Cette audition intervient dans un contexte un peu particulier : alors que vous entendez habituellement l'Arcep sur des sujets sur lesquels elle est experte, ce n'est pas le cas ici ; alors que nous intervenons, en qualité de régulateur, dans un cadre politiquement défini, il s'agit, aujourd'hui, d'évoquer un cadre en cours de définition. Je me propose donc de vous rappeler certains éléments nous concernant et de formuler quelques observations sur ce projet de loi.
Qu'est-ce que l'Arcep ?
Nous sommes un régulateur sectoriel, c'est-à-dire - de manière très grossière - un organisme servant de courroie de transmission entre un marché et des acteurs économiques, d'une part, et des objectifs d'intérêt général, d'autre part. Il s'agit, à travers son action, de s'assurer que le marché remplira un certain nombre d'objectifs qu'il ne couvrirait pas spontanément, comme, par exemple, garantir à un maximum de Français l'accès à des réseaux de télécommunication dans de bonnes conditions et à bon prix. Le régulateur sectoriel n'est qu'un « bras armé » : il a besoin d'objectifs clairement définis par le politique, d'un cadre d'action fixé par la loi et d'une certaine autonomie.
L'Arcep a plusieurs particularités.
C'est un régulateur des « tuyaux ». Son rôle est de permettre que certains moyens de communication, jugés essentiels au fonctionnement de la société, soient accessibles à nos concitoyens, en veillant à des notions d'efficience économique, d'aménagement du territoire et d'ouverture des contenus.
Son action de régulation s'inscrit dans un champ technico-économique. Cela signifie, non pas que l'Arcep s'intéresse seulement à l'économie, mais qu'elle manie des instruments jouant, via des incitations, sur les modèles économiques des acteurs du marché pour les orienter dans le sens souhaité.
La concertation est très présente dans son travail, que ce soit pour chercher des solutions ou édicter certaines normes. Nous organisons des réunions multilatérales avec les acteurs, parfois sur des sujets très techniques ; nous procédons à de très nombreuses auditions et consultations publiques ; nous sommes particulièrement attentifs aux indications qui peuvent nous être données à travers la loi, mais aussi dans le cadre d'un dialogue régulier avec les parlementaires.
En revanche, l'Arcep n'est pas un organisme de tutelle. Ainsi, elle est indifférente à la nature des acteurs qu'elle régule - entreprises privées, entreprises publiques, coopératives, associations, opérateurs locaux, etc. Elle ne prend pas de décision à leur place et tente, autant que faire se peut, de les responsabiliser dans leur champ de compétences.
Ces quelques éléments fondamentaux ayant été rappelés, venons-en à la question de la distribution de la presse et du projet de loi.
Partant du constat de départ que la distribution de la presse, dans sa gouvernance actuelle - fondée sur une organisation très structurée verticalement -, atteint ses limites, le Gouvernement cherche à orienter le secteur vers une organisation un peu plus commerciale, tout en confortant les objectifs de pluralisme de la presse et d'accès à tous les titres prévus par la loi Bichet. Nous comprenons donc ce projet de loi comme traduisant une transition qui ne se fait pas « contre » le modèle en place.
Le Gouvernement n'entend pas juger la gouvernance telle qu'elle a été mise en oeuvre - et il faut saluer le travail du CSMP et de l'ARDP. Mais il estime que, au moment où les volumes distribués baissent fortement et où ce système se heurte à ses propres limites, on ne peut plus penser la distribution de la même manière.
Dans le cadre de cette transition, l'Arcep se verrait confier certaines missions.
Je formulerai quelques commentaires et suggestions d'amélioration sur le texte.
Les objectifs nous semblent extrêmement bien posés : on retrouve les principes fondamentaux de la loi Bichet, correctement articulés avec les outils proposés. S'il est question de changer la gouvernance, c'est bien pour obtenir le même résultat qu'actuellement.
S'agissant du périmètre des acteurs à réguler, le texte est globalement bien ciselé.
On vise bien les deux extrémités de la chaîne - les éditeurs, d'un côté, et les marchands de presse, de l'autre. Le choix, pour les intermédiaires, de définir des distributeurs de presse nous paraît judicieux et adapté, ainsi que le processus d'agrément retenu.
En revanche, il ne nous semble pas souhaitable de reconnaître aux dépositaires de presse un statut particulier. Je ne dis pas que ces derniers doivent disparaître : acteurs essentiels, ils doivent continuer à exercer leurs fonctions. Mais il faut éviter d'introduire une stratification et une rigidité trop fortes au niveau de la loi, et laisser les acteurs économiques s'organiser eux-mêmes. En particulier, le problème de départ est celui de la diminution des volumes, ce qui nous laisse penser - mais, j'y insiste, nous ne sommes pas experts du domaine - que les acteurs devront probablement évoluer vers des flux logistiques mutualisés, non restreints aux publications de presse. Sans savoir précisément comment ce mouvement se fera, il me paraît clair qu'il exige un cadre à la fois flexible et dans lequel les responsabilités sont clairement établies.
Le choix du Gouvernement d'intégrer dans le champ de la régulation les kiosques numériques, mais aussi les agrégateurs de presse nous semble en revanche bienvenu.
Le cadre d'action accorde une place significative au cahier des charges, dont je ne peux pas préciser le contenu, puisque celui-ci donnera lieu à une série de concertations. Néanmoins, prévoir que ce document ne soit établi qu'à la veille de 2023, c'est laisser un « trou dans la raquette », car le régulateur devra attendre plusieurs années avant de pouvoir imposer quoi que ce soit aux acteurs. Nous vous suggérons donc de rendre ce cahier des charges opposable dans un délai plus bref.
Un certain nombre d'outils de régulation économique sont prévus. Celui qui permettra à l'Arcep d'envoyer des signaux économiques sur des encadrements tarifaires, c'est-à-dire d'établir des tendances en termes d'évolution des prix, nous semble très important. Le régulateur pourra également avoir connaissance des coûts supportés par les acteurs, en vérifier l'efficience et engager un dialogue pour éviter que certaines inefficiences soient répercutées sur les éditeurs. Au-delà des strictes questions de prix, il aura aussi accès à certaines dispositions contractuelles.
S'agissant du niveau des diffuseurs, nous sommes totalement en phase avec la logique du texte, notamment avec le maintien d'une commission du réseau de diffusion et le fait de s'appuyer sur un accord interprofessionnel pour la presse hors IPG. Toutefois, dans la version actuelle du texte, il n'est pas certain que l'Arcep pourrait faire respecter l'accord. Or il faut un gendarme pour celui-ci !
Enfin, si nous sommes favorables à l'inclusion du numérique, il nous semble qu'une confusion demeure dans le texte sur la question des données personnelles. Certaines dispositions sur la loyauté de l'information, notamment pour les agrégateurs de presse, devraient être des dispositions de droit commun. En revanche, il faudrait que l'Arcep puisse vérifier qu'un principe de non-discrimination est bien respecté dans la façon dont ces agrégateurs mettent en avant les contenus.
C'est dans une posture d'humilité que nous abordons ce dossier, que nous connaissons mal. Quand on nous a contactés, en amont du dépôt du projet de loi, pour savoir si nous serions prêts à accepter cette responsabilité, nous avons répondu que le choix du régulateur appartenait au législateur. Mais si vous décidez de nous confier une telle mission, nous vous demandons - à nouveau avec humilité - qu'elle soit le plus conforme possible à ce que nous savons et pouvons faire.
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -