Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même après vous avoir écouté très attentivement, monsieur le ministre, je trouve toujours aussi curieux d’avoir intitulé ce texte « projet de loi pour une école de la confiance ».
Une école de la confiance conforterait le lien étroit, le lien de confiance, précisément, entre la commune et l’école, ces deux piliers de la République, auxquels nos concitoyens sont d’autant plus attachés qu’ils se sentent abandonnés, la plupart des services publics disparaissant dans bien des territoires.
Or vous tentez de briser ce lien, d’accélérer les regroupements, de créer des établissements « XXL », éloignés, avec des chefs d’établissement missionnés plutôt pour gérer des moyens financiers et des ressources humaines que pour enseigner.
Nous nous réjouissons que, lors de son passage en commission, au Sénat, votre projet se soit délesté des établissements publics des savoirs fondamentaux, qui suscitent tant de méfiance de la part des parents d’élèves, des enseignants et des élus locaux.
Cette méfiance est née de l’expérience, car ces élus voient en effet se multiplier, sur le terrain, les appels à considérer l’échelon intercommunal comme la nouvelle maille de l’organisation scolaire. Ils sont parfois contraints à signer des conventions visant peu ou prou le même objectif que ces EPLESF, à savoir la rationalisation. Il serait regrettable que le Sénat, la chambre des territoires, soit sourd à ce qu’ils expriment et fasse entrer par la fenêtre ce qui vient d’être sorti par la porte, avec des conséquences évidentes pour le maillage scolaire, en particulier dans les territoires ruraux.
Une école de la confiance viserait la réduction des inégalités sociales, territoriales et scolaires, qui, bien souvent, se confondent, en ambitionnant la réussite de tous, tout particulièrement dans un moment où grondent, en France, une colère très grande et une exigence tout aussi grande de justice sociale.
Or la création des établissements publics locaux d’enseignement international, où seraient dispensés, durant toute la scolarité, des enseignements en français et en langue vivante et dont le budget pourrait comprendre des dons privés, nous semble clairement tourner le dos à cet objectif.
Il en a malheureusement été assez peu question dans nos débats jusqu’à présent, mais cela contribue à entériner une école à deux vitesses, les enfants des cadres internationaux – les Britanniques vivant en France, par exemple, en attendant le Brexit – étant, de fait, mieux lotis que les élèves de la plupart de nos communes et de nos quartiers.
Une école de la confiance accompagnerait les communes dans la mise en œuvre de l’instruction obligatoire dès 3 ans, pour en faire un élément de progrès partagé.
Or les communes, après avoir parfois connu des difficultés pour dédoubler les classes de CP et de CE1 en réseau d’éducation prioritaire, REP, et en réseau d’éducation prioritaire renforcé, REP+, faute d’avoir été accompagnées financièrement dans un contexte budgétaire que chacun sait extrêmement tendu, découvrent aujourd’hui que les conséquences de cette mesure ne seront pas totalement compensées. Elles se demandent même, d’ailleurs, si l’objectif n’est pas d’affaiblir le service public, l’école privée étant finalement la grande gagnante de cette mesure…
Une école de la confiance pourrait, en parallèle, étendre l’obligation de la scolarisation à 18 ans, comme nous le proposions au travers d’un amendement, qui a malheureusement été déclaré irrecevable. Ce serait une bien meilleure manière de lutter contre le décrochage que l’obligation de formation jusqu’à 18 ans, qui reste, dans le texte, très vague, en deçà des enjeux, et qui – c’est un comble – pourrait recouvrir la recherche d’emploi. Ce serait, à nos yeux, une mesure bien plus efficace.
Une école de la confiance se donnerait aussi les moyens d’être enfin à la hauteur de la loi de 2005 pour l’inclusion des enfants handicapés, en assurant la formation de leurs accompagnants, en dotant ceux-ci d’un véritable statut et en leur garantissant un salaire décent, afin de sécuriser et d’anticiper l’accueil des enfants. On sait combien les rentrées sont de plus en plus chaotiques pour eux. La mutualisation des accompagnants, synonyme de réduction des moyens, constitue l’exact opposé de ces mesures nécessaires et nous éloigne d’une école véritablement inclusive.
Une école de la confiance se fierait à ceux qui l’incarnent et la font vivre au quotidien, je veux bien entendu parler des enseignants, qui, certes, ont des obligations, conformément à leur mission de fonctionnaires, mais qui n’en restent pas moins des citoyens et des formateurs de futurs citoyens. Leur interdire la moindre critique publique à l’encontre des choix politiques de leur ministère de tutelle n’est pas une bonne chose pour la démocratie.
Le remplacement du Cnesco, organisme indépendant dont la qualité des travaux est reconnue de tous, par un organe qui n’aurait plus pour mission d’évaluer les politiques éducatives et dont la majorité des membres seraient nommés par vous-même et par vos successeurs, monsieur le ministre, participe de la même logique.
Un ministre qui voudrait regagner la confiance commencerait par entendre la contestation qui s’exprime depuis plusieurs semaines, il prendrait en compte les mobilisations, il écouterait les critiques, il traduirait les orientations données par le Président de la République à l’issue du grand débat – je pense par exemple à l’objectif de 24 élèves par classe, de la grande section au CE1, qu’a mentionné mon collègue et ami Pierre Ouzoulias.
Invoquer la confiance, décrire ce texte comme un projet social ne suffira pas, monsieur le ministre, à masquer la réalité : c’est un projet d’essence ultralibérale, qui sape les fondements de notre système scolaire.
La confiance, c’est donner de la réalité à la promesse d’une école qui fait réussir le plus grand nombre et qui – enfin – réduit les inégalités.