comme toutes les politiques publiques, ils sont à évaluer et réévaluer. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans le cadre de l'examen du « plan de filière » présenté par les acteurs de la filière.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Je voulais tout d'abord me féliciter de l'examen prochain du projet de loi sur les droits voisins. Dans ce domaine, c'est un peu le far west et il est urgent de réguler. L'Union européenne l'a fait et je suis heureux que la France soit la première à transposer le texte.

De même, vous avez évoqué la lutte contre les propos haineux. Là aussi il y a urgence. Il ne s'agit pas seulement d'un problème d'information ou de numérique, il en va aussi de la démocratie. La situation devient de plus en plus inquiétante. On en a vu les conséquences dans d'autres pays.

On a également parlé de la loi sur les fake news : certains déplorent que l'on avance par petits bouts au lieu de faire une loi générale. Mais les évolutions sont tellement rapides en la matière qu'il n'est pas possible de faire autrement. D'autres textes seront nécessaires.

En ce qui concerne le présent projet de loi, vous avez fait le choix de soumettre l'implantation des points de vente de presse à l'avis de la Commission du réseau de la diffusion de la presse. Pourquoi avez-vous retenu cette solution ? Le rapport Schwartz proposait soit une liberté totale d'installation, soit une installation encadrée par le régulateur.

Ensuite, sur le terrain, quels seront les principaux changements concrets pour les marchands de journaux dans l'exercice de leur profession ?

Enfin, le projet de réforme a pour objectif, notamment, de mettre en concurrence les sociétés qui effectuent la distribution groupée des titres. Vous avez souhaité ouvrir cette distribution aux seuls acteurs qui auront été agréés par l'Arcep. Le projet de loi précise que la société candidate devra justifier de moyens humains et financiers pour obtenir son agrément. Est-ce que cela permettra à une société qui viendrait d'être créée d'être agréée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Si le projet de loi comporte une définition claire de la presse d'information politique et générale, il oublie la presse de la connaissance, les revues de sciences humaines, les revues juridiques, etc. Les éditeurs se sentent très isolés quand il faut renégocier les tarifications postales.

Debut de section - Permalien
Franck Riester, ministre

Les installations des marchands de journaux seront soumises à l'agrément de la Commission du réseau. En effet, l'amélioration de leurs conditions d'exercice constitue une priorité pour nous. Il y a eu trop de fermetures et trop peu d'installations. Nous devions trouver des solutions, grâce à certains dispositifs, comme la gestion des stocks, l'assortiment, etc. Ces dispositifs vont vraiment changer leur vie. Jusqu'à présent, ils n'avaient leur mot à dire ni sur les titres qui leur étaient envoyés, ni sur les volumes. Cela continuera pour la presse IPG parce qu'il est très important d'en maintenir la distribution partout sur le territoire. Un marchand de presse ne doit pas pouvoir choisir de distribuer L'Humanité mais pas Le Figaro ou Libération par exemple. En revanche, les marchands de presse pourront, à travers les négociations interprofessionnelles, jouer sur l'assortiment de la presse CPPAP. Pour le reste, il s'agira d'accords de gré à gré : le vendeur aura donc son mot à dire tant sur les titres qu'on lui proposera que sur les quantités. Son métier évoluera nettement vers un métier de gestionnaire des produits qu'il vend. Le rôle des dépositaires de presse de niveau 2 s'en trouvera aussi renforcé, parce que les marchands de journaux auront encore davantage besoin d'accompagnement en matière de marketing, de communication, de politique commerciale, etc. Un autre levier pour soutenir les marchands de journaux consiste à lutter contre les installations sauvages susceptibles de faire concurrence à ceux déjà installés. C'est pourquoi nous avons retenu le dispositif qui vous est soumis. Je suis aussi très favorable à l'idée d'associer systématiquement les élus pour qu'ils puissent donner leur avis sur l'installation et l'implantation des marchands de presse.

Le texte devrait aussi faciliter l'arrivée des nouveaux entrants, dès lors que les distributeurs existants se seront modernisés et seront plus efficaces. Dans tous les cas, il faudra éviter que les nouveaux entrants ne fassent du dumping en captant les segments les plus intéressants et en délaissant les autres. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu un avis du régulateur, un cahier des charges strict et une distribution globale sur le territoire. En résumé, oui aux nouveaux entrants, mais non à la loi de la jungle.

Madame Darcos, les titres que vous évoquez sont des titres CPPAP, ils entreront donc dans le champ de la négociation interprofessionnelle et bénéficieront de l'appui de l'Arcep.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je vous remercie, monsieur le ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.