Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas possible d’avoir durablement une monnaie commune sans une politique budgétaire et monétaire commune ou, au moins, convergente. Et dans un espace de libre circulation, la convergence budgétaire ne peut se faire sans convergence fiscale.
Les créateurs de l’euro, je le pense, n’ignoraient pas cette évidence, mais ils ont fait le pari qu’il allait permettre une transformation politique de l’Union européenne. D’ailleurs, c’est au même moment que la citoyenneté européenne a été mise en place par le traité de Maastricht. La dynamique avait donc été lancée, sans que le pari soit tenu.
En 1997, le pacte de stabilité et de croissance a mis en place une sorte de pilotage automatique des politiques budgétaires des pays qui allaient faire partie de la zone euro. En 2008, la crise a mis en danger l’ensemble de l’édifice, et il a fallu revoir les choses dans l’urgence, tant s’agissant de la convergence budgétaire qu’en termes monétaires.
Le premier pas, douloureux, c’est le six pack, adopté en novembre 2011. Très contraignant, il inscrit dans le droit communautaire un semestre européen, une intervention possible de la Commission européenne en cas de nécessité, des sanctions et des règles communes de gouvernance plus strictes. C’est ce qui a renforcé l’idée d’une Europe vectrice d’austérité.
Ensuite, a été mis en place le mécanisme européen de stabilité, pour répondre aux besoins de liquidités face à une crise aiguë.
Enfin, pour satisfaire l’exigence de la Banque centrale européenne, afin qu’elle puisse mettre en place une politique de défense de l’euro plus agressive, a été signé en mars 2012, par vingt-cinq États membres, le TSCG. Comme vous l’avez dit, monsieur Laurent, il n’a pas été inscrit dans les actes communautaires.
La France, vous l’avez également rappelé, ne s’y est pas résolue facilement, mais la mise en place du plan Juncker, dont notre pays est l’un des principaux bénéficiaires, a pu nous inciter à aller dans cette direction, compte tenu de ce qu’étaient notre situation financière et celle de l’Europe.
Bien entendu, tout cela n’a pas été sans conséquence sur l’image de l’Europe.
Dans le même temps ont été mises en place l’union bancaire, une plus grande convergence de la politique monétaire et une régulation plus stricte des banques qui réduit d’ailleurs aujourd’hui les marges de manœuvre de ces dernières face aux banques américaines, ce qui pose un problème de souveraineté économique.
Enfin, contrairement à l’image que l’on peut en avoir, le TSCG n’est pas plus dur que le six pack, qui, quant à lui, demeure inscrit dans les traités, avec les conséquences que vous avez justement soulignées.
Finalement, c’est la notion de déficit structurel contenue dans le TSCG qui est remise en cause. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il s’agissait alors de ne pas ajouter la crise à la crise, mais que, en réalité, faute d’élément objectif, elle ne veut plus dire grand-chose.
Depuis sept ans que cette politique a été mise en place, force est de constater que l’Union européenne s’est comportée comme une zone dont l’économie était totalement tournée vers l’exportation. Elle a oublié que sa principale force, c’était son marché intérieur, le plus vaste du monde.
D’autres pays ont su développer pendant cette période leur marché intérieur : les États-Unis, l’Inde ou la Chine. On peut en juger par l’évolution de leurs taux de croissance.
La politique de concurrence allait de pair avec le fait que tout se passait en Europe. Or, ces dernières années, plus grand-chose ne se passe en Europe : les choses se passent en Chine, sur les marchés mondiaux. De fait, la politique de concurrence européenne est aussi devenue caduque parce que le marché européen n’a pas été suffisamment soutenu.
La réduction du périmètre de l’action publique dans les différents pays européens, dont pâtissent les politiques d’éducation, de l’énergie ou du logement, est aussi particulièrement préoccupante. Ce sont finalement autant d’attaques contre la cohésion de nos sociétés.
C’est pourquoi il n’était donc pas du tout raisonnable, comme le proposait le parti populaire européen, d’inscrire les dispositifs du TSCG dans les traités de l’Union européenne. Comment faire alors pour sortir de ce pilotage automatique que le pacte de stabilité a introduit en 1997 et qui a été durci, en 2011, par le six pack ?
Avant tout, il faudrait créer un budget pour la zone euro. Mais comment faire ? Les ressources propres de l’Union européenne baissent, de même que le budget de l’Union européenne, tandis que les contributions nationales sont de plus en plus élevées. Quel sens donner alors à la création d’un budget de la zone euro ? La substitution du budget de l’Union européenne au profit d’un budget de la zone euro, avec des transferts de compétences, irait-elle vraiment dans le sens de l’intégration européenne ?
Quoi qu’il en soit, l’inscription, que le Gouvernement considère aujourd’hui comme un grand succès, dans le budget de l’Union européenne d’une ligne de crédit préfigurant la mise en place pour la prochaine période d’un budget de la zone euro ne répond absolument pas aux enjeux. Au contraire, compte tenu des conditions de sa mise en œuvre, elle n’est absolument pas une réponse adéquate pour une politique budgétaire plus intégrée entre les pays de la zone euro.
Le pacte de stabilité lui-même doit être revu. En effet, il a été mis en place en 1997, alors que le contexte était très différent, qu’il s’agisse des déficits publics, de la dette et, surtout, des taux d’intérêt. Un déficit public annuel de 3 % du PIB et un endettement de 60 % ne s’envisagent pas de la même façon selon que les taux d’intérêt sont proches de 0 % ou de près de 5 %, taux auquel se finançaient les États en 1997.
Les règles ne peuvent plus être les mêmes. Aujourd’hui, force est de constater qu’elles bloquent la capacité des États à emprunter sur le long terme pour mener des politiques en faveur de la transition énergétique, du logement, de l’éducation, particulièrement indispensables, ou pour édifier des infrastructures permettant de renforcer nos économies. Or l’argent pas cher est là, disponible.
Par ailleurs, ces taux d’intérêt faibles permettent, pour leurs dépenses courantes, aux États de vivre au-dessus de leurs moyens. Aussi, il faudrait réduire leur capacité à emprunter pour financer ces dépenses courantes tout en leur permettant de financer beaucoup plus de projets d’investissement.
Enfin, c’est bien parce que nous voulons que l’Europe soit un modèle pour l’avenir, en particulier pour la transition énergétique, qu’il est absolument indispensable de renforcer les capacités d’endettement de la puissance publique. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Europe ne peut pas simplement prendre acte qu’elle va voir disparaître son activité industrielle et devoir acheter ses produits dans d’autres pays du monde.
Ce manque d’investissements en Europe est particulièrement dramatique au regard de ce qui se passe dans d’autres pays – je reviens de Chine. Ne nous trompons pas sur Donald Trump, qui, dans son pays, augmente de manière importante les investissements publics pour renforcer son marché intérieur. Nous ne pouvons pas être les seuls à mener une politique différente, qui nous affaiblit !
Mes chers collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ce débat important est bienvenu à quelques semaines des élections européennes, et il ne doit donner lieu à aucune simplification.
Alors qu’il est indispensable de mettre en place une politique budgétaire commune, puisque nous disposons d’une monnaie commune, le débat a finalement glissé du respect des critères de Copenhague, ceux de la démocratie, de l’État de droit, vers le respect des critères de Maastricht, dont les conséquences sont celles qu’on vient d’évoquer. Voilà ce qui est en train de casser l’image de l’Europe auprès des citoyens ! La construction européenne doit rester celle de l’État de droit, conformément aux critères de Copenhague. Si nous ne défendons pas d’abord ces critères, nous n’aurons ni démocratie, ni État de droit, ni développement économique.
La politique économique et budgétaire est trop essentielle pour continuer à être placée en quelque sorte sous pilotage automatique selon des règles qui ont été fixées voilà maintenant plus de vingt ans dans un contexte mondial totalement différent.
La monnaie unique ne peut être perçue comme une contrainte. Elle doit être un outil de souveraineté au service de la démocratisation de l’Europe, une Europe dont les décideurs seraient non plus les États, au détour des couloirs de Bruxelles, mais les citoyens européens directement. Cette perspective de démocratisation de l’Europe permettrait de les remettre au cœur des décisions européennes et des choix économiques et sociaux qui doivent être faits.
Il ne faut pas attendre la prochaine crise pour agir, parce que c’est ainsi que l’Europe abîme son image auprès des citoyens. L’Europe doit avoir une vision de long terme, qui lui permette de continuer à bâtir sa souveraineté. Pour cela, elle doit proposer aux citoyens de choisir leur politique budgétaire, leur politique monétaire, en leur donnant plus de marges de manœuvre et plus de capacités de décision, en faisant évoluer le pacte de stabilité.
C’est en cela que ce débat est utile. Nous ne pouvons continuer sur cette voie sans fragiliser la situation économique et industrielle de l’Europe de demain, ainsi que l’ambiance politique de l’Europe d’aujourd’hui.