Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 9 mai 2019 à 10h30
La caducité du traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance de l'union européenne rendra-t-elle une autonomie budgétaire aux états membres — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe a souhaité porter à l’ordre du jour de notre assemblée la question de la caducité du TSCG.

Notre collègue Pierre Laurent vient de démontrer avec force arguments combien la France ne devait plus être liée par les dispositions contenues dans ce traité. Dans le prolongement de cette première intervention, je voudrais souligner la nécessité pour la France et pour l’Europe de rompre, de manière durable, avec la logique même portée par le TSCG et les autres règles d’encadrement budgétaire européen.

Caduc juridiquement, ce traité, ainsi que l’ensemble des règles européennes contraignantes des politiques budgétaires, est également dépassé économiquement, socialement et politiquement. Ils ont fait la preuve de leur inefficacité ainsi que de leur injustice.

Économiquement, tout d’abord, les prémisses théoriques des instruments actuels du contrôle budgétaire postulent l’inefficacité de la dépense publique et conduisent, en définitive, à faire primer la libre action des acteurs privés sur les marchés.

De plus, le Conseil d’analyse économique, que Pierre Laurent a cité, critiquait dans une note de septembre 2018 la mesure du solde structurel qui, pourtant, sert de base au fonctionnement du TSCG et des autres mécanismes de contrôle budgétaire. Le Conseil soulignait notamment que « le solde structurel n’est pas observable et [que] son estimation est sujette à erreurs ».

Dans la pratique, ces prémisses conduisent à priver les acteurs publics des moyens d’action essentiels au développement économique.

L’Europe en paye aujourd’hui les conséquences. C’est particulièrement vrai dans les industries et les secteurs de pointe, où la production européenne est en grand recul. À titre d’exemple, la part de l’industrie dans le PIB européen est passée au-dessous des 20 %, quand elle dépasse en Chine les 40 %.

Pis encore, les règles européennes d’encadrement des finances publiques sont aujourd’hui contraires aux maigres volontés d’investissement des gouvernements européens, à l’image du plan que le ministre allemand Peter Altmaier a présenté la semaine passée.

Ces règles étaient un handicap ; elles se transforment aujourd’hui en obstacle. Même les dirigeants allemands de la CDU-CSU commencent à en prendre conscience. Ces règles étaient restrictives, elles sont aujourd’hui dépassées dans la compétition mondiale. Elles empêchent, dans les faits, de mener des stratégies ambitieuses pour nos entreprises, les PME, nos artisans et, surtout, nos territoires.

L’insistance des règles européennes à faire respecter une trajectoire de solde structurel vers 0, 5 % est également dépassée socialement. Le TSCG, les dispositions du traité de Lisbonne, les six pack et two pack empêchent les États membres de mener des politiques de cohésion sociale adaptées aux besoins des populations.

Réduire, arbitrairement, les moyens de l’action publique dans des temps de crise conduit 87 millions d’Européens à survivre sous le seuil de pauvreté. Surtout, ces politiques font porter sur les épaules des plus fragiles le fardeau de l’économie financiarisée et de ses crises à répétition.

L’inclusion dans les règles du TSCG et les autres mécanismes européens de toutes les dépenses des administrations publiques, sociales, militaires, économiques, sans aucune pondération particulière, est également injuste socialement. Elle empêche toute protection privilégiée des dépenses sociales, alors même que celles-ci sont, dans les temps de crise, indispensables pour maintenir la cohésion de nos sociétés.

Politiquement, enfin, les règles actuelles contraignent la souveraineté des parlements européens. Elles participent directement à la mise à distance des peuples de la construction européenne. Elles contribuent aussi directement à la montée des forces nationalistes, qui, de l’Espagne à la Hongrie, de l’Estonie à l’Italie, favorise les courants les plus réactionnaires.

Il est l’heure de proposer, à l’occasion des prochaines élections européennes, un nouvel horizon pour nos finances publiques, en France et en Europe.

En France, libérés de l’objectif de solde structurel à l’horizon de 2022, nous pourrions désormais planifier un autre chemin de développement, protecteur des plus fragiles et redonnant de l’air à nos entreprises. Notre vision des finances publiques s’articule autour de deux piliers : la justice sociale et territoriale, d’une part ; l’efficacité économique, d’autre part.

La justice sociale et territoriale, tout d’abord. Plus que la contrainte et la négation de la libre administration des collectivités territoriales, nous pouvons en finir avec la contractualisation qui a été pensée et appliquée dans l’objectif du respect du solde structurel. Les dépenses de cohésion sociale, le soutien aux administrations de sécurité sociale devraient être considérés comme prioritaires, et, à l’inverse, il faut en finir avec l’impulsion donnée aux dépenses militaires.

Mes chers collègues, une gestion socialement juste est une affaire de choix avant tout. Entre la dépense militaire et la dépense hospitalière, nous assumons pleinement les nôtres.

La justice doit également primer dans les recettes de l’État. À ce titre, nous voulons, une fois encore, réitérer nos positions de principe, qui sont très largement partagées dans la population. Ainsi, nous voulons le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune et de l’imposition progressive sur le capital, de même qu’une refonte des tranches de l’impôt, pour atteindre, à terme, quatorze tranches d’impôt sur le revenu.

Nous voulons, ensuite, favoriser l’efficacité économique. Là encore, la logique du TSCG et la volonté purement comptable de tenir l’objectif de moyen terme ont été largement négatives pour notre économie. Nous souhaitons une refonte du soutien public à nos entreprises, une pérennisation de nos fleurons industriels, un fonds d’investissement social et écologique pleinement actif.

Enfin, mes chers collègues, c’est l’Europe qui doit prendre un tout autre chemin. La contrainte budgétaire anachronique pèse fortement sur l’avenir de notre continent. Libérée de la logique du TSCG, l’Europe doit pouvoir se ressaisir, adopter une politique réaliste dans son soutien à l’activité, faire primer les logiques productives et sociales plutôt que le libre-échange généralisé.

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