Mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion de cet article, qui a fait couler beaucoup d’encre depuis deux mois, constitue un bel exercice démocratique. Je remercie M. Grosperrin de son engagement, de sa motivation et de la qualité du travail accompli.
L’amendement déposé par la députée Cécile Rilhac faisait suite à un rapport sur la direction d’école qu’elle avait établi avec Mme Bazin, députée de l’Aube, qui appartient à la même famille politique que vous, monsieur le rapporteur. Ces deux députées avaient donc accompli tout un travail préparatoire sur la direction d’école, sujet qui n’est évidemment pas sans rapport avec celui qui nous occupe ici. Quel que soit le jugement que l’on porte sur le fond et la forme de cet amendement, son mérite est d’avoir suscité dans la société française un débat sur un sujet que les spécialistes connaissent bien, qu’ils étudient depuis des décennies, sur lequel on affiche beaucoup de volontarisme, mais qu’aucun des gouvernements précédents n’a traité…
Du plan Langevin-Wallon, cité par M. le sénateur Ouzoulias au début de nos débats, jusqu’au rapport de 2011 du député Reiss, en passant par nombre de rapports, et même quelques lois, toute une série de réflexions approfondies ont été menées sur ce sujet depuis 1945. L’idée d’instaurer un continuum entre l’école élémentaire et le collège n’a donc rien de diabolique ni d’inédit, elle n’est pas sortie de nulle part ; depuis des décennies, on travaille sur cette question dans certains milieux syndicaux, à droite comme à gauche. C’est pourquoi j’ai pu être surpris du caractère parfois manichéen des débats de ces dernières semaines. Il est néanmoins intéressant que cette idée, jusqu’à présent confinée au cercle des spécialistes de l’éducation, pénètre la société française, fût-ce au prix de polémiques excessives. Quelle que soit l’issue du débat, cela restera de toute façon un progrès.
Quel est l’objectif ? Cela a déjà été largement dit par plusieurs d’entre vous, à commencer par M. le sénateur Grosperrin, mais je voudrais tout de même souligner qu’il comporte en réalité plusieurs aspects. Le premier d’entre eux, redisons-le fortement, c’est l’aspect pédagogique et éducatif. Il est essentiel.
On peut considérer que le parcours scolaire d’un jeune se divise en deux parties. La première commence avec l’école maternelle, que ce texte installe au cœur du paysage, et s’achève en classe de troisième : c’est la phase d’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences, de culture, consacré par plusieurs gouvernements successifs. Nous voulons en effet assurer à tous les enfants de France des acquis scolaires de nature pédagogique et éducative leur permettant de bien démarrer dans la vie. Cette idée simple et forte, éminemment républicaine, est évidemment à l’arrière-plan du projet d’instaurer un continuum.
Ce grand principe pédagogique et éducatif s’accompagne d’un certain nombre d’autres considérations. La première d’entre elles, c’est que l’on observe des formes de décrochage en classe de sixième parce que le continuum entre le CM2 et la sixième, même s’il a connu des progrès depuis un certain nombre d’années, est encore largement insuffisant aujourd’hui : pour une partie des enfants, notamment les plus défavorisés, les différences entre le collège et l’école primaire restent déroutantes. À l’école primaire, le parcours de l’élève est plus personnalisé, il est bien connu de son maître ou de sa maîtresse ; cela change radicalement au collège, où il existe un plus grand cloisonnement entre les disciplines et, parfois, un certain anonymat de l’enfant, ce qui est évidemment regrettable. Nous avons à renforcer ce continuum, non seulement par des coopérations entre l’école primaire et le collège, mais aussi par une vision partagée du parcours de l’enfant, notamment sur un plan pédagogique. Telle est, d’abord et avant tout, la vocation des rapprochements envisagés entre écoles et collèges.
Outre l’aspect pédagogique, il faut aussi envisager les choses sous l’angle éducatif, et même sous l’angle social au sens large. Par exemple, les enjeux de santé seront bien mieux pris en compte s’il existe un continuum, un lien plus organique entre l’école et le collège. Il en va de même pour l’accompagnement de l’élève handicapé, l’éducation physique et sportive, bref toute une série de sujets extrêmement concrets.
C’est cela qui est en arrière-plan et qu’il faut rappeler, d’abord et avant tout. Cette seule raison suffirait largement à justifier la mise en place d’un tel projet, qui d’ailleurs ne part pas de zéro puisque ce continuum existe déjà aujourd’hui, par exemple dans les lycées français à l’étranger ou dans certains établissements privés, qui n’ont pas à s’en plaindre.