Notre président Gérard Longuet ne pouvant être présent ce matin, je présiderai cette séance sur un sujet qui m'intéresse particulièrement. Je remercie nos rapporteurs pour leur investissement sur un travail fort technique, important et attendu sur l'expertise des risques sanitaires et environnementaux.
Ce rapport répond à une double saisine émanant de la commission des affaires européennes d'abord, puis de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, intervenue dans le contexte très polémique du renouvellement, au niveau européen, de l'autorisation du glyphosate à l'automne 2017. Cette saisine a fait l'objet d'échanges avec l'Office, et plus précisément avec Gérard Longuet, moi-même et les rapporteurs. Ils se sont traduits par un échange de courriers précisant le contenu de ce que l'Office pouvait apporter aux commissions qui entendaient le saisir. Il s'agissait de fixer un périmètre d'étude plus large que la polémique relative au glyphosate et un calendrier de travail raisonnable.
Quatre de nos membres - deux députés, Philippe Bolo et Anne Genetet, et deux sénateurs, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias, associant ainsi majorité et opposition, Assemblée nationale et Sénat - ont été mobilisés sur un sujet au centre de nombreuses polémiques, qu'il convenait de dépasser pour proposer des recommandations structurelles.
Leurs investigations ont été approfondies, avec quelques déplacements et de très nombreuses auditions, ce qui se traduit par un rapport plus long que ceux que nous avons débattus depuis le renouvellement de l'Office. Le projet de rapport vous a été transmis et une synthèse sera préparée pour sa présentation à la presse et sa diffusion sous sa forme définitive. Sachez que j'ai récemment rencontré Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) ; il s'est montré en phase avec nos conclusions.
Examiner la manière dont les agences procèdent à l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux représente un travail long et complexe, qui nous a demandé du temps : saisis fin 2017, nous avons commencé à travailler en février 2018, il y a donc plus d'un an.
Nous avons procédé à trente-cinq auditions, effectué deux déplacements - à Bruxelles auprès de la Commission européenne et à Parme pour rencontrer l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA - et tenu une audition publique le 11 octobre dernier, afin de comprendre le monde des agences, les techniques d'évaluation des risques, et d'observer plus largement la manière dont notre société appréhende, apprivoise la question du risque lié en particulier aux produits chimiques et aux pesticides agricoles.
Je vous parlerai des agences d'évaluation des risques et vous décrirai les processus d'évaluation et le cadre réglementaire de plus en plus strict qui les contraint. Dans un deuxième temps, Pierre Médevielle traitera du glyphosate et des controverses qu'il a soulevées. Pierre Ouzoulias évoquera des problèmes rencontrés par les agences dans les processus d'évaluation des risques. Enfin, Philippe Bolo indiquera les pistes que nous avons identifiées pour améliorer le travail des agences, mais aussi sa compréhension par le public, afin de créer un lien de confiance dans l'expertise.
Nous vivons dans ce que le sociologue allemand Ulrich Beck avait appelé en 1986 une « société du risque » : nous avons de plus en plus d'outils pour quantifier les risques et avoir une approche rationnelle de leur gestion. En même temps, nous sommes conscients que nous ne savons pas tout et, pour nous prémunir de risques mal connus, nous avons inventé le principe de précaution, qui est un principe d'équilibre. Il ne vise pas à brider le progrès scientifique en cas d'incertitude, mais à faire progresser la connaissance pour mieux maîtriser les conséquences des innovations. Il encourage les nouvelles technologies, mais en cherchant à les encadrer de garanties.
Nous vivons une époque paradoxale : la domestication du risque, l'encadrement du risque n'ont jamais été aussi poussés, pourtant nous craignons une apocalypse causée par les technologies. La technique de l'évaluation des risques a néanmoins beaucoup progressé et s'est dotée, depuis plus de trente ans, d'un outillage de plus en plus sophistiqué.
Le concept de risque se trouve au coeur de notre rapport, mais il convient de veiller à éviter toute confusion, en distinguant d'abord danger et risque : un danger provient d'un élément susceptible de causer un dommage. Il existe une multitude de sources de dangers. Un risque est la combinaison d'un danger et d'une exposition ; cette combinaison est au coeur de l'évaluation des risques.
La démarche d'évaluation quantitative des risques sanitaires s'est structurée depuis l'adoption du red book en 1983 par le Conseil américain de la recherche et prévoit quatre étapes : l'identification du danger, l'évaluation de la relation dose-réponse, l'estimation des expositions possibles et la caractérisation des risques. Pour autant, cette structuration de la démarche d'évaluation des risques n'a pas empêché d'immenses ratés constitués par les scandales sanitaires : la crise de la vache folle à partir de 1996, la question de l'amiante ou encore de la chlordécone aux Antilles montrent qu'on a eu tendance, dans un passé récent, à sous-estimer les effets de certains choix techniques.
Ces crises ont conduit à modifier profondément le paysage institutionnel de l'évaluation des risques, avec la mise en place, en France et en Europe, d'agences spécialisées chargées de fournir une expertise de haut niveau, fiable et indépendante des décideurs politiques. L'un des socles conceptuels de ce « modèle des agences » consiste à séparer les tâches d'évaluation des risques des tâches de gestion du risque : aux scientifiques de donner un avis et aux politiques de prendre ensuite une décision.
L'Union européenne a créé des agences spécialisées dans chacun des domaines où elle s'est dotée d'une réglementation stricte conditionnant l'accès de certains produits aux marchés : produits pharmaceutiques, produits alimentaires, pesticides, produits chimiques. Les agences n'ont pas une compétence générale mais elles interviennent pour répondre à une question réglementaire : peut-on autoriser l'usage d'un produit ou d'une substance sur le sol de l'Union européenne ? Elles travaillent en lien avec la Commission européenne, à laquelle revient la décision politique.
La France a adopté un modèle assez similaire : elle dispose ainsi d'une agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour les produits pharmaceutiques ; de l'ANSES, fruit du regroupement successif de plusieurs petites agences, qui s'est vu confier une compétence très large d'évaluation des risques, allant bien au-delà de l'alimentation, des produits chimiques ou des pesticides ; de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) ou encore de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Nous n'avons pas cherché à réaliser un recensement exhaustif des agences et de leurs domaines de compétences. Nous n'avons, par exemple, pas examiné la question de l'évaluation des risques liés aux rayonnements ionisants et nous nous sommes peu penchés sur les produits pharmaceutiques ou les dispositifs médicaux. Nous nous sommes concentrés sur le secteur des produits chimiques et sur celui des pesticides agricoles et de l'alimentation, pour lesquels l'évaluation des risques repose au niveau européen sur deux agences : l'European food safety authority (EFSA) et l'European chemicals agency (ECHA) et, au niveau français, sur l'ANSES.
L'ECHA a été créée en 2006. Elle est notamment en charge de l'application du règlement Reach de 2006 qui impose aux industriels d'étudier les effets des substances chimiques qu'ils commercialisent et de les communiquer à l'agence avant d'accéder au marché. Toutes les substances doivent être enregistrées et les plus préoccupantes sont soumises à une autorisation qui peut être refusée si les risques pour la santé et l'environnement sont considérés comme trop importants. L'ECHA gère également la classification des produits chimiques par classe de danger, au titre du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage, dit CLP, de 2008. Enfin, elle fournit des avis en vue de l'autorisation par la Commission européenne des produits biocides, poursuivant l'objectif d'une harmonisation de la mise sur le marché de ces substances.
L'EFSA, pour sa part, a vu le jour en 2002, à la suite de la crise de la vache folle, pour évaluer les risques liés à l'alimentation. Elle est chargée d'évaluer les additifs alimentaires, les produits de contact, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou encore les pesticides utilisés en agriculture.
En France, l'ANSES poursuit une mission d'évaluation des risques très large : elle intervient en matière de médicaments vétérinaires, de pesticides, de biocides, mais également d'ondes électromagnétiques.
Les agences évaluent les risques dans un cadre réglementaire particulier. Nous avons approfondi nos travaux sur celui attaché à l'évaluation des pesticides qui présente la particularité de combiner des évaluations européennes et nationales, puisque les risques liés aux substances sont évalués par l'EFSA et ceux liés aux produits qui contiennent ces substances par les agences nationales.
L'évaluation des risques constitue un travail scientifique normé et encadré qui répond à des standards internationaux pour garantir l'objectivité et la comparabilité. Notre rapport fait le point sur les méthodes utilisées pour caractériser la toxicité ou encore l'écotoxicité des substances et des produits examinés. Les référentiels méthodologiques ont tendance à converger. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) joue un rôle important dans ce processus en publiant des lignes directrices pour l'évaluation. Cette standardisation répond à un enjeu : éviter de réaliser plusieurs fois les mêmes études et accepter les résultats d'expérimentations menées avec un même degré d'exigence. L'acceptation mutuelle des données permet de ne pas freiner artificiellement les échanges commerciaux et de fonder les décisions sur la science. Ainsi, les bonnes pratiques de laboratoire (BPL) ou bonnes pratiques d'expérimentation (BPE) s'imposent comme des prérequis pour reconnaître la validité des données utilisées dans les procédures d'évaluation.
Les agences mettent en oeuvre une véritable ingénierie de l'évaluation des risques qui se conforme à une règlementation pour la collecte des données scientifiques comme pour la conduite des évaluations, qui encadre leurs travaux et leur laisse peu de marges de liberté. Pour une substance chimique, par exemple, l'industriel établit un dossier de toxicité fondé sur ses propres études, qu'il transmet à l'EFSA ou à l'ECHA pour évaluation. La décision politique d'autorisation revient à la Commission européenne et le contrôle des produits intégrant cette substance aux agences nationales.
Pour mémoire, la commission des affaires européennes du Sénat a adopté une proposition de résolution européenne relative à la transparence des agences, dont les méthodes de travail ont été fortement questionnées à l'occasion de la controverse sur le glyphosate.
En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence dépendant de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), publiait sa monographie n° 112 qui classait le glyphosate parmi les cancérogènes probables. Or, les agences d'évaluation des risques comme l'ECHA et l'EFSA en Europe, mais aussi les agences américaine, japonaise, canadienne, australienne ne le qualifient pas ainsi. Cette discordance est à l'origine de la saisine de l'Office. Comment est-il possible que des agences délivrent des messages différents ? Est-ce parce qu'elles travaillent mal ? Qu'elles se trouvent dans les mains de lobbies ? L'affaire du glyphosate doit être analysée pour y voir plus clair.
Qu'est-ce que le glyphosate ? Un herbicide total foliaire, non sélectif, dont la molécule a été découverte dans les années 1960. Le glyphosate est lié à la société Monsanto, qui l'a breveté en 1974, mais il est désormais produit par de nombreuses sociétés à travers une multitude de formulations commerciales, car le brevet est tombé dans le domaine public depuis près de vingt ans. Facile d'utilisation, efficace et peu cher, le glyphosate est massivement utilisé par les agriculteurs ; 720 000 tonnes sont produites chaque année dans le monde et 8 000 sont utilisées en France. Le glyphosate a mauvaise réputation par lui-même, d'autant qu'il est souvent associé à la culture d'OGM dotés d'un gène de résistance, ce qui permet des pratiques agricoles peu vertueuses à base de monoculture et d'épandages aériens massifs. Certains usages ont été interdits, notamment dans les milieux aquatiques.
Pourquoi le débat s'est-il focalisé sur le lien possible entre glyphosate et cancer ? La réglementation européenne sur les pesticides précise que les substances cancérogènes probables, comme les substances génotoxiques ou les perturbateurs endocriniens, ne peuvent pas être autorisés. Ce sont des critères d'exclusion du marché. L'approbation du glyphosate arrivait à son terme en 2016 et devait faire l'objet d'un nouvel examen par la Commission européenne, après réévaluation par l'EFSA. Le classement du glyphosate comme cancérogène probable par le CIRC en 2015 venait donc jeter le trouble sur le processus de décision européen. En effet, à l'issue du processus de réévaluation du glyphosate engagé en 2012, l'EFSA a rendu ses conclusions en novembre 2015, sur la base d'un projet de rapport d'évaluation (RAR) confié à l'agence allemande, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), estimant qu'il était improbable que le glyphosate fasse courir aux humains un danger cancérogène. L'ANSES suivait cette position dans un avis de février 2016.
Les agences européennes ont été alors largement critiquées. D'abord, la reprise in extenso de parties entières du dossier d'évaluation fourni par les industriels dans le RAR du BfR a laissé penser que l'évaluation n'avait pas été menée sérieusement et que les experts n'avaient pas contrôlé les études présentées par les industriels. Le BfR, comme l'EFSA, ont contesté ces accusations de plagiat en indiquant que la reprise des dossiers des industriels constituait une pratique courante, l'existence de divergences quant à l'appréciation des études toxicologiques entre experts et industriels ne se traduisant que par la mise en italique des passages concernés dans le rapport d'évaluation. Ensuite, il a été reproché au BfR et à l'EFSA d'écarter certaines études de leur analyse, notamment l'étude Kumar de 2001. L'EFSA a fait état, sur ce point, des faiblesses méthodologiques de ladite étude. Enfin, le travail des agences a fait l'objet d'une critique plus large sur l'hypothèse d'une influence de Monsanto et des firmes de l'agrochimie sur les experts, ce qui a été réfuté par l'EFSA.
Les travaux du CIRC ont également fait l'objet de critiques. Cet organisme a d'abord été accusé de ne pas prendre en compte tous les travaux sur le glyphosate et, ainsi, d'avoir un biais de sélection des études orientant vers une qualification de cancérogène probable. Ensuite, la participation aux travaux du CIRC du docteur Christopher Portier, lié aux avocats défendant les victimes du glyphosate aux États-Unis, jette un doute sur l'impartialité de ses travaux. Enfin, son classement ne prendrait pas en compte la réalité des expositions humaines. Nous retrouvons ici la distinction entre danger et risque, rappelée par Anne Genetet. Le CIRC a réfuté ces arguments et défendu la validité de sa monographie.
Finalement, la Commission européenne a approuvé, en décembre 2017, le glyphosate pour une période de cinq ans, mais sans convaincre une large partie de l'opinion.
Un avis des experts scientifiques auprès de la Commission européenne de juin 2016 nous éclaire sur les raisons de la divergence d'appréciation entre l'EFSA et le CIRC, sans néanmoins trancher la question. D'abord, le CIRC et l'EFSA ne prennent pas en compte les mêmes données : l'EFSA a accès aux données des industriels, mais pas le CIRC, sauf si celles-ci sont rendues publiques. L'EFSA prend en compte les études académiques de moins de dix ans et le CIRC toutes les études, même anciennes. En outre, l'EFSA examine les données se rapportant à l'utilisation de la substance active seule, alors que le CIRC s'intéresse à l'utilisation de produits formulés. Grâce à des épandeurs intelligents et à des drones, les cultures traitées au glyphosate sont de plus en ciblées ; l'exposition au produit recule en conséquence.
Les deux agences ont, par ailleurs, une appréciation différente du poids des preuves. L'EFSA observe que les doses de glyphosate administrées par voie alimentaire à partir desquelles des effets cancérogènes chez l'animal apparaissent sont des doses très élevées au-delà de 1 460 mg/kg et par jour. Ces concentrations paraissent impossibles à atteindre à travers une consommation alimentaire usuelle, dans la mesure où la limite maximum de résidu du glyphosate dans les différents produits alimentaires varie entre 0,1 et 20 mg/kg de denrée. Là où le CIRC estime qu'un danger peut exister avec le glyphosate, l'EFSA signale que le niveau d'exposition à ce danger est tellement improbable qu'on ne peut pas établir réellement de risque.
Enfin, le CIRC et l'EFSA donnent un poids différent aux études épidémiologiques : l'Agricultural Health Study (AHS) américaine paraît mettre en évidence un taux de lymphomes non hodgkiniens (LNH) supérieur à la moyenne chez les agriculteurs américains utilisateurs de pesticides. Une méta-analyse-récente du docteur Luoping Zhang de Berkeley laisse penser qu'une exposition forte au glyphosate entraînerait un risque de LNH accru de 41 %, mais elle fait l'objet de lourdes critiques et ne semble pas si convaincante. Le CIRC s'appuie en partie sur l'AHS et les études épidémiologiques pour produire ses conclusions. L'EFSA, pour sa part, accorde moins d'importance à ces études, d'autant que la manière d'interpréter les données épidémiologiques n'est pas si claire, compte tenu des intervalles de confiance assez larges.
Il ne revient pas à l'Office de trancher des controverses scientifiques, mais nous devons constater que le glyphosate n'est pas traité à la légère par les agences, dont il conviendrait toutefois de mieux coordonner les travaux. La manière dont la controverse s'est diffusée au sein de la population montre aussi que les opinions et croyances peuvent prendre le pas sur la rigueur scientifique. Nous ne pouvons qu'appeler les acteurs du débat public à mieux quantifier les risques et à faire reposer les discussions sur des arguments scientifiques, plutôt qu'à chercher des effets de manche.
De ce point de vue, faire croire que le glyphosate va générer un problème massif de santé public dans les années à venir me paraît tout à fait excessif. Il faut certes respecter le principe de précaution, mais sans l'élever au rang d'institution. La confiance entre les citoyens et les experts doit être rétablie, pour que la France retrouve l'audace et l'ambition de la créativité et du progrès scientifique.
Notre rapport, réalisé en bonne intelligence et dans un esprit pluraliste, vise à repérer les difficultés rencontrées dans la pratique de l'expertise par les agences.
La première catégorie de difficultés concerne les mécanismes de sélection des experts et leurs modalités de travail. La remise en cause des expertises commence souvent par celle des experts qui y ont participé. Le processus de sélection des experts par les agences peut être délicat, car il s'agit de recruter des gens à la fois compétents dans leurs domaines d'expertise, disponibles pour mener les expertises et ne présentant aucun conflit d'intérêts.
La question des conflits d'intérêts des experts est centrale - comme parlementaires, nous y sommes sensibles - car la confiance ne peut exister que si l'on dispose d'assurances d'impartialité fortes. Les agences ont mis en place des règles visant à renforcer ces assurances, notamment la déclaration publique d'intérêt, actualisée au moins annuellement et obligatoire pour les membres des collectifs d'experts à l'EFSA, l'ECHA ou l'ANSES. Outre les déclarations annuelles, des déclarations ponctuelles doivent être faites par les personnes associées aux collectifs d'expert et par les membres des collectifs d'experts pour vérifier s'ils sont suffisamment neutres pour traiter un sujet.
On distingue en théorie le lien d'intérêts, qui est admis, du conflit d'intérêts, qui est rigoureusement interdit. Mais la distinction est en pratique très ténue. Où commence le conflit ? L'EFSA considère qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts si un expert bénéficie d'un soutien financier d'une firme sur un projet de recherche n'excédant pas 25 % du budget total du projet. Est-ce le bon seuil ? L'EFSA impose, par ailleurs, une période de deux ans sans lien avec l'industrie pour accepter la participation à des activités exécutives ou dans des panels d'experts. Ces durées pourraient-elles être plus longues ? Il n'existe pas, en revanche, de période de réserve après la fin du mandat de l'expert, qui peut poursuivre un parcours professionnel dans une firme qui a présenté des dossiers qu'il a eu à expertiser. Caractériser un conflit d'intérêts reste difficile. Chaque agence a ses règles de déontologie et ses propres structures pour en contrôler l'application. Les contrôles sont d'ailleurs assez réduits, comme le notait en 2012 la Cour des comptes européenne. On peut estimer que l'on progresse depuis quelques années dans le domaine de la déontologie de l'expertise, mais il reste du chemin à parcourir et des besoins d'harmonisation entre agences.
Un autre outil destiné à garantir l'indépendance des experts consiste à s'assurer d'un recrutement ouvert et divers et d'une pratique collégiale de l'expertise. Si la collégialité permet la confrontation des points de vue et garantit la dilution des éventuels liens d'intérêt, c'est à la condition d'avoir des panels d'experts larges et divers. L'EFSA comme l'ANSES publient des appels publics à candidature pour renouveler périodiquement leurs groupes d'experts, mais, à l'ECHA, les experts du comité d'évaluation des risques sont nommés sur proposition des États-membres. Par ailleurs, un recrutement ouvert et divers n'est possible que si des conditions financières satisfaisantes sont consenties aux experts. Or, l'expertise est mal rémunérée, à hauteur de seulement 385 euros par jour à l'EFSA, et mal valorisée dans les carrières scientifiques. À titre d'illustration, alors qu'en 2018, 182 chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ont été auditionnés par une instance du Sénat, le CNRS ignore tout de leur participation à des travaux parlementaires.
La confiance dans les expertises passe aussi par la transparence du processus de production des avis des agences. La publicité des débats peut se faire à travers la diffusion des minutes des réunions de collectifs d'experts, la publication des travaux préparatoires ou encore la possibilité de publier les avis divergents. La possibilité est aussi laissée aux parties prenantes d'apporter leur contribution dans le cadre de consultations publiques, préalablement à l'élaboration d'un avis d'agence. L'EFSA ou l'ANSES développent de telles stratégies, qui permettent de désamorcer en amont un conflit potentiel et donnent des gages de transparence.
Une deuxième limite dans la pratique de l'expertise réside dans le fait que celle-ci repose essentiellement sur des données fournies par les firmes. Dans les procédures réglementaires d'évaluation, comme celles sur les pesticides, les tests de sécurité sont placés sous la responsabilité des industriels. Cette règle repose sur l'idée qu'il n'appartient pas aux pouvoirs publics de prendre en charge les dépenses importantes d'homologation, qui s'établissent entre 5 et 154 millions d'euros par substance. Or, si les risques de falsification de données sont limités, rien n'interdit d'arrêter une étude qui ne donnerait pas satisfaction. Les agences peuvent également manquer de données qui leur auraient permis d'affiner leurs analyses. Enfin, la publicité des études de sécurité n'est pas complète. Toutefois, de nombreuses firmes, comme Bayer, ont annoncé qu'elles rendraient désormais publiques leurs données.
Une troisième difficulté rencontrée dans la pratique de l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux peut venir du caractère incomplet des évaluations. Les méthodologies d'évaluation des risques sont régulièrement adaptées pour se conformer aux avancées de la science, mais souvent avec retard. Ainsi, dans le domaine des produits phytopharmaceutiques, les nouveaux tests de neurotoxicité sub-létale pour les pollinisateurs, réclamés par les apiculteurs pour mieux évaluer les néonicotinoïdes, n'ont pas été adoptés assez vite, permettant de continuer à considérer comme acceptables des substances pourtant très destructrices des abeilles. Dans le champ de l'écotoxicologie, les tests exigés sont incomplets, en particulier l'effet sur les sols des substances est peu étudié. En matière de pesticides, les coformulants, synergistes et phytoprotecteurs sont évalués séparément des substances, ce qui ne permet pas une appréhension globale du risque.
Surtout, l'évaluation des effets délétères à long terme des substances ou produits est encore insuffisante. Ce n'est que depuis quelques mois que nous disposons à l'échelle européenne de critères pour caractériser les perturbateurs endocriniens, jusqu'ici mal pris en compte. Les effets-cocktails et les effets cumulatifs des pesticides sont aussi très mal intégrés dans les évaluations de risques, car mal connus.
Nous avons surtout constaté la nécessité de confronter les évaluations initiales de risque effectuées par les agences aux situations réelles constatées, en observant plus finement les effets des substances et produits une fois ceux-ci mis sur le marché. Des dispositifs de surveillance des polluants et des dispositifs de vigilance ont été mis en place et se développent, par exemple la phytopharmacovigilance en matière de pesticides. Il convient de poursuivre ces efforts en passant d'une évaluation règlementaire a priori à une surveillance constante des signaux d'alerte, y compris très faibles, pour être capables de repérer les risques émergents avant qu'ils ne produisent leurs effets. Les agences sont bien placées pour traiter ces signaux d'alerte, qui enrichissent leurs évaluations initiales de risques.
Il me revient de conclure en présentant les principales leçons que nous tirons de nos travaux. Nous proposons treize préconisations, visant à reconquérir la confiance de l'opinion.
Nous disposons d'instruments d'évaluation bien structurés autour d'agences spécialisées. Il ne s'agit pas de tout remettre en cause, mais d'avoir conscience des faiblesses de l'actuel dispositif pour le faire progresser. La première des faiblesses ne relève pas des agences ni de leur travail mais du contexte. Il existe une crise de confiance dans la parole des experts qui va bien au-delà des agences, objets de nos travaux. Un rapport récent de France Stratégie constate un mouvement général de défiance envers les experts et recommande de « faire avec » plutôt que de chercher à renouer un lien de confiance introuvable. Nous ne sommes pas de cet avis. Nous avons analysé les multiples raisons d'une crise de confiance qui vient de loin, et touche tous les acteurs de la chaîne de décision : les industriels d'abord, mais aussi les scientifiques et enfin les politiques chargés de prendre les décisions d'interdiction ou de restriction.
Renforcer les agences permettra de conforter leur légitimité. De ce point de vue, la proposition de règlement de la Commission européenne d'avril 2018 visant à renforcer l'EFSA va dans le bon sens, avec notamment : l'augmentation des moyens de l'EFSA pour mieux rémunérer les experts ; la possibilité, pour la Commission européenne, de déclencher à la demande de l'EFSA des études de vérification, voire des études complémentaires plus larges, destinées à rechercher des preuves nouvelles de sécurité dans tous les domaines couverts par le mandat de l'EFSA, et de moins dépendre des seules études des firmes ; l'obligation, pour les firmes, d'enregistrer toutes les études dans un registre des études commandées ; enfin, l'élargissement des données accessibles au public.
L'avis des experts scientifiques de l'Union européenne, le Scientific Advice Mechanism (SAM), publié en juin 2018 et préconisant une révision du processus d'autorisation des produits phytopharmaceutiques, fournit également des pistes intéressantes.
Il nous semble que quatre priorités doivent être poursuivies. La première priorité consiste à renforcer les capacités d'évaluation des risques réglementés par les agences. Il convient d'abord de leur donner la possibilité de déclencher des études destinées à améliorer la connaissance des dangers et des expositions. Les agences doivent pouvoir compléter les informations qu'elles reçoivent des firmes ou qu'elles vont chercher dans les publications académiques. Comprendre certains mécanismes nécessite d'orienter des recherches et de disposer de fonds. De ce point de vue, l'idée consistant à constituer un fonds de recherche inter-agences, paraît intéressante. Il semble ensuite indispensable de mettre en commun les connaissances des agences, via notamment la mise en place de systèmes d'information partagés concernant les études et données disponibles sur l'ensemble des produits réglementés. L'évaluation de certains mécanismes complexes restant insuffisante - les effets de perturbateurs endocriniens, par exemple, ne sont pas bien analysés, de même que les effets cocktails ou les effets cumulés -, il apparaît également nécessaire de poursuivre le perfectionnement des méthodologies d'évaluation.
La toxicologie repose largement sur l'expérimentation animale, qui consomme onze millions d'animaux par an en Europe. Si se passer de tests animaux semble difficile, il existe une pression légitime pour les limiter au maximum. Il convient donc d'encourager les alternatives à l'expérimentation animale.
L'évaluation des risques sanitaires et environnementaux dans le domaine des risques réglementés reste très dépendante du cadre juridique qui lui est imposé, et notamment des lignes directrices de l'OCDE. Sans méconnaître le temps nécessaire pour établir un consensus scientifique sur les méthodes d'évaluation des risques valables, pouvant être reconnues par tous, nous ne pouvons qu'encourager la mise à jour régulière des lignes directrices pour ne pas retarder l'adoption de nouvelles méthodes et de tests fiables.
Enfin, la surveillance post-mise sur le marché nous paraît stratégique et, de l'avis général, insuffisante, notamment en matière d'exposition des travailleurs. Or, le retour sur les effets réels des pesticides permet de juger de la pertinence des évaluations initiales et conduit à affiner les réévaluations périodiques, tout comme la surveillance de la présence des substances chimiques dans l'environnement sert à mieux connaître leur comportement et leur interaction avec les milieux. Nous appelons donc à renforcer les vigilances, à développer les études épidémiologiques, mais aussi à se lancer dans le chantier de la biosurveillance.
La deuxième priorité consiste à améliorer la transparence des travaux des agences et, plus largement, la transparence de l'ensemble du processus d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Les agences ont déjà engagé une stratégie d'ouverture à la société, par exemple à travers les comités de dialogue de l'ANSES. Il convient d'assumer totalement cette politique d'ouverture en mettant à la disposition du public l'intégralité des données figurant dans les dossiers soumis aux agences d'évaluation, afin de permettre une contre-expertise citoyenne. Les exceptions liées au secret commercial ou au secret industriel doivent être réduites au minimum, et en tout état de cause ne sauraient justifier que l'on cache des résultats d'études de sécurité au public. Ensuite, la transparence doit être faite sur les liens d'intérêts des experts et les contrôles des liens d'intérêts déclarés renforcés dans le cadre d'obligations déontologiques fortes. La révélation de conflits d'intérêts à l'issue de phases d'évaluation, même lorsque ces conflits n'ont pas eu d'influence, est ravageuse pour la crédibilité des procédures.
La troisième priorité consiste à conforter les agences dans leur rôle d'expertise des risques. D'abord, l'attractivité de la participation aux travaux d'expertise menés par les agences doit être renforcée. Ensuite, il faut structurer le dialogue entre organes d'évaluation, pour éviter les divergences d'appréciation sur les risques qui perturbent la prise de décision et apparaissent délétères à l'opinion. Cette proposition rejoint celle des experts scientifiques de l'Union européenne dans leur avis de juin 2018 concernant les pesticides. Les divergences entre CIRC et EFSA contribuent ainsi à obscurcir les débats sur le glyphosate. Des instances de dialogue doivent pouvoir sinon trouver un consensus, du moins expliquer les écarts d'appréciation.
Nous préconisons également de donner aux agences des compétences étendues pour l'identification des risques émergents, à partir de leur activité de surveillance post-mise sur le marché. Elles réagissent aux lanceurs d'alerte, comme l'ANSES a pu le faire il y a quelques mois en mettant en place un groupe d'experts d'urgence sur les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI), mais elles doivent aussi se montrer proactives pour repérer les signaux d'alerte. Cela leur donnerait une plus grande légitimité.
Enfin, une quatrième et dernière priorité consiste à développer une meilleure compréhension des risques par le citoyen. Ce chantier est immense, car la matière est technique et la polémique plus facile que la pédagogie des risques, nous l'avons tous vécu dans nos circonscriptions et départements. La notion de risque négligeable est contestée par ceux qui voudront en permanence que la puissance publique garantisse un risque zéro. Pour autant, la recherche d'une meilleure compréhension des risques semble nécessaire. À cet effet, il apparaît important de mieux structurer le débat public sur les risques, en amont des prises de décision, voire de permettre aux citoyens de saisir directement les agences, et d'expliquer et clarifier les résultats des évaluations de risques effectuées par les agences, ce qu'elles commencent à faire en produisant pour la presse des synthèses de leurs avis.
Pour finir, nous proposons que notre rapport s'intitule Évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences : trouver le chemin de la confiance.
Je remercie nos rapporteurs pour le remarquable travail accompli. Anne Genetet nous a entretenus de la distinction entre risque et danger et des protocoles d'évaluation des agences. Les processus européens apparaissent-ils plus rigoureux qu'ailleurs ? Protègent-ils mieux les citoyens ? À la veille des élections européennes, la question se pose avec acuité.
Pierre Médevielle a rappelé que les risques encourus par les citoyens consommateurs de produits traités au glyphosate différaient de ceux pesant sur les agriculteurs. Pourtant, la confusion est fréquente dans les débats. Nos collègues Anne Genetet et Pierre Médevielle ont fait état, dans des acceptions différentes, du principe de précaution. Soyons précis : le principe de précaution vise à engager des travaux supplémentaires en matière d'innovation ; ce n'est pas un principe de prudence.
S'agissant de la polémique relative au glyphosate, nous avons récemment pu en mesurer le caractère délétère pour les industriels : à la suite d'une décision de la justice américaine défavorable à Monsanto, la valeur du titre de Bayer a brutalement chuté en bourse. Les entreprises ont intérêt à avoir des certitudes sur les produits qu'elles commercialisent. Pierre Médevielle a parfaitement expliqué le jeu de ping-pong qui s'est engagé, quant à la dangerosité du glyphosate, entre l'EFSA et le CIRC. Si le débat d'experts n'est pas tranché, il semble qu'une épidémie de cancers de grande ampleur ne soit pas à craindre. Pour autant, les tentatives d'influence de Monsanto sur le processus d'évaluation apparaissent avérées. L'EFSA s'est défendue, mais l'intention peu éthique de Monsanto ne fait guère de doute et nuit gravement à la confiance des citoyens en l'expertise réalisée.
Pierre Ouzoulias a évoqué les questions de biosurveillance, le problème des effets cocktails et les enjeux de l'indépendance des experts. Je partage son analyse sur ces sujets. Si les agences refusent de travailler avec des experts faisant état d'un conflit d'intérêts, elles risquent de se priver des plus compétents. Nous sommes, de fait, parfois allés trop loin en la matière, bien que des règles soient éminemment nécessaires. Les déclarations d'intérêts ne suffisent pas à la bonne information : les annonces orales préalablement à une prise de parole sont également indispensables. Il a pu m'arriver aussi de me faire piéger... Chacun doit veiller à s'appliquer une discipline de transparence. Il convient, par ailleurs, de davantage rémunérer les expertises publiques et de mieux les reconnaître dans les carrières scientifiques.
La dangerosité d'une substance doit être évaluée par anticipation et a posteriori, comme nous devrions le faire pour les lois. Pour le glyphosate, nous disposons utilement de cohortes longues. De fait, les études épidémiologiques, certes coûteuses, apparaissent plus convaincantes que les évaluations du produit en amont d'une mise sur le marché. Elles doivent, en conséquence, être développées ; cela participera à la réparation du lien de confiance avec nos concitoyens. À cet effet, les agences doivent pouvoir disposer de moyens supplémentaires : l'idée d'un fonds de recherche dédié me semble pertinente. Dans la mesure où certaines études sont déléguées aux agences nationales, les modalités de gestion dudit fonds ne devront pas être trop complexes, afin de ne pas nuire à la transparence du dispositif.
Je suis favorable aux alternatives aux expérimentations animales. S'agissant du secret commercial, s'il ne doit pas être négligé, il convient de trouver un équilibre satisfaisant. Lorsque le Parlement européen, à la suite de la révélation des Monsanto papers, a souhaité entendre des représentants de l'entreprise éponyme, ceux-ci ne se sont pas présentés. De tels comportements nuisent gravement à la confiance et à la transparence ! Il existe deux interprétations à la conclusion du rapport de France Stratégie cité par Philippe Bolo : soit il convient d'améliorer les processus d'évaluation pour lutter contre le sentiment de défiance, soit il faut se préparer à passer outre l'opinion publique, comme ce fut récemment fait en matière d'obligation vaccinale. Nous pourrons prochainement évaluer les effets de cette décision politique, vivement critiquée par certains et louée par d'autres. De fait, en fonction des enjeux, la confiance de la population est plus ou moins considérée.
Enfin, j'approuve le titre proposé pour le présent rapport.
Je félicite à mon tour les rapporteurs pour le travail colossal accompli à la suite des récents scandales sanitaires. La notion de risque apparaît essentielle ; nous n'avons pas toujours conscience que le risque peut être lié à l'utilisation d'un produit par l'homme. Les industriels qui mettent sur le marché des substances ayant un impact sur la vie humaine ou sur la biodiversité doivent réaliser les études préalables nécessaires, mais les scandales perdurent : lesdites études ont-elles réellement été réalisées en amont ? Par ailleurs, l'impact du produit doit être évalué in situ, afin, notamment, que les entreprises concernées soient en mesure de prendre les mesures de protection nécessaires à l'endroit des salariés concernés, à l'instar des sociétés aéronautiques face aux dangers de certaines substances contenues dans la peinture des avions.
Le glyphosate met certes en danger la santé humaine, mais également la biodiversité. Que révèlent les études de l'ANSES à cet égard ? Qu'est-il fait pour protéger la biodiversité ? De fait, l'homme connaît les dangers du produit - ou, à tout le moins, peut être en mesure de les connaître -, alors que les animaux les ignorent. Il me semble absolument nécessaire de renforcer l'information de la population sur les risques de ce produit.
Le sujet abordé par ce rapport est vaste et complexe. Nos rapporteurs appellent à restaurer la confiance entre la population et les agences. Pour ma part, comme médecin, j'ai un fort sentiment de défiance envers Bayer qui a acquis Monsanto. Exception faite de l'invention de l'aspirine, ce laboratoire a rarement fait montre d'intérêt pour l'être humain... Sans même évoquer le gaz utilisé dans les camps d'extermination nazis, souvenez-vous des pesticides tueurs d'abeilles et de la polémique relative aux implants contraceptifs. La lumière doit être faite sur les activités de Monsanto et sur la dangerosité du glyphosate. Hier, l'agence américaine de protection de l'environnement, l'Environmental Protection Agency (EPA), a estimé qu'il ne présentait pas de risque cancérogène. L'étude commandée à la France, à la Hongrie, à la Suède et aux Pays-Bas, dont les conclusions sont attendues en 2021, pourrait-elle conduire à une modification de la réglementation sur le glyphosate ?
Les risques des effets cocktails en matière de pesticides sont connus depuis longtemps. Pensez que les fraises et les tomates d'Andalousie sont gorgées de divers pesticides et que les pommes reçoivent jusqu'à trente-six traitements différents ! Ces pratiques ne pourraient-elles pas être empêchées ?
Je vous remercie pour ce rapport aussi complet que passionnant. Comment améliorer l'open data entre agences, comme entre les agences et les autres organismes de recherche, afin d'optimiser la recherche mondiale ? Faudrait-il, à cet effet, modifier la législation française ou la réglementation européenne ?
Passionnant ! Je rejoins Émilie Cariou. J'approuve également le titre proposé, tant il me semble fondamental de retrouver le chemin de la confiance. Il en va de même pour la démocratie. Les sujets sanitaires et environnementaux touchent à la vie et préoccupent nos concitoyens. Or, ils sont complexes à comprendre sans l'entremise des experts : dès lors, le lien de confiance paraît indispensable. Récemment, le président-directeur général d'une grande entreprise publique estimait que les débats actuels sur le climat remettaient en cause notre démocratie : seuls les régimes autoritaires semblent finalement pouvoir imposer rapidement des mesures.
Nous édifions nous-mêmes les difficultés que nous subissons. L'Europe est en danger : elle met en place des instruments destinés à crédibiliser la recherche publique, mais les agences échouent à s'accorder. Grâce à vos préconisations, l'Europe pourrait apparaître mondialement fiable en matière d'expertise sanitaire et sociale. Les Européens doivent montrer l'exemple, au lieu de construire une tour de Babel de l'évaluation ! Avec ce rapport, nous nous trouvons au coeur de l'avenir de notre système démocratique et de l'Union européenne.
La recommandation visant à mieux structurer le débat public me semble majeure. Il faut construire des bases scientifiques pour nos concitoyens, les informer correctement afin de débattre sereinement et en confiance. Les citoyens doivent être en mesure de s'investir sur les sujets sanitaires et environnementaux.
S'agissant du secret industriel et de la difficulté à concilier l'intérêt des entreprises et celui du public, il conviendrait, à mon sens, de rentre obligatoire la transmission des informations aux experts des agences sous le sceau de la confidentialité. Les études s'en trouveraient facilitées. À titre d'illustration, pour le recyclage des matières plastiques, il faut avoir connaissance des additifs présents dans ces produits.
La biosurveillance apparaît effectivement essentielle. Il paraît certes illusoire de mailler l'ensemble du territoire, mais il semblerait judicieux de créer un guichet auprès duquel chacun pourrait signaler un incident, permettant ainsi au comité de surveillance de se saisir d'un risque. Quant au glyphosate, j'ai cru comprendre que le risque sanitaire concernait essentiellement le système rénal ; les études devraient être poursuivies dans cette voie.
L'utilisation d'un produit peut être facteur de risque ; l'usage raisonné doit être recherché. Cela étant, plusieurs experts nous ont indiqué, lors des auditions, que les recherches se focalisaient désormais sur les possibilités de supprimer un produit, plutôt que de distinguer un produit sans risque. Il s'agit d'une bonne façon d'envisager le débat sur les produits phytosanitaires.
Je suis convaincu que le schéma linéaire selon lequel le politique demandait conseil au scientifique a vécu. Le scientifique peut mettre des mois, voire des années, à répondre avec certitude, tandis que l'usager prend désormais part au débat : la gestion du risque et l'interaction entre la science et le politique s'en trouvent modifiées.
Ce matin, sur l'antenne de France Culture, deux philosophes débattaient sur le savoir. Vouloir à tout prix améliorer le savoir de la population revient à prendre les citoyens pour des imbéciles. Jusqu'à quel point devons-nous convaincre l'opinion ? Comme médecin, je me suis souvent posé la question.
L'Europe, monsieur Bignon, n'a pas perdu toute crédibilité. Voyez le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ! Tout est chimique. En ce sens, l'interdiction de tout produit phytosanitaire peut être dangereuse ; je pense notamment aux céréales. Inversement, je m'interroge sur les conséquences que ne manquera pas d'avoir l'engouement de nos concitoyens pour le vinaigre blanc et le bicarbonate de soude dans les produits ménagers...
Monsieur Villani, nous n'avons pas étudié les protocoles d'évaluation en dehors des frontières européennes. Il semblerait que l'Europe dispose de la plus large base de données sur les produits chimiques. Quoi qu'il en soit, les agences européennes et américaines suivent toutes, pour leurs études, les normes édictées par l'OCDE. Les industriels pourraient cependant être tentés par des référentiels plus souples proposés par d'autres pays. Il convient donc de rester vigilants et de renforcer le poids de l'expertise européenne.
Les agences européennes travaillent effectivement dans le cadre international des lignes directrices fixées par l'OCDE. Leurs conclusions en matière de risque apparaissent rigoureuses. L'Union européenne y accorde une grande importance : les citoyens européens me semblent bien protégés. Pour autant, il est évidemment possible de renforcer les études réalisées en amont de la mise sur le marché d'un produit et, surtout, en aval pour analyser son impact sur la durée. Cela est plus coûteux, mais aussi plus utile. Le risque zéro peut sembler utopique, mais nous essayons de nous en approcher.
S'agissant des effets du glyphosate sur la biodiversité, j'espère, madame Tiegna, que le pire se trouve derrière nous. Comme pêcheur, la destruction de près d'un tiers de la faune du Golfe du Mexique m'a particulièrement marqué. Depuis, certains usages ont été prohibés.
Comme pharmacien, madame Delmont-Koropoulis, je crois que les laboratoires partagent tous la même éthique et ont nettement progressé dans ce domaine. Franck Garnier, alors directeur de Bayer pour la France, nous indiquait lors d'une audition que si les dangers du glyphosate étaient avérés, l'entreprise n'aurait aucun scrupule à en abandonner la production, mais interdire le produit en l'absence de preuve scientifique me gêne. À chacun son métier : les juges des tribunaux administratifs ne sont pas des experts scientifiques !
Monsieur Bignon et madame Préville, je partage vos craintes sur la crise de confiance. Pour y remédier, les agences ont besoin de moyens supplémentaires pour l'évaluation, comme l'estimait fort justement Jean de Kervasdoué dans son ouvrage La peur est au-dessus de nos moyens : pour en finir avec le principe de précaution. La collaboration entre agences doit être encouragée et la pédagogie à l'endroit des citoyens développée.
Nous avons entendu le coordinateur du rapport de France Stratégie sur l'expertise, qui notait qu'il n'était plus possible aujourd'hui de fournir une vérité institutionnalisée. Lorsque le scientifique parle, le citoyen demande à disposer d'éléments pour se forger sa propre opinion. On ne pourra donc pas revenir à un statut de la vérité qui était celui du XXe siècle. Bien entendu, on ne pourra pas non plus hisser toute la population française au niveau scientifique de nos experts, mais il faut leur donner les moyens de se forger une opinion rationnelle, sinon nos concitoyens se forgeront une opinion irrationnelle.
Le niveau de protection face aux risques assuré à nos concitoyens en Europe est à l'évidence supérieur au niveau proposé dans d'autres pays et d'autres régions du monde. Cela pourrait être un moyen de donner de la valeur à notre industrie ou encore à notre agriculture, à l'heure où la mondialisation a tendance à tirer les normes vers le bas. Il faut se servir de normes environnementales plus strictes, comme on le fait des normes sur la protection des données personnelles (RGPD) pour tirer notre économie vers le haut.
Dans notre rapport, nous indiquons que notre devoir est de conserver une recherche publique indépendante et vivace. L'open data peut certes résoudre des problèmes. Mais encore faut-il que les données soient produites. Nous avons été alertés durant nos auditions sur le fait que la toxicologie en France est affaiblie. Or, on ne pourra disposer d'une expertise de qualité, notamment dans nos agences, qu'en s'appuyant sur une recherche publique de haut niveau.
Notre collègue Huguette Tiegna nous interroge sur l'étendue du travail des agences en matière d'évaluation des risques pour la biodiversité. Des tests existent et sont même obligatoires pour évaluer les pertes de biodiversité engendrées par certaines substances ou certains produits. On peut toutefois progresser. Il faut aussi s'interroger sur les questions de biodiversité auxquelles on s'intéresse et avoir peut-être une approche moins anthropocentrée. L'impact sur les sols est certainement insuffisamment étudié. Les impacts sur l'eau sont beaucoup plus observés. Par exemple, à l'échelle nationale, chaque année, nous réalisons un million d'analyses de qualité des eaux superficielles et souterraines. Nous disposons d'une base de données qui comportait plus de 60 millions d'analyses en 2017.
Le manque de confiance dans l'expertise scientifique se matérialise par une angoisse à l'égard des avancées technologiques. Parfois, ceux qui expriment le moins cette angoisse sont ceux qui ont les moyens de mettre à distance les sources de danger.
Concernant l'open data, deux de nos propositions vont dans le sens de l'ouverture maximale des données au public. Il faut cependant associer une certaine vigilance à cette ouverture pour éviter des expertises scientifiques citoyennes n'ayant aucun sens. Je souscris donc à l'idée d'accompagner l'expertise par une véritable communication sur les risques, claire et compréhensible, permettant au citoyen d'avoir une opinion éclairée.
L'idée d'un guichet d'expertise ouvert aux citoyens va dans le bon sens, mais faisons attention aux effets pervers : dans ma circonscription, une association s'oppose à raison à un méthaniseur ancien qui dysfonctionne. Mais cette association, de fil en aiguille, en est venue à contester tous les méthaniseurs, y compris les plus récents, qui répondent pourtant à des normes drastiques.
Pour répondre à l'interrogation sur la prise en compte des questions de biodiversité, notons que les agences ont des compétences élargies intégrant l'environnement dans leur champ d'étude. Mais l'environnement ne se limite pas à la biodiversité.
Je partage votre point de vue. Il convient de prêter attention aux effets d'entraînement sur l'environnement, une fois que les produits sont sur le marché. Cela existe pour les médicaments, dont les effets secondaires sont observés en situation réelle.
Concernant l'ouverture des données, elle doit être combinée avec le secret industriel, qui constitue un sujet sensible. La Commission européenne ne propose pas de faire disparaître le secret industriel mais envisage que les données soient publiées très largement.
Le mouvement vers le « zéro phytosanitaires » est possible mais il faut en accepter les conditions qui sont sévères : un rendement affaibli de l'ordre de 20 à 25 % et un remodelage complet de la chaîne d'approvisionnement et le développement de cultures plus diverses, ce qui peut aussi éviter la propagation de nuisances. C'est donc un changement systémique que cette perspective exige. Si vous souhaitez approfondir cette question, nous pourrions organiser des auditions avec des chercheurs spécialisés.
Je vous propose, après cette présentation d'approuver la publication du rapport, qui sera présenté prochainement à la presse, et vous demande de ne pas le diffuser avant cette présentation.
La publication du rapport sur les évaluations des risques sanitaires et environnementaux par les agences est autorisée, à l'unanimité.
Avant de nous quitter, nous devons aussi procéder ce matin à la désignation de rapporteurs sur deux sujets.
Le premier correspond à une saisine de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, portant sur l'intégrité scientifique. Sur ce sujet, que je suis depuis longtemps, je vous rappelle que nous avons déjà entendu Olivier Legal, président de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS) en janvier 2018, puis entendu une communication par Anne Genetet en février 2019, un an après, ce qui nous a permis de bien défricher le terrain.
Je voudrais dire qu'il me semble nécessaire de comprendre le champ de cette saisine de manière large. En particulier, il me semble qu'il faut envisager un travail approfondi sur les aspects indissociables du sujet de l'intégrité scientifique que sont la politique des publications scientifiques et l'open access. C'est d'ailleurs tellement indissociable que le dernier colloque de l'OFIS portait précisément sur l'intégrité scientifique et la science ouverte. Beaucoup d'autres sujets encore y sont liés : l'évaluation de la recherche et des chercheurs via les publications, la notoriété et la reconnaissance de leurs auteurs, etc.
Pour cette étude, le président Gérard Longuet et moi avons reçu la candidature de Pierre Ouzoulias pour le Sénat. Pour l'Assemblée, Anne Genetet, passionnée par le sujet et naturellement pressentie, craint de ne pouvoir s'investir suffisamment sur le sujet. Nous en reparlerons donc lors d'une prochaine réunion.
Le second sujet est celui de l'évaluation du futur nouveau Plan national triennal de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2019-2021. Cette saisine est prévue par la loi, en application du III de l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement. La précédente évaluation a été publiée par l'Office au printemps 2017, avant les dernières élections. Il nous semble important que nos rapporteurs soient désignés le plus en amont possible pour pouvoir peser sur l'élaboration du nouveau plan, et pas seulement donner un avis sur un plan tout ficelé.
J'ai reçu pour l'Assemblée nationale la candidature d'Émilie Cariou, notre référente sur le sujet. Je crois que pour le Sénat, le choix n'est pas encore fait. Je vous propose donc de désigner Émilie Cariou pour l'Assemblée, qui pourra ainsi commencer un travail de préparation et de documentation, en souhaitant que notre prochaine réunion permette de désigner son (ou sa) co-rapporteur côté Sénat.
Je vous indique que nous aurons également à désigner prochainement deux rapporteurs sur une nouvelle saisine, en provenance de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, sur la pollution plastique, sujet ô combien d'actualité et douloureux. Le courrier de saisine est à la disposition de ceux qui le souhaitent ; nous vous le transmettrons également par voie électronique.
Notre président Gérard Longuet m'a indiqué que, du côté du Sénat, Angèle Préville, dont je salue la compétence, était intéressée par cette étude. Nous allons voir, parmi les députés, qui pourrait être désigné co-rapporteur.
Enfin, je voudrais vous dire un mot de notre agenda prévisionnel, élaboré d'un commun accord avec notre président.
Il y aura demain une visite du CERN à Genève, avec une délégation de cinq membres, qui verront des choses très intéressantes en bénéficiant de l'arrêt du grand accélérateur pour maintenance.
Le 16 mai, nous aurons l'audition annuelle du nouveau président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), à l'Assemblée, par alternance puisque l'an passé elle a eu lieu au Sénat. Nous prévoyons la possibilité pour les internautes de poser des questions en ligne, questions qui seront modérées par l'un de nous. Ce sera une première pour une audition de cette sorte, et cela me semble une avancée vers la transparence et le développement de la confiance avec nos concitoyens.
Pour le 23 mai, en accord avec Gérard Longuet, nous sommes en train d'organiser avec les secrétariats de l'Assemblée et du Sénat une matinée d'auditions publiques autour du thème de la science et des technologies à l'appui de la restauration de Notre-Dame de Paris. Nous avons dû bousculer un peu notre agenda, mais je pense que ce sera un moment particulièrement intéressant et utile. Les choses vont très vite, avec l'examen d'un projet de loi en cours, mais il est capital que l'Office rappelle l'importance du temps long, et que la vitesse nécessaire ne soit pas confondue avec la précipitation, surtout pour la restauration d'un monument de plus de 850 ans.
Enfin, je vous signale la publication du rapport compilant nos douze premières notes, maintenant en ligne comme un rapport d'information parlementaire classique, et aussi sous une forme papier que nous avons essayé de rendre attrayante. Je forme le voeu que ce soit le premier d'une longue série ! Il sera le prélude au débat ou petit colloque international que nous souhaitons organiser à la rentrée, avec Gérard Longuet, sur le thème de la science au service du politique et de la société.
La séance est levée à 12 h 50.