Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des assises de la maternelle, en mars 2018, le Président de la République affirmait : « Il y a toujours quelque chose d’éminemment politique au sens le plus noble et le plus profond du terme, lorsqu’on parle […] de l’éducation, parce que c’est là que l’on construit la société qu’on a à faire et qu’on veut voir ». Nous ne pouvons que souscrire à ce propos, tant l’école constitue le fondement même de notre société, le creuset de la République et de ses valeurs.
Parce que l’éducation constitue justement un sujet politique, chacune des réformes entreprises en la matière provoque réactions et débats. Mais ce texte a suscité de réelles inquiétudes.
Les polémiques actuelles s’inscrivent tout d’abord dans un contexte plus global : depuis le début du quinquennat, vous avez engagé de multiples réformes éducatives, détricotant les acquis de la loi de refondation de l’école de 2013, épuisant l’ensemble des acteurs concernés, las de devoir appliquer de nouvelles dispositions alors même que les effets des précédentes n’ont encore été ni mesurés ni évalués.
Alors qu’enseigner et apprendre nécessite du temps, les enseignants et les élèves sont les premiers affectés par ces changements à marche forcée.
Dans le contexte de crise sociale et politique actuel, les enseignants ont tenté de faire entendre leur voix par de nouveaux modes de contestation, attirant désespérément votre attention sur la dégradation de leurs conditions de travail et de leur pouvoir d’achat, sur le manque de reconnaissance, sur les violences quotidiennes, sur leur désarroi face à leur incapacité à répondre aux besoins de leurs élèves, faute de moyens, et sur les difficultés prégnantes qu’ils rencontrent trop souvent avec leur hiérarchie.
Hélas ! le présent texte n’apporte pas de réponse à ces cris d’alarme, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources humaines et le bien-être des personnels : aucune mesure visant à assurer le suivi psychologique et médical, aujourd’hui inexistant, n’est envisagée.
Pourtant, la confiance et la bienveillance passent aussi par la responsabilité de l’employeur vis-à-vis de ses personnels, qui, je le rappelle, sont au nombre de 800 000.
Au-delà du contexte général, le projet de loi en lui-même inquiète l’ensemble des acteurs : la méthode, dénuée de toute concertation, n’a pas permis de les associer à la rédaction du texte. Le recours aux ordonnances témoigne aussi d’une volonté de limiter le débat parlementaire.
Vous conviendrez, monsieur le ministre, que la confiance ne peut nullement se décréter dans un article de loi, a fortiori quand ce dernier suscite la défiance des principaux intéressés.
En dépit des stéréotypes parfois véhiculés moquant leur corporatisme et leur résistance au changement, les enseignants ont en réalité toujours su adapter leur pédagogie aux évolutions de la société. Faites-leur confiance !
Si ce projet de loi visait initialement à traduire dans le droit la volonté du Président de la République d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, force est de constater qu’il engage, en réalité, de nombreux et profonds changements de notre système éducatif, tout en en taisant la plupart des aspects concrets et opérationnels, dont il eût pourtant été intéressant et nécessaire de débattre.
Jugé trop disparate, décrit comme un « fourre-tout législatif », il interroge sur sa cohérence propre et son articulation avec l’ensemble de votre politique éducative. En réalité, il apparaît clairement que vous engagez, depuis deux ans, une vaste transformation du système éducatif : une éducation marquée par l’autonomie des établissements, par la concurrence, par l’évaluation, et par l’instauration d’une école à deux vitesses.
Le projet de société que vous y dessinez, profondément ancré dans une conception libérale, ne répond ni aux enjeux du système éducatif ni aux difficultés auxquelles notre société est aujourd’hui exposée avec une acuité sans précédent.
Une question demeure : quelle plus-value apporte ce projet de loi au système éducatif, à la réussite de nos élèves et à la lutte contre les inégalités ?
Monsieur le ministre, la confiance, celle qui lie nos concitoyens et l’institution scolaire, ne pourra être restaurée que lorsque l’école de la République disposera des moyens nécessaires et suffisants pour remplir sa mission essentielle : garantir à chacun, et en particulier aux plus vulnérables, la possibilité de se hisser au meilleur de ses capacités, en enrayant tous les déterminismes, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’aller à l’école.