Il me revient de conclure en présentant les principales leçons que nous tirons de nos travaux. Nous proposons treize préconisations, visant à reconquérir la confiance de l'opinion.
Nous disposons d'instruments d'évaluation bien structurés autour d'agences spécialisées. Il ne s'agit pas de tout remettre en cause, mais d'avoir conscience des faiblesses de l'actuel dispositif pour le faire progresser. La première des faiblesses ne relève pas des agences ni de leur travail mais du contexte. Il existe une crise de confiance dans la parole des experts qui va bien au-delà des agences, objets de nos travaux. Un rapport récent de France Stratégie constate un mouvement général de défiance envers les experts et recommande de « faire avec » plutôt que de chercher à renouer un lien de confiance introuvable. Nous ne sommes pas de cet avis. Nous avons analysé les multiples raisons d'une crise de confiance qui vient de loin, et touche tous les acteurs de la chaîne de décision : les industriels d'abord, mais aussi les scientifiques et enfin les politiques chargés de prendre les décisions d'interdiction ou de restriction.
Renforcer les agences permettra de conforter leur légitimité. De ce point de vue, la proposition de règlement de la Commission européenne d'avril 2018 visant à renforcer l'EFSA va dans le bon sens, avec notamment : l'augmentation des moyens de l'EFSA pour mieux rémunérer les experts ; la possibilité, pour la Commission européenne, de déclencher à la demande de l'EFSA des études de vérification, voire des études complémentaires plus larges, destinées à rechercher des preuves nouvelles de sécurité dans tous les domaines couverts par le mandat de l'EFSA, et de moins dépendre des seules études des firmes ; l'obligation, pour les firmes, d'enregistrer toutes les études dans un registre des études commandées ; enfin, l'élargissement des données accessibles au public.
L'avis des experts scientifiques de l'Union européenne, le Scientific Advice Mechanism (SAM), publié en juin 2018 et préconisant une révision du processus d'autorisation des produits phytopharmaceutiques, fournit également des pistes intéressantes.
Il nous semble que quatre priorités doivent être poursuivies. La première priorité consiste à renforcer les capacités d'évaluation des risques réglementés par les agences. Il convient d'abord de leur donner la possibilité de déclencher des études destinées à améliorer la connaissance des dangers et des expositions. Les agences doivent pouvoir compléter les informations qu'elles reçoivent des firmes ou qu'elles vont chercher dans les publications académiques. Comprendre certains mécanismes nécessite d'orienter des recherches et de disposer de fonds. De ce point de vue, l'idée consistant à constituer un fonds de recherche inter-agences, paraît intéressante. Il semble ensuite indispensable de mettre en commun les connaissances des agences, via notamment la mise en place de systèmes d'information partagés concernant les études et données disponibles sur l'ensemble des produits réglementés. L'évaluation de certains mécanismes complexes restant insuffisante - les effets de perturbateurs endocriniens, par exemple, ne sont pas bien analysés, de même que les effets cocktails ou les effets cumulés -, il apparaît également nécessaire de poursuivre le perfectionnement des méthodologies d'évaluation.
La toxicologie repose largement sur l'expérimentation animale, qui consomme onze millions d'animaux par an en Europe. Si se passer de tests animaux semble difficile, il existe une pression légitime pour les limiter au maximum. Il convient donc d'encourager les alternatives à l'expérimentation animale.
L'évaluation des risques sanitaires et environnementaux dans le domaine des risques réglementés reste très dépendante du cadre juridique qui lui est imposé, et notamment des lignes directrices de l'OCDE. Sans méconnaître le temps nécessaire pour établir un consensus scientifique sur les méthodes d'évaluation des risques valables, pouvant être reconnues par tous, nous ne pouvons qu'encourager la mise à jour régulière des lignes directrices pour ne pas retarder l'adoption de nouvelles méthodes et de tests fiables.
Enfin, la surveillance post-mise sur le marché nous paraît stratégique et, de l'avis général, insuffisante, notamment en matière d'exposition des travailleurs. Or, le retour sur les effets réels des pesticides permet de juger de la pertinence des évaluations initiales et conduit à affiner les réévaluations périodiques, tout comme la surveillance de la présence des substances chimiques dans l'environnement sert à mieux connaître leur comportement et leur interaction avec les milieux. Nous appelons donc à renforcer les vigilances, à développer les études épidémiologiques, mais aussi à se lancer dans le chantier de la biosurveillance.
La deuxième priorité consiste à améliorer la transparence des travaux des agences et, plus largement, la transparence de l'ensemble du processus d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Les agences ont déjà engagé une stratégie d'ouverture à la société, par exemple à travers les comités de dialogue de l'ANSES. Il convient d'assumer totalement cette politique d'ouverture en mettant à la disposition du public l'intégralité des données figurant dans les dossiers soumis aux agences d'évaluation, afin de permettre une contre-expertise citoyenne. Les exceptions liées au secret commercial ou au secret industriel doivent être réduites au minimum, et en tout état de cause ne sauraient justifier que l'on cache des résultats d'études de sécurité au public. Ensuite, la transparence doit être faite sur les liens d'intérêts des experts et les contrôles des liens d'intérêts déclarés renforcés dans le cadre d'obligations déontologiques fortes. La révélation de conflits d'intérêts à l'issue de phases d'évaluation, même lorsque ces conflits n'ont pas eu d'influence, est ravageuse pour la crédibilité des procédures.
La troisième priorité consiste à conforter les agences dans leur rôle d'expertise des risques. D'abord, l'attractivité de la participation aux travaux d'expertise menés par les agences doit être renforcée. Ensuite, il faut structurer le dialogue entre organes d'évaluation, pour éviter les divergences d'appréciation sur les risques qui perturbent la prise de décision et apparaissent délétères à l'opinion. Cette proposition rejoint celle des experts scientifiques de l'Union européenne dans leur avis de juin 2018 concernant les pesticides. Les divergences entre CIRC et EFSA contribuent ainsi à obscurcir les débats sur le glyphosate. Des instances de dialogue doivent pouvoir sinon trouver un consensus, du moins expliquer les écarts d'appréciation.
Nous préconisons également de donner aux agences des compétences étendues pour l'identification des risques émergents, à partir de leur activité de surveillance post-mise sur le marché. Elles réagissent aux lanceurs d'alerte, comme l'ANSES a pu le faire il y a quelques mois en mettant en place un groupe d'experts d'urgence sur les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI), mais elles doivent aussi se montrer proactives pour repérer les signaux d'alerte. Cela leur donnerait une plus grande légitimité.
Enfin, une quatrième et dernière priorité consiste à développer une meilleure compréhension des risques par le citoyen. Ce chantier est immense, car la matière est technique et la polémique plus facile que la pédagogie des risques, nous l'avons tous vécu dans nos circonscriptions et départements. La notion de risque négligeable est contestée par ceux qui voudront en permanence que la puissance publique garantisse un risque zéro. Pour autant, la recherche d'une meilleure compréhension des risques semble nécessaire. À cet effet, il apparaît important de mieux structurer le débat public sur les risques, en amont des prises de décision, voire de permettre aux citoyens de saisir directement les agences, et d'expliquer et clarifier les résultats des évaluations de risques effectuées par les agences, ce qu'elles commencent à faire en produisant pour la presse des synthèses de leurs avis.
Pour finir, nous proposons que notre rapport s'intitule Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance.