Mes chers collègues, vous allez vous rendre compte que je n’ai pas compris le sujet de la même manière que les orateurs précédents. Comme dans tout oral, je répondrai à cette question en trois parties, après m’être attardée quelques instants sur l’essence même du débat, à savoir la notion de caducité.
En droit, un acte juridique, régulier et valable lors de son édiction ou de sa création devient caduc dès lors que la survenance de certaines circonstances ou de certains faits l’empêche d’être exécuté. Il perd ainsi ses effets juridiques. L’anéantissement s’opère de plein droit du seul fait de la défaillance de la condition à laquelle il était soumis. La caducité résulte donc soit d’une condition qui était présente à l’origine, mais qui vient à disparaître ultérieurement, soit de la sanction d’une négligence, lorsqu’il incombait à une personne de réaliser une condition.
La caducité est un acte extérieur à la volonté du législateur, qui s’impose à lui. Elle ne remet pas en cause la validité juridique du texte à l’origine, mais l’empêche de poursuivre ses effets.
Avant de réfléchir sur les liens de cause à conséquence entre le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne, que vous me permettrez de désigner par l’abréviation TSCG, et l’autonomie budgétaire des États, il s’agit de vérifier que le postulat du groupe CRCE, à savoir la caducité dudit traité, est vérifié. Si tel est le cas, c’est que nous aurons répondu par l’affirmative à l’une de ces deux questions : une condition à l’origine du traité a-t-elle disparu ? Une négligence a-t-elle entraîné la non-réalisation de l’une des conditions ?
Selon le premier paragraphe de l’article 1er, le TSCG tend à « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire au moyen d’un pacte budgétaire, à renforcer la coordination de leurs politiques économiques et à améliorer la gouvernance de la zone euro, en soutenant ainsi la réalisation des objectifs de l’Union européenne en matière de croissance durable, d’emploi, de compétitivité et de cohésion sociale ».
De manière évidente, aucune condition à l’origine du traité n’a disparu, l’Union européenne n’a pas disparu et nous utilisons toujours des euros.
Se trompant sur le sens juridique de la caducité, certains ont affirmé un peu vite la fin du TSCG devant l’incapacité de certains États signataires à respecter les règles fixées à l’article 3 – un déficit structurel autorisé de 0, 5 % pour l’objectif de moyen terme –, ainsi qu’à l’article 4 – une réduction d’un vingtième par an de l’écart entre la dette observée et la référence de 60 % du PIB.
Moins de deux ans après son entrée en vigueur, force était de constater que l’Italie, le Portugal ou la Grèce avaient abandonné le chemin imposé de la réduction de leur dette. En France, le PLF pour 2015 reposait sur un déficit structurel de 2, 2 %, soit le double du niveau fixé dans la loi de programmation budgétaire, loi d’application du traité. À l’époque, on n’envisageait pas un retour de la France dans le droit chemin avant 2019. Tel n’est malheureusement pas le cas.
En effet, avant même les annonces du 10 décembre 2018 et celles du 25 avril 2019, le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis rendu sur le projet de budget pour 2019, soulignait que « les ajustements structurels prévus pour 2018 – 0, 1 point – et 2019 – 0, 3 point –, qui seront soumis à l’appréciation de la Commission, ne sont pas conformes aux règles du “bras préventif” du Pacte de stabilité ».
Ce n’est pas parce que la France, sous François Hollande, comme sous Emmanuel Macron, ne réussit pas à s’astreindre à la rigueur budgétaire attendue que le TSCG devient inopérant pour autant. On peut simplement et malheureusement faire le constat de son inefficacité.
C’est dans le titre VI, « Dispositions générales et finales », que nous pourrions trouver une négligence ayant entraîné la non-réalisation d’une des conditions. Comme l’a rappelé M. Laurent, l’article 16 précise que, dans un délai de cinq ans maximum à compter de sa date d’entrée en vigueur, le présent traité doit être intégré dans le cadre juridique de l’Union européenne. La date butoir se trouvait donc fixée au 1er janvier 2018.
À plusieurs reprises, les différentes instances européennes ont rappelé cet impératif : résolutions du Parlement européen des 12 décembre 2013 et 24 juin 2015 ; document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire présenté par la Commission en mai 2017 ; discours sur l’état de l’Union de 2017 ; proposition de directive du Conseil du 6 décembre 2017 établissant des dispositions en vue du renforcement de la responsabilité budgétaire et de l’orientation budgétaire à moyen terme dans les États membres.
Cependant, la résolution adoptée le 23 juin dernier par l’Assemblée nationale révèle que l’inscription du TSCG dans le droit de l’Union est loin d’être simple. On y lit notamment, au point 15 : « La proposition de la Commission européenne n’est pas consensuelle et son adoption est, aux yeux de certains États membres, compromise par d’importants obstacles juridiques ; [l’Assemblée nationale] invite, par conséquent, la Commission européenne à envisager des options alternatives pour renforcer le Mécanisme européen de stabilité dans l’hypothèse, fort probable, où l’unanimité exigée ne serait pas atteinte. »
Ensuite, au point 16, l’Assemblée nationale « considère, dans cette perspective, que le renforcement du Mécanisme européen de stabilité pourrait se faire via une révision du traité intergouvernemental qui l’instaure et souhaite qu’une réflexion soit engagée pour doter ce mécanisme d’instruments et de pouvoirs préventifs de gestion des crises ».
La non-réalisation de son article 16 fait-elle tomber le TSCG ? C’est la lecture faite par M. Mélenchon, et que partage M. Laurent. Ce n’est pas la mienne. Il me semble que la non-réalisation de l’article 16 est surtout révélatrice des difficultés de la construction européenne, notamment sur le plan économique, dans un contexte de croissance économique atone.
Comme je parviens à la conclusion que le TSCG n’est pas caduc, la question du groupe CRCE, de mon point de vue, devient absurde. Cependant, je rappellerai simplement que, si de telles règles de gouvernance n’étaient pas érigées et si chaque pays de l’Union avait des politiques budgétaires irresponsables, nous serions bien vite rattrapés par un principe de réalité : la réalité des marchés.